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Politique monétaire de la BCE et dysfonctionnement de
la distribution de crédit dans la zone euro
Version préliminaire janvier 2015
Cécile Bastidon* Philippe Gilles** Marie-Sophie Gauvin***
Résumé : Notre objet est de déterminer si la mise en place de l’opération de refinancement de
long terme (LTRO) et les décisions de taux d’intérêts directeurs de la BCE ont eu un impact
sur les encours de crédits au secteur non financier. Les tests sont réalisés en panel par la
méthode des variables instrumentales sur un échantillon de douze pays de la zone euro, entre
janvier 2003 et juillet 2014. Ils montrent qu’il existe effectivement une relation de causalité
significative, mais négative dans le cas des LTRO (respectivement, positive dans le cas des
taux d'intérêts directeurs). Ainsi, les politiques non conventionnelles de la BCE auraient un
effet de signal défavorable. L’apport de liquidité via les LTRO et les décisions d’abaissement
des taux directeurs provoqueraient une contraction des encours de crédit dans la mesure
elles seraient interprétées comme un signal de gravité de la crise.
Abstract : Our purpose is to determine if the long-term refinancing operation (LTRO) and
policy rate decisions of the ECB actually had an impact on outstanding credits to non-
financial sector. We use instrumental variables regressions with panel data including twelve
countries of the Euro zone, between January 2003 and July 2014. The tests show that there is
a significant causality relationship. However, this relationship is negative in the case of LTRO
(respectively, positive in the case of policy rates). Thus, the ECB unconventional measures
would have an adverse signal effect. Liquidity injections via LTRO and policy rates decisions
would cause a contraction in outstanding loans, to the extent that they would be interpreted as
a signal of the dimension and extent of the crisis.
Mots clés : LTRO, plancher de taux, crédit au secteur non financier
Classification JEL : E32 (Business Fluctuations, Cycles); E51 (Money Supply, Credit,
Money Multipliers); E52 (Monetary Policy); E58 (Central Banks and Their Policies)
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*, **, *** : LEAD, Université de Toulon
*** : IREA, Université de Bretagne Sud
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Introduction
Au cours de la dernière décennie, la dynamique du crédit au secteur non financier dans la
zone euro a connu des mouvements pro-cycliques, avec pour point de retournement la crise
financière 2007-2008. Alors que les encours de crédit aux entreprises non financières et aux
ménages ont augmenté respectivement de 62% et 46% de 2003 à 2008, la tendance s’inverse
ensuite entre 2008 et 2014 avec une diminution de 11% de l’encours de crédits aux entreprises
non financières et une croissance de seulement 6% de l’encours de crédits aux ménages.
Pourtant, les deux étapes clef du basculement de la BCE dans la mise en œuvre non
conventionnelle de sa politique monétaire, du point de vue de l’apport de liquidité comme de
la fixation des taux directeurs, se produisent en 2008 et à partir de 2011 (Cukierman, 2013).
Il est donc légitime de s’interroger sur l’effet d’une politique monétaire accommodante sur la
distribution de crédit en temps de crise. Plus précisément, notre objet est de savoir si la mise
en place de l’opération de refinancement de long terme (LTRO) et les décisions de taux
d’intérêts directeurs de la BCE ont eu l’impact favorable attendu sur les encours de crédits au
secteur non financier (ménages et entreprises) des économies de la zone euro. Notre
échantillon comprend les onze pays appartenant à la zone euro depuis sa création, auxquels
nous avons ajouté la Grèce, et la période d’étude s’étend de janvier 2003 à juillet 2014. Les
estimations sont réalisées en panel par la méthode des variables instrumentales.
Notre principal résultat est qu’il existe effectivement une relation de causalité significative,
mais négative dans le cas des LTRO (respectivement, positive dans le cas des taux d'intérêts
directeurs). Ainsi, les politiques non conventionnelles de la BCE auraient un effet de signal
défavorable. L’apport de liquidité via les LTRO et les cisions d’abaissement des taux
directeurs provoqueraient une contraction des encours de crédit dans la mesure où elles
seraient interprétées comme un signal de gravité de la crise. En outre, nous montrons que les
dynamiques des crédits aux ménages et aux entreprises sont nettement différenciées. Les
crédits aux ménages sont plus largement expliqués par la liquidité des banques et
l’environnement macroéconomique, et les crédits aux entreprises par la politique monétaire.
En outre, la significativité de la politique monétaire n’est pas affectée par la crise de la même
manière dans les cas des crédits aux ménages et aux entreprises.
