L L’acceptation de la maladie The acceptance of the illness

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Éditorial
L’acceptation de la maladie
The acceptance of the illness
L
a maladie chronique est le grand défi de notre
système de santé, l’obligeant à revoir son organisation et menaçant son financement solidaire.
Mais c’est aussi, les gestionnaires l’oublient trop souvent,
un défi pour les patients comme pour les médecins.
L’annonce du diagnostic d’une maladie chronique
− ce ne sera jamais plus comme avant et c’est pour
toujours − évoque inexorablement le terme de la vie.
C’est pourquoi le travail d’acceptation de la maladie a
été assimilé à un travail de deuil soumis à ses lois. “Tout
nouveau deuil ravive tous les deuils antérieurs et tout
deuil non fait interdit tout nouveau deuil.” Chacun de
nous serait donc ainsi doté d’une plus ou moins grande
“aptitude au deuil” (lorsque je vis M. S., diabétique mal
équilibré, pour la première fois, il me dit d’un ton ferme :
“Pouvez-vous, s’il vous plaît, docteur, ne pas me dire
que je n’accepte pas ma maladie”, et 15 minutes plus
tard, il m’apprenait qu’il avait un fils unique et qu’un
jour il l’avait trouvé pendu).
Pour éviter le risque d’effondrement psychique ou de
dépression inhérent au deuil, le patient peut mettre en
œuvre des mécanismes de défense : le déni, la pensée
magique, la minimisation, la dénégation, le clivage, les
conduites à risque, voire les addictions… Ces mécanismes initialement protecteurs deviennent, en se
chronicisant, une deuxième maladie qui, parfois, fait
souffrir le patient en secret et surtout peut menacer
sa vie. Le patient a 2 maladies : il est malade et il est
malade d’être malade. L’individualisme exacerbé de
notre société postmoderne laisse entendre que l’individu est libre de ses choix et qu’il est donc responsable
de leurs conséquences. Mais la double maladie n’est
pas le résultat d’un choix fait en toute liberté, après
une information éclairée et une délibération raisonnée.
Car l’autonomie du patient a été plus ou moins brisée
par l’annonce du diagnostic. La reconquête de cette
autonomie suppose la guérison de cette deuxième
maladie. Il est donc essentiel d’en faciliter l’expression
par le malade pour que, malgré les ruses de la raison,
il en prenne conscience avant d’en prendre distance
grâce à un travail de “réflectivité”. Comme le disait
Hannah Arendt : “Tous les chagrins sont supportables si
on en fait un conte ou si on les raconte.” Et Boris Cyrulnik
d’ajouter : “C’est difficile de s’adresser à quelqu’un pour
expliquer ce que l’on a vécu.” Encore faut-il, en effet,
que les soignants témoignent d’une empathie, c’està-dire qu’ils soient non seulement disposés à écouter,
mais aussi aptes à comprendre et à se laisser toucher.
“N’y a-t-il pas, dans tout récit de patient apparemment
banal, de quoi nous émouvoir ?”, interroge la psychologue Anne Lacroix. Du coup, un élément essentiel pour
lutter contre l’objectivation des patients par les soignants et contre “l’industrialisation de la médecine”
me semble être le développement de l’empathie des
professionnels de santé. Une étude récente (1) montre
qu’il existe une relation inverse entre l’empathie des
médecins traitants et le taux d’hémoglobine A1c de
leurs patients diabétiques. Le dogme ancestral selon
lequel un professionnel doit se couper de ses affects
me paraît aujourd’hui totalement erroné. Il est urgent
de faire entrer les sciences humaines dans les études
médicales, de permettre l’expression des émotions
des professionnels et notamment des étudiants, et de
donner toute sa place, à côté de l’observation médicale
du patient, à la “médecine narrative” (2).
■
André Grimaldi
Service de diabétologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris
© La Lettre
du Neurologue
2013;8:227.
Références
1. Hojat M, Louis DZ, Markham FW et al. Physicians’ empathy and clinical outcomes for diabetic
2. Charon R. Narrative and Medicine. N Engl J Med 2004;350(9):862-4.
patients. Acad Med 2011;86(3):359-64.
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVII - n° 10 - décembre 2013
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