Les Femmes savantes - biblio

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Les Femmes savantes
Molière
Livret pédagogique
correspondant au livre élève n° 33
établi par Gertrude Bing,
professeur certifié de
Lettres classiques
Sommaire – 2
SOMMAIRE
A V A N T - P RO P O S ............................................................................................ 3
T A B L E DES
CO R P U S
........................................................................................ 4
R ÉP O NSES
A U X Q U EST I O NS
................................................................................ 5
Bilan de première lecture (p. 178)...................................................................................................................................................................5
Acte I, scène 1 (pp. 9 à 14) ...............................................................................................................................................................................6
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 15-16) .................................................................................................................................6
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 17 à 24) ................................................................................................................10
Acte II, scène 7 (pp. 50 à 56) ..........................................................................................................................................................................14
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 57-58) ...............................................................................................................................14
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 59 à 68) ................................................................................................................18
Acte III, scène 3 (pp. 91 à 98).........................................................................................................................................................................23
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 99-100).............................................................................................................................23
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 101 à 109)............................................................................................................26
Acte IV, scène 2 (pp. 116 à 122).....................................................................................................................................................................30
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 123-124)...........................................................................................................................30
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 125 à 133)............................................................................................................32
Acte V, scène 3 (pp. 153 à 160)......................................................................................................................................................................38
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 161-162)...........................................................................................................................38
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 163 à 170)............................................................................................................42
C O M P L ÉM ENT S
A U X L ECTU RES D ’ I M A GES ................................................................. 47
C O M P L ÉM ENT S
A U X M I SES EN SCÈ NE
B I B L I O GRA P H I E
..................................................................... 51
CO M P L ÉM EN TA I RE ....................................................................... 54
Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays.
© Hachette Livre, 2005.
43, quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15.
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Les Femmes savantes – 3
AVANT-PROPOS
Les programmes de français au lycée sont ambitieux. Pour les mettre en œuvre, il est demandé à la
fois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ces
lectures, de préparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus de
textes, analyse d’une ou deux questions préliminaires, techniques du commentaire, de la dissertation,
de l’argumentation contextualisée, de l’imitation…).
Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs. L’étude de L’École des femmes
permettra d’aborder l’esthétique d’une grande comédie classique, mais aussi l’évolution de la
préciosité dans la seconde moitié du XVIIe siècle, sous l’influence de la science et de la philosophie.
Elle sera aussi l’occasion de s’interroger, à travers cinq groupements de textes, sur la polysémie d’un
texte théâtral qui met en œuvre une satire sociale, mais également une réflexion sur le lien
qu’entretiennent les femmes – et les hommes – avec le corps et avec l’esprit.
Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle collection d’œuvres
classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois :
– motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du texte, moderne et aérée, qui facilite
la lecture de l’œuvre grâce à des notes claires et quelques repères fondamentaux ;
– vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les élèves aux travaux d’écriture.
Cette double perspective a présidé aux choix suivants :
• Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page, afin d’en favoriser la pleine
compréhension.
• Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre la lecture attrayante et
enrichissante, la plupart des reproductions pouvant donner lieu à une exploitation en classe,
notamment au travers des lectures d’images proposées dans les questionnaires des corpus.
• En fin d’ouvrage, le « dossier Bibliolycée » propose des études synthétiques et des tableaux qui
donnent à l’élève les repères indispensables : biographie de l’auteur, contexte historique, liens de
l’œuvre avec son époque, genres et registres du texte…
• Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à faciliter l’analyse de l’œuvre
intégrale en classe. Présenté sur des pages de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du
texte (sur fond blanc), il comprend :
– Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe après un parcours cursif de l’œuvre. Il
se compose de questions courtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens
général de l’œuvre.
– Des questionnaires raisonnés en accompagnement des extraits les plus représentatifs de l’œuvre :
l’élève est invité à observer et à analyser le passage. On pourra procéder en classe à une correction du
questionnaire ou interroger les élèves pour construire avec eux l’analyse du texte.
– Des corpus de textes (accompagnés le plus souvent d’un document iconographique) pour éclairer
chacun des extraits ayant fait l’objet d’un questionnaire ; ces corpus sont suivis d’un questionnaire
d’analyse des textes (et éventuellement de lecture d’image) et de travaux d’écriture pouvant constituer
un entraînement à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de Première, sur le
« descriptif des lectures et activités » à titre de groupement de textes en rapport avec un objet d’étude
ou de documents complémentaires.
Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera, pour vous et vos élèves, un outil de travail
efficace, favorisant le plaisir de la lecture et la réflexion.
Table des corpus – 4
TABLE DES CORPUS
Objet(s) d’étude
et niveau
Compléments aux
travaux d’écriture destinés
aux séries technologiques
Corpus
Composition du corpus
Comment mettre en scène
Les Femmes savantes ?
(p. 17)
Texte A : Scène 1 de l’acte I des Femmes savantes
de Molière (pp. 9-14).
Texte B : Extrait de Quarante Ans de théâtre de
Francisque Sarcey (pp. 17-19).
Texte C : Extrait du Journal de Jacques Copeau
(pp. 19-21).
Texte D : Extrait de Molière et la Comédie
classique de Louis Jouvet (pp. 21-22).
Document : Mise en scène des Femmes savantes
par Catherine Hiégel (p. 23).
Le théâtre : texte
et représentation
(Première).
Persuader, convaincre,
délibérer
(Première).
Question préliminaire
Quelles conceptions du jeu des comédiens se
dessinent dans les documents présentés dans
le corpus ?
Texte A : Scène 7 de l’acte II des F e m m e s
savantes de Molière (pp. 50-56).
Texte B : Extrait du Roman bourgeois d’Antoine
Furetière (pp. 59-60).
Texte C : Extrait du Traité de l’éducation des filles
de Fénelon. (pp. 60-62)
Texte D : Extrait du Discours sur le bonheur
d’Émilie du Châtelet (pp. 62-63).
Texte E : Extrait de Madame Bovary de Gustave
Flaubert (pp. 63-64).
Texte F : Extrait du Deuxième Sexe de Simone de
Beauvoir (pp. 64-65).
Document : Honoré Daumier, Le Roman (p. 66).
Texte A : Scène 3 de l’acte III des Femmes
savantes de Molière (pp. 91-98).
Texte B : Extrait de Artamène ou le Grand Cyrus
de Madeleine de Scudéry (pp. 101-102).
Texte C : Extrait de la scène 2 de l’acte III du
Pédant joué de Savinien de Cyrano de Bergerac
(pp. 103-104).
Texte D : Extrait des Caractères de Jean de La
Bruyère (pp. 104-105).
Texte E : « L’écolier, le pédant, et le maître d’un
jardin » de Jean de La Fontaine (pp. 105-106).
Document : Illustration de la fable « L’écolier, le
pédant, et le maître d’un jardin » par Grandville
(p. 107).
Texte A : Scène 2 de l’acte IV des F e m m e s
savantes de Molière (pp. 116-122).
Texte B : Extrait des Méditations métaphysiques de
René Descartes (pp. 125-127).
Texte C : Extrait du Procès en séparation de l’âme
et du corps de Calderón (pp. 127-128).
Texte D : Extrait de la scène 6 de l’acte IV du Dom
Juan de Molière (pp. 128-129).
Texte E : Article « Les Femmes savantes » du
Dictionnaire des grandes œuvres de la littérature
française (pp. 129-131).
Document : Mise en scène du Procès en séparation
de l’âme et du corps par Christian Schiaretti (p. 131).
Texte A : Scène 3 de l’acte V des F e m m e s
savantes de Molière (pp. 153-160).
Texte B : Extrait de la scène 3 de L’Île des esclaves
de Marivaux (pp. 163-165).
Texte C : Extrait de la scène 2 de l’acte I du
Barbier de Séville de Beaumarchais (pp. 165-166).
Texte D : Extrait des Bonnes de Jean Genet
(pp. 166-168).
Document : Plan du film La Règle du jeu de Jean
Renoir (p. 169).
Démontrer, convaincre,
persuader
(Seconde).
Persuader, convaincre,
délibérer
(Première).
Question préliminaire
Résumez, en une phrase ou deux, la thèse de
chacun des documents du corpus.
L’éloge et le blâme
(Seconde).
Persuader, convaincre,
délibérer : formes et fonctions
du dialogue, de l’essai,
de l’apologue
(Première).
Mouvements littéraires
et culturels : baroque,
préciosité et classicisme
(Première).
Question préliminaire
Les personnages de pédants présentés dans le
corpus sont-ils interchangeables ou chacun se
distingue-t-il par une personnalité
particulière ?
Le théâtre : genres et registres
(Seconde).
Le théâtre : texte et
représentation
(Première).
Persuader, convaincre,
délibérer
(Première).
Un mouvement littéraire
et culturel : le classicisme
(Première).
Question préliminaire
À la lumière des textes du corpus, montrez
l’influence du dualisme cartésien sur le
sentiment amoureux.
Le théâtre : genres et registres
(Seconde).
Le théâtre : texte et
représentation
(Première).
Persuader, convaincre,
délibérer
(Première).
Question préliminaire
Quelles images des valets apparaissent dans
les documents du corpus ?
L’instruction des femmes
(p. 59)
Figures du pédantisme au
XVIIe siècle
(p. 101)
Corps et âme
(p. 125)
La surdité des maîtres
(p. 163)
Commentaire
Après avoir souligné l’importance accordée au
texte de théâtre dans les extraits donnés,
vous montrerez en quoi ces deux auteurs
expriment une même passion du théâtre.
Commentaire
Vous montrerez comment Gustave Flaubert
dépeint l’enfermement physique et mental
des jeunes filles, tout en faisant une satire du
romantisme.
Commentaire
Vous montrerez comment la théâtralité de ce
texte est au service de la caricature et de la
satire.
Commentaire
Vous montrerez en quoi ces textes se
rapprochent par leur thématique, mais se
distinguent dans le traitement des
personnages.
Commentaire
Vous montrerez l’ambiguïté des relations
entre Madame et Claire.
Les Femmes savantes – 5
RÉPONSES AUX QUESTIONS
B i l a n
d e
p r e m i è r e
l e c t u r e
( p .
1 7 8 )
Armande et Henriette sont les filles de Philaminte et de Chrysale. Armande, l’aînée, est jalouse car
Clitandre, après l’avoir vainement courtisée, s’est tourné vers sa cadette qui ne semble pas rebutée par
le mariage.
" Trois femmes savantes sont présentes chez Chrysale : sa femme, sa sœur et sa fille aînée.
Philaminte, son épouse, se caractérise par son autoritarisme. C’est elle qui porte « le haut-de-chausse ».
Bélise est persuadée qu’un homme ne peut la croiser sans tomber amoureux d’elle. Armande enfin est
une prude qui rejette l’idée de mariage. Toutes trois, par ailleurs, au-delà des différences de leurs
tempéraments, sont véritablement férues de science et de philosophie, mais le désir d’être reconnues
leur fait perdre toute mesure et tout discernement.
# Ariste est le frère de Chrysale et de Bélise. Il est plus intelligent que son frère et beaucoup plus
sensé que sa sœur. Il tente de favoriser les amours d’Henriette et de Clitandre.
$ Chrysale a peur de sa femme et trouve son autoritarisme insupportable. Il préfère cependant s’y
soumettre que de tenter de l’affronter. Son penchant pour le savoir lui semble une lubie ridicule.
% Clitandre désire épouser Henriette. Plus simple et moins froide que sa sœur, elle a fait bon accueil
à des vœux dédaignés par Armande. Le désir de se marier et d’avoir des enfants lui semble naturel.
Elle est une personne de bon sens, comme Clitandre, dont elle partage la tempérance.
& Philaminte renvoie Martine en raison de son langage. Elle souhaite éduquer toute sa maisonnée et
fait la guerre aux « solécismes » et aux « vices d’oraison » du langage populaire.
