en pratique Epilepsie et écrans Crises épileptiques photo-induites : à retenir n Le rôle de l’exposition aux “écrans” (télévision, ordinateurs, jeux vidéo) sur la survenue de crises épileptiques chez les enfants et adolescents est une question fréquente des familles. Quels sont les risques, que répondre à leurs interrogations ? I l existe beaucoup d’idées reçues ou de fausses croyances sur les épilepsies. Elles contribuent aux difficultés rencontrées par les patients dans la vie quotidienne. Le rôle de l’exposition aux “écrans” (télévision, ordinateurs, jeux vidéo) sur la survenue de crises épileptiques est une question fréquente des familles, qui ont très souvent tendance à limiter ou interdire la télévision ou les jeux vidéo. Cette recommandation émane même de professionnels de la santé. Il existe, en effet, des crises épileptiques réflexes induites par stimulation visuelle. Le grand public en a probablement connaissance par la médiatisation de la survenue de crises épileptiques photo-induites à l’échelle d’une population, comme cela a été le cas lors de la diffusion d’un épisode des Pokemons en 1997 au Japon [1]. De plus, par précaution “juridique”, les avertissements quant à ce risque supposé sont constants au début des jeux vidéo ou sur les notices des matériaux à écran (console, ordinateur, tablette, télévision…). Cela concourt à entretenir la croyance du rôle des écrans dans la survenue de crises épileptiques dans la population générale… Les crises photo-induites (crise épileptique réflexe induite par une stimulation visuelle) sont en pratique clinique assez rares. Nous *Service de neurologie pédiatrique et des maladies métaboliques, INSERM U1141, Hôpital Robert Debré, Paris 132 verrons qu’il ne faut pas confondre photosensibilité et crises épileptiques photo-induites, ainsi que les critères diagnostiques pour les épilepsies avec crises photo-induites et leur prise en charge. Ne pas confondre photosensibilité et crises épileptiques réflexes photoinduites La photosensibilité correspond à une modification électroencéphalographique lors de la séquence de stimulation lumineuse intermittente. Cela correspond le plus souvent à des anomalies à type de pointes, polypointes ou polypointes-ondes (focales ou généralisées), sans qu’il y ait de manifestation clinique associée. Ce pattern électrique est observé plus fréquemment dans certains syndromes épileptiques. On le rencontre par exemple chez 20 à 30 % des patients avec épilepsie myoclonique juvénile ; mais, chez ces patients, il n’est pas aussi fréquent que les stimulations visuelles induisent des manifestations cliniques. Différentes études ont été conduites pour connaître les caractéristiques des stimulations lumineuses ayant la plus grande probabilité d’induire une photosensibilité. Les éléments qui ont le plus de puissance d’induction d’une photosensibilité [2] sont : Stéphane Auvin* • l’intensité lumineuse (≥ 20 cd/m2) ; • les flashs dont la fréquence de scintillement est proche de 15 Hertz ; • l’alternance de couleur des stimulations lumineuses, et en particulier l’alternance de type rouge-violet ; • ainsi que la présence de patterns géométriques. Il est important de bien expliquer aux patients et à la famille que la présence d’une photosensibilité n’est pas synonyme de crises épileptiques photo-induites, afin de prévenir la mise en place de restrictions dans la vie quotidienne qui seraient inappropriées. Les crises photodéclenchées Il existe relativement peu de données sur la fréquence des crises épileptiques photo-induites au sein des différents types d’épilepsies. Une étude épidémiologique prospective de 3 mois a permis d’estimer que l’incidence annuelle des crises épileptiques photo-induites parmi les patients avec une épilepsie nouvellement diagnostiquée était de 1,1 pour 100 000 personnes, soit 2 % des épilepsies [3]. En pratique clinique, il semble que le nombre de patients avec épilepsie et crises photo-déclenchées soit même inférieur à ce chiffre. • Différents types de crises épileptiques peuvent être obserNeurologies • Avril 2015 • vol. 18 • numéro 177 Epilepsie et Ecrans vés par photo-déclenchement : les myoclonies, les absences, les crises généralisées cloniques ou tonico-cloniques, ainsi que des crises focales avec ou sans perte de conscience. • Il faut rester prudent avant de conclure au lien de cause à effet entre la survenue d’une crise épileptique et le rôle d’une exposition à un écran dans la photoinduction. En particulier, ce n’est pas parce qu’une crise épileptique survient lorsque les enfants ou adolescents sont devant la télévision que l’on peut conclure à une photoinduction de crises épileptiques. En particulier s’il s’agit d’un adolescent qui passe une grande partie de la journée face à un écran. De même, les crises épileptiques survenant après une longue période