La structure de notre contribution est la suivante. La première section est consacrée à la revue
de la littérature. La seconde section est consacrée à l'étude empirique et contient le modèle de
référence, la présentation des données et de la méthodologie, et les résultats. Enfin, notre
conclusion reprend les principaux résultats empiriques et prolonge leur interprétation par des
recommandations de politique monétaire.
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1. Revue de la littérature
Dans la zone euro, outre les décisions de taux directeurs, les principales mesures de politique
monétaire non conventionnelle sont mises en œuvre dans le cadre de trois programmes :
Securities Market Programme (SMP), Long Term Refinancing Operation (LTRO), et Outright
Monetary Transactions (OMT). L’objet de ce papier est de connaître l’impact spécifique des
opérations de refinancement de long terme (LTRO) sur la distribution de crédit aux
entreprises et aux ménages au sein de la zone euro. En effet, contrairement au SMP qui se
concentre sur le marché de dettes et aux opérations monétaires sur titres (OMT) qui ciblent les
marchés souverains, le programme LTRO paraît être la mesure adaptée si nous souhaitons
connaître l’impact ciblé sur la distribution de crédit de la part des banques de la zone euro. Il
agit a priori de manière indifférenciée sur les prêts accordés aux entreprises et aux ménages.
Pour affiner son action, la BCE annonce d’ailleurs en juin 2014 un LTRO ciblé Targeted »
LTRO, soit TLTRO) sur les prêts accordés aux entreprises non financières, excluant les prêts
aux ménages.
L’étude de l’impact des politiques monétaires non conventionnelles a donné lieu à une
littérature abondante. Cependant, si l’impact de ces mesures prises dans leur ensemble a été
largement étudié (Cecioni, Ferrero et Secchi, 2011; Santor et Suchanek, 2013; Dubecq et al.
2013; IMF 2013), l’étude des effets des mesures spécifiques, à l’instar des opérations
européennes de refinancement de long terme (LTRO) représente une part moins importante de
la littérature (Taylor et Williams; Frank et Hesse 2009 ; Manganelli 2012). Par ailleurs, les
effets des mesures non conventionnelles sur l’allocation de crédit au secteur non financier, et
surtout sur leur effet différencié sur le crédit aux entreprises et aux ménages, n’ont pas fait
l’objet d’un grand nombre de travaux.
La littérature offre donc un grand nombre d’analyses des effets des politiques monétaires non
conventionnelles sur différentes variables, principalement de stabilité financière, parmi
lesquelles les spreads de taux d’intérêt (entre une mesure de taux sans risque et une mesure du
taux interbancaire des opérations en blanc
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) (Taylor et Williams, s. d.; Frank et Hesse 2009),
les rendements obligataires sur les marchés souverains (Eser et Schwaab 2014), ou encore
l’exposition au risque de la part des banques (Black et Hazelwood 2013).
Les résultats de ces travaux ne sont pas consensuels. Certains attestent de l’efficacité des
mesures non conventionnelles prises soit par la Fed, soit par la BCE sur la stabilité financière
au lendemain de la crise 2007-2008. Dans le cas de la zone euro, d’après Frank et Hesse
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Il s’agit généralement de spreads IBOR OIS. Le taux IBOR est associé aux opérations interbancaires en blanc
(LIBOR USD aux Etats-Unis, EURIBOR dans la zone euro) et le taux OIS aux swaps de taux d’intérêts fixe
contre variable. On retient la plupart du temps les taux à 3 mois comme endogène principale.
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(2009), l’annonce des LTRO aurait permis de réduire la volatilité et le niveau des spreads,
avec une baisse de 2.5 points du spread Euribor-OIS. D’après Carpenter et al. (2013), les
mesures prises par les Banques centrales américaine et européenne ont permis une réduction
du risque de liquidité. Sur cette base, les auteurs cherchent à caractériser l’impact
macroéconomique de ces mesures non conventionnelles sur le volume des prêts bancaires
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. Ils
testent les effets de la part des opérations de refinancement de long terme (LTRO) dans le
total des opérations de refinancement et de la quantité totale de liquidité fournie par la Fed et
la BCE, la politique de taux directeurs étant prise en compte par une variable muette qui
capture la période de refinancement sans plafond de montant à taux fixe (Fixed rate full
allotment liquidity provision).