' Trissotin entre en scène au moment où Philaminte tient salon, en compagnie de Bélise et
d’Armande. Toutes trois attendent ardemment ce moment, qui doit être consacré à la lecture des
poèmes de leur visiteur et à de savants entretiens. Henriette, présente aussi, tente de s’éclipser, mais sa
mère l’en empêche.
( Trissotin souhaite profiter de la situation pour devenir le mari d’Henriette et empocher la dot. Il
feint de l’aimer mais renoncera à l’épouser lorsqu’il croira la famille ruinée.
) Les deux pédants commencent par se congratuler mutuellement sur leurs qualités littéraires. Vadius
souhaite ensuite lire un poème de sa composition. Trissotin l’interrompt à plusieurs reprises et finit
par lui demander ce qu’il pense du sonnet « sur la fièvre qui tient la princesse Uranie », sans révéler qu’il
en est l’auteur. Vadius porte un jugement très sévère sur ce poème, qui lui a été lu en société. La
conversation s’envenime et les deux pseudo-poètes finissent par se quereller comme des chiffonniers.
*+ Vadius fait porter chez Philaminte les ouvrages de quatre auteurs latins, dans lesquels elle verra
« notés en marge tous les endroits qu’il [Trissotin] a pillés ». Philaminte, tout à son aveuglement, renvoie
le messager et décide de précipiter les noces d’Henriette et de Trissotin.
*, Armande ne refuse pas d’être aimée mais exige, comme sa tante, « une espèce d’amour / Qui doit être
épuré comme l’astre du jour » (v. 1683-1684). Elle propose pourtant à Clitandre de devenir sa femme,
lorsqu’elle se rend compte que, lassé de ses froideurs, il s’apprête à épouser Henriette.
*- Henriette veut faire comprendre à Trissotin qu’elle ne l’aime pas et qu’elle voit clair dans son jeu. Elle
lui fait part de son amour pour Clitandre et tente de le détourner d’elle. Son prétendant reste inflexible.
Après s’être montré doucereux, il révèle sa véritable nature : « Pourvu que je vous aie, il n’importe comment. »
*. Le notaire ne sait pas où donner de la tête : le père et la mère d’Henriette proposent un mari
différent. L’un penche pour Clitandre, tandis que l’autre opte pour Trissotin. Le notaire ne sait qui
écouter et ne peut accorder à la jeune fille « deux époux ».
*/ Ariste intervient dans la dernière scène, porteur de deux lettres annonçant l’une la banqueroute de
Chrysale et l’autre l’issue malheureuse du procès de Philaminte. La famille se croit alors ruinée.
Trissotin change brusquement d’avis et renonce à épouser Henriette. Dessillée, Philaminte accepte
enfin d’accorder la main de sa cadette à Clitandre, qui ne s’offusque pas de la débâcle familiale. Sa
promise refuse alors de lui imposer une union devenue peu avantageuse pour lui, mais Ariste révèle
que les lettres étaient des faux, destinés à mettre au jour la cupidité de Trissotin.
!
Réponses aux questions – 6
Chrysale est bourgeoisement affolé par la perte de ses biens, tandis que Philaminte fait preuve d’un
détachement tout philosophique. Trissotin découvre « son âme mercenaire » et prend congé
précipitamment. Armande, enfin, est désappointée et se sent sacrifiée. Elle est finalement le dindon
d’une farce dont elle ne mesurait pas les conséquences et doit trouver sa consolation dans la
philosophie, comme le lui conseille doctement sa mère.
*0
A c t e
I ,
s c è n e
1
( p p .
9
à
1 4 )
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 15-16)
Les amours d’Henriette et de Clitandre, restées longtemps secrètes (cf. v. 271), constituent pour
leur entourage une surprise qui déclenche l’action. Ainsi, le premier mot de la pièce, prononcé par
Armande, est « Quoi ? ». Ce pronom interrogatif, qui exprime à la fois l’étonnement et l’indignation,
se développe jusqu’au vers 30 en une succession de phrases interrogatives et exclamatives.
Pourtant, Armande ne pose aucune véritable question : elle formule des reproches sur des faits connus
d’elle, dans le but de modifier une réalité qu’elle n’admet pas, en usant de l’ascendant d’une aînée sur
sa cadette. L’accumulation de tournures interro-négatives (v. 9 à 14) confirme son autoritarisme et son
refus d’admettre les désirs de sa sœur.
À ces fausses questions succèdent progressivement des exclamations indignées (v. 8 : « fi ! » ; v. 8 et
26 : « mon Dieu ! » ; v. 19 : « ô Ciel ! ») qui se développent en une longue phrase exclamative (v. 27 à
30 : « Que vous jouez au monde un petit personnage […] ! »). Armande, qui présente le monde comme
une scène de théâtre, trahit ainsi son souci du paraître.
Ce début in medias res pose son caractère vindicatif et tyrannique. L’affrontement des deux sœurs
apparaît comme l’un des ressorts essentiels de la dramaturgie de la pièce.
" Après avoir tenté de déconstruire par ses questions et ses exclamations indignées tout l’échafaudage
des valeurs bourgeoises d’Henriette, Armande tente d’y substituer sa propre vision du monde. Son
discours est saturé de verbes à l’impératif (v. 31 : « laissez » ; v. 33 : « élevez » ; v. 34 : « songez » ;
v. 36 : « donnez-vous » ; v. 39 : « tâchez » ; v. 40 : « aspirez » ; v. 41 : « rendez » ; v. 44 : « mariezvous »). Henriette, quant à elle, emploie l’impératif à la 2e personne du pluriel, invitant ainsi sa sœur à
une certaine complicité (v. 61 : « Ne troublons point » ; v. 62 : « suivons »). Elle ne recourt qu’une fois
à la 2e personne du pluriel (v. 63 : « habitez »), parodiant ainsi, avec une ironie discrète mais ferme, la
façon dont sa sœur veut régenter sa vie.
Déconstruire pour reconstruire à grands coups de questions indignées, puis d’impératifs et de tournures
injonctives, voilà qui ressemble à la parodie d’une démarche philosophique : conduire l’autre du doute à
l’aporie, pour opérer la reconstruction d’un savoir… Étrange façon – bien dogmatique – d’appliquer les
leçons de la philosophie. Armande est toute là pourtant, qui finira dépitée et ne trouvera pour consolation
que les mots de sa mère : « Et vous avez l’appui de la philosophie. »
# Après une série d’interrogations, d’exclamations et d’injonctions, le ton d’Armande devient
professoral. En effet, elle présente à sa sœur le seul mode de vie auquel il convienne de se plier :
« Mariez-vous, ma sœur, à la philosophie » (v. 44). Le présent de vérité générale confère dès lors à ses
propos le statut de maximes : « Qui nous monte au-dessus de tout le genre humain, / Soumettant à ses lois la
partie animale, / Dont l’appétit grossier aux bêtes nous ravale » (v. 45 à 48) ; « Quand sur une personne on
prétend se régler, / C’est par les beaux côtés qu’il lui faut ressembler » (v. 73-74).
Le pronom « nous » n’a pas ici le même sens ni la même portée que dans la bouche d’Henriette, pour
qui il ne représentait que le couple des deux sœurs. Il s’agit au contraire pour Armande de l’humanité
tout entière. Elle ne se situe pas seulement, comme Henriette, ici et maintenant, mais elle oppose aux
considérations concrètes et immédiates de sa sœur des préceptes moraux. La valeur générale des
maximes qu’elle énonce est mise en relief par les recours aux tournures impersonnelles (« une
personne », « on », « il faut »). Ainsi, Armande veut-elle sembler détachée de toute considération
personnelle. Elle oppose son élévation (« Qui nous monte au-dessus ») à la petitesse de sa sœur (« petit
personnage », « grossier », « bêtes »). Ses propos trop idéologiques ne font que susciter l’ironie de sa
sœur, qui connaît ses motivations réelles. Le spectateur va constater qu’elle est aux prises avec ses
propres contradictions et prendre parti pour le personnage amusant (Henriette) aux dépens de celui
qui incarne l’excès et la monomanie.
!
Les Femmes savantes – 7
Dès qu’il s’agit de mariage, Armande exprime son rejet au moyen d’expressions qui évoquent des
réactions physiques : « un mal de cœur » (v. 6) ; « dégoûtant » (v. 10 – même si ce mot n’a pas un sens
aussi fort qu’aujourd’hui) ; « blessée » (v. 11) ; « sale vue » (v. 12) ; « N’en frissonnez-vous point ? »
(v. 13).
Ces termes disent malgré Armande la peur – mais aussi le désir – de l’union des corps qu’implique le
mariage. Ces métaphores physiques parcourent toute la pièce et permettent à l’auteur d’exprimer ce
qu’il pense de la pruderie héritée des précieuses. Armande est victime de ces influences. Son langage
le dit à son insu.
% Trois arguments sont développés dans cette tirade. Tout d’abord (v. 26 à 32), Armande déplore la
médiocrité du mariage. Les termes péjoratifs qu’elle accumule renvoient à l’idée de pesanteur et de
bassesse : « étage bas », « petit personnage », « grossiers », « vulgaires », « les bas amusements ».
Armande propose ensuite (v. 33 à 36) une autre perspective, qui substitue l’élévation à la bassesse. Les
« désirs » élevés de « l’esprit », les « nobles plaisirs » et les « hauts objets » prennent la place des « choses du
ménage » et des « bas amusements de ces sortes d’affaires ».
Enfin, à partir du vers 37, en une phrase de 12 vers, Armande développe longuement l’éloge des
hautes instances qui régissent sa vie. Elle associe le culte de sa mère, présentée comme un « exemple »
qu’il faut « honorer », à celui de la philosophie. Le vocabulaire de l’autorité fait alors son apparition. À
la tyrannie des hommes, aux « lois » desquels les femmes sont « en esclaves asservies », Armande
substitue celles de la philosophie « qui nous monte au-dessus de tout le genre humain ». L’accès au savoir
semble avoir pour fonction d’asservir les autres plus que de se libérer soi-même, comme le confirme
le vocabulaire du pouvoir : « empire souverain » (v. 46) ; « soumettant à ses lois » (v. 47). Cette
association d’idées montre à quel point la volonté maternelle tient lieu pour Armande de philosophie.
& La réplique d’Henriette parodie celle de sa sœur. Armande recourt en permanence à l’autorité
d’une instance supérieure au nom de laquelle il faudrait agir (sa mère, la philosophie). Elle n’évoque
« Dieu » ou « le Ciel » que dans des formules exclamatives, sans contenu sémantique (v. 26 : « Mon
Dieu »). De même, Henriette commence sa tirade en évoquant le « Ciel ». Cependant, elle accorde
aux mots leur sens propre, dans une phrase déclarative. Ainsi, le caractère sentencieux des propos
d’Armande est à la fois imité (Henriette reste dans le même registre) et ridiculisé. À son tour, elle
emploie des maximes (v. 53-54 : « Le Ciel dont nous voyons que l’ordre est tout-puissant / Pour différents
emplois nous fabrique en naissant »). Mais l’instance évoquée (« Le Ciel ») l’emporte en puissance sur
celles dont se réclame Armande (sa mère et la philosophie).
De plus, le raisonnement d’Henriette ne prend pas brutalement le contre-pied de celui d’Armande.
Bien au contraire, il en reprend le fond manichéen. Plusieurs formules soulignent cette bipolarité
(v. 54 : « différents emplois » ; v. 62 : « nos deux instincts » ; v. 67 : « l’une à l’autre contraire » ; v. 69-70 :
« vous, du côté » / « moi, du côté »). Henriette reprend en outre le réseau lexical qui oppose la grandeur
à la petitesse, la hauteur à la bassesse, et l’esprit à la matière (« élévations », « spéculations », « grand et
beau génie », « hautes régions » s’opposent à « terre à terre », « dans les petits soins, son faible se resserre »,
« ici-bas », « terrestres appas »). Cependant, en faisant mine d’adopter les vues de sa sœur, Henriette en
souligne l’affectation. Ainsi les mots « élévations » (v. 57) et « spéculations » (v. 58), mis en relief à la
rime, sont gonflés par le pluriel (caractéristique du langage des précieuses). La diérèse (élévati-ons /
spéculati-ons) en révèle, de façon comique, la prétention. L’emploi de la métabole « grand et beau »
(v. 63) va dans le même sens.