d’utilisation de jeux vidéo ne doivent pas être attribuées hâtivement à la stimulation visuelle. En particulier chez les adolescents, le facteur “dette de sommeil” doit souvent être considéré car ils jouent fréquemment tard dans la soirée, voire toute la nuit. • Sur le plan clinique, les crises épileptiques photo-induites par les jeux vidéos vont surtout être diagnostiquées sur la base d’un interrogatoire bien mené. Il s’agit le plus souvent de garçons qui répètent des crises épileptiques alors qu’ils sont en train de jouer aux jeux vidéo. La survenue de crises épileptiques sur la même séquence d’un jeu vidéo ou sur des séquences ayant un contenu visuel équivalent fait fortement évoquer le diagnostic [4-5]. S’il existe vraiment un doute diagnostique, on peut envisager un enregistrement EEG face à la séquence vidéo qui aurait un rôle déclenchant. Il est important de se souvenir que seuls 10 % des patients avec des crises épileptiques induites lors des jeux vidéo ont des modifications à la stimulation lumineuse Neurologies • Avril 2015 • vol. 18 • numéro 177 intermittente lors de l’EEG [5]. Tous les patients n’ont pas la même gêne face aux crises déclenchées. Certains n’ont des crises induites que par des lumières de très haute intensité, alors que, pour d’autres, ce sont les stimulations visuelles du quotidien. L’impact sur la qualité de vie est forcément très différent. • Le traitement est basé sur l’utilisation d’antiépileptiques, mais l’utilisation de lunettes avec des verres bleutés spécifiques peut aussi être utile dans la prise en charge [6]. Ces derniers permettraient de “filtrer” efficacement l’aspect stimulation de certaines lumières. Il faut bien expliquer aux patients que tous les écrans n’ont pas le même risque. Ainsi, les écrans plasma ou de type LCD ont un pouvoir plus faible de photo-induction que les anciens tubes cathodiques. De même, les écrans de petite taille, tels que les consoles de jeu vidéo portables ou les tablettes, semblent moins stimulants. Il est important de réexpliquer les facteurs les plus favorisants des crises, comme la luminance et le degré d’occupation de la stimulation visuelle dans le champ visuel (~ 10 %) [2]. De simples mesures, comme s’éloigner de l’écran (plus de 1,5 m pour les écrans de télévision) ou regarder les écrans dans une pièce avec une lumière ambiante permet que la stimulation visuelle que représente l’écran occupe moins d’espace dans le champ visuel du patient. en consultation : prudence... En l’absence d’argument pour une épilepsie avec crises épileptiques photo-induites, il n’y a pas lieu de modifier l’utilisation de la télévision, de l’ordinateur ou des jeux vidéo établie selon les choix éducatifs des parents. Il faudra aussi veiller à ce que le patient ne soit pas exclu de la pratique informatique ou des séquences de cinéma ou d’utilisation de la télévision dans le cadre de la scolarité. Cela nécessite d’ailleurs dans certains cas d’être mentionné dans le PAI (Protocole d’Accueil Individualisé : document pour les recommandations médicales au sein de l’école, signé avec les parents et le médecin scolaire). Lors de la consultation, il faut être prudent lors des explications sur l’utilisation des écrans. Les parents ont souvent tendance à s’appuyer sur le risque médical de la survenue d’une crise épileptique pour limiter l’accès aux écrans. Il faut garder un rôle de médecin. Il convient alors de rappeler qu’une très grande majorité des patients n’a aucun risque lors de l’utilisation des écrans. Ce sont les parents qui établissent les règles en fonction des choix éducatifs pour leurs enfants, ou qui établissent avec les adolescents les conditions d’utilisation des différents écrans. Cela n’empêche pas le médecin de donner son avis sur la place des écrans dans la vie quotidienne… n Mots-clés : Epilepsie photo-induite, Ecrans, Jeux vidéo, Enfant, Adolescent Correspondance [email protected] Bibliographie 1. Furusho J, Yamaguchi K, Ikura Y et al. Patient background of the Pokemon phenomenon: questionnaire studies in multiple pediatric clinics. Acta Paediatr Jpn 1998 ; 40 : 550-4. 2. Harding G, Wilkins AJ, Erba G et al. Photicand pattern-induced seizures: expert consensus of the Epilepsy Foundation of America Working Group. Epilepsia, 2005 ; 46 : 1423-5. 3. Quirk JA, Fish DR, Smith SJ et al. Incidence of photosensitive epilepsy: a prospective national study. Electroencephalogr Clin Neurophysiol 1995 ; 95 : 260-7. 4. Kasteleijn DG. Photosensitivity, visually sensitive seizures and epilepsies. Epilepsy Res 2006 ; 70 : S269-79. 5. Graf WD, Chatrian GE, Glass ST, Knauss TA. Video game related seizures: a report on 10 patients and a review of the literature. Pediatrics 1994 ; 93 : 551-6. 6. Wilkins AJ, Baker A, Amin D et al. Treatment of photosensitive epilepsy using coloured glasses. Seizure 1999 ; 8 : 444-9. 133