La démarche de Carpenter et al. (2013) comporte deux volets. D’une part, les auteurs
appréhendent la relation théorique entre risque de liquidité bancaire (estimé par les spreads
LIBOR USD - OIS aux Etats-Unis et EURIBOR OIS dans la zone euro) et volume des prêts
bancaires, à partir d’un modèle d’offre et d’un modèle de demande de prêts bancaires au sein
d’un modèle général d’équations simultanées. La relation attendue est que les banques
devraient répondre à une hausse du spread par une baisse de la distribution de crédit, et vice-
versa. D’autre part, l’impact des mesures non conventionnelles est évalué empiriquement sur
le risque de liquidité bancaire, permettant finalement d’établir un lien entre la mesure de
politique monétaire et le volume de prêts bancaires. Les résultats empiriques montrent que les
mesures prises par les Banques centrales auraient permis une réduction du risque de liquidité,
facilitant en principe l’accord de prêts par les banques. Cependant, la relation établie entre
crédit bancaire et politique monétaire repose sur l’hypothèse d’une relation négative entre le
spread de taux d’intérêt et le crédit. Autrement dit, la relation directe entre mesures non
conventionnelles et volume de crédit accordé par les banques n’est pas testée.
De nombreuses études sont fondées sur cette relation indirecte entre les mesures de politique
monétaire et leur impact macroéconomique, et reposent empiriquement sur une estimation des
effets des mesures non conventionnelles sur des variables de stabilité financière. Dans le
même esprit, Casiraghi et al. 2013 mesurent l’impact de SMP, LTRO et OMT respectivement
sur les rendements des obligations souveraines, la disponibilidu crédit et les taux d’intérêt
du marché monétaire pour simuler ensuite des effets macroéconomiques sur l’économie
italienne. Les trois mesures combinées, via leurs effets respectifs sur les trois dernières
variables, auraient permis in fine à la croissance du PIB italien d’augmenter de 2.7 % sur
l’année 2012-2013.
A contrario, d’autres études soulignent le manque d’efficacité des politiques monétaires non
conventionnelles, à l’instar de Taylor & Williams (2009) ou Wu (2011) qui ne détectent
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approchés par les encours de prêts aux sociétés non financières pour la zone euro et les encours de prêts
commerciaux et industriels pour les Etats-Unis.
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aucun impact de la mesure TAF (Term Auction Facility) employée par la Fed sur les spreads
de taux d’intérêt (spread LIBOR USD - OIS). Bastidon, Huchet et Kocoglu (2014)
parviennent à la même conclusion d’inefficacité des mesures d’annonce à la fois de taux
d’intérêt et de provision de liquidisur la réduction des spreads interbancaires au sein de la
zone euro pendant la deuxième moitié de l’année 2011, soit au cœur de la crise des dettes
souveraines. Par ailleurs, les politiques monétaires auraient un impact différent en fonction du
type de banques concernées. Ainsi, l’effet des injections de capital par la Fed dans le cadre du
programme TARP (Troubled Asset Relief Program) sur le risque des prêts accordés par les
banques (notés de 1 à 5) serait totalement opposé selon la taille des banques (approchée par le
montant total des actifs) (Black et Hazelwood, 2013) puisque le risque serait favorisé par le
programme pour les grandes banques et réduit pour les banques de plus petite taille. Enfin,
même si les études au sein de la zone euro concernant l’impact des politiques monétaires sur
des variables réelles constituent encore aujourd’hui un champ restreint, d’après Lyonnet et
Werner (2012), le programme d’achat d’actifs par la Banque centrale d’Angleterre amorcé en
mars 2009, n’aurait pas eu d’impact sur la croissance du PIB britannique.
De manière générale, la littérature existante, qu’elle souligne l’efficacité ou l’inefficacité des
mesures non conventionnelles, est donc essentiellement ciblée sur la stabilité financière. Nous
choisissons de tester leur effet sur la stabilité « macro-conjoncturelle », soit les objectifs
usuels d’une banque centrale tels que représentés, par exemple, par une règle de Taylor
simple, au travers de l’allocation de crédit, qui est une variable clef de détermination des
écarts aux cibles d’inflation et de croissance. Ce point constitue un intérêt principal
puisqu’une mesure favorable à la stabilité financière (plancher de taux et refinancement sans
limite de montant, notamment) n’est pas systématiquement propice à la relance du crédit au
secteur non financier, et inversement. Par ailleurs, cette distinction entre impact des mesures
de politique monétaire sur la stabilité financière et la stabilité macro-conjoncturelle permet de
mettre en avant l’importance du cadrage des objectifs de politique monétaire.
2. L’impact des mesures non conventionnelles de la BCE sur l’offre de
crédit
Modèle économétrique et variables
Nous adoptons une approche en données de panel. Nous cherchons à déterminer l’impact des
opérations de refinancement de long terme de la BCE (LTRO) sur les prêts accordés aux
entreprises non financières (loans_nfc) et sur les prêts accordés aux ménages
(loans_households). Nous estimons donc deux équations avec le modèle linéaire suivant, les
variables étant exprimées en logarithme :
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