L’habileté d’Henriette consiste à pousser à son extrême le raisonnement de sa sœur, tout en conciliant
les contraires, comme le souligne l’emploi de la 1re personne du pluriel – absent du discours de sa
sœur (v. 53 : « nous voyons » ; v. 54 : « nous fabrique » ; v. 61 : « Ne troublons point » ; v. 62 :
« suivons » ; v. 67 : « nos desseins » ; v. 68 : « nous saurons toutes deux »).
Le rappel final de la double nature de leur mère, à la fois charnelle et spirituelle, met Armande face à
ses contradictions (v. 75-76 : « Et ce n’est point du tout la prendre pour modèle, / Ma sœur, que de tousser et
de cracher comme elle »). Armande associe la sexualité à l’idée de maladie (« tousser », « cracher ») et se voit
contrainte de désacraliser la figure maternelle.
' La scène présente deux grandes parties. Tout d’abord, Armande prend l’initiative de l’affrontement
et mène le jeu en questionnant sa sœur, pour tenter d’éloigner d’elle l’idée de mariage. À une série
d’échanges assez rapides succèdent deux tirades antithétiques. Henriette, en rappelant la nécessité
vitale des « bassesses » charnelles, met Armande face à ses contradictions. Revenant à plusieurs reprises
à l’idée de naissance (v. 54 : « en naissant » ; v. 77 : « vous ne seriez pas » ; v. 82 : « vous devez la
$
Réponses aux questions – 8
clarté » ; v. 84 : « venir au monde »), Henriette se place du côté de la vie et de l’épicurisme, renvoyant
Armande du côté de la mort, de la stérilité et de la solitude. On comprend que Molière ait confié le
rôle d’Henriette à sa femme, qui incarnait ainsi ce qu’il eût voulu qu’elle fût dans la conjugalité (le
choix du nom de son épouse pour le personnage qui incarne toutes les réticences sexuelles et les
affectations qu’il détestait est aussi une façon de lui signifier ce qu’il attendait d’elle au moment où le
couple se réconciliait).
Dans la seconde partie de la scène, Armande ne peut plus se cacher derrière des généralités
sentencieuses et aborde le sujet qui lui tient réellement à cœur : Clitandre. La joute verbale se fait
alors plus directe. L’aînée révèle, malgré elle, le véritable enjeu de la conversation et la nature de ses
sentiments. Le rythme des répliques est ici plus régulier et rapide. Il n’est plus question de raisonner
mais d’affronter la réalité, que va venir incarner Clitandre, dès la scène suivante. Véritable enjeu du
conflit, l’homme et sa capacité à ne pas décevoir est un sujet essentiel. En effet, cette comédie attaque
au moins autant les ridicules et les insuffisances des hommes que ceux des femmes, comme le
confirme le titre prévu initialement par Molière, qui était Tricotin et non Les Femmes savantes.
Par la structure binaire de cette première scène, Molière montre donc que les abstractions cachent en
réalité des désirs très concrets, qui ne s’avouent pas, ni même ne se conçoivent clairement.
( La première scène oppose Henriette et Armande sur la question du mariage. L’aînée le rejette
violemment et tente vainement d’en éloigner sa sœur. Le spectateur comprend, au vers 37, qu’elle
agit et pense conformément aux désirs de sa mère, qualifiée de « savante » (v. 38). Les préceptes
maternels sont énoncés par la sœur aînée pendant la première moitié de la scène, tandis qu’Henriette y
répond avec une grande liberté, sans se référer à quelque maître à penser que ce soit. Hormis ces trois
personnages féminins, seul Clitandre, véritable objet de la dispute, est évoqué.
) Le spectateur sait, dès la scène d’exposition, que la maisonnée compte deux « femmes savantes », la
mère et la fille, lesquelles prétendent visiblement régenter la vie du reste de la famille. Ainsi, un
contentieux assez ancien, lié à leur rapport avec leur mère, semble opposer les deux sœurs. Il n’est
absolument pas question ici du père de famille, dont la femme semble s’être arrogé l’autorité.
Clitandre, en revanche, est nommé, par Armande tout d’abord, en une phrase interro-négative :
« Votre visée au moins n’est pas mise à Clitandre ? » (v. 88). La question de l’homme est ainsi posée par
cette dernière : comment faire pour qu’il soit présent, tout en se tenant à l’écart ? Le spectateur
apprend qu’Armande a été le premier objet des assiduités de ce jeune homme, qui, lassé de ses
froideurs, s’est tourné vers sa sœur cadette.
*+ Le mariage est doublement l’enjeu de la pièce. Tout d’abord, en ce qui concerne l’intrigue, ce
conflit est incarné par deux sœurs : la rivalité qui les oppose est ce que Francisque Sarcey appelle « la
forme dramatique » donnée à l’idée. Ainsi la question de savoir si Henriette pourra épouser Clitandre
met un mariage – le sien – au centre de la comédie, comme dans la plupart des pièces de Molière.
Toutefois, ce ressort dramatique est un prétexte, qui permet de poser la question du rapport des
femmes aux hommes, au savoir, à l’amour et au plaisir. D’une manière générale, le problème de
l’assujettissement des femmes est abordé par Armande. La condition d’épouse lui semble incompatible
avec celle de savante et de philosophe, non seulement en raison de la soumission qu’elle suppose à
l’autorité du mari, mais surtout des relations physiques qu’elle implique. Ainsi, du point de vue
d’Armande, deux destinées opposées s’offriraient aux femmes, sans alternative possible.
*, Armande et Henriette sont-elles des allégories du corps et de l’esprit ? Les choses ne sont pas si
simples, comme permet de le constater le vocabulaire qu’elles emploient. En effet, la première est
habitée de désirs qu’elle ne veut avouer, tandis que la seconde a une intelligence qu’elle se refuse à
mettre en avant. Ainsi la champ lexical de l’esprit est-il surabondant dans toute la scène : le mot
« esprit » lui-même, employé à quatre reprises par Armande, est mis en relief par sa place en début de
répliques (v. 10, 26, 36, 85). La comédienne peut souligner, par une intonation appuyée, ce procédé
comique, qui révèle le caractère obsessionnel de son personnage.
Henriette, avant de se moquer de sa sœur en singeant ses tics de langage (v. 55, 65, 71 : « esprit »)
parle de raison et de pensée (v. 17-18 : « Et je ne vois rien là, si j’en puis raisonner, / Qui blesse la pensée
et fasse frissonner »). À ces deux termes n’est pas attachée la connotation métaphysique de « l’esprit »
dont se réclame Armande. Plus modestes, ils sont associés, dans la bouche d’Henriette, au vocabulaire
des sentiments : « un homme qui vous aime et soit aimé de vous » (v. 22), « tendresse » (v. 23), « douceurs »
(v. 24). Au contraire, son aînée attache la « raison » (v. 46, 101) au savoir (v. 40 : « aux clartés » ;
Les Femmes savantes – 9
v. 42 : « l’amour de l’étude » ; v. 44 : « la philosophie »). Cette élévation spirituelle est censée faire d’elle
une icône, digne, comme sa mère, d’un culte : « douceurs des encens » (v. 102), « adorateur » (v. 104).
Henriette raille cette prétention illusoire, en rappelant à Armande que leur mère n’est pas seulement
un « noble génie ». Les vers 97-98 rappellent à Armande son choix : « Votre esprit à l’hymen renonce pour
toujours, / Et la philosophie a toutes vos amours. » La personnification de l’« esprit » et de « la philosophie »
met ici Armande face à son manque d’humanité et préfigure la tyrannie et le dogmatisme infligés par
Philaminte à une maisonnée qui aspire en partie à des plaisirs moins spirituels (la nourriture pour
Chrysale, l’amour conjugal pour Henriette).
*- Henriette semble l’emporter à l’issue de la première partie, puisque Armande est forcée de changer
de sujet (v. 85-86 : « Je vois que votre esprit ne peut être guéri / Du fol entêtement de vous faire un mari ») et
d’aborder celui qu’elle voulait éviter : Clitandre. Henriette affirme alors avec fermeté sa confiance en
l’amour de ce dernier : « Il me le dit, ma sœur, et, pour moi, je le croi. » À la fin de la scène, la cadette
prend à nouveau le dessus, puisque c’est elle qui décide de demander à Clitandre de se prononcer
clairement. Cette démarche et la dérobade d’Armande confirment son avantage dans cette lutte
amoureuse. La simplicité et la droiture d’Henriette mettent sa sœur en défaut en révélant ses
ambiguïtés et ses contradictions. Henriette l’emporte ainsi sur Armande dans cette première scène,
mais la mauvaise foi et le côté retors de cette dernière font comprendre au spectateur qu’elle est une
menace pour le mariage des deux jeunes gens. La cadette est plus forte dans la frontalité, mais l’aînée
est sans doute plus habile dans l’intrigue.
*. La comédie des Femmes savantes a la réputation de ne pas être très amusante. Cependant, dans le théâtre
de Molière, chaque scène offre au metteur en scène et aux comédiens des possibilités comiques. Pour ce
faire, l’un des personnages doit être le dupe de l’autre. Ce peut être ici le cas d’Armande. Comme nous
l’avons vu plus haut (cf. question 10), le comique de répétition est présent mais discret (v. 10, 26, 36, 85 :
« esprit »). Il ne s’agit pas en effet d’une comédie farcesque. De même, l’ironie d’Henriette peut être
soulignée par le jeu et la mise en scène : à deux reprises, la présence de diérèses soulignées par la rime
suggère l’imitation de la sœur aînée par la cadette (v. 57-58 : « élévati-ons/spéculati-ons » ; v. 105-106 :
« perfecti-ons/adorati-ons »). Ce procédé permet à la comédienne d’obtenir une complicité du public avec
son personnage, aux dépens de celui d’Armande. La première scène des Femmes savantes offre donc, sans les
imposer, des ressources comiques susceptibles d’inspirer le jeu des comédiennes. Toutefois, le jeu des
acteurs peut également mettre en relief, avec plus de gravité, les désirs et les frustrations de deux
personnages aux prises avec les difficultés de leur condition de femme et de fille.
*/ Pour Henriette, le mariage va de soi, comme le souligne l’extrême simplicité de sa première
réplique : « Oui, ma sœur. » Devant l’insistance d’Armande, elle se voit obligée de développer
l’évidence : « un mari, des enfants, un ménage ». La banalité de cette définition, soulignée par la
régularité du rythme de la phrase, contraste avec l’excès des réactions d’Armande. Obligée de
poursuivre sa justification, Henriette insiste ensuite sur le caractère naturel du mariage : « Et qu’est-ce
qu’à mon âge on a de mieux à faire […] ? » À cette simplicité épicurienne s’ajoute l’évocation du
sentiment amoureux : « Un homme qui vous aime et soit aimé de vous » (v. 22). Le chiasme souligne ici le
caractère équilibré et réciproque des relations amoureuses telles que les envisage Henriette. Enfin cette
union repose sur la confiance : « Il me le dit, ma sœur, et, pour moi, je le croi » (v. 113). Ainsi, le mariage
n’est pas à ses yeux un asservissement mais un lien naturel, harmonieux et équilibré.
*0 Pour Armande, le mariage présente l’inconvénient majeur d’être un lien, « un attachement »
incompatible au sens propre avec toute « élévation ». Il est associé à l’idée de bassesse morale (v. 4, 31 :
« vulgaire » ; v. 10 : « dégoûtant » ; v. 31, 48 : « grossier » ; v. 32 : « bas ») et d’aliénation (v. 19 :
« attachements » ; v. 28 : « claquemurer » ; v. 43 : « asservie »). Confondant mariage et passion et caricaturant la
pensée de Descartes, Armande présente l’union de l’homme et de la femme comme bestiale : « […] la
partie animale, / Dont l’appétit grossier aux bêtes nous ravale » (v. 47-48). Véritable porte-drapeau des volontés
maternelles, elle rejette l’idée d’être assujettie à un « mari » qui pourrait ressembler à son père.
