13/01/2014 1 UNE ANALYSE DESCRIPTIVE DE LA DIVERSITÉ ET DE LA FRÉQUENCE DES COMPORTEMENTS DE RÉSISTANCE DU CONSOMMATEUR A DESCRIPTIVE ANALYSIS OF RESISTANCE CONSUMER BEHAVIORS DIVERSITY AND FREQUENCY André LE ROUX Maître de conférences CEREGE, IAE, Université de Poitiers Adresse professionnelle : 20 rue Guillaume VII Le Troubadour 86032 Poitiers Cedex Tel. 05 45 49 44 99 e-mail : [email protected] Marinette THEBAULT Maître de conférences CEREGE, IAE, Université de Poitiers e-mail : [email protected] Thomas STENGER Maître de conférences CEREGE, IAE, Université de Poitiers e-mail : [email protected] Abstract: Consumer research on resistance adopts mainly a qualitative approach of specific behaviors considered independently form other resistance behaviors. This research considers the diversity and frequency of consumer resistance behaviors. Thanks to a quantitative approach and a factor analysis, it identifies three levels of frequency of occurrence and six dimensions that describe resistance behaviors associated among consumers. Keywords : consumer resistance, consumer behavior, quantitative methods Résumé : La recherche marketing aborde la résistance du consommateur aux pratiques du marché essentiellement à travers des approches qualitatives des comportements considérés de manière spécifique, sans considérer les autres pratiques de résistance. Cette étude s'intéresse à la diversité et la fréquence des pratiques de résistance. Grâce à une approche quantitative comprenant une analyse des fréquences et une analyse factorielle, elle met en évidence trois niveaux de fréquence et identifie six dimensions qui permettent de décrire les comportements de résistance associés chez le consommateur. Mots clés : résistance du consommateur, comportement du consommateur, méthodes quantitatives 13/01/2014 2 INTRODUCTION ET OBJECTIFS La résistance du consommateur aux pratiques du marché a suscité l'émergence d'un important courant de recherche matérialisé en France par de nombreuses publications récentes, notamment un ouvrage collectif (Roux 2009) et un numéro spécial de Décisions Marketing en décembre 2012. L'essentiel des recherches consacrées à la résistance du consommateur se focalise sur l'étude d'un type spécifique de pratique en l'analysant en profondeur sans considérer les autres pratiques de résistance. Il apparait donc intéressant d'étudier la résistance du consommateur sous l'angle de la pluralité des comportements. L'objectif de cette recherche est d'identifier les différentes pratiques de résistance et leur fréquence. Après un rappel de la définition du concept de résistance du consommateur et des principales recherches en la matière, les résultats d'une étude quantitative exploratoire seront présentés avant de faire l'objet d'une discussion. CADRE CONCEPTUEL Le concept de résistance trouve son origine dans les travaux d'Hirschman (1970) qui identifie, à côté du comportement de fidélité (loyalty), le pouvoir d'expression (voice) et de défection (exit) du consommateur. Ce sont Peñaloza et Price (1993) et Hermann (1993) qui proposent le terme de résistance pour qualifier les comportements de défiance, d'opposition voire de rébellion du consommateur. Roux (2009, p. 131) définit la résistance comme "un état motivationnel qui pousse le consommateur à s'opposer à des pratiques, des logiques ou des discours marchands jugés dissonants". Les comportements étudiés au titre de la résistance sont multiples. Au-delà des contributions concernant le boycott et les stratégies à adopter par les entreprises face à des appels à boycott (Friedman 1985; Thébault 1999; Capelli & al. 2012, Cissé-Depardon 2012), les recherches ont porté sur la résistance aux marques (Duke 2002; Moisio & Akegaard 2002; Thompson & Haytko 2002; Dalli & al. 2005), à la publicité (Rumbo 2002; Cottet & al. 2009, 2012), au placement des marques dans les films (Fontaine 2009), aux techniques de vente (Kirmani & Campbell 2004, Roux 2007, 2008), aux programmes de fidélité (Pez 2012), et sur les plaintes et les réclamations (Roux 2012). D'autres recherches se sont centrées sur la résistance à certaines formes de marché par la mise en place de formes alternatives d'échanges (RobertDentremond 2009), la résistance aux dons