Lettre d’information et d’analyse sur l’actualité scientifique N°27 : mars 2002 Homicide involontaire sur le fœtus ? La Cour de cassation dit « non » L’enfant qui n’est pas encore né peut-il être victime d’un homicide involontaire ? A cette question, les juridictions répressives et cassation elle-même répondu la par Cour de ont l’affirmative pendant plus de cent ans. Le droit pénal a, en effet, pour finalité la valeurs au desquelles protection premier figure de rang la vie humaine. La loi (article 16 du code civil) pose le principe du respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. Deux général situations à sont l’origine en des poursuites : l’accident de la circulation occasionné par le comportement fautif automobiliste, les d’un fautes d’imprudence ou de négligence commises par un membre du corps médical. Mais par un arrêt d’assemblée plénière du 29 juin 20011, la Cour de cassation, brisant une jurisprudence plus que séculaire, a jugé que le délit d’homicide pouvait involontaire être commis ne sur l’enfant à naître, quel que soit son développement. l’accident degré En provoqué automobiliste en de l’espèce, par un état d’ébriété avait causé la mort d’un fœtus de six mois tué sur le coup. Ce refus de protéger pénalement la vie de l‘enfant à naître –ce que nous avons tous été- est d’autant plus surprenant que grâce aux progrès de la médecine fœtale, cet enfant est aujourd’hui visible, sexué, soigné, qu’il est possible de lui donner un prénom avant sa naissance, de faire établir par l’état civil un acte d’enfant sans vie et d’organiser ses obsèques. Comment dans ces conditions, expliquer aux parents qu’ils n’ont rien perdu et que l’enfant qu’ils attendaient n’était qu’un objet destructible ? Plutôt mort que blessé Par ailleurs, il n’est guère cohérent d’exclure le délit d’homicide involontaire lorsque l’enfant meurt in utero et de retenir ce même délit s’il naît vivant et décède des suites de ses blessures. Sur le plan criminologique, il est difficile d’admettre que l’automobiliste maladroit ou imprudent puisse tuer l’enfant d’une femme enceinte en n’encourant qu’une peine de simple police si les blessures infligées à la femme sont légères. Cet automobiliste aura avantage à la mort immédiate de l’enfant car sa survie l’exposerait non seulement à des poursuites pénales mais aussi à indemniser un éventuel handicap. Ce paradoxe est exacerbé quand il s’agit d’un médecin ou d’une sage-femme qui ayant causé des blessures à l’enfant in utero, aura tout intérêt à ce qu’il ne naisse pas vivant alors qu’il a sa vie entre ses mains. Pareille situation n’est-elle pas de nature à éveiller les pires soupçons ? La Cour de cassation aura à se prononcer prochainement sur un pourvoi dirigé contre un arrêt de la cour d’appel de Versailles du 19 janvier 2000 qui a qualifié d’homicide involontaire la mort d’un fœtus de neuf mois causée par une faute médicale alors que la mère venait d’entrer dans une clinique pour y accoucher. Va-t-elle dire, une fois de plus, que cette mort devrait rester impunie ? Affaire à suivre… 1 - Réf : article « Le fœtus estil autrui ? » Gènéthique N°19 – juillet 2001 et sur www.genethique.org Chirurgie : comment intervenir sur le fœtus ? Opération cardiaque in utero La grande presse a récemment rapporté le succès d’une intervention cardiaque effectuée par des chirurgiens de Boston (USA) sur un fœtus de 23 semaines de grossesse – soit 5 mois de développement– porteur d’une anomalie congénitale diagnostiquée par échographie. L’intervention a consisté à agrandir le diamètre de l’ouverture de l’aorte au niveau de son origine cardiaque. L’obstacle représenté par ce Gènéthique - n°27 – mars 2002 rétrécissement aurait empêché le cœur de propulser normalement le sang dans le corps, avec, pour conséquence, une pression excessive dans le ventricule gauche source de développement anormal du cœur. Pour cet enfant, le geste anténatal a permis que le cœur se développe normalement avant la naissance. Le succès de cette intervention cardiaque fœtale est d’autant plus éloquent que le geste fœtal n’a pas eu besoin d’être complété par un geste néonatal, ce qui, pour ce type de chirurgie, est une première (les autres cas rapportés, plus d’une douzaine à ce jour, ayant nécessité un geste après la naissance). Du diagnostic à l’intervention Depuis l’avènement du diagnostic anténatal, les moyens de détection des anomalies congénitales ont grandement évolué et ont permis une meilleure compréhension et connaissance des mécanismes évolutifs pathologiques avant la naissance. De nombreuses anomalies peuvent être dépistées de manière fiable (malformations cardiaques, rénales, pulmonaires, pariétales …). On a pu ainsi savoir que pour telle anomalie, les lésions étaient déjà installées et définitives au moment de leur détection anténatale, même précoce (absence d’un rein par exemple…), alors que dans d’autres cas l’évolution anténatale spontanée se faisait vers l’aggravation des lésions, soit de l’organe en question, soit par retentissement sur d’autres organes ou fonctions en développement. Le premier dilemme était de savoir si l’on pouvait se contenter de regarder les choses s’aggraver sans rien faire ou si, considérant le fœtus comme un patient non encore né, on pouvait, on devait, intervenir d’une manière ou d’une autre avant la naissance pour tenter d’éviter