L’amour n’est concevable pour Armande qu’en dehors de tout lien conjugal. Loin d’être un échange
équilibré comme le voulait Henriette, il met en jeu une relation d’asservissement inversée : l’homme,
réduit à la position de serviteur, se contente d’admirer de loin l’icône féminine à laquelle il est soumis
(v. 104 : « que pour adorateur on veut bien à sa suite »). Prisonnière de l’influence, pourtant déjà dépassée,
des précieuses, Armande promet de devenir une nouvelle Bélise. C’est à sa mère pourtant qu’elle
voudrait ressembler, sans vouloir admettre que cette dernière est une femme et non un pur esprit. De
Réponses aux questions – 10
fait, des deux savantes qui l’entourent, c’est la moins charismatique (Bélise, restée demoiselle) qui lui
offre l’image de ce qu’elle deviendra, à moins que, privée de la douce fantaisie de sa tante, elle ne
finisse comme la sèche Arsinoé (Le Misanthrope).
*1 Quelques traits du langage précieux apparaissent dans les répliques d’Armande. Ainsi le pronom
« on » est-il employé à la place de la 1re personne du singulier (v. 9, 11, 103-104). Ce procédé évite au
sujet de se désigner lui-même avec précision ; situé dans la sphère de l’indéfini, il se préserve des
bassesses de l’immédiateté impliquée par le pronom je.
Le goût pour le pluriel est notable dans son discours (v. 40 : « aux clartés » ; v. 41 : « aux charmantes
douceurs » ; v. 49 : « les beaux feux, les doux attachements »), qui en devient systématiquement
hyperbolique (v. 33 : « de plus hauts objets » ; v. 34 : « des plus nobles plaisirs » ; v. 38 : « en tous lieux » ;
v. 45 : « qui nous monte au-dessus de tout le genre humain » ; v. 46 : « empire souverain »). Enfin, l’amour
est évoqué de façon métaphorique (v. 102 : « aux douceurs des encens »). Sans être caricaturale, comme
les personnages des Précieuses ridicules, Armande subit une influence qui contribue à faire d’elle un
personnage décalé, « dindon » d’une mauvaise farce que lui joue sa mère.
*2 Armande se réfère formellement à la religion, par le biais de ses exclamations : « Ah, mon Dieu »
(v. 8) ; « ô Ciel ! » (v. 19) ; « Mon Dieu » (v. 26). En réalité, son adoration va avant tout vers sa mère
(v. 38 : « que du nom de savante on honore en tous lieux »), qui apparaît comme la prophétesse d’un culte
voué à la philosophie : « Mariez-vous, ma sœur, à la philosophie » (v. 44). Une jeune fille peut en effet
épouser cette entité en renonçant aux hommes, comme une religieuse épouse le Christ. Plutôt que de
tenter d’envoyer sa sœur au couvent – ce qui révélerait trop ouvertement sa jalousie –, Armande lui
suggère un cloître plus éthéré.
Tandis que l’aînée rejette toute idée de famille (v. 30 : « un idole d’époux et des marmots d’enfants »),
Henriette au contraire aspire à fonder la sienne (v. 16 : « un mari, des enfants, un ménage »). Pour
autant, elle ne ressent pas le besoin d’exprimer une soumission quelconque à l’autorité d’un parent.
Moins désireuse d’émancipation en apparence, elle se montre dans les faits et dans le discours plus
indépendante que sa sœur. Cette famille qu’Armande déteste, c’est Henriette qui a décidé de la
quitter. Cependant, sans invoquer le « Ciel » avec ostentation, elle se réfère aux principes de la
religion, auxquels elle donne du sens : « Le Ciel, dont nous voyons que l’ordre est tout-puissant, / Pour
différents emplois nous fabrique en naissant » (v. 53-54).
Armande, qui remet en cause l’ordre social et divin, se situe bien du côté d’une démesure quasi
tragique qui causera sa perte, tandis qu’Henriette sera récompensée de sa modération.
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 17 à 24)
Examen des textes
! L’article de Francisque Sarcey commence par une question oratoire : « Qu’est-ce qu’une forme
dramatique ? » Le dernier paragraphe y répond explicitement : « Voilà ce que c’est qu’une forme
dramatique. » Le corps du texte amène méthodiquement le lecteur vers cette certitude.
Le registre didactique du texte est ainsi confirmé par des expressions empruntées à l’oralité du langage
courant qui semblent, avec un ton quelque peu paternaliste, prendre le lecteur par la main pour le
guider : « Tenez », « Eh bien ! », « Et pourquoi ? », « Ah ! la voilà trouvée la formule dramatique ! ».
À partir d’un exemple accessible à tous (une représentation récente des Femmes savantes à l’Odéon),
l’auteur formule une série d’hypothèses sur les possibilités qui s’offraient à Molière (« je suppose que
Molière […] se fût dit », « Admettez que sur ce raisonnement il eût soit […] soit […] soit […] », « s’il eût fait
quelque chose de ce genre, il aurait pu »). Cette série d’irréels du passé (de « Tenez » à « eût laissé froid un
public de théâtre ») permet à F. Sarcey de présenter tout ce qui est contraire à l’idée de « forme
dramatique » et constitue la première partie d’un raisonnement dialectique.
En effet, dans les paragraphes suivants, l’auteur fait succéder la proposition à la réfutation, en opposant à
tous ces contre-exemples ce que Molière a choisi de faire pour représenter le pédantisme : une jeune fille
refuse d’embrasser, au nom du grec, un pédant. F. Sarcey insiste alors dans ses commentaires élogieux sur le
caractère essentiellement visuel du théâtre : « l’idée, cette fois, parle aux yeux ! », « c’est la thèse du bon sens et de
la vérité […] mise sous une forme visible ». L’expression de son enthousiasme (« Ah ! la voilà trouvée […] ! »,
« ce qui est bien », « ce qui est mieux encore ») renforce la démonstration.
Les Femmes savantes – 11
Le dernier paragraphe constitue une conclusion, en forme de bilan. L’auteur y multiplie les formules
oratoires : « sachez-le bien », « mon Dieu », « Jamais, entendez-vous, jamais », « le public […] n’admet, ne
goûte, n’aime, n’applaudit ». Apostrophes, exclamations, répétitions et accumulations soulignent ainsi la
luminosité de l’ensemble du raisonnement.
" Jacques Copeau s’en prend, dans un extrait de son Journal, à une mise en scène des Femmes savantes
à la Comédie-Française. Lui qui prônait le tréteau nu juge « factices » les « effets » voulus par le décor,
dont il prend soin de détailler précisément les éléments. Ainsi, le deuxième paragraphe du texte est-il
consacré à l’architecture générale du plateau, qui comporte une « ouverture sur le dehors », un
« péristyle », un « escalier » et une « verrière ». Ces termes donnent une idée de la volonté réaliste du
décorateur. Les perspectives obtenues donnent l’illusion d’un intérieur bourgeois. Cette conception
du théâtre s’oppose à la sienne, qui affirme la prééminence du texte.
La critique se fait plus acerbe dans le paragraphe suivant. L’auteur, en effet, ne se contente plus de
décrire mais porte des jugements sévères : « En scène, il y a une cheminée monumentale, très laide et sans
aucune signification. » L’expression « En scène » donne à la cheminée le premier rôle, aux dépens des
comédiens. L’opposition entre les prétentions (« monumentale ») et la vacuité du résultat (laideur,
absence de sens) ridiculise l’ensemble de l’espace scénique.
J. Copeau en accentue encore la critique en accumulant les détails : « des cartes au mur, des instruments
d’astronomie sur les meubles, et un bahut plein de livres ». Cette surabondance souligne le volontarisme d’une
mise en scène trop démonstrative, qui semble signaler l’insuffisance du texte en y substituant une myriade
de signifiants extérieurs. Dans le dernier paragraphe, la description glisse métaphoriquement vers celle du
jeu des comédiens. De même que l’aménagement de la scène est artificiel et dépourvu de nécessité, de
même leur jeu sent le « placage ». Ce terme de décoration appliqué aux acteurs les assimile à des objets
inanimés, au point que quelques lignes à peine leur sont consacrées, comme s’ils n’étaient eux-mêmes que
des éléments perdus dans « ce décor neuf, au milieu de ces intentions factices ».
# Louis Jouvet donne successivement des conseils à Annette et à Irène qui tentent respectivement
d’interpréter Henriette et Armande. Pour obtenir plus de naturel de la première, Jouvet détaille la
psychologie du personnage : « très à l’aise », « quelqu’un qui est très clair », « un peu malicieux », « très
tranquille », « cette personne naturelle ». Dans la situation qui est la sienne, Henriette réagit avec une
fermeté modérée : « Tous ces “loustics” avec leur philosophie l’agacent un peu », « On sent que c’est
quelqu’un qui a pris son parti ». Ces remarques soulignent la simplicité d’une personne de bon sens.
En revanche, lorsqu’il s’agit d’Armande, le vocabulaire psychologique se fait moins abondant.
Armande ne veut rien laisser paraître de son naturel, au contraire de sa sœur. Ainsi, les termes
employés par Jouvet pour aider la comédienne à comprendre son personnage concernent-ils les mines
qu’elle se donne, plus que son caractère : « un petit côté collet monté », « cet étonnement », « Armande
boude », « elle dit sérieusement », « elle dit cela par aveuglement sur ses propres sentiments ».
Louis Jouvet prodigue deux types de conseils : les premiers concernent le tempérament du
personnage, tandis que les seconds insistent sur ses manières. Cette distinction correspond à la
situation dramatique voulue par Molière. La scène d’ouverture présente en effet l’antagonisme qui
sépare les tenants d’une domesticité bourgeoise des partisans d’un idéal à la fois spirituel et mondain.
$ La posture des deux comédiennes laisse supposer des relations complexes entre les deux sœurs.
Armande, qui paraît légèrement plus grande, parle à sa sœur qu’elle tient par les épaules. Le
rapprochement physique suggère une certaine proximité, voire de la tendresse. Pourtant, l’expression
des visages semble apporter un démenti à la gestuelle. En effet, Henriette, légèrement prostrée,
détourne les yeux et penche la tête vers le sol, tandis qu’Armande élève davantage son regard. Les
deux sœurs sont prisonnières d’une situation difficile, qui met en jeu des sentiments contradictoires :
tendresse, soumission et autoritarisme se mêlent.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Les documents présentés dans le corpus posent la question de la spécificité de l’écriture théâtrale.
F. Sarcey est un critique de théâtre, tandis que J. Copeau et L. Jouvet sont avant tout des metteurs en
scène. La scène elle-même et son agencement ne les préoccupent donc pas de la même manière.
Pourtant, tous trois en appellent constamment au texte, qui porte en lui la scène et sa réalisation.
Réponses aux questions – 12
F. Sarcey réfléchit dans cet article à « la forme dramatique » que doit prendre « l’idée », mettant en jeu
une réflexion dialectique sur la représentation concrète d’un concept. Alors qu’il vient d’assister à une
mise en scène des Femmes savantes à l’Odéon, le journaliste ne parle que du texte, auquel il semble
accorder une prééminence. Cela signifierait que la représentation à laquelle il a assisté lui aurait
accordé la première place et que la mise en scène et le jeu des acteurs – auxquels il ne fait aucunement
allusion – auraient été à son service. Ainsi, pour Sarcey, le vers 947 (« Excusez-moi, Monsieur, je ne sais
pas le grec ») suggère de façon efficace une cristallisation dramatique et visuelle (qui pourrait former le
sujet d’une fable) autour de la joue d’une jeune fille refusant le baiser d’un pédant.
