L’EDUCATION THERAPEUTIQUE : UNE DEMARCHE PARTAGEE Andre GRIMALDI Service de Diabétologie – Métabolisme Groupe Hospitalier PITIE – SALPETRIERE 83 Boulevard de l’Hôpital - 75651 PARIS cedex 13 L’éducation thérapeutique a fait son entrée dans la loi. Cette consécration ne peut que réjouir les pionniers de l’éducation du patient. En même temps, elle ne manque pas de les inquiéter, d’abord parce que son financement n’est pas assuré, ensuite parce qu’on tend à qualifier d’éducation thérapeutique tout ce qui ne relève pas directement de la médecine prescriptive. Dans ce bric à brac, chacun cherche à trouver sa place et son intérêt : industriels de la santé, sociétés de formation et de communication, associations de patients, mais aussi assureurs (Sécurité Sociale, mutuelles et assurances privées) qui souhaitent développer des programmes dits d’accompagnement (« disease management » à la française). On en viendrait à oublier que l’éducation thérapeutique est thérapeutique et qu’elle implique donc forcément les soignants. Pour que l’éducation thérapeutique soit une démarche partagée, il faut d’abord s’entendre sur ce que l’on appelle éducation thérapeutique. Au-delà des définitions institutionnelles plus ou moins longues et sophistiquées, l’éducation thérapeutique suppose un préalable et comporte deux éléments indissociables. Le préalable est d’ordre thérapeutique. Il ne peut pas y avoir d’éducation thérapeutique, si la thérapeutique elle-même est erronée ou inadaptée aux patients. Au moins 1/3 des patients adressés dans l’Unité d’Education Thérapeutique du service ont un traitement inapproprié et 3/4 sortent de l’unité avec des modifications de leur traitement d’entrée. L’éducation thérapeutique ne peut pas être dissociée du traitement. Au delà, l’éducation thérapeutique vise d’une part à transférer des savoirs et des savoirs faire grâce un apprentissage et d’autre part à aider aux changements de comportement pour atteindre des objectifs personnalisés négociés. Ce n’est pas l’un sans l’autre. Le savoir est indispensable, mais il n’est jamais suffisant, comme le démontre l’exemple des professionnels de santé parfaitement compétents et se soignant pourtant fort mal eux-mêmes lorsqu’ils sont atteints de la maladie dont ils sont spécialistes. Ils savent et savent faire, mais ne font pas. C’est que le changement de comportement suppose que le rapport bénéfice / coût émotionnel ne soit pas négatif. Or, l’apparition d’une maladie chronique soumet le patient à une double épreuve angoissante : - d’une part un travail d’acceptation de la maladie. Cela ne sera jamais plus comme avant et c’est pour toujours. Ce « jamais plus » et ce « pour toujours » évoquent la mort et suscitent un travail d’acceptation assimilé à un travail de deuil. Le patient atteint d’une maladie chronique n’échappe donc pas aux lois du deuil. Tout nouveau deuil ravive tous les deuils antérieurs. Tout deuil non fait interdit tout nouveau deuil. - 51 - - d’autre part, un travail d’aménagement du rapport aux autres. Je ne suis ni ce que j’ai, ni ce que je parais, mais l’image que les autres ont de moi dépend de ce que j’ai (mes injections, mes hypos, mes kilos en trop …) et cette image qu’ils me renvoient vient perturber l’image que j’ai de moi au risque d’une dévalorisation. Pour éviter ces épreuves dépressogènes, il est tentant pour le patient d’opter pour le déni ou la dénégation, la clandestinité ou le déguisement, voire l’auto-exclusion. C’est que l’homme est une trinité comportant trois instances du moi, régies par des lois visant à l’homéostasie. C’est d’abord un moi animal, régi par la loi d’homéostasie biologique et la satisfaction impérieuse de besoins primaires. C’est ensuite un moi rationnel, tendant à l’universel, régi par des normes et des règles. C’est enfin un moi « sujet », à l’irréductible singularité, régi par la loi d’homéostasie thymique, c’està-dire par la recherche de l’optimisation du bien-être, en tout cas l’évitement de la souffrance La motivation par la norme est puissante, car sortir de la norme suscite la