cette évolution néfaste. Alors le praticien a été confronté à de nombreuses questions : les critères anténataux de gravité sont-ils fiables ? La lésion attendue est-elle suffisamment grave pour faire prendre un risque ? Le bénéfice attendu du traitement anténatal est-il supérieur au risque encouru par ce geste ? pour l’enfant ? pour la mère ? Le challenge réside dans la fiabilité diagnostique et l’appréciation du pronostic : peut-on être assuré que, au moment du dépistage anténatal, l’organe affecté est potentiellement fonctionnel, mais que la persistance par exemple d’un obstacle ou d’une compression entraînera inéluctablement si rien n’est fait précocement, des séquelles graves irrémédiables ? Reste alors à considérer les moyens techniques à mettre en jeu pour opérer le fœtus, mesurer les risques pour le fœtus et la mère, et expliquer tout cela clairement au couple pour obtenir leur consentement, même leur désir, de participer à ce projet thérapeutique destiné à améliorer le pronostic futur de ce petit patient non encore né qui est leur enfant. Divers types d’intervention Divers modes d’intervention fœtale ont vu le jour. Sans vouloir être exhaustif, cela peut aller de provoquer une naissance bien avant le terme, de ponctionner pour évacuer un excès de liquide amniotique afin de permettre à l’enfant de naître plus près du terme, voire simplement de transférer la femme enceinte dans un centre spécialisé pour la naissance afin de permettre un traitement approprié du nouveau-né dès les premières minutes, à des gestes plus actifs ou agressifs comme la pose d’un drain, jusqu’à un geste chirurgical. En cas de geste chirurgical le fœtus est partiellement extrait de l’utérus, opéré, puis réintégré dans l’utérus maternel pour poursuivre son développement le plus longtemps possible jusqu’à la naissance, débarrassé de ce qui risquait de compromettre ses chances de survie. Ce dernier mode plus agressif de traitement fœtal, qui a été réalisé à plusieurs reprises par l’équipe de SanFrancisco de Mickaël Harrison et dans 5 cas à l’hôpital Saint Vincent de Paul à Paris par les Pr Bargy et Sapin, comporte un risque important d’échec, en partie lié à la difficulté d’obtenir une tocolyse (absence de contraction utérine) de bonne qualité en postopératoire, responsable de mort fœtale et d’accouchement très précoce, sans sous-estimer le risque maternel. Pour ces raisons, ce type de chirurgie anténatale a subi un frein logique dans ses indications et sa réalisation. Les perspectives actuelles se tournent vers une adaptation de la coeliochirurgie grâce à la miniaturisation des instruments et les progrès des fibres optiques. Un nouvel ADN ? La revue Nature Biotechnology de février 2002 rapporte qu’une équipe japonaise vient de créer un « complément » au code génétique universellement utilisé dans le noyau des organismes vivants. Qu’en est-il ? Les cellules humaines ont un génome constitué d’ADN. Ce génome permet la synthèse de protéines qui sont indispensables au fonctionnement et à l’architecture de la cellule. L’ADN est lui-même constitué d’une succession de bases au nombre de quatre, A, T, G et C (pour adénine, thymine, guanine et cytosine). Ces bases sont rangées dans un ordre très précis définissant le code génétique. Pour construire une protéine, un morceau d’ADN, appelé gène, fabrique dans un premier temps une molécule d’un corps intermédiaire, l’ARN (acide ribonucléique). Cet ARN transmet le message du noyau vers le cytoplasme de la cellule où la synthèse protéique sera réalisée ; cet ARN est appelé ARN messager ou ARNm. Il est ensuite lu au niveau du cytoplasme pour déterminer chaque acide aminé constitutif des protéines en fonction du code lu sur l’ARNm. Chaque acide aminé est codé par un groupe de 3 bases de l’ADN appelé « codon » ; par exemple l’acide aminé appelé sérine est codé par le groupe de 3 bases AGC. Les chercheurs ont créé deux nouvelles bases, baptisées S et Y et ont réussi à les intégrer dans un morceau d’ADN. Le gène ainsi modifié code bien pour un ARNm nouveau, absent dans la nature. Cet ARNm nouveau permet d’intégrer dans les protéines un acide aminé nouveau, absent dans la nature. Toutes ces étapes ont été réalisées in vitro. Le but est d’arriver à incorporer ces nouvelles bases dans un génome naturel pour obtenir des protéines nouvelles. Cette technique a été présentée avec un battage médiatique important, un des inventeurs allant jusqu’à affirmer : « Nous comptons relancer les processus de l’évolution dans des directions qui n’ont pas été spontanément explorées par la nature ». En fait, le risque de création Gènéthique - n°27– mars 2002 de nouvelles cellules est extrêmement faible : si le code génétique est resté immuable depuis plus d’un milliard d’années malgré de nombreuses mutations, c’est qu’il existe à son niveau des systèmes de régulation et de contrôle terriblement performants. En revanche, il serait imaginable de pouvoir obtenir la synthèse de nouvelles protéines in vitro qui pourraient être utilisées par exemple pour le traitement de maladies encore incurables. lettre mensuelle gratuite, publiée par la Fondation Jérôme Lejeune. Directeur de la publication et Rédacteur en chef : Jean-Marie Le Méné - Contact : Aude Dugast [email protected] 31 rue Galande 75005 Paris - Tél/Fax : 01.53.10.08.30 - Site internet : www.genethique.org