d'argent (Urbain & al. 2012), le rejet de la consommation et la simplicité volontaire (Dobscha & Ozanne 2001; Shaw & Newholm 2002; Zavestoski 2002) et la cyber résistance (Chalamon & al. 2012). Les comportements du consommateur qualifiés de résistants peuvent donc être multiples. Fournier (1998) conçoit la résistance du consommateur comme un continuum de comportements et d'activités allant de réactions d'évitement jusqu'à des formes plus radicales de rébellion active telles que la plainte, le boycott ou l'abandon en passant par des stratégies d'ajustement ou de restriction volontaire. Peñaloza et Price (1993) proposent de structurer le champ de la résistance selon quatre axes d'analyse : comportements collectifs versus individuels, réformistes versus radicaux, dirigés contre les offres versus contre les signes véhiculés par les firmes, internes versus externes aux institutions marketing. Roux (2007) distingue la résistance ciblée, contre les signes, les discours, les dispositifs et les comportements des firmes, de la résistance globale, contre le fonctionnement et les logiques du marché (simplicité volontaire, consommation verte…). Malgré l'abondance des sujets traités et des domaines abordés, les recherches sur la résistance souffrent de certaines limites. Comme le remarque Roux (2007), il s'agit d'un champ dominé par des approches qualitatives et caractérisé par l'absence de mesures. De plus, du fait de ce type d'approche, un comportement ou une pratique sont étudiés de manière approfondie et située culturellement et socialement, mais isolés des autres pratiques et comportements de résistance que le consommateur peut adopter. Enfin, le champ des activités numériques 13/01/2014 3 semble relativement peu étudié comparativement au boycott ou à la résistance à la publicité, notamment les comportements de copie et de téléchargement illégal, le piratage et le hacking. Nous proposons donc de réaliser une recherche exploratoire descriptive afin de répondre aux questions suivantes : quelles sont les pratiques de résistance les plus fréquentes ? Quelles sont les pratiques de résistance associées en termes de fréquence ? METHODOLOGIE L'étude a été réalisée grâce à un questionnaire administré en face à face auprès d’un échantillon de convenance de 290 individus. L'échantillon comporte 48% d'hommes et 52% de femmes. Il est composé d'individus de 17 à 74 ans, avec un âge moyen de 31,76 ans (écart type 13,25). Au plan des catégories socio professionnelles, 50% sont étudiants, 47% actifs. Le questionnaire comporte 17 comportements qualifiés de résistants. Ces comportements ou pratiques ont été choisis après examen critique de la littérature. Nous avons considéré les deux premiers axes définis par Peñaloza et Price (1993) en incluant des comportements individuels et collectifs (plainte individuelle versus collective, piratage individuel versus en réseau), réformistes et radicaux (plainte versus boycott, installation et développement de logiciels libres versus hacking et piratage). Nous avons également pris en compte la distinction apportée par Roux (2007) entre résistance ciblée et résistance globale (dégradation de produits ou de publicités versus participation à des systèmes alternatifs d'échange). Les comportements étudiés incluent aussi des pratiques numériques, peu analysées dans le cadre de la résistance (voir tableau 1 pour la liste complète des pratiques étudiées). Le questionnaire est centré sur la fréquence de comportements mesurée à travers une échelle de fréquences en 4 points (jamais, 1 fois, 2 ou trois 3, plus de 3 fois). RESULTATS Fréquence des pratiques L'analyse de distribution des fréquences permet d'identifier trois grandes catégories de pratiques de résistance collectivement exhaustives et mutuellement exclusives : les comportements fréquents, qui ont été pratiqués au moins une fois par 70% de l'échantillon, les comportements peu fréquents, qui n'ont jamais été pratiqués par 30% à 50% de l'échantillon, les comportements rares, qui n'ont jamais été pratiqués par plus de 50% de l'échantillon (cf. tableau 1). Les comportements fréquents correspondent essentiellement à des pratiques individuelles, dont certaines sont hors la loi : bouche à oreille négatif auprès de