Mes travaux Jean Talairach (1965)

publicité
Mes travaux
Jean Talairach (1965)
Mes travaux ont été consacrés pour la plupart, depuis 14 ans, à la création d'une technique stéréotaxique
susceptible de donner le jour à une neurochirurgie fonctionnelle la plus élaborée et la plus large possible.
Et pourtant, depuis 1938, conseillé par mon cousin le docteur Ey, pour lequel j'ai toujours eu une profonde
admiration, je décidais de commencer ma carrière psychiatrique, en me présentant à l'internat des hôpitaux
psychiatriques de la Seine - carrière que je terminais par le médicat des hôpitaux psychiatriques (1945), après
avoir suivi l'enseignement prestigieux du Professeur Jean Delay qui me nomma chef de clinique dans son service
(1944).
Cependant, je dois à mon ami, le Professeur Julian de Ajuriaguerra, de m'avoir fait connaître, en 1942, le
Professeur Marcel David, alors neurochirurgien dans le service du Dr Oberlin, à l'hôpital Antoine·Chantin.
Je n'oublierai jamais cette première intervention d'un lundi d'avril 1942 et cette angoisse particulière, connue de
ceux qui découvrent brusquement un monde espéré, et qui allait me faire abandonner irrésistiblement ma carrière
psychiatrique pourtant toute tracée.
Je fus aide bénévole à l'hôpital Antoine Chantin (1942) puis à l'hôpital Corentin-Celton, assistant à l'hôpital militaire
du Val-de-Grâce, puis à l'hôpital Paul-Brousse, neurochirurgien adjoint a l’hôpital Sainte-Anne (1950).
Apres 16 années de\ consécration à la neurochirurgie classique, je me suis spécialisé dans la neurochirurgie
fonctionnelle stéréotaxique pour devenir chef de la section stéréotaxique du service du Professeur M. David à
l'hôpital Sainte-Anne (1958).
Je n'ai eu qu'un seul Maître, le Professent Marcel David, à qui je dois tout ce que je sais en neurochirurgie.
Dix huit années de travail en commun, vécues quotidiennement côte à côte, en face du malade, ont établi
d’autres liens que ceux d'élève à maître.
C’est à la suite de discussions passionnantes entendues entre le Professeur Jean Lhermitte, Julian de
Ajuriaguerra et Henri Hécaen à l'hôpital Paul-Brousse, sur le rôle du thalamus dans divers syndromes
douloureux, poussé par le sentiment de fausse précision ressenti au cours des interventions pour mouvements
anormaux ou pour troubles mentaux et par le malaise éprouvé dans la poursuite trans-cérébrale de certains
foyers épileptogènes toujours fuyants, que je décidais, en 1946, d'entreprendre la mise au point d’une technique
chirurgicale capable de repérer et d'atteindre, pour les interroger ou les détruire, diverses formations enfouies du
cerveau humain.
Après quatre années d'études anatomiques stéréotaxiques encore bien élémentaires et de mise au point
instrumentale, la première intervention stéréotaxique destinée au traitement d’un syndrome douloureux
thalamique fut effectuée à l'hôpital Paul-Brousse en décembre 1948 dans le service du Docteur David.
Depuis cette date et aidé à partir de 1953 par mon ami le Médecin Colonel Toumoux, je me suis efforcé de créer
une technique instrumentale et des procédés de repérage des structures suffisamment universels pour ne pas
demeurer l'esclave d'un type d'intervention à l'ordre du jour et permettre, dans l’avenir, l'élaboration d'une
neurochirurgie fonctionnelle aussi vaste que possible.
En 1954, j’ai mis au point avec Tournoux un appareil stéréotaxique destiné à atteindre la loge hypophysaire par
voie trans-sphénoïdale.
La même année, aidé par l'instrumentation ainsi créée, j’ai commencé à étudier les effets de l’irradiation
interstitielle par implantation stéréotaxique d'Au198 (dans les tumeurs cérébrales malignes ou inabordables, les
adénomes de l'hypophyse non opérables). Période de tâtonnement inévitable dans un domaine nouveau où
régnait encore pour beaucoup la notion de radiorésistance du tissu nerveux et où les produits radio-actifs euxmêmes étaient dosés avec incertitude.
