Homicide et psychose : particularités criminologiques des schizophrènes, des paranoïaques et des mélancoliques 325
avons retenu 27 sujets auteurs d’homicide pour lesquels
les données de l’expertise ou les conclusions expertales
orientaient vers les diagnostics de schizophrénie (dix cas)
[F20 (CIM-10) ; 295.10 ; 295.20 ; 295.30 ; 295.60 ; 295.90
(DSM-IV)], de psychose paranoïaque (neuf cas), qualifiée de
«trouble délirant »dans les classifications internationales
[F22 (CIM-10) ; 297.1 (DSM-IV)] ou de trouble de l’humeur
«mélancolique »(sept cas) [F32.x (CIM-10) ; 296.xx (DSM-
IV)] ou «hypomaniaque »(un cas) [F31.0 (CIM-10) ; 296.40
(DSM-IV)]. Nous avons exclu de notre étude les expertises
pour lesquelles la discussion ou les conclusions orientaient
vers les diagnostics d’état limite, de débilité mentale ou de
trouble de la personnalité. Le diagnostic oscille parfois entre
l’expertise et la contre-expertise, voire la surexpertise.
Cette série, trop brève pour en tirer des conclusions sta-
tistiquement significatives, corrobore les notions classiques
de la littérature sur l’homicide psychotique.
Nous privilégions l’emploi des termes «paranoïaque »,
«paranoïa »ou «psychose paranoïaque »pour décrire ce
que le DSM-IV ou la CIM-10, nomment, «trouble délirant »,
et cela dans un souci de clarté. En effet, des éléments
délirants peuvent être retrouvés indifféremment chez les
schizophrènes, les paranoïaques, mais aussi parfois chez les
mélancoliques ou les maniaques. Nous tentons de distinguer
le groupe des schizophrènes de celui des paranoïaques, à la
différence des études anglo-saxonnes qui regroupent le plus
souvent ces entités sous le terme générique de «psychose ».
Nous utilisons également les abréviations suivantes : «S»
pour les schizophrènes, «P»pour les troubles délirants para-
noïaques et «H»pour les troubles de l’humeur.
Nous examinons successivement quatre composantes : la
scène du crime, l’auteur, le mobile et la victime du crime.
Nous étudions, comparativement, ces quatre variables au
sein des groupes de schizophrènes, de paranoïaques et de
sujets présentant un trouble de l’humeur.
Résultats et discussion
La scène du crime
M. Bénézech et al. [4,5,7] enseignent que les crimes patho-
logiques obéissent aux règles de la tragédie classique : unité
de lieu, de temps et d’action. Tous les meurtres de notre
série ont été perpétrés dans un même lieu (à l’exception
d’un homicide de bordée), dans une période temporelle
brève et dans un même mouvement opératoire.
Dans notre étude, toutes pathologies confondues, le
crime est le plus souvent commis le soir ou la nuit, donnée
corroborée par les travaux de L. Mucchielli [28]. À l’inverse,
le crime du sujet paranoïaque n’a pas de spécificité tempo-
relle.
Le crime est perpétré dans 63 % des cas au domicile de
la victime (S : 5/10 ; P : 4/9 ; H : 8/8), plus rarement chez
l’agresseur (7,4 % des cas ; S : 1/10 ; P : 1/9 ; H : 0/8) ou
dans 29,6 % des cas à l’extérieur (S : 4/10 ; P : 4/9 ; H : 0/8).
Dans notre série, le crime du mélancolique a toujours lieu
au domicile. Le schizophrène et le paranoïaque commettent
également majoritairement leur crime au domicile de la vic-
time mais aussi dans un autre lieu, donnée classique de la
littérature [18,44].
L’auteur est le seul exécutant (S : 10/10 ; P : 9/9 ;
H : 8/8). L’agression est en règle brutale, soudaine,
n’excédant pas quelques minutes. Une dispute préalable
(notamment conjugale) est retrouvée dans certaines exper-
tises. Un acharnement et une violence excessive ne sont pas
fréquents. Toutefois, dans 50 % des crimes de notre série le
nombre de coups est supérieur à deux, ce qui est un indi-
cateur du caractère volontiers émotionnel de l’acte. Les
lésions par armes blanches sont souvent multiples, allant
jusqu’à 22 coups de couteau chez un schizophrène.
Chez les mélancoliques, l’utilisation de plusieurs moyens
pour commettre le crime est classique, comme si un seul
moyen n’était pas suffisant pour donner la mort. L’intention
n’est pas seulement de tuer, mais de s’acharner à annihi-
ler, à anéantir la victime. Ce débordement de violence est
également constaté au décours du possible passage à l’acte
auto-agressif consécutif à l’homicide : l’agressivité suit un
mouvement centripète et plusieurs moyens sont utilisés dans
un but suicidaire.
L’attitude de l’auteur après l’acte donne des indices sur
le caractère éventuellement pathologique de celui-ci. Les
conduites de réparation (appel des secours) sont relative-
ment fréquentes (S : 4/10 ; P : 4/9 ; H : 1/8). Le cadavre
est souvent laissé sur place, en évidence, non dissimulé ;
dans un cas l’auteur maquille la scène du crime et dans
un autre cas, il déplace la victime. La plupart des homi-
cidaires restent sur le lieu du crime délibérément ou dans
les suites de leur tentative de suicide. D’autres, une fois le
crime commis, fuient. Dans notre série, neuf (30 %) homici-
daires tentent de se suicider après l’acte (S : 1/10 ; P : 2/9 ;
H : 6/8), fait extrêmement fréquent quand le meurtrier est
déprimé au moment des faits. L’homicide-suicide est classi-
quement, mais pas exclusivement, le fait du mélancolique.
Les auteurs contemporains mettent, en effet, en évidence
l’hétérogénéité des pathologies éventuelles retrouvées chez
l’auteur d’un tel acte [11].
Les mélancoliques de notre série ont placé sur le lieu
du crime un testament (un cas), une lettre (deux cas),
ou un autre écrit (un cas), laissant supposer le caractère
éventuellement prémédité de leur acte. Ces notes peuvent
aussi correspondre à un message posthume dans la perspec-
tive d’un scénario d’homicide-suicide abouti. À l’exception
d’un meurtrier schizophrène qui a déposé sur les lieux
du crime des textes ésotériques, les homicidaires schizo-
phrènes ou paranoïaques de notre série ne laissent aucun
document.
L’auteur du crime (Tableau 1)
Les schizophrènes
Nous avons retrouvé dix sujets schizophrènes sur 268 dos-
siers d’expertises d’homicides, soit un taux de 3,73 % de
schizophrènes auteurs de meurtres (Tableau 1).
Il s’agit d’hommes (100 %) jeunes, d’une moyenne d’âge
de 31 ans, célibataires, sans enfant dans 90 % des cas,
au faible niveau d’éducation, majoritairement sans emploi
(60 %), et dont l’enfance a été émaillée de carences
socio-affectives (décès d’un parent, placement en foyer,
séparation parentale). Les antécédents judiciaires sont fré-
quents (50 %), et ils sont généralement connus des services
de psychiatrie. Seulement 30 % des schizophrènes auteurs