son entourage, installation de logiciels libres pour les activités licites mais aussi copie et téléchargement illégaux individuels, achat de contrefaçon. Plusieurs de ces pratiques semblent habituelles avec des taux supérieurs ou proches de 50% pour la fréquence "plus de 3 fois". Certaines de ces activités sont clivantes avec des taux de "jamais" significatifs : copie illégale, téléchargement illégal, installation de logiciel libre, et achat de contrefaçon. Cela signifie que, bien que ces activités soient fréquentes dans la population interrogée, un noyau significatif d'individus, plus de 20%, déclare ne jamais se livrer à ces activités. Les comportements peu fréquents regroupent le boycott individuel, la copie illégale en réseau, le refus de publicité à titre individuel. Bien que moins courantes, ces pratiques sont elles aussi clivantes. Le refus de la publicité à titre individuel et la copie illégale en réseau, bien que peu fréquents globalement, sont néanmoins pratiqués par des segments significatifs de consommateurs qui déclarent une fréquence de "plus de 3 fois" élevés (34 et 26% respectivement). 13/01/2014 4 Les comportements rares regroupent les activités de plainte, de bouche à oreille négatif sur un blog, forum ou réseau numérique, de dégradation de publicités ou de produits, à titre individuel comme collectif, le piratage et le hacking, individuel ou en réseau, le téléchargement illégal en réseau, le développement et support de logiciels libres, le refus de publicité et le boycott à titre collectif, la contestation organisée, la participation à des systèmes de troc ou d'échanges alternatifs. A nouveau, bien que peu répandues dans l'échantillon, certaines activités présentent un noyau dur de participants déclarant des taux de fréquence significatifs de "plus de 3 fois" : téléchargement illégal en réseau (23%), bouche à oreille négatif sur des blogs, forums et réseau numériques (15%). Tableau 1 : Fréquences des pratiques de résistance Comportements fréquents : Bouche à oreille négatif entourage Installation de logiciels libres Copies illégales individuelles Téléchargement illégal individuel Achat de contrefaçons Comportements peu fréquents : Boycott individuel Copies illégales en réseau Refus de publicité individuel Comportements rares : Plainte individuelle Plainte collective Bouche à oreille négatif blogs, réseaux numériques Dégradation de publicité individuelle Dégradation de produits individuelle Dégradation de publicité collective Dégradation de produits collective Téléchargement illégal en réseau Piratage individuel Hacking individuel Piratage en mouvements organisés Hacking en mouvement organisé Développement et support de logiciels libres Refus de publicité collectif Boycott collectif Contestation organisée Participation à systèmes alternatifs d'échange, troc, monnaies alternatives 1 fois S/T au moins une fois Jamais Total 21,4 18,3 16,2 11,7 26,2 7,9 10,3 7,6 9,0 17,2 92,4 76,2 76,6 76,6 69,3 6,6 22,4 22,8 23,1 28,3 290 290 290 290 290 17,6 26,6 34,1 21,7 13,8 14,8 22,8 14,5 9,3 62,1 54,8 58,3 34,5 44,5 40,7 290 290 290 12,8 7,2 15,2 10,7 5,5 3,1 3,1 22,8 11,4 5,2 2,8 1,4 5,9 5,9 5,2 6,2 16,6 11,7 13,1 10,0 9,0 6,6 3,4 10,7 6,9 4,8 4,1 2,1 6,2 6,6 9,3 11,0 16,6 24,1 16,6 12,4 10,7 5,9 4,8 10,0 9,0 7,2 6,2 6,6 10,3 7,6 13,4 14,1 45,9 43,1 44,8 33,1 25,2 15,5 11,4 43,4 27,2 17,2 13,1 10,0 22,4 20,0 27,9 31,4 53,4 56,6 52,8 65,5 73,4 84,1 87,6 55,9 72,1 81,4 86,6 89,3 76,6 79,0 71,0 68,3 290 290 290 290 290 290 290 290 290 290 290 290 290 290 290 290 7,2 10,3 13,4 31,0 68,3 290 Plus de 3 fois 2 ou 3 fois 63,1 47,6 52,8 55,9 25,9 En synthèse, on peut souligner que les comportements les plus fréquents sont donc essentiellement individuels (bouche à oreille négatif auprès de son entourage et installation de logiciels libres), mais aussi hors la loi (copie et téléchargement illégal, achat de contrefaçon). Les comportements peu fréquents mais aussi certains comportements rares font apparaître un noyau dur de pratiquants avec des taux importants voire élevés pour "plus de 3 fois". Ce sont notamment des activités illégales en mouvements organisés : téléchargement illégal en réseau (23%), copie illégale en réseau (26%). On recense aussi un noyau dur significatif pour des pratiques de rejet des produits, marques, et entreprises : boycott individuel (18%), refus de la publicité individuel (34%). 