en pratique
132 Neurologies • Avril 2015 • vol. 18 • numéro 177
Il existe beaucoup d’idées reçues
ou de fausses croyances sur les
épilepsies. Elles contribuent
aux dicultés rencontrées par les
patients dans la vie quotidienne.
Le rôle de l’exposition aux “écrans”
(télévision, ordinateurs, jeux vidéo)
sur la survenue de crises épilep-
tiques est une question fréquente
des familles, qui ont très souvent
tendance à limiter ou interdire la
télévision ou les jeux vidéo. Cette
recommandation émane même
de professionnels de la santé. Il
existe, en eet, des crises épilep-
tiques réflexes induites par stimu-
lation visuelle. Le grand public en
a probablement connaissance par
la médiatisation de la survenue de
crises épileptiques photo-induites
à l’échelle d’une population, comme
cela a été le cas lors de la diusion
d’un épisode des Pokemons en 1997
au Japon [1]. De plus, par précau-
tion “juridique”, les avertissements
quant à ce risque supposé sont
constants au début des jeux vidéo
ou sur les notices des matériaux à
écran (console, ordinateur, tablette,
télévision…). Cela concourt à entre-
tenir la croyance du rôle des écrans
dans la survenue de crises épilep-
tiques dans la population générale…
Les crises photo-induites (crise
épileptique réflexe induite par une
stimulation visuelle) sont en pra-
tique clinique assez rares. Nous
verrons qu’il ne faut pas confondre
photosensibilité et crises épilep-
tiques photo-induites, ainsi que les
critères diagnostiques pour les épi-
lepsies avec crises photo-induites et
leur prise en charge.
NE PAS CONFONDRE
PHOTOSENSIBILITÉ ET
CRISES ÉPILEPTIQUES
RÉFLEXES PHOTO-
INDUITES
La photosensibilité correspond
à une modification électroencé-
phalographique lors de la séquence
de stimulation lumineuse inter-
mittente. Cela correspond le plus
souvent à des anomalies à type
de pointes, polypointes ou poly-
pointes-ondes (focales ou géné-
ralisées), sans qu’il y ait de mani-
festation clinique associée. Ce
pattern électrique est observé plus
fréquemment dans certains syn-
dromes épileptiques. On le ren-
contre par exemple chez 20 à 30%
des patients avec épilepsie myoclo-
nique juvénile ; mais, chez ces pa-
tients, il n’est pas aussi fréquent que
les stimulations visuelles induisent
des manifestations cliniques.
Diérentes études ont été
conduites pour connaître les ca-
ractéristiques des stimulations
lumineuses ayant la plus grande
probabilité d’induire une photo-
sensibilité. Les éléments qui ont
le plus de puissance d’induction
d’une photosensibilité [2] sont:
l’intensité lumineuse ( 20 cd/m2);
les ashs dont la fréquence de scin-
tillement est proche de 15Hertz;
• l’alternance de couleur des stimu-
lations lumineuses, et en particulier
l’alternance de type rouge-violet;
ainsi que la présence de patterns
géométriques.
Il est important de bien expliquer
aux patients et à la famille que la
présence d’une photosensibilité
n’est pas synonyme de crises épi-
leptiques photo-induites, afin de
prévenir la mise en place de res-
trictions dans la vie quotidienne
qui seraient inappropriées.
LES CRISES PHOTO-
DÉCLENCHÉES
Il existe relativement peu de don-
nées sur la fréquence des crises
épileptiques photo-induites au sein
des diérents types d’épilepsies.
Une étude épidémiologique pros-
pective de 3 mois a permis d’estimer
que l’incidence annuelle des crises
épileptiques photo-induites parmi
les patients avec une épilepsie nou-
vellement diagnostiquée était de
1,1 pour 100 000 personnes, soit
2% des épilepsies [3]. En pratique
clinique, il semble que le nombre
de patients avec épilepsie et crises
photo-déclenchées soit même infé-
rieur à ce chire.
Diérents types de crises
épileptiques peuvent être obser-
xxxxx
xxxxx
xxxxxx
xxxxx
Epilepsie et écrans
Crises épileptiques photo-induites : à retenir
n
Le rôle de l’exposition aux “écrans” (télévision, ordinateurs, jeux vidéo) sur la survenue de
crises épileptiques chez les enfants et adolescents est une question fréquente des familles.
Quels sont les risques, que répondre à leurs interrogations ?
Stéphane Auvin*
*Service de neurologie pédiatrique et des maladies métabo-
liques, INSERM U1141, Hôpital Robert Debré, Paris
EpilEpsiE Et Ecrans
Neurologies • Avril 2015 • vol. 18 • numéro 177 133
vés par photo-déclenchement :
les myoclonies, les absences, les
crises généralisées cloniques ou
tonico-cloniques, ainsi que des
crises focales avec ou sans perte de
conscience.
Il faut rester prudent avant de
conclure au lien de cause à eet
entre la survenue d’une crise
épileptique et le rôle d’une expo-
sition à un écran dans la photo-
induction. En particulier, ce n’est
pas parce quune crise épileptique
survient lorsque les enfants ou ado-
lescents sont devant la télévision
que l’on peut conclure à une photo-
induction de crises épileptiques. En
particulier s’il s’agit d’un adolescent
qui passe une grande partie de la
journée face à un écran. De même,
les crises épileptiques survenant
après une longue période d’uti-
lisation de jeux vidéo ne doivent
pas être attribuées hâtivement à la
stimulation visuelle. En particu-
lier chez les adolescents, le facteur
“dette de sommeil” doit souvent
être considéré car ils jouent fré-
quemment tard dans la soirée, voire
toute la nuit.