De même, Copeau accorde la première place au texte. Il déplore, en effet, que la surcharge du décor
se fasse à ses dépens : « Mais ces mouvements et ces attitudes, très voulus par le metteur en scène, ne l’ont
nullement été par l’auteur, ne sont nullement exigés par le texte, par l’esprit du texte. Ils ne le servent pas. »
Jouvet, quant à lui, conseille à Irène de laisser vivre le texte en elle : « C’est une histoire toute simple ;
n’allez pas plus loin que le texte. Tu verras que dans le texte tu trouveras tout ce dont tu as besoin. » Par un
procédé maïeutique, le metteur en scène invite l’acteur à se laisser habiter par le texte qui génère alors
sa propre vérité dramatique.
Commentaire
Introduction
Jacques Copeau a accordé une grande importance au caractère visuel et physique du théâtre de Molière,
privilégiant en particulier les pièces marquées par l’influence de la commedia dell’arte. Louis Jouvet fut son
élève et devint un interprète et un metteur en scène mémorables des grandes pièces de Molière (en
particulier Dom Juan). Les textes présentés ici concernent Les Femmes savantes, mais diffèrent tant dans leur
nature que dans leur principe : le premier est une réaction privée, notée à la hâte dans le carnet d’un
journal personnel, à une représentation des Femmes savantes, tandis que le second est la transcription de
propos tenus par Jouvet et ses élèves lors d’un cours de théâtre. Nous verrons en quoi leur rapprochement
permet une réflexion sur la nature du texte théâtral et la question de sa représentation.
1. Des textes non littéraires
A. Oralité des textes
• Spontanéité d’une réflexion en action.
• Formules orales : « Ce n’est pas mal ce que tu fais là. »
• Tournures familières : « tous ces “loustics” », « le nez plongé dans le livre ».
• Phrases nominales : « Décor plus réel avec une ouverture sur le dehors », « D’où défaut complet d’harmonie,
d’unité et de vie ».
B. Immédiateté des réactions
Réflexion sur le caractère éphémère de la représentation qui contraste avec l’atemporalité du texte
= double nature du théâtre (emploi du présent de narration, d’actualité ou de vérité générale dans les deux
textes, tant en ce qui concerne le jeu et la mise en scène que le caractère des personnages ou le texte).
2. La passion du théâtre
A. Radicalité des jugements
Intransigeance des propos : « c’est un effet dont on se lasse », « une cheminée monumentale, très laide et sans
aucune signification », « Ils sont ajoutés, plaqués, comme une illustration fausse. Ils n’ont aucune continuité. Ils
n’avancent à rien. Ils restent courts » (Copeau) ; « c’est une manie de comédienne », « quand tu joues Armande,
il n’y a rien dedans » (Jouvet).
B. Une haute idée de la théâtralité
Portée morale de jugements esthétiques. Les gens de théâtre doivent être les serviteurs du texte qui est
presque sacralisé : « Ils ne le servent pas », « l’esprit du texte » (Copeau). Jouvet se moque du désir de la
comédienne de se mettre en avant : « vous voyez ce que c’est ; comme je suis spirituelle ! »
3. Une même école de pensée
A. Refus des subterfuges
Jeu, mise en scène, décor : « ces mouvements et ces attitudes […] ne sont nullement exigés par le texte »,
« c’est du rajeunissement, ou du retapage, par le dehors. Une toilette à la moderne qui ne s’ajuste pas au corps de
Les Femmes savantes – 13
l’ouvrage », « ces intentions factices » (Copeau) ; « tu files la voix, tu prends des airs pâmés, tu joues de
l’éventail, et tu fais : Oh ! oh ! C’est du café-concert » (Jouvet).
B. Affirmation de la prééminence du texte
Le respect du texte garantit la justesse de l’interprétation : « mais ces mouvements et ces attitudes, très
voulus par le metteur en scène, ne l’ont nullement été par l’auteur, ne sont nullement exigés par le texte, par
l’esprit du texte » (Copeau) ; « Tu verras que dans le texte tu trouveras tout ce dont tu as besoin » (Jouvet).
Conclusion
Malgré leur nature différente, ces deux textes sont très proches dans le fond : que l’on soit en position
de spectateur ou en situation d’enseignement, l’exigence reste immense et met en jeu une éthique : la
volonté de Copeau, relayée par Jouvet, de renouveler le théâtre sans prétendre le « rajeunir », mais en
en respectant les racines et « l’esprit », avec sobriété, humilité et autorité.
Dissertation
Introduction
Pour Louis Jouvet, le sujet des Femmes savantes n’est plus d’actualité – ce qui expliquerait que cette
pièce ne soit plus très amusante. Cet amalgame entre le caractère daté de la pièce et la faiblesse de son
comique est discutable.
Tout d’abord, c’est dès sa création que la pièce a été jugée trop sérieuse. De plus, comme Jouvet le
souligne lui-même, il n’est pas certain que le sujet – qui reste à définir précisément – ne soit pas
d’actualité. Enfin, peut-on vraiment affirmer que Les Femmes savantes n’est pas une pièce amusante ?
1. Une pièce fondamentalement sérieuse. L’accueil est mitigé lors de la création : la pièce est
jugée peu divertissante (d’après Grimarest, 1659-1713)
A. Peu d’éléments farcesques (L’Épine, III, 2, et Martine, II, 5-6 ; V, 3-4)
B. Une pièce en vers assortie de références savantes (III, 2-3) et de débats austères (IV, 3)
C. Des personnages graves, aux sentiments élevés : Clitandre, Armande (IV, 2)
2. Actualité du sujet des Femmes savantes
A. Le rapport des femmes au savoir est certes différent aujourd’hui et ne fait plus guère débat
B. Le sujet des Femmes savantes ne se réduit pas à cela. Molière raille le pédantisme des femmes mais aussi des
hommes. Comme le souligne Jouvet, le « snobisme » est de toutes les époques
C. La question très contemporaine du désir et de sa sublimation est au centre de cette comédie
3. Les ressources comiques des Femmes savantes
A. Outre les personnages de valets, Chrysale et Bélise assument en grande partie la dimension comique de la pièce
B. La construction des Femmes savantes rappelle celle d’une comédie-ballet, comme le démontre Robert Garapon
(Le Dernier Molière, 1977)
C. Les trouvailles comiques sont nombreuses ; la mise en scène peut mettre en relief, par exemple, la symétrie des
répliques (III, 3 / V, 3)
Conclusion
Le lecture des Femmes savantes peut osciller entre gravité et amusement. Les mises en scène
contemporaines ne s’en privent pas et visent à mettre en relief sa polysémie et sa modernité (cf. Simon
Eine à la Comédie-Française).
Écriture d’invention
Le devoir pourra s’inspirer des textes du corpus, tant en ce qui concerne les décors que le jeu. Il serait
souhaitable que la critique révèle une prise de position réfléchie sur la représentation théâtrale en
général et sur la pièce en particulier. Ainsi doit-elle s’accompagner d’une analyse du rapport entre
texte et mise en scène et s’appuyer sur des scènes précises pour montrer si la pièce a été interprétée de
façon à concilier gravité et amusement ou à favoriser l’un de ces deux aspects.
Réponses aux questions – 14
Un tel sujet peut être préparé par la projection de diverses mises en scènes des Femmes savantes (voir
filmographie) ou d’autres pièces de Molière. Il peut être opportun également de sensibiliser les élèves
à la question de la représentation par l’observation des photographies présentes dans notre édition.
Proposition de plan :
Introduction
Présentation du lieu (théâtre subventionné ou pas, type de salle – à l’italienne, théâtre moderne), du
type de public et de troupe (les élèves, dans la mesure du possible, peuvent imaginer la représentation
dans un lieu qu’ils connaissent). Remarques sur la notoriété du metteur en scène ou des comédiens.
Développement
1. La première scène : remarques sur l’interprétation et sur le choix des costumes. Montrer en quoi
cette scène donne le ton. Amorcer dans ce paragraphe une réflexion sur l’interprétation et sur la mise
en scène.
2. La mise en scène et le décor : en résumer l’esprit et l’illustrer par quelques exemples d’idées
scénographiques.
3. L’interprétation : montrer le parti pris des interprètes en ce qui concerne les principaux
personnages, à savoir au moins Philaminte, Chrysale et Trissotin (Armande et Henriette ayant été
évoquées dans la première partie).
Conclusion
Montrer en quoi cette mise en scène est proche de l’esprit de Molière tout en révélant le caractère
toujours actuel des Femmes savantes.
A c t e
I I ,
s c è n e
7
( p p .
5 0
à
5 6 )
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 57-58)
Au début de la scène (v. 511 à 534), Philaminte et Bélise reprochent à Martine l’emploi de
barbarismes (v. 519 : « de mots estropiés »), l’incorrection de sa syntaxe (ses mots sont « cousus par
intervalles ») et ses négligences (v. 524 : « le pléonasme ou la cacophonie »). Le mot « barbare » suggère un
être primitif et brutal, qui refuse de se laisser dresser (v. 517 : « rompre toute loi d’usage et de raison »),
comme le confirme le champ lexical de la violence (« supplice », « rompre », « estropiés », « traînés »).
Ces deux femmes se présentent dès lors comme les victimes d’une tyrannie qu’elles sont en réalité les
seules à faire subir à leur entourage. Leur attitude est d’autant plus incongrue qu’elles voudraient
imposer à la parole de Martine les exigences esthétiques du langage écrit.
De fait, deux conceptions de la société s’opposent :
– Chrysale souhaite que chacun accomplisse au mieux la tâche qui lui est impartie. Les vers 533-534
(« Et Malherbe et Balzac, si savants en beaux mots, / En cuisine peut-être auraient été des sots ») rappellent
ceux de Boileau : « Soyez plutôt maçon, si c’est votre talent, / Ouvrier estimé dans un art nécessaire, /
Qu’écrivain du commun et poète vulgaire » (Art poétique, chant IV, v. 26-28) ;
– Philaminte, en revanche, veut régenter une société dans laquelle l’ordre des choses serait repensé à
sa manière. Elle souhaite, à l’instar de M. Jourdain (Le Bourgeois gentilhomme), s’élever au-dessus de sa
condition en s’entourant, entre autres, d’une domesticité plus policée. Ce souci d’éducation n’est pas
une volonté de donner véritablement la parole à Martine pour l’émanciper, mais un signe de mépris :
en cherchant à la dépouiller de sa propre identité, elle nie les véritables talents que lui reconnaît
Chrysale : « C’est une fille propre aux choses qu’elle fait, / Et vous me la chassez pour un maigre sujet »
(v. 513-514).
" L’épouse et la sœur de Chrysale emploient des métaphores qui contribuent à sacraliser le langage,
et à faire de Martine une coupable. La personnification des mots accentue l’inhumanité de leur
fanatisme : « De mots estropiés », « De proverbes traînés dans les ruisseaux des Halles ». Bélise renforce cette
tendance en faisant de Vaugelas une incarnation du beau langage : « Elle y met Vaugelas en pièces tous les
jours » (v. 522). Cette métonymie désigne le grand prêtre du culte auquel elles se dévouent, quitte à y
sacrifier une victime expiatoire (Martine).
!
Les Femmes savantes – 15
Le langage de Chrysale, proche là encore des exigences classiques que Boileau énoncera en 1674 dans
son Art poétique, est simple et clair : il considère Martine comme « une fille propre aux choses qu’elle fait »
(v. 513) ; de même, les mots qu’il choisit sont appropriés à leur signification. Ainsi, la métaphore estelle quasiment absente de ses propos, si ce n’est pour illustrer une affectation qu’il dénonce : « J’aime
bien mieux pour moi, qu’en épluchant ses herbes, / Elle accommode mal les noms avec les verbes » (v. 527-528).
Le verbe accommoder signifiait, dans la seconde moitié du XVIIe siècle aussi bien « arranger, disposer »
un objet, « préparer » un plat que « conformer son esprit ou ses paroles » à un usage (cf. Le Robert,
Dictionnaire historique de la langue française, Paris, 1992). L’emploi polysémique du terme est ici une
parodie discrète du langage imagé de Philaminte et de Bélise.