peur de l’anormalité et donc de l’exclusion. Or, « l’evidence based medicine » se traduit en recommandations qui produisent de la norme. La norme est un puissant régulateur comportemental, mais ne pas être observant c’est aussi une manière d’être comme les autres, les non malades, et d’éviter le risque de l’exclusion. De plus, le moi sujet identitaire ne supporte pas d’être réduit à la norme. Chacun veut bien être différent, mais pas anormal. C’est que se soigner relève d’une motivation extrinsèque. La motivation est dite « extrinsèquement motivée » lorsque le but de l’action n’est pas l’action elle-même mais ses conséquences, qu’il s’agisse d’une conséquence positive ou de l’évitement d’une conséquence négative. A l’inverse, une motivation est dite « intrinsèquement motivée » lorsqu’elle est pratiquée pour elle-même, pour son contenu. Elle suscite l’intérêt ou le plaisir, alors que la motivation dite extrinsèque procure plutôt de la satisfaction ou du soulagement. Se soigner relève à l’évidence d’une motivation extrinsèque. Chercher à « motiver le patient » asymptomatique en augmentant son angoisse risque au contraire de renforcer la politique de l’autruche. En réalité, on ne peut pas motiver un patient, on peut seulement l’aider à se motiver. Aider un patient à se motiver revient à l’aider à intérioriser peu ou prou une motivation extrinsèque. Le plus souvent, cette intériorisation se limite à transformer la contrainte du traitement nécessitant un effort de volonté, en une simple routine dont le coût psychique se limite au temps qu’elle nécessite. Parfois, cette intériorisation est plus importante, le patient arrivant à trouver des avantages et pas seulement des inconvénients à sa maladie et à son traitement. Exceptionnellement, elle va jusqu’à une véritable identification, le patient estimant que la maladie, par l’épreuve même qu’elle constitue, l’a aidé à réaliser l’expression profonde de son identité. - 52 - Finalement, l’éducation thérapeutique vise à répondre aux trois besoins psychologiques fondamentaux que sont l’autonomie, c’est-à-dire l’aptitude à décider pour soi, ce qui ne veut pas dire décider seul, la compétence c’est-à-dire le sentiment d’efficacité et son environnement, et enfin l’affiliation c’est-à-dire le sentiment d’appartenance et de reconnaissance, à l’opposé du sentiment d’exclusion. Cette conception partagée de l’éducation thérapeutique, suppose donc une triple compétence de l’équipe d’éducation thérapeutique comportant médecins et paramédicaux. La première compétence est biomédicale et tout particulièrement thérapeutique, à la fois théorique et pratique. Cette compétence, fruit de la connaissance mais aussi de l’expérience, doit en permanence être actualisée. Sans elle, répétons le, l’éducation thérapeutique ne saurait être vraiment thérapeutique. La deuxième compétence est d’ordre pédagogique. La pédagogie requise par l’éducation thérapeutique est de type pratique et constructiviste. Elle vise non pas à montrer mais à faire faire, à mobiliser les connaissances et les affects des patients pour apprendre à résoudre des problèmes thérapeutiques personnels. C’est pourquoi elle se fait de manière optimale en groupes. Ces groupes, pour être efficaces, ne peuvent pas dépasser le nombre de 8 personnes. L’éducation en groupe n’a pas pour fonction de permettre un face à face entre maître et élèves, mais de favoriser une dialectique entre les apprenants où chacun se confronte aux autres pour réévaluer ses savoirs et en acquérir de nouveaux. L’enseignant n’est alors pour l’essentiel qu’un animateur avant d’être un référent. Le but de cette pédagogie est en réalité la conquête de l’autonomie du patient grâce à l’acquisition de compétences personnalisées (savoir faire, savoir mesurer, savoir analyser, savoir décider, savoir évaluer, savoir prévenir, savoir gérer sa maladie dans sa vie, savoir rechercher de l’aide …). La troisième compétence est d’ordre psychologique, visant à aider le patient à changer de comportement grâce à l’intériorisation d’une motivation extrinsèque. Il