Sur le plan clinique, les crises
épileptiques photo-induites par
les jeux vidéos vont surtout être
diagnostiquées sur la base d’un
interrogatoire bien mené. Il s’agit
le plus souvent de garçons qui ré-
pètent des crises épileptiques alors
qu’ils sont en train de jouer aux
jeux vidéo. La survenue de crises
épileptiques sur la même séquence
d’un jeu vidéo ou sur des séquences
ayant un contenu visuel équivalent
fait fortement évoquer le diagnostic
[4-5]. S’il existe vraiment un doute
diagnostique, on peut envisager
un enregistrement EEG face à la
séquence vidéo qui aurait un rôle
déclenchant. Il est important de se
souvenir que seuls 10% des patients
avec des crises épileptiques induites
lors des jeux vidéo ont des modifi-
cations à la stimulation lumineuse
intermittente lors de l’EEG [5].
Tous les patients n’ont pas la
même gêne face aux crises déclen-
chées. Certains n’ont des crises in-
duites que par des lumières de très
haute intensité, alors que, pour
d’autres, ce sont les stimulations
visuelles du quotidien. L’impact
sur la qualité de vie est forcément
très diérent.
Le traitement est basé sur
l’utilisation d’antiépileptiques,
mais l’utilisation de lunettes avec
des verres bleutés spécifiques
peut aussi être utile dans la prise
en charge [6]. Ces derniers permet-
traient de “filtrer” ecacement
l’aspect stimulation de certaines
lumières. Il faut bien expliquer aux
patients que tous les écrans n’ont
pas le même risque. Ainsi, les écrans
plasma ou de type LCD ont un pou-
voir plus faible de photo-induction
que les anciens tubes cathodiques.
De même, les écrans de petite taille,
tels que les consoles de jeu vidéo
portables ou les tablettes, semblent
moins stimulants. Il est important
de réexpliquer les facteurs les plus
favorisants des crises, comme la
luminance et le degré d’occupa-
tion de la stimulation visuelle dans
le champ visuel (~ 10 %) [2]. De
simples mesures, comme s’éloigner
de l’écran (plus de 1,5 m pour les
écrans de télévision) ou regarder
les écrans dans une pièce avec une
lumière ambiante permet que la
stimulation visuelle que représente
l’écran occupe moins d’espace dans
le champ visuel du patient.
EN CONSULTATION :
PRUDENCE...
En l’absence d’argument pour
une épilepsie avec crises épilep-
tiques photo-induites, il n’y a pas
lieu de modifier l’utilisation de la té-
lévision, de l’ordinateur ou des jeux
vidéo établie selon les choix édu-
catifs des parents. Il faudra aussi
veiller à ce que le patient ne soit pas
exclu de la pratique informatique
ou des séquences de cinéma ou
d’utilisation de la télévision dans le
cadre de la scolarité. Cela nécessite
d’ailleurs dans certains cas d’être
mentionné dans le PAI (Protocole
d’Accueil Individualisé : document
pour les recommandations médi-
cales au sein de l’école, signé avec
les parents et le médecin scolaire).
Lors de la consultation, il faut être
prudent lors des explications sur
l’utilisation des écrans. Les pa-
rents ont souvent tendance à
s’appuyer sur le risque médical
de la survenue d’une crise épi-
leptique pour limiter l’accès aux
écrans. Il faut garder un rôle de
médecin. Il convient alors de rap-
peler quune très grande majorité
des patients n’a aucun risque lors de
l’utilisation des écrans. Ce sont les
parents qui établissent les règles en
fonction des choix éducatifs pour
leurs enfants, ou qui établissent
avec les adolescents les conditions
d’utilisation des diérents écrans.
Cela n’empêche pas le médecin de
donner son avis sur la place des
écrans dans la vie quotidienne… n
Mots-clés : Epilepsie photo-induite,
Ecrans, Jeux vidéo, Enfant, Adolescent
Correspondance
stephane.auvin@rdb.aphp.fr
1. Furusho J, Yamaguchi K, Ikura Y et al. Patient
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2. Harding G, Wilkins AJ, Erba G et al. Photic-
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sus of the Epilepsy Foundation of America
Working Group. Epilepsia, 2005 ; 46 : 1423-5.
3. Quirk JA, Fish DR, Smith SJ et al. Incidence of
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siol 1995 ; 95 : 260-7.
4. Kasteleijn DG. Photosensitivity, visually
sensitive seizures and epilepsies. Epilepsy Res
2006 ; 70 : S269-79.
5. Graf WD, Chatrian GE, Glass ST, Knauss TA.
Video game related seizures: a report on 10
patients and a review of the literature. Pedia-
trics 1994 ; 93 : 551-6.
6. Wilkins AJ, Baker A, Amin D et al. Treatment
of photosensitive epilepsy using coloured
glasses. Seizure 1999 ; 8 : 444-9.
BiBliographie
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