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TRIBUNE
L’acceptation de la maladie
“
L
A. Grimaldi
Service de diabétologie,
hôpital de la Pitié-Salpêtrière,
Paris.
Cet article a initialement été publié
dans La Lettre du Neurologue
d’octobre 2013 (p. 227).
1. Hojat M, Louis DZ, Markham FW
et al. Physicians’ empathy
and clinical outcomes for diabetic
patients. Acad Med 2011;
86(3):359-64.
2. Charon R. Narrative and Medicine.
N Engl J Med 2004;350(9):862-4.
a maladie chronique est le grand défi de notre système de santé, l’obligeant
à revoir son organisation et menaçant son financement solidaire. Mais c’est aussi,
les gestionnaires l’oublient trop souvent, un défi pour les patients comme pour
les médecins. L’annonce du diagnostic d’une maladie chronique − ce ne sera jamais plus
comme avant et c’est pour toujours − évoque inexorablement le terme de la vie.
C’est pourquoi le travail d’acceptation de la maladie a été assimilé à un travail de deuil
soumis à ses lois. “Tout nouveau deuil ravive tous les deuils antérieurs et tout deuil
non fait interdit tout nouveau deuil.” Chacun de nous serait donc ainsi doté d’une plus
ou moins grande “aptitude au deuil” (lorsque je vis M. S., diabétique mal équilibré,
pour la première fois, il me dit d’un ton ferme : “Pouvez-vous, s’il vous plaît, docteur,
ne pas me dire que je n’accepte pas ma maladie”, et 15 minutes plus tard, il m’apprenait
qu’il avait un fils unique et qu’un jour il l’avait trouvé pendu).
Pour éviter le risque d’effondrement psychique ou de dépression inhérent au deuil,
le patient peut mettre en œuvre des mécanismes de défense : le déni, la pensée magique,
la minimisation, la dénégation, le clivage, les conduites à risque, voire les addictions...
Ces mécanismes initialement protecteurs deviennent, en se chronicisant, une deuxième
maladie qui, parfois, fait souffrir le patient en secret et surtout peut menacer sa vie.
Le patient a 2 maladies : il est malade et il est malade d’être malade. L’individualisme
exacerbé de notre société postmoderne laisse entendre que l’individu est libre
de ses choix et qu’il est donc responsable de leurs conséquences.
Mais la double maladie n’est pas le résultat d’un choix fait en toute liberté, après
une information éclairée et une délibération raisonnée. Car l’autonomie du patient a
été plus ou moins brisée par l’annonce du diagnostic. La reconquête de cette autonomie
suppose la guérison de cette deuxième maladie. Il est donc essentiel d’en faciliter
l’expression par le malade pour que, malgré les ruses de la raison, il en prenne
conscience avant d’en prendre distance grâce à un travail de “réflectivité”. Comme
le disait Hannah Arendt, “Tous les chagrins sont supportables si on en fait un conte
ou si on les raconte.”, et Boris Cyrulnik d’ajouter : “C’est difficile de s’adresser à quelqu’un
pour expliquer ce que l’on a vécu.” Encore faut-il, en effet, que les soignants témoignent
d’une empathie, c’est-à-dire qu’ils soient non seulement disposés à écouter, mais aussi
aptes à comprendre et à se laisser toucher. “N’y a-t-il pas, dans tout récit de patient
apparemment banal, de quoi nous émouvoir ?”, interroge la psychologue Anne Lacroix.
Du coup, un élément essentiel pour lutter contre l’objectivation des patients par
les soignants et contre “l’industrialisation de la médecine” me semble être le développement
de l’empathie des professionnels de santé. Une étude récente (1) montre qu’il existe
une relation inverse entre l’empathie des médecins traitants et le taux d’hémoglobine A1c
de leurs patients diabétiques. Le dogme ancestral selon lequel un professionnel doit
se couper de ses affects me paraît aujourd’hui totalement erroné. Il est urgent de faire
entrer les sciences humaines dans les études médicales, de permettre l’expression
des émotions des professionnels et notamment des étudiants, et de donner toute
sa place, à côté de l’observation médicale du patient, à la “médecine narrative” (2).
90 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXIII - n° 4 - avril 2014
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