convient donc de favoriser l’expression du moi identitaire du patient à travers le conte de sa vie. S’il est important de rechercher à connaître ce moi identitaire, c’est d’abord pour y adapter son style relationnel et comprendre ce qui est facile ou au contraire difficile voire insupportable pour le patient, de façon momentanée ou plus durable ou même structurelle. Il s’agit d’aider le patient à trouver le compromis optimal entre son « moi rationnel » et son « moi identitaire ». Le contrat qui scelle l’alliance thérapeutique n’est pas un contrat entre le malade et le médecin, mais un contrat entre les deux instances du moi du patient, le médecin devant se faire l’avocat des deux parties sans oublier de se faire l’avocat du diable. Ce faisant, il s’agit d’aider le patient à se connaître lui-même, c’est-à-dire favoriser sa métacognition. Cette triple compétence est une compétence d’équipe, qui suppose un partage des rôles entre les différents acteurs (aides soignantes, infirmières, diététiciennes, éducateurs physiques, psychologues, médecins, pharmaciens, …). Chacun a une tâche spécifique, mais connaît l’activité de l’ensemble des membres de l’équipe dont il partage les objectifs. Il s’agit en quelque sorte de former un orchestre de chambre dont chaque membre joue sa partition, mais connaît celle des autres pour produire - 53 - une seule et même musique accordée au patient. Il faut donc que les membres de l’équipe d’éducation thérapeutique aient des réunions de synthèse où ils partagent informations et objectifs. La place des uns et des autres n’est néanmoins pas figée. Elle dépend des objectifs, fonction de la complexité thérapeutique, de la gravité de la maladie, et des besoins variables dans le temps des patients. On peut grossièrement définir deux niveaux d’éducation thérapeutique : - une éducation de niveau 1, visant à transmettre au patient le savoir et le savoir faire pour atteindre des objectifs fixés par le médecin en accord avec le patient. Cette éducation devrait être réalisée essentiellement par les paramédicaux, à la condition d’une concertation avant et après avec le médecin prescripteur. - une éducation thérapeutique de niveau 2, en cas d’échec, lorsque les objectifs ne sont pas atteints ou que le patient n’est pas satisfait de son traitement. Il est pour nous essentiel que l’équipe d’éducation thérapeutique comprenne alors un médecin spécialisé formé à l’éducation thérapeutique, participant aux ateliers avec les paramédicaux, ayant la possibilité de proposer aux patients des modifications de traitement. Les centres d’éducation thérapeutique de niveau 2 devraient être en même temps des lieux de formation à l’éducation thérapeutique pour les étudiants en médecine et en soins infirmiers, pour les soignants euxmêmes, en particulier ceux assurant une éducation thérapeutique de niveau 1, et pour l’ensemble des médecins correspondants qui adressent les patients en éducation thérapeutique et doivent en assurer le suivi au long cours. L’éducation thérapeutique suppose une relation de partenariat avec le patient, mais le patient partenaire peut-il partager à ce point les compétences d’éducation thérapeutique, qu’il devienne lui-même éducateur d’autres patients ? En la matière, il y a pas mal de confusion. Il convient selon nous de distinguer : - l’expertise collective que peuvent acquérir des associations de patients disposant fréquemment de comités scientifiques ou d’évaluation le plus souvent mixtes, comportant patients et professionnels de santé capables d’offrir une contreexpertise. - les « patients ressources » choisis par les équipes d’éducation thérapeutique en raison de leur singularité, de leur expérience particulière, de leurs compétences diverses et de leur personnalité. La participation aux équipes d’éducation thérapeutique de « patients ressources » enrichissante pour tous, se fait sous la responsabilité de l’équipe soignante - les « patients éducateurs experts », ayant des compétences variables en soins infirmiers, en psychologie, en communication tels que