# Les deux premières répliques de Bélise (v. 521 à 524 et v. 544-548) singent celles de sa belle-sœur
(v. 515-520 et v. 535-541). En effet, leur structure et leur contenu sont semblables. « Pour mettre
incessamment mon oreille au supplice » (v. 516) devient « Il est vrai que l’on sue à souffrir ses discours »
(v. 521). Le mot « rompre » (v. 517) est repris par l’expression mettre en pièces (v. 522). Enfin, comme
Philaminte, Bélise énumère en fin de réplique les fautes commises par Martine, en employant un
vocabulaire plus technique et plus détaché encore des réalités. Si les barbarismes et les solécismes sont,
de fait, caractéristiques du langage populaire, le « pléonasme » et plus encore la « cacophonie » ne
peuvent qualifier l’oralité quotidienne. Cette nuance contribue à mettre en place le caractère
chimérique de Bélise, dont la vie est emplie de figures fictives.
La comparaison des répliques suivantes confirme la subordination de Bélise à la maîtresse de maison.
Le vers 539 (« Le corps, cette guenille, est-il d’une importance […] ? ») est repris par Bélise au vers 546
(« L’esprit doit sur le corps prendre le pas devant »). Toutefois, les reproches d’une sœur (v. 543 : « Le corps
avec l’esprit fait figure, mon frère ») se substituent à ceux d’une épouse (« Et quelle indignité pour ce qui
s’appelle homme / D’être baissé sans cesse aux soins matériels »). Une fois encore, Bélise, toujours
demoiselle, a des propos désincarnés, là où Philaminte parle en connaisseuse d’une vie autre que
spirituelle.
$ L’accumulation de termes concrets énumérés sans détours (v. 526 : « à la cuisine » ; v. 527 : « en
épluchant ses herbes » ; v. 528 : « elle accommode » ; v. 530 : « brûler ma viande », « saler trop mon pot » ;
v. 531 : « bonne soupe » ; v. 532 : « un potage » ; v. 534 : « en cuisine ») va à l’opposé du purisme
précieux et des aspirations spirituelles des interlocutrices de Chrysale. La nourriture est pour lui une
préoccupation majeure, au point qu’elle envahit son discours : « et vous me la chassez pour un maigre
sujet » (v. 514). En bon bourgeois, il révèle combien son embonpoint, menacé par le départ de
Martine, lui tient à cœur. L’idée de maigreur est reprise par la suite : « Ma foi ! si vous songez à nourrir
votre esprit / C’est de viande bien creuse, à ce que chacun dit » (v. 549-550). Parodiant la métaphore
précieuse employée par Bélise qui parle du « suc de la science », Chrysale la ramène à la dimension
triviale des nourritures terrestres.
% Les préoccupations de Chrysale sont essentiellement physiques : « Oui, mon corps est moi-même »
(v. 542). La forte présence du champ lexical de la nourriture et le vers 531 en particulier le
confirment : « Je vis de bonne soupe, et non de beau langage. » La structure antithétique de ce vers, mise
en relief par la coupe à l’hémistiche, souligne l’opposition radicale des époux. Il s’agit ici de définir ce
qui non seulement fait vivre, mais détermine les raisons de vivre. Ainsi, contrairement au proverbe de
Cicéron cité par Valère dans L’Avare (III, 5 : « Il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger »),
Chrysale semble vivre avant tout pour manger. Ce plaisir est de toute évidence le dérivatif des
frustrations imposées par Philaminte. En effet, celle-ci préfère, comme le souligne son époux dans le
vers 531, ce qui est beau à ce qui est bon. Sa femme lui reproche d’être ce corps habité de désirs dont
elle méprise la bassesse (« grossier », « indignité », « être baissé », « guenille »). L’expression « ce qui
s’appelle homme » (v. 536) est employée à double sens. Elle évoque tout aussi bien une humanité qui
devrait « se hausser vers les [soins] spirituels » que les insuffisances de l’engeance masculine. Si les
« femmes savantes » se détournent des plaisirs de la chair, c’est en effet que, tour à tour, les hommes
les déçoivent : le prosaïsme de Chrysale est peu exaltant pour Philaminte, l’impatience de Clitandre
n’est pas à la hauteur des espérances d’Armande et contredit ses promesses enflammées, et Bélise doit
se réfugier dans un univers fictif pour atteindre les sommets de l’idéal amoureux ; toutes trois sont
enfin bernées par celui qu’elles portaient au pinacle : Trissotin.
& Philaminte ne s’adresse à Chrysale qu’au moyen de phrases interrogatives et exclamatives, tant il
l’exaspère. La moindre parole de son mari la hérisse, au point qu’elle l’interrompt (v. 552-553) pour
Réponses aux questions – 16
commenter la forme de ses propos : « Ah ! sollicitude à mon oreille est rude, / Il put étrangement son
ancienneté. » Le vers 553 constitue la seule phrase déclarative prononcée par Philaminte au cours de la
scène. Il ne s’adresse pas à son époux, mais à Bélise, qui prend alors le relais : « Il est vrai que le mot est
bien collet monté. » Cette dernière n’a pas, à l’égard de son frère, les rancœurs d’une épouse ; elle
favorise les tournures déclaratives et tente d’éduquer Chrysale (v. 544-548). La longue tirade de ce
dernier, qui fait mine de s’adresser à une interlocutrice plus mesurée (v. 558 : « C’est à vous que je
parle, ma sœur »), finit par avoir raison de sa modération : « Et de ce même sang se peut-il que je sois ! »
(v. 618). Son indignation pousse Bélise à sortir. Ce personnage n’est pas, comme Philaminte, apte au
conflit. Ainsi, si Bélise tente de faire entendre raison à Chrysale, Philaminte y a renoncé. Elle ne
prend en compte ni son avis, ni sa personne.
' L’emportement soudain de Chrysale contraste avec sa retenue habituelle. En effet, le mépris de
Philaminte à son égard passe les bornes lorsqu’elle l’interrompt pour se livrer avec Bélise à des
considérations linguistiques (v. 552 à 554). Mis hors de lui, il exprime une émotion rendue violente
par des sensations physiques : « Il faut qu’enfin j’éclate », « et décharge ma rate », « et j’ai fort sur le cœur ».
Chrysale semble véritablement souffrir, dans son corps, des brimades qui lui sont infligées. L’assonance
en [a] souligne la force et la nécessité de cet éclat (« j’éclate », « masque », « décharge », « rate »).
( Le subterfuge verbal de Chrysale révèle certes la faiblesse de son caractère, mais il confirme surtout
l’impossibilité de tout dialogue entre les époux. Seul ce détour lui permet de parler sans être
interrompu et de construire dès lors une argumentation posée et pertinente. Bélise n’a pas, comme
nous l’avons vu, un esprit dialectique qui la pousserait à couper la parole à autrui. À travers la tirade
de ce personnage, Molière brosse ainsi un tableau complet des mœurs provinciales : manies de
bourgeoises en quête de reconnaissance (v. 597-598 : « Raisonner est l’emploi de toute ma maison, / Et le
raisonnement en bannit la raison »), ridicules de leurs époux conservateurs (v. 577 à 580 : « Nos pères sur
ce point étaient gens bien sensés, / Qui disaient qu’une femme en sait toujours assez / Quand la capacité de son
esprit se hausse / À connaître un pourpoint d’avec un haut-de-chausse »).
) Par commodité comme par lâcheté, Chrysale adresse explicitement son discours à Bélise : « C’est à
vous que je parle, ma sœur. » La 2e personne du pluriel domine jusqu’au vers 569. Ce « vous », au fil des
vers, devient ambigu et peut tout aussi bien désigner Bélise que Philaminte ou les trois « femmes
savantes ». Ce procédé – plus digne d’un valet face à son maître (cf. Dom Juan, I, 2) que d’un mari face
à sa femme – offre de nombreuses possibilités de mise en scène et de jeu. En effet, dans les
12 premiers vers de cette tirade, Chrysale dresse le tableau de sa maisonnée et, protégé par la formule
conventionnelle du début, peut s’adresser à Philaminte, tout en prétendant ne pas le faire. Elle-même
peut l’écouter sans perdre sa dignité.
À partir du vers 571, Chrysale généralise son propos et se hisse du cas particulier à la vérité générale. Il
emploie une tournure impersonnelle (v. 571 : « Il n’est pas bien honnête »), puis un verbe d’obligation
(v. 576 : « Doit être son étude et sa philosophie »). Le singulier « une femme » (v. 572, 578) lui sert alors
pour désigner l’idéal féminin. Chrysale compare ensuite les femmes du passé à celles des temps
présents : « les leurs », « elles », « leurs filles », « les femmes d’à présent » (v. 579 à 587). Ce passage du
singulier au pluriel, plus concret, marque la différence entre l’idée et la réalité. Cependant, lorsqu’il
s’agit d’évoquer les actes de sa femme, Chrysale n’ose la désigner que par un « on » très équivoque :
« Et Voilà qu’on la chasse avec un grand fracas » (v. 605). Au fil du texte, Chrysale, comme grisé par la
liberté de parole qui lui est donnée, prend de l’assurance, mais il finit naturellement par revenir aux
réalités de sa vie quotidienne, comme le montre la réapparition du « vous » initial (v. 595, 601, 611).
*+ Bélise semble s’entourer d’une foule d’objets : « vos livres », « tout ce meuble », « Cette longue
lunette », « cent brimborions ». Leur multiplicité envahit l’espace, comme le soulignent les qualificatifs
qui leur sont associés : « éternels », « inutile », « à faire peur aux gens », « dont l’aspect importune ». Ainsi,
la demeure de Chrysale est-elle dénaturée : Bélise y vit dans un autre univers. Son frère lui conseille
donc de changer d’attitude : « Vous devriez […] / Ne point aller chercher ce qu’on fait dans la Lune / Et
vous mêler un peu de ce qu’on fait chez vous, / Où nous voyons aller tout sens dessus dessous » (v. 563-570).
Ces remarques donnent l’image de sa folie : détachée des réalités, elle vit entourée d’abstractions
matérialisées par une multitude d’ustensiles. La mise en scène de Jean-Paul Roussillon et plus encore
celle de Simon Eine s’inspirent de ce passage et montrent une Bélise flottante qui traverse l’espace
scénique en déplaçant, sans nécessité apparente, divers engins. Cependant, Chrysale décrit tout aussi
bien le caractère de sa femme : « Le moindre solécisme en parlant vous irrite » (v. 559). D’ailleurs, la
Les Femmes savantes – 17
remarque inspirée de Furetière (v. 561-562 : « Vos livres éternels ne me contentent pas, / Et hors un gros
Plutarque à mettre mes rabats ») est celle d’un mari à son épouse. Pour ce bourgeois, l’instruction
féminine est dangereuse. Elle bouleverse l’ordre établi en éloignant les femmes des réalités
domestiques et des devoirs de la conjugalité.
*, Chrysale est un conservateur. Les nouveautés de son époque, qui lui semblent immorales, sont
exprimées au subjonctif présent, régi par une principale négative : « Il n’est pas bien honnête […] qu’une
femme étudie et sache tant de choses. » L’indicatif présent du verbe être exprime dans la proposition
principale aussi bien une actualité (rejetée par la négation) qu’une vérité générale, que Chrysale
souhaiterait remettre au goût du jour. La valeur du verbe devoir (v. 576 : « doit ») est la même.
En revanche, le modèle révolu évoqué à partir du vers 577 correspond au mode de vie qui plairait à
ce « bon père de famille ». L’imparfait de l’indicatif domine alors : « étaient », « qui disaient », « ne
lisaient point », « vivaient bien », « travaillaient ». Le savoir limité des femmes est exprimé dans ce
passage à l’indicatif présent (« sait », « se hausse à connaître ») qui se substitue au subjonctif présent du
passage précédent (« sache », « étudie »). Ainsi, l’étude des temps et des modes montre à quel point rien
des mœurs de son époque ne convient à Chrysale.
