L`EDUCATION THERAPEUTIQUE : UNE DEMARCHE PARTAGEE

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L’éducation thérapeutique a fait son entrée dans la loi. Cette consécration ne peut
que réjouir les pionniers de l’éducation du patient. En même temps, elle ne manque
pas de les inquiéter, d’abord parce que son financement n’est pas assuré, ensuite
parce qu’on tend à qualifier d’éducation thérapeutique tout ce qui ne relève pas
directement de la médecine prescriptive. Dans ce bric à brac, chacun cherche à
trouver sa place et son intérêt : industriels de la santé, sociétés de formation et de
communication, associations de patients, mais aussi assureurs (Sécurité Sociale,
mutuelles et assurances privées) qui souhaitent développer des programmes dits
d’accompagnement (« disease management » à la française). On en viendrait à
oublier que l’éducation thérapeutique est thérapeutique et qu’elle implique donc
forcément les soignants.
Pour que l’éducation thérapeutique soit une démarche partagée, il faut d’abord
s’entendre sur ce que l’on appelle éducation thérapeutique. Au-delà des définitions
institutionnelles plus ou moins longues et sophistiquées, l’éducation thérapeutique
suppose un préalable et comporte deux éléments indissociables. Le préalable
est d’ordre thérapeutique. Il ne peut pas y avoir d’éducation thérapeutique, si la
thérapeutique elle-même est erronée ou inadaptée aux patients. Au moins 1/3 des
patients adressés dans l’Unité d’Education Thérapeutique du service ont un traitement
inapproprié et 3/4 sortent de l’unité avec des modifications de leur traitement
d’entrée. L’éducation thérapeutique ne peut pas être dissociée du traitement. Au delà,
l’éducation thérapeutique vise d’une part à transférer des savoirs et des savoirs faire
grâce un apprentissage et d’autre part à aider aux changements de comportement
pour atteindre des objectifs personnalisés négociés. Ce n’est pas l’un sans l’autre. Le
savoir est indispensable, mais il n’est jamais suffisant, comme le démontre l’exemple
des professionnels de santé parfaitement compétents et se soignant pourtant fort
mal eux-mêmes lorsqu’ils sont atteints de la maladie dont ils sont spécialistes. Ils
savent et savent faire, mais ne font pas. C’est que le changement de comportement
suppose que le rapport bénéfice / coût émotionnel ne soit pas négatif. Or, l’apparition
d’une maladie chronique soumet le patient à une double épreuve angoissante :
- d’une part un travail d’acceptation de la maladie. Cela ne sera jamais plus
comme avant et c’est pour toujours. Ce « jamais plus » et ce « pour toujours »
évoquent la mort et suscitent un travail d’acceptation assimilé à un travail de
deuil. Le patient atteint d’une maladie chronique n’échappe donc pas aux lois
du deuil. Tout nouveau deuil ravive tous les deuils antérieurs. Tout deuil non fait
interdit tout nouveau deuil.
l’education theraPeutique :
une demarche Partagee
anDRE GRimalDi
Service de Diabétologie – Métabolisme
Groupe Hospitalier PITIE – SALPETRIERE
83 Boulevard de l’Hôpital - 75651 PARIS cedex 13
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- d’autre part, un travail d’aménagement du rapport aux autres. Je ne suis ni ce
que j’ai, ni ce que je parais, mais l’image que les autres ont de moi dépend de ce
que j’ai (mes injections, mes hypos, mes kilos en trop …) et cette image qu’ils me
renvoient vient perturber l’image que j’ai de moi au risque d’une dévalorisation.
Pour éviter ces épreuves dépressogènes, il est tentant pour le patient d’opter pour le
déni ou la dénégation, la clandestinité ou le déguisement, voire l’auto-exclusion.
C’est que l’homme est une trinité comportant trois instances du moi, régies par des
lois visant à l’homéostasie. C’est d’abord un moi animal, régi par la loi d’homéostasie
biologique et la satisfaction impérieuse de besoins primaires. C’est ensuite un moi
rationnel, tendant à l’universel, régi par des normes et des règles. C’est enfin un moi
« sujet », à l’irréductible singularité, régi par la loi d’homéostasie thymique, c’est-
à-dire par la recherche de l’optimisation du bien-être, en tout cas l’évitement de la
souffrance
La motivation par la norme est puissante, car sortir de la norme suscite la peur de
l’anormalité et donc de l’exclusion. Or, « l’evidence based medicine » se traduit en
recommandations qui produisent de la norme. La norme est un puissant régulateur
comportemental, mais ne pas être observant c’est aussi une manière d’être comme
les autres, les non malades, et d’éviter le risque de l’exclusion. De plus, le moi sujet
identitaire ne supporte pas d’être réduit à la norme. Chacun veut bien être différent,
mais pas anormal.