13/01/2014 5 Analyse factorielle sur la fréquence des pratiques Une analyse factorielle en composantes principales a été effectuée afin de pouvoir identifier comment les comportements étudiés se regroupent en fonction de leur fréquence. Elle met en évidence les activités pratiquées ou non simultanément par des individus avec des fréquences analogues. L'examen des données montre une forte variabilité dans les réponses, avec un coefficient de variation (écart type exprimé en pourcentage de la moyenne) largement supérieur à 25% et même à 50% pour de nombreuses pratiques. Cela suggère des pratiques très différenciées chez les personnes interrogées. Les données présentent une bonne capacité à être factorisées (KMO de 0,815 et test de sphéricité de Bartlett significatif). L'analyse en composantes principales suggère une solution à 6 dimensions selon le critère de Kaiser (valeurs propres supérieures à 1,0). Ces six facteurs expliquent une part significative de la variance initiale des données (62%). Une rotation orthogonale est appliquée pour clarifier l'interprétation. La matrice après rotation fait apparaître une structure claire et interprétable à 6 dimensions. Les six dimensions présentent des pourcentages de variance équilibrés, compris entre 7% et 15%. Cela témoigne de la grande variabilité des répondants sur les pratiques étudiées et manifeste la richesse des données. Certains items présentent une corrélation faible avec les différents facteurs. C'est le cas de l'achat de contrefaçon, du bouche à oreille sur un réseau numérique, du bouche à oreille négatif auprès de son entourage et de la participation à des systèmes alternatifs de consommation. L'élimination des items achat de contrefaçon, bouche à oreille sur un réseau numérique et participation à des systèmes alternatifs de consommation améliore la solution. Les six dimensions sont conservées, tous les items sont au moins corrélés à 50% à un axe. La qualité de représentation des données initiales est bonne avec plus de 50% de la variance initiale des items conservée dans les facteurs retenus. Seul le développement et support de logiciels libres présente un score de communautés inférieur, mais néanmoins proche de 50% (0,480). Etant donné le caractère exploratoire de l'étude, et le fait que cet item est corrélé significativement à l'axe 2, ce comportement a été conservé dans l'analyse (cf. tableau 2). Une première dimension regroupe la copie, le téléchargement illégal, et l'installation de logiciels libres. Cela correspond à des pratiques renvoyant essentiellement à un accès à la consommation numérique. Certaines sont hors la loi mais présentent peu de gravité au plan légal. Ce facteur a été dénommé activités de consommation numériques alternatives (15% de la variance expliquée). La seconde dimension regroupe des activités numériques illégales à portée plus sérieuse au plan pénal et des atteintes fortes envers les entreprises et les institutions visées : piratage et hacking. Ce facteur a été dénommé activités numériques subversives (14% de la variance expliquée). La troisième dimension correspond à un rejet d'outils et offres marketing avec la dégradation de publicités et de produits (12% de la variance expliquée). La quatrième dimension regroupe les pratiques de plainte et de contestation et a donc été dénommée en tant que telle (10% de la variance expliquée). La cinquième dimension regroupe les pratiques collectives de boycott et de refus de la publicité. Ces activités correspondent à un activisme organisé contre les entreprises et les institutions de marché. Elle a été qualifiée de militantisme organisé (9% de la variance expliquée). La sixième dimension regroupe le refus de publicité individuel, le bouche à oreille négatif auprès de l'entourage et le boycott individuel. Ces activités correspondent à 13/01/2014 6 nouveau à une forme d'activisme, mais cette fois caractérisé par son côté individuel. Ce facteur a été dénommé militantisme individuel (7% de la variance expliquée). DISCUSSION Les résultats de la recherche mettent en valeur la grande diversité des comportements du