C'est avec mon élève Szikla que fut étudiée systématiquement, à partir de 1958, l'action sur le cerveau des
émetteurs à rayonnement gamma comme l'Au198 et l’Ir192 et établie une dosimétrie rationnelle tenant compte
des limites de tolérance cérébrale. Parallèlement, étaient précisés les effets de l'Y90, agent émetteur de
rayonnement bêta pur, capable de créer des lésions localisées, strictement définies, nécessaires à la
neurochirurgie fonctionnelle.
A partir de 1959, j'ai abordé, avec mes collaborateurs, la deuxième étape des études anatomiques
stéréotaxiques consacrée au repérage des structures télencéphaliques. Les résultats de ces études seront
exposés dans un ouvrage qui doit bientôt paraître et qui complètera mes livres précédents traitant du repérage
des noyaux gris centraux et du lobe temporal.
Mais, depuis 1962, l'aplanissement progressif de nos principales inquiétudes hospitalières, les possibilités
consenties par la Préfecture de la Seine m'ont permis d'appliquer chez un plus grand nombre de malades les
techniques chirurgicales, pour la plupart originales, inaugurées à l'hôpital Sainte-Anne dans le service même du
Professeur Marcel David et dont les résultats thérapeutiques ont pu être dès lors scrupuleusement observés par
mon ami le Docteur A. Bonis, neurologue du service.
C'est ainsi que furent pratiquées de façon courante :
- des interventions hypophysaires fonctionnelles stéréotaxiques pour le traitement: de certains cancers hormonodépendants, du syndrome de Cushing d'origine haute, de l'exophtalmie maligne et de certains diabètes ;
- des irradiations interstitielles stéréotaxiques dans l'acromégalie, dans le traitement de certains adénomes, dans
celui des craniopharyngiomes et de certains glioblastomes ;
-- enfin, de nombreuses interventions de neurochirurgie fonctionnelle portant sur l'encéphale ont été effectuées.
Je me suis intéressé, en particulier, au traitement des mouvements anormaux dont j’avais réalisé la première
intervention stéréotaxique en 1950, et mis en valeur une intervention bi-focale destinée aux syndromes
parkinsonniens akinéto-hypertoniques avec syndrome axial.
J’ai également pratiqué des interventions stéréotaxiques dans divers syndromes douloureux d'origine centrale et,
en particulier, décrit avec Tournoux et Bancaud, une intervention portant sur les fibres thalamo-pariétales.
Diverses interventions de psychochirurgie stéréotaxique portant sur plusieurs formations centrales et pré-frontales
ont été également réalisées.
Mais c'est surtout la chirurgie de l'épilepsie que nous avions commencée en 1955 avec Mme MB Dell qui a été
l'objet de nos principales recherches, avec mon ami Bancaud.
Il nous semblait que certains échecs de la thérapeutique chirurgicale alors classique des formes graves de cette
affection tenaient à l'incertitude des indications opératoires fondées sur des critères cliniques, radiologiques,
électro-encéphalographiques et électro-corticographiques souvent ambigus.
En utilisant une technique stéréotaxique complexe mais précise, permettant la mise en place d’un nombre élevé
d'électrodes intra-crâniennes sur ]a base d'un repérage anatomique rigoureux, il devenait possible d'explorer,
simultanément avec celle recueillie sur le scalp, l'activité des différentes structures cérébrales impliquées au cours
d'un accès épileptique.
C'est ainsi que nous avons élaboré une nouvelle méthode d'investigation obéissant à des principes différents de
ceux de l'électro-corticographie classique et de la neurophysiologie expérimentale qui, au terme des informations
neuro-psycho-physio-pathologiques nouvelles qu'elle apporte, permet de donner une définition anatomo-électroclinique satisfaisante des différentes formes de comitialité.
Dans ces conditions, la stéréo-électro-encéphalographie (1962), en nous fournissant les possibilités d'étudier les
modalités de propagation des décharges dans le voisinage ou à distance de la zone ou des zones
épileptogènes, nous a contraints à reconsidérer le diagnostic étio-pathogénique des épilepsies.
En donnant du dysfonctionnement paroxystique une représentation spatio-temporelle précise, cette méthode
offre aux procédés d'exérèse à ciel ouvert et aux techniques stéréotaxiques de destruction focale, organiquement
hiérarchisées, la possibilité d'élaborer une chirurgie réellement fonctionnelle de l'épilepsie, qui est devenue une
des activités essentielles du service que je dirige.
C'est à travers ce type d'exploration que s'orientent de plus en plus nos recherches pour donner à la chirurgie de
certaines affections douloureuses ou mentales une base anatomo-fonctionnelle plus cohérente et plus
rigoureuse.
Téléchargement