C’est que se soigner relève d’une motivation extrinsèque. La motivation est dite
« extrinsèquement motivée » lorsque le but de l’action n’est pas l’action elle-même
mais ses conséquences, qu’il s’agisse d’une conséquence positive ou de l’évitement
d’une conséquence négative. A l’inverse, une motivation est dite « intrinsèquement
motivée » lorsqu’elle est pratiquée pour elle-même, pour son contenu. Elle suscite
l’intérêt ou le plaisir, alors que la motivation dite extrinsèque procure plutôt de la
satisfaction ou du soulagement. Se soigner relève à l’évidence d’une motivation
extrinsèque. Chercher à « motiver le patient » asymptomatique en augmentant son
angoisse risque au contraire de renforcer la politique de l’autruche. En réalité, on ne
peut pas motiver un patient, on peut seulement l’aider à se motiver. Aider un patient à
se motiver revient à l’aider à intérioriser peu ou prou une motivation extrinsèque. Le
plus souvent, cette intériorisation se limite à transformer la contrainte du traitement
nécessitant un effort de volonté, en une simple routine dont le coût psychique se limite
au temps qu’elle nécessite. Parfois, cette intériorisation est plus importante, le patient
arrivant à trouver des avantages et pas seulement des inconvénients à sa maladie
et à son traitement. Exceptionnellement, elle va jusqu’à une véritable identification,
le patient estimant que la maladie, par l’épreuve même qu’elle constitue, l’a aidé à
réaliser l’expression profonde de son identité.
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Finalement, l’éducation thérapeutique vise à répondre aux trois besoins psychologi-
ques fondamentaux que sont l’autonomie, c’est-à-dire l’aptitude à décider pour soi,
ce qui ne veut pas dire décider seul, la compétence c’est-à-dire le sentiment d’effi-
cacité et son environnement, et enfin l’affiliation c’est-à-dire le sentiment d’apparte-
nance et de reconnaissance, à l’opposé du sentiment d’exclusion.
Cette conception partagée de l’éducation thérapeutique, suppose donc une
triple compétence de l’équipe d’éducation thérapeutique comportant médecins et
paramédicaux. La première compétence est biomédicale et tout particulièrement
thérapeutique, à la fois théorique et pratique. Cette compétence, fruit de la
connaissance mais aussi de l’expérience, doit en permanence être actualisée. Sans
elle, répétons le, l’éducation thérapeutique ne saurait être vraiment thérapeutique. La
deuxième compétence est d’ordre pédagogique. La pédagogie requise par l’éducation
thérapeutique est de type pratique et constructiviste. Elle vise non pas à montrer mais
à faire faire, à mobiliser les connaissances et les affects des patients pour apprendre
à résoudre des problèmes thérapeutiques personnels. C’est pourquoi elle se fait
de manière optimale en groupes. Ces groupes, pour être efficaces, ne peuvent pas
dépasser le nombre de 8 personnes. L’éducation en groupe n’a pas pour fonction
de permettre un face à face entre maître et élèves, mais de favoriser une dialectique
entre les apprenants chacun se confronte aux autres pour réévaluer ses savoirs
et en acquérir de nouveaux. L’enseignant n’est alors pour l’essentiel qu’un animateur
avant d’être un référent. Le but de cette pédagogie est en réalité la conquête de
l’autonomie du patient grâce à l’acquisition de compétences personnalisées (savoir
faire, savoir mesurer, savoir analyser, savoir décider, savoir évaluer, savoir prévenir,
savoir gérer sa maladie dans sa vie, savoir rechercher de l’aide …). La troisième
compétence est d’ordre psychologique, visant à aider le patient à changer de
comportement grâce à l’intériorisation d’une motivation extrinsèque. Il convient donc
de favoriser l’expression du moi identitaire du patient à travers le conte de sa vie.
S’il est important de rechercher à connaître ce moi identitaire, c’est d’abord pour y
adapter son style relationnel et comprendre ce qui est facile ou au contraire difficile
voire insupportable pour le patient, de façon momentanée ou plus durable ou même
structurelle. Il s’agit d’aider le patient à trouver le compromis optimal entre son « moi
rationnel » et son « moi identitaire ». Le contrat qui scelle l’alliance thérapeutique
n’est pas un contrat entre le malade et le médecin, mais un contrat entre les deux
instances du moi du patient, le médecin devant se faire l’avocat des deux parties
sans oublier de se faire l’avocat du diable. Ce faisant, il s’agit d’aider le patient à se
connaître lui-même, c’est-à-dire favoriser sa métacognition.
Cette triple compétence est une compétence d’équipe, qui suppose un partage
des rôles entre les différents acteurs (aides soignantes, infirmières, diététiciennes,
éducateurs physiques, psychologues, médecins, pharmaciens, …). Chacun a une
tâche spécifique, mais connaît l’activité de l’ensemble des membres de l’équipe dont
il partage les objectifs. Il s’agit en quelque sorte de former un orchestre de chambre
dont chaque membre joue sa partition, mais connaît celle des autres pour produire
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une seule et même musique accordée au patient. Il faut donc que les membres de
l’équipe d’éducation thérapeutique aient des réunions de synthèse ils partagent
informations et objectifs.
La place des uns et des autres n’est néanmoins pas figée. Elle dépend des objectifs,
fonction de la complexité thérapeutique, de la gravité de la maladie, et des besoins
variables dans le temps des patients.