consommateur en matière de résistance aux pratiques du marché. La fréquence des comportements est très variable, de 63% de plus de trois fois pour le bouche oreille négatif auprès de son entourage (7% de jamais) à 1% pour le hacking en mouvement organisé (89% de jamais). Trois grands types d'activités ont pu être mis en évidence en fonction de leur plus ou moins grande fréquence. De plus, pour plusieurs comportements rares ou peu fréquents, on a pu identifier un noyau dur de consommateurs se livrant régulièrement à cette activité. C'est notamment le cas du rejet de la publicité individuel ou du boycott individuel, de la copie et du téléchargement illégal en réseau, du bouche à oreille négatif sur des réseaux numériques. Ces résultats suggèrent l'existence de segments de consommateurs aux comportements bien spécifiques, certains nécessitant des infrastructures et une coordination importante comme pour la copie et le piratage en réseau. D'autre part, les résultats montrent l'importance des activités numériques dans les comportements de résistance des consommateurs, activités peu prises en compte dans les recherches antérieures. Les activités de copie et de téléchargement figurent parmi les activités les plus fréquentes. Elles sont aussi fortement présentes dans l'analyse factorielle à travers les deux premiers facteurs, représentant 30% de la variance expliquée. L'analyse factorielle a permis de structurer dix-sept pratiques de résistance autour de six dimensions. Celles-ci montrent les activités pratiquées de manière associée par des consommateurs avec des fréquences analogues. Par exemple, si un consommateur pratique (ou ne pratique pas) la copie illégale de manière régulière, il est probable qu'il pratique (ou ne pratique pas) aussi le téléchargement illégal et l'installation de logiciels libres de manière régulière. Dès lors, apparaissent des regroupements d'activités autour de la consommation numérique alternative, de la consommation numérique subversive, du rejet d'outils et d'offres marketing, de la plainte, du militantisme individuel et organisé. Les résultats de l'analyse des fréquences et de l'analyse factorielle confirment les deux axes principaux proposés par Peñaloza et Price (1993). Le premier axe de leur typologie oppose comportements individuels versus collectifs. Parmi les activités les plus fréquentes, on remarque des activités essentiellement individuelles. De même, deux des six dimensions de l'analyse factorielle sont clairement individuelles ou collectives : militantisme individuel versus militantisme organisé. Le clivage réformiste – radical apparait nettement au niveau des activités de consommation numériques : certaines sont alternatives, d'autres subversives. Les dimensions plainte, militantisme individuel et collectif relèvent de pratiques à caractère réformiste. La dimension de rejet d'outils et d'offres marketing renvoie à des formes plus radicales comme la dégradation de produits ou de publicités. Cependant la typologie de Peñaloza et Price (1993) n'épuise pas la diversité des comportements de résistance. Certaines dimensions, telles que la plainte, le rejet d'outils et offres marketing ou les activités numériques alternatives intègrent des comportements individuels mais aussi des comportements organisés. Les résultats présentés ici confirment donc mais aussi élargissent et complètent les axes proposés par Peñaloza et Price (1993). Ils mettent en valeur la nécessité d’étudier de nouvelles activités issues des changements technologiques affectant les comportements des consommateurs, notamment la dimension numérique et en réseau de ces comportements. 