le propose l’Association Française des Diabétiques. Ces compétences s’acquièrent par une formation et nécessitent d’être validées, puis régulièrement évaluées. Il s’agit en quelque - 54 - sorte de définir un nouveau métier d’éducateur. On voit mal pourquoi ce nouveau métier serait réservé aux seuls patients. Remarquons qu’on peut être un parfait professionnel de santé, médecin ou infirmière, et être soi-même un assez mauvais malade, y compris quand on est expert de la maladie dont on est atteint. L’éducation thérapeutique est donc spécialisée. En même temps, elle doit être centrée sur les patients. Or les patients, notamment les patients âgés, ont souvent des polypathologies relevant de plusieurs spécialités. On peut bien sûr concevoir des séances d’éducation thérapeutique successives, l’une centrée sur le diabète, l’autre sur l’insuffisance cardiaque, la troisième sur l’insuffisance rénale, etc .... L’idéal cependant est une éducation thérapeutique intégrée où les différents spécialistes, médicaux et paramédicaux, interviennent de concert sous des formes à définir ensemble pour que le malade puisse comprendre l’ensemble de ses traitements, les mettre en œuvre, et si nécessaire et si possible les hiérarchiser. Le quatuor initial se transforme alors en quintet ou en sextuor voire en octet. Plus il s’élargit, plus il a besoin d’un chef d’orchestre, car il s’agit toujours de jouer une musique harmonieuse pour le patient (objectifs partagés, méthodes pédagogiques partagées, relation soignant / soigné partagée.) Reste la question majeure posée par le partage de la « culture » de l’éducation thérapeutique. En effet, pour que l’éducation thérapeutique soit efficace, il faut que sa philosophie soit partagée par le médecin traitant prescripteur, celui qui rédige les ordonnances et qui suit régulièrement le patient en consultation. En effet, au-delà d’être une activité spécifique, l’éducation thérapeutique suppose un mode de prise en charge du malade chronique, reposant sur une relation de partenariat à l’opposé de la relation d’autorité infantilisante ou de la relation objectivante transformant le patient en porteur d’organes et le médecin en simple prestataire. On ne peut pas avoir d’un côté une relation de partenariat, et de l’autre une relation d’infantilisation ou d’objectivation, information et négociation d’un côté, prescription de l’autre, exigence d’observance et aide à l’auto-observance, quête de la norme et recherche du compromis optimal. L’éducation thérapeutique ne peut pas être efficace si elle n’est pas relayée par le médecin traitant. Il s’agit de marcher avec le patient, à son rythme, vers un objectif défini en commun, dans le but de lui permettre de conquérir progressivement une autonomie optimale. En n’oubliant pas qu’il n’est pas sûr que si nous étions à sa place, nous ferions beaucoup mieux que lui. - 55 - Références Bibliographiques Alain GOLAY, Grégoire LAGGER, André GIORDAN Comment motiver le patient à changer ? Collection Education du patient, Edit. MALOINE, PARIS 2010 Personnalité et maladies. Stress, coping et ajustement Sous la direction de Marilou BRUCHON-SCHWEITZER et Bruno QUINTARD, DUNOD, PARIS, 2001 Jean BEAUTE Courants de la pédagogie - Pédagogie Formation. L’essentiel, 6ème édition, Chronique Sociale, LYON 2008 Dominique SIMON, Pierre Yves TRAYNARD, François BOURDILLON, Rémi GAGNAYRE, André GRIMALDI Education thérapeutique. Prévention des maladies chroniques Abrégés, 2ème édition, Edit. ELSEVIER MASSON, PARIS 2009 Anne LACROIX, Jean-Philippe ASSAL L’éducation thérapeutique des patients. Nouvelles approches de la maladie chronique. Collection Education du patient, Edit. VIGOT, PARIS, 1998 Traité de psychologie de la motivation Sous la direction de Philippe CARRE et Fabien FENOUILLET Edit. DUNOD, PARIS, 2009 André GIORDAN Apprendre ! Collection Débats – Editions BELIN, PARIS 1998 Stephen ROLLNICK, William R. MILLER, Christopher C. BUTLER Pratique de l’entretien motivationnel Communiquer avec le patient en consultation Inter Editions - Dunod, PARIS, 2009 • - 56 -