*- Contrairement à ses deux interlocutrices, Chrysale emploie abondamment la 1re personne du
singulier, sous toutes ses formes : « vous me la chassez » (v. 514) ; « J’aime bien mieux, pour moi »
(v. 527). Cet égocentrisme est associé à des préoccupations culinaires : « brûler ma viande », « saler trop
mon pot » (v. 530). Ces considérations bourgeoises reposent sur une conception du mariage qui
accorde la primauté à la satisfaction des désirs masculins. De même, à la fin de la tirade qu’il consacre
aux femmes, la 1re personne du singulier réapparaît. Le souci de son confort et de sa tranquillité
l’emporte sur les principes et les belles idées : « On ne sait comme va mon pot, dont j’ai besoin » (v. 594) ;
« L’un me brûle mon rôt en lisant quelque histoire » (v. 599). Chrysale ne peut s’empêcher de revenir, de
manière obsessionnelle, aux petitesses que lui reproche son épouse et songe avant tout à lui-même.
*. Aux yeux de Chrysale, sa maisonnée va « sens dessus dessous » (v. 570). Les nombreuses antithèses
auxquelles il recourt pour dépeindre l’univers agité dans lequel il se voit forcé de vivre le confirment :
« Et l’on sait tout » / « ce qu’il faut savoir » (v. 590) ; « ce vain savoir » / « on ne sait », « si loin » / « dont
j’ai besoin » (v. 593-594). La construction chiasmatique des vers 599-600 met en relief cette
confusion : « L’un me brûle mon rôt [A] en lisant quelque histoire [B] / L’autre rêve à des vers [B] quand je
demande à boire [A] ». L’attitude incongrue des valets comme des membres de sa famille lui fait perdre
tous ses repères. Le sens commun est mis à rude épreuve, tant la nature des choses et des personnes
devient étrange : « Les secrets les plus hauts s’y laissent concevoir » (v. 589) ; « Et tous ne font rien moins que
ce qu’ils ont à faire » (v. 596) ; « Et le raisonnement en bannit la raison » (v. 598) ; « Et j’ai des serviteurs, et
ne suis point servi » (v. 602). Cette accumulation de paradoxes insiste sur le désarroi d’un personnage
épris d’ordre et de tranquillité.
*/ Malgré ses ressentiments, Chrysale, qui craint d’irriter son épouse, continue de se prémunir contre
elle : « Je vous le dis, ma sœur, tout ce train-là me blesse, / (Car c’est, comme j’ai dit, à vous que je m’adresse) »
(v. 607-608). Pourtant, l’accord du participe passé « tympanisées » (v. 611) confirme que les griefs
énumérés tout au long de la tirade concernent également Philaminte. Chrysale profite donc des
ambiguïtés (orales) de la langue française pour dire ce qu’il pense, tout en ne le disant pas. Par ailleurs,
le vers 613, qui concerne Trissotin, est à double tranchant : « On cherche ce qu’il dit après qu’il a parlé. »
Cette difficulté de compréhension peut aussi bien révéler l’obscurité du langage de Trissotin que les
limites de l’entendement de Chrysale.
Finalement, le manque d’assurance de son mari laisse le champ libre à Philaminte. Elle ne manquera
pas de l’occuper avec la plus grande assurance dès la scène suivante, après le départ de l’inoffensive
Bélise.
*0 La scène commence par le constat de la victoire de Philaminte : « Vous êtes satisfaite, et la voilà
partie. » L’emportement de Chrysale ne se manifeste qu’après le renvoi de Martine. L’enjeu est donc
avant tout pour lui de « décharger sa rate ». Il ne cherche pas réellement à obtenir le retour en grâce de
sa servante. Ses paroles ne modifient en rien la situation : Philaminte ne l’écoute pas véritablement, et
Bélise fuit plutôt que de lui répondre. La mise en scène de Jean-Paul Roussillon met en relief cette
absence de dialogue : Chrysale parle, assis dans son fauteuil, tandis que les deux femmes vaquent à
diverses occupations, sans l’écouter. Ainsi, faute d’enjeu, personne ne l’emporte à l’issue de cette
scène, qui ne modifie pas la situation dramatique.
Réponses aux questions – 18
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 59 à 68)
Examen des textes
! Le vocabulaire employé par Antoine Furetière (« s’insinuent », « se glissent », « avant qu’on puisse »)
dans le premier paragraphe souligne le caractère pernicieux du roman pastoral. En effet, son
« naturel », en favorisant l’identification, fait perdre toute distance au lecteur. L’auteur compare ainsi
L’Astrée à un poison dangereux : « où il se glisse un venin imperceptible qui a gagné le cœur avant qu’on
puisse avoir pris du contrepoison ». La polysémie du mot cœur (organe vital, siège des sentiments) permet
de filer la métaphore. Javotte est dépourvue de tout esprit critique en raison des défauts de son
éducation. Elle est dès lors incapable, face à de telles lectures, d’en analyser le fonctionnement et
s’offre en victime naïve à une fantasmagorie amoureuse qu’elle confond avec la réalité, au risque de se
perdre. La dépravation des mœurs et des jeunes filles vient donc davantage des principes étriqués de
l’éducation bourgeoise que de la littérature précieuse en elle-même.
" L’instruction, d’après Fénelon, loin d’exciter la curiosité, la tempère. Cette vision des choses est
surprenante pour le pédagogue d’aujourd’hui dont l’un des principaux objectifs est, a contrario, d’éveiller
cette même curiosité. Toutefois, Fénelon sait que la privation suscite le désir : « Faute d’aliment solide, leur
curiosité se tourne toute en ardeur vers les objets vains et dangereux. » L’instruction, à ses yeux, doit être
assujettie à des visées morales qui lui sont nécessairement associées. Ainsi, celle des jeunes filles n’est
profitable et saine que si elle bride leurs penchants pour le savoir, source d’indépendance et
d’émancipation. Fénelon se montre là plus fin pédagogue qu’Arnolphe, dans L’École des femmes.
Il peut d’ailleurs être intéressant de proposer un rapprochement avec la scène 2 de l’acte III de cette comédie.
L’excès d’Arnolphe contraste avec le goût de Fénelon pour ce qui est « médiocre », c’est-à-dire mesuré :
« AGNÈS lit.
LES MAXIMES DU MARIAGE
OU LES DEVOIRS DE LA FEMME MARIÉE,
avec son exercice journalier.
Ire MAXIME
Celle qu’un lien honnête
Fait entrer au lit d’autrui
Doit se mettre dans la tête,
Malgré le train d’aujourd’hui,
Que l’homme qui la prend ne la prend que pour lui.
ARNOLPHE
Je vous expliquerai ce que cela veut dire.
Mais, pour l’heure présente, il ne faut rien que lire.
AGNÈS poursuit.
IIe MAXIME
Elle ne se doit parer
Qu’autant que peut désirer
Le mari qui la possède :
C’est lui que touche seul le soin de sa beauté ;
Et pour rien doit être compté
Que les autres la trouvent laide.
IIIe MAXIME
Loin ces études d’œillades,
Ces eaux, ces blancs, ces pommades,
Et mille ingrédients qui font des teints fleuris :
À l’honneur tous les jours ce sont drogues mortelles ;
Et les soins de paraître belles
Se prennent peu pour les maris.
Les Femmes savantes – 19
IVe MAXIME
Sous sa coiffe, en sortant, comme l’honneur l’ordonne,
Il faut que de ses yeux elle étouffe les coups ;
Car pour bien plaire à son époux,
Elle ne doit plaire à personne.
Ve MAXIME
Hors ceux dont au mari la visite se rend,
La bonne règle défend
De recevoir aucune âme :
Ceux qui, de galante humeur,
N’ont affaire qu’à Madame
N’accommodent pas Monsieur.
VIe MAXIME
Il faut des présents des hommes
Qu’elle se défende bien ;
Car dans le siècle où nous sommes,
On ne donne rien pour rien.
VIIe MAXIME
Dans ses meubles, dût-elle en avoir de l’ennui,
Il ne faut écritoire, encre, papier, ni plumes :
Le mari doit, dans les bonnes coutumes,
Écrire tout ce qui s’écrit chez lui.
VIIIe MAXIME
Ces sociétés déréglées,
Qu’on nomme belles assemblées,
Des femmes tous les jours corrompent les esprits :
En bonne politique on les doit interdire ;
Car c’est là que l’on conspire
Contre les pauvres maris.
IXe MAXIME
Toute femme qui veut à l’honneur se vouer
Doit se défendre de jouer,
Comme d’une chose funeste :
Car le jeu, fort décevant,
Pousse une femme souvent
À jouer de tout son reste.
Xe MAXIME
Des promenades du temps,
Ou repas qu’on donne aux champs
Il ne faut pas qu’elle essaye :
Selon les prudents cerveaux,
Le mari dans ces cadeaux
Est toujours celui qui paye.
XIe MAXIME...
ARNOLPHE
Vous achèverez seule ; et, pas à pas, tantôt
Je vous expliquerai ces choses comme il faut.
Réponses aux questions – 20
Je me suis souvenu d’une petite affaire :
Je n’ai qu’un mot à dire, et ne tarderai guère.
Rentrez, et conservez ce livre chèrement.
Si le notaire vient, qu’il m’attende un moment. »
Molière, L’École des femmes, acte III, scène 2.
# Le Discours sur le bonheur d’Émilie du Châtelet présente un caractère didactique. En effet, les
formules impersonnelles et les verbes d’obligation, employés au présent de vérité générale, abondent :
« doit », « il faut », « il est certain que », « il est sûr que ». Les adverbes renforcent ces indices de
certitude : « toujours », « entièrement ». Cependant, la fermeté de ces formules est adoucie par le
recours à la 1re personne du singulier, qui renvoie constamment à l’expérience personnelle associée au
souci du bonheur des autres : « Je ne parle pas ici […] je crois […] notre bonheur ».
Toutefois, lorsqu’il s’agit plus précisément du sort des femmes et du sien en particulier, la pudeur et le
souci de sa dignité poussent l’auteur à éviter la 1re personne, trop explicite et trop directe : « les femmes
sont exclues ». Pour évoquer son cas personnel, Mme du Châtelet emploie un pronom indéfini : « Et
quand, par hasard, il s’en trouve quelqu’une […]. » Les adverbes et les tournures verbales se font alors
moins péremptoires et plus désabusés : « par hasard, il ne lui reste que ».
Ainsi, tout en cherchant à donner une leçon de bonheur, Mme du Châtelet laisse percevoir les
blessures intimes d’une personne de talent, que la condition réservée aux femmes a contrainte à
mesurer son ambition.
$ Ce catalogue de personnages et de situations stéréotypés évoque le Dictionnaire des idées reçues.
L’expression « Ce n’étaient que » montre l’inanité de ces romans, truffés de clichés, au détriment de
toute inventivité, tant stylistique que thématique. L’omniprésence du pluriel met en relief le caractère
systématique de ces recettes littéraires. Les superlatifs et les hyperboles dénoncent les facilités d’une
telle écriture, qui ressemble à un déversoir de poncifs : « tous les relais », « toutes les pages », « comme on
ne l’est pas », « toujours bien mis ». Tout en raillant ces romans, Flaubert en parodie les tics. Les
comparaisons contribuent également à ridiculiser ce type de littérature ; en déshumanisant les héros
évoqués, elles en font de véritables pantins : « comme des lions », « comme des agneaux », « comme des
urnes ». Animalisés ou réifiés, les personnages deviennent grotesques.