13/01/2014 7 Nos résultats questionnent la distinction proposée par Roux (2007) entre résistance ciblée et résistance globale. Les systèmes alternatifs de consommation, qui correspondent à une forme de résistance globale, semblent peu corrélés aux autres pratiques et ont donc été écartés. Deux dimensions relèvent clairement d'une résistance ciblée : plainte et rejet des outils et offres marketing. En revanche, les autres dimensions regroupent des pratiques de résistance qui peuvent être aussi bien ciblées que globales. Par exemple, il est difficile de dire si le hacking relève d'une logique ciblée ou d'une logique globale, car il peut s'attaquer à la fois et aussi bien à des entreprises qu'à des institutions plus globales, telles qu'un marché financier. De même, le boycott peut être dirigé de manière ciblée contre une marque, un produit ou une entreprise. Il peut aussi être dirigé contre des Etats, des pratiques génériques telles que la discrimination sociale, raciale ou sexuelle. LIMITES Cette recherche comporte plusieurs limites. Elle a été réalisée auprès d'un échantillon de convenance et ne peut donc prétendre à une quelconque représentativité. De même, si elle envisage une palette diversifiée de comportements et d'activités des consommateurs, elle ne peut prétendre à l'exhaustivité. Enfin, les mesures utilisées pour la fréquence reposent sur des échelles ad hoc dont les propriétés psychométriques ne sont pas établies. VOIES DE RECHERCHE Néanmoins, cette recherche est à notre connaissance la seule à envisager simultanément plusieurs activités de résistance aux pratiques du marché de la part du consommateur. Elle ouvre des perspectives et des voies de recherche. Une première voie de recherche est la répétition de l'étude auprès d'un échantillon représentatif de répondants afin de valider les résultats présentés ici. Une seconde voie est l'approfondissement des résultats grâce à une focalisation sur certains types de comportements peu étudiés comme les activités numériques, ou sur des segments spécifiques, tels que les hackers et pirates en réseau. Une dernière voie de recherche est celle de la légitimité et de la catégorisation des comportements de résistance. Les comportements étudiés ici ont été sélectionnés et considérés comme résistants sur la base d'une revue de littérature. Il serait intéressant de vérifier si les consommateurs considèrent eux-mêmes ces activités comme résistantes, notamment ceux qui les pratiquent, et ce, au-delà d'un discours de rationalisation et de légitimation de son propre comportement. IMPLICATIONS MANAGERIALES Cette recherche a plusieurs implications managériales. Elle confirme tout d'abord la grande diversité des comportements de résistance de la part du consommateur à laquelle sont confrontés les acteurs du marché. Elle mesure la fréquence des comportements de résistance dans l'absolu et offre une typologie des activités basée sur cette fréquence. Elle permet donc d'identifier les comportements les plus répandus dans la population étudiée et de cibler les activités à traiter en priorité. Elle permet aussi de voir quels sont les groupes d'activités qui sont pratiquées par des consommateurs avec des fréquences analogues. Ces résultats peuvent aider les entreprises comme les institutions publiques à définir des politiques de prise en compte, de prévention ou de lutte contre ces pratiques. 13/01/2014 8 Tableau 2 : Analyse Factorielle : Matrice des composantes après rotation orthogonale Varimax Copies illégales individuelles Téléchargement illégal individuel Installation de logiciels libres Copies illégales en réseaux Téléchargement illégal en réseaux Piratage individuel Hacking individuel Piratage en mouvements organisés Hacking en mouvement organisé Développement et support de logiciels libres Dégradation de publicités individuelle Dégradation de produits individuelle Dégradation de publicités collective Dégradation de produits collective Plainte individuelle Plainte collective Contestation organisée Refus de publicité collective Boycott collectif Refus de publicité individuelle Bouche à oreille négatif entourage Boycott individuel % de la variance expliquée après rotation Activités de consommation numériques alternatives 0,796 0,845 0,819 0,663 0,617 Activités numériques subversives Rejet d'outils et offres marketing Plainte Militantisme organisé 0,461 0,455 0,755 0,798 0,758 0,720 0,506 0,325 0,310 0,383 0,696 0,770 0,724 0,717 0,380 0,393 0,315 0,639 0,819 0,729 0,393 0,360 0,622 0,750 0,353 15% Militantisme individuel 14% 12% 10% 0,366 9% 0,696 0,600 0,677 7% Qualité de représentation 0,704 0,730 0,687 0,747 0,628 0,689 0,668 0,648 0,652 0,480 0,610 0,674 0,826 0,737 0,540 0,704 0,605 0,736 0,754 0,551 0,569 0,684 13/01/2014 9 Références Capelli S., Legrand P., Sabadie W. 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