
escrire 2016
Conférence-débat Pilule d’Or Prescrire 2016 • AMM “fractionnées” : mise en danger des patients et capture de régulation • Page 2
Retour d’expérience sur
les AMM accélérées
Le retour d’expérience sur l’utilisation des AMM ac-
célérées démontre malheureusement que les médicaments
concernés sont souvent autorisés malgré une balance béné-
fices-risques non rassurante. Une étude réalisé par des cher-
cheurs de l’Institut Mario Negri, à Milan, qui a porté sur les
AMM conditionnelles accordées par l’Agence européenne
du médicament (EMA) entre janvier 2006 et juin 2015,
conclut que la « balance bénéfices-risques des médicaments autori-
sés sous conditions est rarement rassurante et suffisante pour que les
bénéfices de santé public attendus contrebalancent les risques
d’une information clinique limitée » (4). En plus, les cher-
cheurs remettent en question l’utilisation des procédures
accélérées dans des situations où il y a déjà un traitement
efficace disponible.
L’expérience montre aussi que l’évaluation accélérée
pose davantage de problèmes ultérieurs de pharmacovi-
gilance. Une étude réalisée par des chercheurs aux États-
Unis d’Amérique, par exemple, apporte des preuves que
les médicaments qui ont été mis sur le marché après des
réformes de la réglementation visant à réduire la durée
d’évaluation, ont davantage été ensuite retirés du marché,
ou fait l’objet de mises en garde importantes pour la sécu-
rité du patient (5).
On sait aussi que les engagements post-AMM sont peu
respectés (4,6,7). Un rapport de décembre 2015 du Govern-
ment Accountability Office aux États-Unis a constaté que
la Food and Drug Administration ne surveille pas assez
le respect des engagements liés aux AMM accélérées (8).
La difficulté de recruter des patients pour des essais cli-
niques après l’AMM est souvent avancée comme un des
principaux obstacles pour l’accomplissement de ces obliga-
tions. Mais en pratique l’absence d’exigences fermes de la
part des régulateurs et l’absence de sanctions en cas d’en-
gagements non tenus créent un climat de permissivité dont
les firmes tirent parti.
D’autres évaluations indépendantes indiquent aussi
que, au détriment des patients, la plupart des médicaments
autorisées sous conditions n’apportent pas un progrès thé-
rapeutique (9).
Et il est important de remarquer que les AMM accélé-
rées ne signifient pas nécessairement "accès aux médica-
ments" pour les patients : le prix demandé par les firmes est
une barrière de plus en plus difficile à franchir.
Les AMM “fractionnées“
Tout cela démontre que le cadre réglementaire actuel
de l’AMM est loin d’être optimal. Malheureusement, loin
de relever les exigences pour obtenir l’AMM, l’accent est
mis de plus en plus sur l’autorisation accélérée et prématu-
rée des médicaments. Et c’est précisément dans ce contexte
d’affaiblissement des exigences de preuves qu’un nouveau
paradigme de dérégulation d’autorisation de mise sur le
marché a été proposé: les AMM "fractionnées" (ou adap-
tive pathways ou adaptive licensing en anglais).
Ce système consiste en une approche flexible, où les
médicaments sont autorisés sur la base de données très
partielles tirées d’une petite population de patients. Cette
autorisation initiale est suivie par des phases successives de
recueil de données cliniques, avec l’objectif de réduire peu
à peu l’incertitude autour de la balance bénéfices-risques
du médicament et d’étendre ses indications. L’objectif
principal est d’accélérer la mise sur le marché des médica-
ments. Selon les "pères" de ce paradigme, les autorisations
de mise sur le marché fractionnées « sont envisagées comme
devant finalement remplacer le modèle actuel de développement et
d’évaluation, et donc seraient applicables à tous les nouveaux
médicaments » (10).
D’où viennent les AMM
“fractionnées” ?
D’où vient ce concept ? Entre 2010 et 2014, aux États-
Unis d’Amérique, le Center for Biomedical Innovation
(CBI) du Massachusetts Institute of Technology (MIT) a
mis en place un think tank nommé New Drug Develop-
ment Paradigms (NEWDIGS) pour explorer la faisabilité de
ce concept en phase de gestation. Ce think tank est financé
et fortement influencé par les firmes pharmaceutiques. En
2011, le Directeur médical de l’EMA rejoint le CBI comme
chercheur invité pour travailler à cette initiative (11,12).
Selon le site internet du CBI, les conclusions « ont été lar-
gement disséminées (...) et ont inspiré le programme des "AMM
fractionnées" de l’Agence européenne du médicament » (13).
Au même moment, en Europe, des collaborations
entre les syndicats des firmes pharmaceutiques (Eu-
ropean Federation of Pharmaceutical Industries and
Associations (EFPIA), EuropaBio) et des associations
de patients de maladies rares commencent à maté-
rialiser le concept d’AMM "fractionnées", qui est très
profitable pour l’industrie pharmaceutique. En dé-
cembre 2013, cette coalition a écrit à la Commission
Européenne appelant à lancer un projet pilote (14).
Peu après, en mars 2014, l’Agence Européenne du Médica-
ment lance officiellement le projet pilote, monitoré de près
par son Directeur médical (15).
Les AMM “fractionnées”
intéressent les firmes
L’implication des firmes pharmaceutiques dans la
conception de ce nouveau paradigme indique qu’il répond
vraiment à ses intérêts. En fait, elles peuvent espérer un
« flux de revenus plus précoce qu’avec la procédure actuelle
d’AMM et des essais cliniques moins chers et plus courts » (10).
Pour les firmes, les AMM "fractionnées" représentent
aussi la consolidation d’un nouveau modèle de business,
celui des niche-busters, qui consiste à fragmenter parfois
artificiellement les populations de patients et accélérer la
mise sur le marché pour une indication étroite, qui va être
élargie progressivement. En ciblant des marchés plus étroits,
où aucun traitement n’existe, les entreprises peuvent exi-
ger un prix du médicament plus élevé que dans les mar-
chés saturés, et leurs essais cliniques sont simplifiés (16).
Ce business model explique les prix astronomiques de la