Université d’Orléans UFR Sciences Département de Mathématiques Master de Mathématiques M1S1MT05 – Analyse fonctionnelle Automne 2007 Page web : http : //www.univ–orleans.fr/mapmo/membres/anker/enseignement/AF1.html 3. Dualité et réflexivité Dans ce chapitre, E désigne un espace vectoriel normé sur F = R ou C. Rappels : ∗ • Le dual topologique E de E est l’ensemble des formes linéaires continues sur E . ∗ • E est un espace de Banach pour la norme d’opérateur. Proposition : E 6= 0 =⇒ E ∗ 6= 0 . Plus précisément, pour tout x ∈ E , il existe f ∈ E ∗ avec kf k = 1 et f (x) = kxk . C’est un corollaire du théorème de Hahn–Banach. Définition–Propriété : ∗∗ • Le plongement canonique J de E dans son bidual E = (E ∗ )∗ est défini par J (x)(f ) = f (x) ∀ x ∈ E , ∀ f ∈ E ∗ . • J est une application linéaire isométrique. • E est réflexif si J est bijectif i.e. surjectif. Définition : Un espace normé E est réflexif si le plongement canonique J : E → E ∗∗ est surjectif. Exemples : • Tout espace normé de dimension finie est réflexif. • Tout espace de Hilbert est réflexif. p p • ℓ (N) [ resp. L (R) ] est réflexif ∀ 1 < p < +∞ . 1 1 ∞ • c0 (N) [ resp. C0 (R) ] , ℓ (N) [ resp. L (R) ] et ℓ (N) [ resp. L∞ (R) ] ne sont pas réflexifs. • cc (N) [ resp. Cc (R) ] n’est réflexif pour aucune norme k . kp . N • C ( [ 0, 1 ] ) n’est pas réflexif. Remarques : • Tout espace réflexif est complet. ∗∗ • Réalisation dans E du complété de E : b = J (E) est un espace de Banach, ◦ E b ◦ J est une isométrie de E dans E, b ◦ J (E) est dense dans E. Proposition : Soit F un sous–espace de E . Alors F est dense dans E si et seulement si f = 0 est l’unique élément de E ∗ qui s’annule sur F . La seconde partie de ce chapitre est consacrée à la topologie faible et à la caractérisation de la réflexivité au moyen de la compacité faible de la boule–unité BE = { x ∈ E | kxk ≤ 1 } . Définition : La topologie forte sur E est la topologie métrique standard, définie par la distance d(x, y) = k x − y k . Rappel : Théorème de finitude de Riesz BE est compacte pour la topologie forte ⇐⇒ E est de dimension finie. Définition : La topologie faible σ(E, E ∗) sur E est la topologie initiale pour les applications f ∈ E ∗ . Propriété 1 : Tout ouvert pour la topologie σ(E, E ∗) est une réunion de semi–boules B(x0 ; f1 , . . . , fn ; r) = { x ∈ E | |fj (x)−fj (x0 )| < r ∀ 1 ≤ j ≤ n } , où x0 ∈ E , f1 , . . . , fn ∈ E ∗ , r > 0 . Propriété 2 : La topologie σ(E, E ∗) est séparée. Propriété 3 : La topologie σ(E, E ∗) est contenue dans la topologie forte sur E , avec égalité en dimension finie. Propriété 4 : Soient (xn ) une suite dans E et x ∈ E . Alors : (i) xn → x fortement =⇒ xn → x faiblement. (ii) xn → x faiblement ⇐⇒ f (xn ) → f (x) ∀ f ∈ E ∗. (iii) (xn ) converge faiblement =⇒ (xn ) est bornée . (iv) xn → x faiblement et fn → f dans E ∗ fortement =⇒ fn (xn ) → f (x) . Le point (iii) se démontre en appliquant le théorème de Banach–Steinhaus aux formes linéaires J (xn ) sur E ∗ . Comme J (xn ) converge ponctuellement, on a sup n kxn k = sup n kJ (xn )k < +∞ . Le point (iv) se démontre en estimant |fn (xn )−f (x)| ≤ |(fn −f )(xn )| + |f (xn −x)| ≤ kfn −f k kxn k + kf k kxn −xk → 0 . | {z } | {z } | {z } →0 ≤C →0 Propriété 5 : Soit f une forme linéaire sur E . Alors f est faiblement continue ⇐⇒ f est fortement continue i.e. f ∈ E ∗ . Propriété 6 : Si E est un espace normé complexe, désignons par F l’espace normé réel obtenu par restriction des scalaires. Alors les topologies faibles σ(E, E ∗) et σ(F, F ∗ ) coı̈ncident. La démonstration repose sur les relations suivantes entre E ∗ et F ∗ : ∗ ∗ • à tout f ∈ E , on associe u ∈ F par u(x) = Re f (x) ; ∗ ∗ • à tout u ∈ F , on associe f ∈ E par f (x) = u(x) − i u(ix) . En dimension infinie, la topologie faible σ(E, E ∗) est strictement incluse dans la topologie forte, comme le montrent les faits suivants. Propriété 7 : En dimension infinie, (i) tout ensemble borné dans E a un intérieur vide pour la topologie σ(E, E ∗), en particulier aucune boule B(x0 , r) = {x ∈ E | kx − x0 k < r} de rayon r > 0 n’est faiblement ouverte ; (ii) l’adhérence faible de la sphère S(x0 , r) = {x ∈ E | kx − x0 k ≤ r} est la boule B ′ (x0 , r) = {x ∈ E | kx−x0 k ≤ r} . Toutefois les ensembles convexes fermés sont les mêmes. Propriété 8 : Soit C une partie convexe de E . Alors C est faiblement fermée ⇐⇒ C est fortement fermée. Démonstration : =⇒ résulte de l’inclusion de la topologie faible dans la topologie forte. ⇐= résulte de la forme géométrique du théorème de Hahn–Banach. Plus précisément, après s’être réduit au cas réel grâce à la propriété 6, on écrit C comme intersection de demi–espaces f (x) ≤ α , avec f ∈ E ∗ et α ∈ R , qui sont des ensembles faiblement fermés. Propriété 9 (théorème de Mazur) : Soit (xn ) une suite convergeant faiblement vers un point x dans E . Alors une suite de combinaisons convexes des xn converge fortement vers x . Démonstration : On applique la propriété 8 à l’ensemble convexe fermé T C = n co { xm | m ≥ n } . Propriété 10 : Les conditions suivantes sont équivalentes, pour une application linéaire T : E → F entre deux espaces de Banach : (i) T est continue pour les topologies fortes, (ii) T est continue pour les topologies faibles, (iii) T est continue pour la topologie forte sur E et pour la topologie faible sur F . Démonstration : (i) ⇒ (iii) et (ii) ⇒ (iii) : immédiat. (i) ⇒ (ii) et (iii) ⇒ (ii) : D’après la propriété universelle de la topologie initiale, il s’agit de voir que, pour tout f ∈ F ∗ , l’application f ◦ T : E −→ F est continue pour la topologie σ(E, E ∗). Or f ◦ T est une forme linéaire sur E , qui est continue pour la topologie forte sur E , comme composée d’applications linéaires continues. Elle est aussi continue pour la topologie σ(E, E ∗), d’après la propriété 5. (ii) ⇒ (i) : Le graphe de T est un ensemble convexe dans E ×F , qui est fermé pour la topologie σ(E, E ∗) ×σ(F, F ∗ ) = σ(E×F , E ∗×F ∗ ). D’après la proposition 8, il est fermé pour la topologie forte sur E ×F . Le théorème du graphe fermé implique (i). Définition : La topologie faible σ(E ∗ , E) sur E ∗ est la topologie initiale pour les applications J (x) ∈ J (E) . Propriété 1∗ : Tout ouvert pour la topologie σ(E ∗ , E) est une réunion de semi–boules B(f0 ; x1 , . . . , xn ; r) = { f ∈ E ∗ | |f (xj )−f0 (xj )| < r ∀ 1 ≤ j ≤ n } , où f0 ∈ E ∗, x1 , . . . , xn ∈ E , r > 0 . Propriété 2∗ : La topologie σ(E ∗ , E) est séparée. Propriété 3∗ : On a les inclusions suivantes de topologies sur E ∗ : σ(E ∗ , E) ⊂ σ(E ∗ , E ∗∗ ) ⊂ topologie forte , avec égalités en dimension finie. Propriété 4∗ : Soient (fn ) une suite dans E ∗ et f ∈ E ∗ . Alors : (i) fn → f fortement =⇒ fn → f pour σ(E ∗ , E ∗∗ ) =⇒ fn → f pour σ(E ∗ , E). (ii) fn → f pour σ(E ∗ , E) ⇐⇒ fn (x) → f (x) ∀ x ∈ E . (iii) (fn ) converge pour σ(E ∗ , E) =⇒ (fn ) est bornée, si E est un espace de Banach. (iv) fn → f pour σ(E ∗ , E) et xn → x fortement dans E =⇒ fn (xn ) → f (x). Propriété 5∗ : Les formes linéaires sur E ∗ , qui sont continues pour la topologie σ(E ∗ , E), sont les éléments de J (E). La démonstration repose sur le résultat suivant d’algèbre linéaire. Lemme : Soient V un espace vectoriel sur F et f0 , f1 , . . . , fn des formes linéaires sur V . Alors f0 ∈ Ff1 + . . . + Ffn ⇐⇒ ker f0 ⊃ ker f1 ∩ . . . ∩ ker fn . Corollaire : E est réflexif ⇐⇒ σ(E ∗ , E) = σ(E ∗ , E ∗∗ ) . Théorème de Banach–Alaoglu–Bourbaki : Toute boule B ′ (f0 , r) = { f ∈ E ∗ | kf −f0 k ≤ r } dans E ∗ est compacte pour la topologie σ(E ∗ , E) . Théorème de Kakutani : E est réflexif ⇐⇒ la boule–unité BE = { x ∈ E | kxk ≤ 1 } est compacte pour la topologie σ(E, E ∗). La démonstration de l’implication ⇐= repose sur le résultat suivant, qui est un cas particulier du théorème des bipolaires (voir TD). Proposition : J (BE ) est dense dans J (BE ∗∗ ) pour la topologie σ(E ∗∗ , E ∗ ). Corollaire : Tout sous–espace fermé d’un espace réflexif est réflexif. Corollaire : Soit E un espace de Banach. Alors E est réflexif ⇐⇒ E ∗ est réflexif . Exemple : c0 non réflexif =⇒ ℓ1 ≡ (c0 )∗ non réflexif =⇒ ℓ∞ ≡ (ℓ1 )∗ non réflexif .