On peut grossièrement définir deux niveaux d’éducation thérapeutique :
- une éducation de niveau 1, visant à transmettre au patient le savoir et le savoir
faire pour atteindre des objectifs fixés par le médecin en accord avec le patient.
Cette éducation devrait être réalisée essentiellement par les paramédicaux, à la
condition d’une concertation avant et après avec le médecin prescripteur.
- une éducation thérapeutique de niveau 2, en cas d’échec, lorsque les objectifs
ne sont pas atteints ou que le patient n’est pas satisfait de son traitement. Il
est pour nous essentiel que l’équipe d’éducation thérapeutique comprenne
alors un médecin spécialisé formé à l’éducation thérapeutique, participant aux
ateliers avec les paramédicaux, ayant la possibilité de proposer aux patients des
modifications de traitement. Les centres d’éducation thérapeutique de niveau 2
devraient être en même temps des lieux de formation à l’éducation thérapeutique
pour les étudiants en médecine et en soins infirmiers, pour les soignants eux-
mêmes, en particulier ceux assurant une éducation thérapeutique de niveau 1,
et pour l’ensemble des médecins correspondants qui adressent les patients en
éducation thérapeutique et doivent en assurer le suivi au long cours.
L’éducation thérapeutique suppose une relation de partenariat avec le patient,
mais le patient partenaire peut-il partager à ce point les compétences d’éducation
thérapeutique, qu’il devienne lui-même éducateur d’autres patients ? En la matière,
il y a pas mal de confusion. Il convient selon nous de distinguer :
- l’expertise collective que peuvent acquérir des associations de patients disposant
fréquemment de comités scientifiques ou d’évaluation le plus souvent mixtes,
comportant patients et professionnels de santé capables d’offrir une contre-
expertise.
- les « patients ressources » choisis par les équipes d’éducation thérapeutique en
raison de leur singularité, de leur expérience particulière, de leurs compétences
diverses et de leur personnalité. La participation aux équipes d’éducation
thérapeutique de « patients ressources » enrichissante pour tous, se fait sous la
responsabilité de l’équipe soignante
- les « patients éducateurs experts », ayant des compétences variables en soins
infirmiers, en psychologie, en communication tels que le propose l’Association
Française des Diabétiques. Ces compétences s’acquièrent par une formation
et nécessitent d’être validées, puis régulièrement évaluées. Il s’agit en quelque
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sorte de définir un nouveau métier d’éducateur. On voit mal pourquoi ce nouveau
métier serait réservé aux seuls patients. Remarquons qu’on peut être un parfait
professionnel de santé, médecin ou infirmière, et être soi-même un assez mauvais
malade, y compris quand on est expert de la maladie dont on est atteint.
L’éducation thérapeutique est donc spécialisée. En même temps, elle doit être
centrée sur les patients. Or les patients, notamment les patients âgés, ont souvent
des polypathologies relevant de plusieurs spécialités. On peut bien sûr concevoir
des séances d’éducation thérapeutique successives, l’une centrée sur le diabète,
l’autre sur l’insuffisance cardiaque, la troisième sur l’insuffisance rénale, etc .... L’idéal
cependant est une éducation thérapeutique intégrée les différents spécialistes,
médicaux et paramédicaux, interviennent de concert sous des formes à définir
ensemble pour que le malade puisse comprendre l’ensemble de ses traitements,
les mettre en œuvre, et si nécessaire et si possible les hiérarchiser. Le quatuor
initial se transforme alors en quintet ou en sextuor voire en octet. Plus il s’élargit,
plus il a besoin d’un chef d’orchestre, car il s’agit toujours de jouer une musique
harmonieuse pour le patient (objectifs partagés, méthodes pédagogiques partagées,
relation soignant / soigné partagée.)
Reste la question majeure posée par le partage de la « culture » de l’éducation
thérapeutique. En effet, pour que l’éducation thérapeutique soit efficace, il faut que
sa philosophie soit partagée par le médecin traitant prescripteur, celui qui rédige les
ordonnances et qui suit régulièrement le patient en consultation. En effet, au-delà
d’être une activité spécifique, l’éducation thérapeutique suppose un mode de prise
en charge du malade chronique, reposant sur une relation de partenariat à l’opposé
de la relation d’autorité infantilisante ou de la relation objectivante transformant le
patient en porteur d’organes et le médecin en simple prestataire. On ne peut pas
avoir d’un côté une relation de partenariat, et de l’autre une relation d’infantilisation
ou d’objectivation, information et négociation d’un côté, prescription de l’autre,
exigence d’observance et aide à l’auto-observance, quête de la norme et recherche
du compromis optimal. L’éducation thérapeutique ne peut pas être efficace si elle
n’est pas relayée par le médecin traitant. Il s’agit de marcher avec le patient, à son
rythme, vers un objectif défini en commun, dans le but de lui permettre de conquérir
progressivement une autonomie optimale. En n’oubliant pas qu’il n’est pas sûr que
si nous étions à sa place, nous ferions beaucoup mieux que lui.
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