% La « lectrice rêveuse » de Daumier occupe à elle seule les deux tiers de la gravure. La présence à ses
pieds de petits personnages nés de son imagination donne l’impression qu’elle est une géante
contemplant des Lilliputiens. Pourtant, en comparaison de la taille des arbres et de celle des
personnages qui occupent l’arrière-plan droit, ses proportions sont normales. Perdue dans le plaisir de
sa lecture – que suggère son sourire serein, la position inclinée du buste et du visage, ainsi que
l’abandon du bras droit –, elle oublie le reste du monde et se sent elle-même habitée par un univers
qui la transcende et la grandit. Daumier ne semble pas tant railler la lectrice que les thèmes
romanesques du roman dans lequel elle s’évade : un homme agenouillé implorant une jeune femme,
deux duellistes s’affrontant pour une belle évanouie dans les bras de l’un d’eux. Tout ce petit monde
– personnages et lectrice – ignore la réalité, reléguée à l’arrière-plan : une femme, assise devant une
carriole arrêtée, y tourne le dos à un homme qui semble vouloir lui parler. La banalité et le statisme
de cette scène s’opposent aux mouvements et à l’exaltation des êtres fictifs du premier plan.
Cette gravure pourrait illustrer l’extrait étudié dans la question précédente (texte E), tant les clichés
mélodramatiques représentés par Daumier rappellent les personnages et les situations évoqués par
l’auteur de Madame Bovary.
& Au début et à la fin de cet extrait du Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir insiste sur les difficultés
auxquelles se heurte l’émancipation des jeunes filles. Chaque argument en faveur de cette libération est
associé à un obstacle qui la freine, comme le montre l’emploi des connecteurs d’opposition, dès le constat
initial : « il devient possible au lieu de s’en remettre à l’homme ». Toutefois, l’auteur démontre que ce qui
« devient possible » ne se traduit pas si aisément dans les faits, tant les mentalités sont conditionnées :
« Cependant, elle a beaucoup plus de difficultés », « En outre, même si elle choisit l’indépendance ». Les jeunes filles
sont ainsi constamment divisées entre leurs aspirations et les règles de vie que leur impose la société.
L’emploi du mot « cependant » dans la dernière phrase du texte perd son caractère d’opposition pour revêtir
une connotation temporelle (« pendant ce temps »), qui montre à quel point la « pression sociale » est pesante :
la jeune fille n’est plus, en fin de compte, tiraillée entre des intérêts contradictoires, mais laminée par le poids
des habitudes, de l’éducation et des conventions, que l’instruction seule n’a pas encore suffi à compenser.
Les Femmes savantes – 21
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Les cinq textes présentés dans le corpus sont représentatifs de l’évolution des mentalités du XVIIe au
XXe siècle. Aucun des auteurs ne s’oppose à l’instruction féminine ; au contraire, tous constatent les dégâts
causés par son absence : « Il ne faut donc pas s’étonner si Javotte, qui avait été élevée dans l’obscurité, […] tomba
dans ce piège » (Furetière) ; « les filles mal instruites et inappliquées ont une imagination toujours errante »
(Fénelon) ; « Il est certain que l’amour de l’étude est bien moins nécessaire au bonheur des hommes qu’à celui des
femmes » (Mme du Châtelet) ; « Pendant six mois, à quinze ans, Emma se graissa donc les mains à cette poussière
des vieux cabinets de lecture » (Flaubert) ; « les rêveries de la femme sont orientées tout autrement : […] elle n’accordera
que le strict nécessaire à ses études, à sa carrière alors qu’en ces domaines rien n’est aussi nécessaire que le superflu »
(Simone de Beauvoir). Ainsi, chacun s’accorde à reconnaître que l’instruction évite à la femme de se perdre
en vaines rêveries. En revanche, selon l’époque et surtout selon le sexe des auteurs, les objectifs diffèrent.
Pour Furetière comme pour Fénelon, seule l’instruction garantit la résistance des jeunes filles à l’influence
des lectures romanesques : « Il arrive la même chose pour la lecture : si elle a été interdite à une fille curieuse, elle s’y
jettera à corps perdu, et ce sera d’autant plus en danger que, prenant les livres sans choix et sans discrétion, elle en pourra
trouver quelqu’un qui lui corrompra l’esprit » (Furetière) ; « Une pauvre fille, pleine du tendre et du merveilleux qui
l’ont charmée dans ses lectures, est étonnée de ne trouver point dans le monde de vrais personnages qui ressemblent à ces
héros […]. Quel dégoût pour elles, de descendre de l’héroïsme jusqu’au plus bas détail du ménage ! » (Fénelon).
L’instruction féminine doit donc éviter aux jeunes filles les rêveries illusoires pour les préparer à accepter
leur destinée de bonnes maîtresses de maison.
Flaubert constate, comme ses prédécesseurs, les désastres engendrés dans l’esprit d’Emma et de ses
congénères peu instruites par la lecture de romans d’amour et d’aventures stéréotypés, mais ne porte
pas de jugement moral sur le chemin à suivre. Le sort d’Emma et ses désillusions en ménage illustrent
bien cependant les analyses de Furetière et de Fénelon.
Pour Émilie du Châtelet comme pour Simone de Beauvoir, il en va tout autrement. L’instruction et
le goût des études assurent à la femme son émancipation du pouvoir masculin, et par là son bonheur
et son indépendance : « et quand, par hasard, il s’en trouve quelqu’une qui est née avec une âme assez élevée,
il ne lui reste que l’étude pour la consoler de toutes les exclusions et de toutes les dépendances auxquelles elle se
trouve condamnée par état » (Émilie du Châtelet) ; « Si elle est absorbée par des études, […] elle s’affranchit de
l’obsession du mâle » (Simone de Beauvoir). Le ton diffère, car la condition féminine est bien plus
pénible au XVIIIe siècle, mais l’idée est la même.
Commentaire
Introduction
Le chapitre VI de la première partie de Madame Bovary est entièrement consacré à la vie d’Emma au
couvent. La première phrase (« Elle avait lu Paul et Virginie ») initie une entreprise de démystification,
voire d’éducation, du lecteur. Emma subit l’influence de la littérature romantique sans qu’une
instruction digne de ce nom l’aide à maîtriser ses exaltations à la fois romanesques et mystiques. Au
contraire, l’imagerie et les métaphores religieuses les favorisent : « Les comparaisons de fiancé, d’époux,
d’amant céleste et de mariage éternel qui reviennent dans les sermons lui soulevaient au fond de l’âme des douceurs
inattendues. » Ainsi, l’ironie de Flaubert sert-elle la description à la fois onirique et réaliste d’un univers
clos tout en mettant en place une véritable satire du romantisme.
1. La description onirique et réaliste d’un univers clos
A. La vieille demoiselle : un personnage de conte de fées
• « Il y avait au couvent » rappelle la formule conventionnelle Il était une fois.
• La demoiselle vient des temps passés (« appartenant à une ancienne famille de gentilshommes ruinés sous la
Révolution ») et se situe à l’écart de la collectivité (« avant de remonter à son ouvrage », « les pensionnaires
s’échappaient de l’étude pour l’aller voir »).
• Les livres « qu’elle avait toujours dans son tablier » font figure d’objets magiques.
B. Une description réaliste : une vieille lingère
• Précision des indices temporels (« tous les mois, pendant huit jours », « Pendant six mois, à quinze ans »).
• Prosaïsme des détails (« elle mangeait au réfectoire », « tout en poussant son aiguille »).
• Familiarité de l’expression (« un petit bout de causette »).
Réponses aux questions – 22
C. Une métaphore de l’enfermement mental
• Ce lieu clos est détaché des réalités extérieures : « protégée », « s’échappait ».
• La vieille demoiselle est, pour les pensionnaires, le seul lien avec le monde (« contait des histoires, vous
apprenait des nouvelles, faisait en ville vos commissions »). Or ce personnage est une « vieille fille » qui se
nourrit principalement de lectures (« elle avalait de longs chapitres »). Elle transmet aux jeunes filles ses
égarements d’autant plus aisément que son rôle est clandestin (« Elle savait par cœur des chansons galantes
du siècle passé, qu’elle chantait à demi-voix », « et prêtait aux grandes, en cachette, quelque roman »).
2. Une satire du romantisme
A. Un dictionnaire des idées reçues
• Accumulation de formules toutes faites (« pavillons solitaires », « messieurs braves comme des lions, doux
comme des agneaux »).
• Accumulation de situations stéréotypées (« Ce n’étaient qu’amours, amants, amantes, dames persécutées
s’évanouissant dans des pavillons solitaires, postillons qu’on tue à tous les relais, chevaux qu’on crève à toutes les
pages, forêts sombres, troubles du cœur, serments, sanglots, larmes et baisers, nacelles au clair de lune, rossignols
dans les bosquets » ; « elle aurait voulu vivre dans quelque vieux manoir »)
B. Le recours à l’ironie
• Les héros sont rendus grotesques par des métaphores qui en font à la fois des animaux et des objets
(« lions », « agneaux », « urnes »).
• La polysémie de l’expression « vertueux comme on ne l’est pas » souligne l’outrance des caractères.
• Le parallélisme dans la phrase « postillons qu’on tue à tous les relais, chevaux qu’on crève à toutes les pages »
suggère un zeugma (tuer est relayé par crever : on tue les postillons à tous les relais et à toutes les pages)
et souligne la confusion entre rêve et réalité tout en dénonçant la facilité des effets.
• Dans « elle s’éprit de choses historiques, rêva bahuts », l’emploi incongru de termes amoureux rend
dérisoires les émois du personnage.
C. Le pastiche des tics d’écriture
• Accumulations (« forêts sombres, troubles du cœur, serments, sanglots, larmes et baisers »).
• Pluriels systématiques (cf. question 4).
• Hyperboles (« des vénérations enthousiastes », « femmes illustres »).
Conclusion
En parodiant les outrances du romantisme, Flaubert en démantèle les recettes et le démystifie. Le
lecteur, mis en position d’observer deux personnages de lectrices (la lingère, vieille rêveuse privée de
vie réelle, et la toute jeune Emma en passe de l’imiter), est amené à s’interroger à la fois sur ce qu’est
l’écriture, sur sa position de lecteur et sur le lien qu’entretiennent la lecture et l’instruction.
Dissertation
Introduction
L’accès à l’instruction est inéquitable, car il dépend de l’époque, du pays et du milieu social. Il
représente, pour Mme du Châtelet, au XVIIIe siècle, la seule voie vers l’indépendance. Qu’entend-elle
par là ? Les soucis financiers sont étrangers à cette dame de la noblesse (« Je n’écris que pour ce qu’on
appelle les gens du monde, c’est-à-dire pour ceux qui sont nés avec une fortune toute faite ») ; il s’agit donc
d’une liberté affective, la condition essentielle du bonheur étant, selon elle, d’échapper à la mainmise
des autres sur soi-même.
La question du rapport à l’instruction, à travers le regard de Molière, se pose tout autrement pour les
personnages des Femmes savantes : leur amour de l’étude, apparemment facteur de liberté, n’est-il pas
en réalité une nouvelle forme d’aliénation ? Au contraire, on peut se demander si les jeunes gens et les
jeunes filles ont encore la liberté aujourd’hui de s’y adonner par goût.
1. Développement de la thèse de Mme du Châtelet :
la passion de l’étude comme source de bonheur
A. La passion (du latin patior, « subir, souffrir ») est une aliénation
• Seule la passion du savoir est libératrice et enrichissante. Mme du Châtelet se console ainsi de ses
tourments amoureux : « [or moins notre bonheur dépend des autres] et plus il nous est aisé d’être heureux ».
Les Femmes savantes – 23
• Pour les femmes, d’après Simone de Beauvoir, une puissante passion des études offre un chemin
privilégié vers l’accomplissement de soi : « on s’étonne souvent de voir avec quelle facilité une femme peut
abandonner musique, études, métier, dès qu’elle a trouvé un mari ; c’est qu’elle avait engagé trop peu d’elle-même
dans ses projets ».
B. Le goût de l’étude est un moyen d’échapper à la médiocrité du quotidien
• Julien Sorel (Le Rouge et le Noir) tente d’échapper ainsi aux pesanteurs familiales et sociales.
• Bélise trouve dans la science un moyen de transfigurer le réel. Son exaltation est telle, par exemple,
qu’elle trouve matière à réflexion sur la grammaire latine dans les piètres vers de Trissotin (v. 839 :
« