Risque d’homicide et troubles mentaux graves : revue critique de la littérature 523
les années 1990, des études méthodologiquement mieux
construites permettent de dire que la croyance relevée par
ces sondages franc¸ais, sans être illégitime, n’est pas entière-
ment fondée. S’il est possible aujourd’hui d’établir un lien
entre les troubles mentaux graves et la violence, celui-ci
doit être nuancé. Nous retenons la définition consensuelle
de S. Hodgins et al. [18,19] des troubles mentaux graves
qui regroupe les diagnostics de schizophrénie, de trouble
de l’humeur et de trouble délirant, qui correspond dans
la nosographie franc¸aise à la psychose paranoïaque. Cette
définition restreinte de la maladie mentale (troubles psycho-
tiques ou dépressifs exclusivement) s’oppose à celle, plus
large, du DSM IV qui inclut les maladies mentales de l’axe I
et les troubles de la personnalité de l’axe II du DSM-IV. Rap-
pelons que l’abus et la dépendance à l’alcool sont considérés
comme un trouble psychiatrique de l’axe I.
Cet article propose de clarifier l’association entre
l’homicide et la maladie mentale grave, en résumant
les principales données épidémiologiques concernant cette
association. Nous envisageons d’abord le lien avec le trouble
mental et psychologique au sens large (maladie mentale de
l’axe I et troubles de personnalité de l’axe II du DSM-IV) et
focalisons ensuite notre propos sur le lien avec les maladies
mentales dites graves de S. Hodgins et al.
Méthode
Nous avons répertorié les principaux articles sur l’homicide
dans les pays occidentaux depuis 1990. Nous avons unique-
ment retenu les études prospectives ou rétrospectives aux
méthodologies solides concernant la prévalence de la mala-
die mentale au sein de la population homicidaire d’un pays
donné. La recherche bibliographique a été faite par Med-
line, sur la période 1990—2006 inclusivement et a utilisé
les mots-clés «homicide »,«crime »,«murder »,«mental
disorder »,«major mental disorder »et «schizophrenia ».
Les homicides commis en temps de guerre sont exclus de
cette recherche. Les homicides—suicides et les infanticides
ne sont pas spécifiquement étudiés dans cette recherche,
ces deux dernières catégories étant la plupart du temps
colligées dans les populations de meurtriers des études rete-
nues.
Résultats
Données générales
Cinq à 15 % des meurtriers présenteraient une maladie
mentale grave [9,11,21,29,32,34—36] et 30 à 90 % les cri-
tères diagnostiques d’un trouble psychiatrique de l’axe
I ou d’un trouble de personnalité de l’axe II du DSM-IV
[9,11,21,29,32,34—36]. Les données varient suivant les cri-
tères diagnostiques utilisés, la définition de la maladie
mentale, selon le pays concerné, le type d’étude et la popu-
lation étudiée. Le Tableau 1 résume les principaux résultats
depuis 1990. L’accent a été délibérément mis sur la schi-
zophrénie pour deux raisons. Elle représente actuellement
le paradigme de la maladie mentale grave et constitue
une population spécifiquement prise en charge par les psy-
chiatres.
Trouble psychiatrique au sens large (axe I et II du DSM-IV)
Suivant le pays concerné, des différences considérables
apparaissent : en Angleterre et au Pays-de-Galles, 30 % des
meurtriers répondent aux critères DSM-IV d’une entité psy-
chiatrique (maladie mentale de l’axe I et trouble de la
personnalité de l’axe II) [32] contre 90 % en Suède [11]. Les
pays scandinaves retrouvent seulement 10 à 15 % de meur-
triers indemnes de troubles psychiatriques [8—11] contre
70 % dans l’étude de J. Shaw et al. [32]. Entre 1997 à 2001
à Singapour, K. Koh et al. [21] ont étudié les 110 homicides
commis pendant cette période. Dans 51,8 % des cas, aucune
pathologie mentale n’est retrouvée.
Maladie mentale au sens restreint (S. Hodgins et al.)
La prévalence des meurtriers présentant des troubles men-
taux graves est moins sujette à controverse. De manière
consensuelle, 15 % à 20 % des meurtriers répondent à un
diagnostic de maladie mentale grave (schizophrénie, trouble
délirant ou trouble de l’humeur) [9,11,21,29,32,34—36].
Mais les personnes souffrant de troubles mentaux graves
ont un risque de commettre un meurtre plus élevé que la
population générale [2,6—9,29,35,36]. Pour J. Shaw et al.
[32], seulement 11 % des meurtriers auraient une sympto-
matologie psychotique ou dépressive : en d’autres termes,
89 % des meurtriers de cette série sont indemnes de troubles
psychiatriques graves, mais ces chiffres portent sur des
constatations faites au moment des faits et non sur la vie
entière et ne doivent pas faire oublier que dans la même
série 18 % des criminels (n= 282) avaient été en contact avec
un service de psychiatrie au cours de leur vie et 9 % (n= 145)
dans les 12 mois précédant le crime.
Rôles des différents troubles psychiatriques
Homicide et schizophrénie
Les hommes atteints de schizophrénie sont surreprésentés
parmi les meurtriers avec une prévalence dix fois supérieure
à ce qu’elle est en population générale [9]. La schizophré-
nie multiplierait, par rapport à une population indemne de
pathologie mentale, le risque de violence homicide par six
à 16 chez l’homme [7,9,29,36] et par 6,5 à 26 chez la
femme [9,29,36]. Les schizophrènes hommes ou femmes
représentent 3,6 à 10 % des meurtriers selon les études
[7,10,11,21,29,32,34—36] et 5,5 à 13,5 % des meurtrières
ont un diagnostic de schizophrénie [7,8,11,24,29].
Homicide et trouble délirant
Le délirant paranoïaque aurait 1,3 [9] à six fois [29] plus de
risque de commettre un acte homicide qu’un sujet issu de
la population générale. La prévalence vie entière des meur-
triers souffrant d’une psychose paranoïaque est diversement
appréciée selon les pays et selon les études. Elle demeure
faible, entre 0,3 et 1,4 % [9,21,29].
Homicide et troubles de l’humeur
Un trouble de l’humeur est présent chez 1,4 à 8,2 % des
meurtriers suivant les séries [9,11,21,29,32,34—36]. Rares
sont les meurtriers en phase maniaque au moment des faits.
Seuls deux auteurs, H. Schanda et al. [29] et K. Koh et al.
[21] rapportent chacun un cas de manie dans leurs études.
En revanche, des troubles thymiques expansifs associés à des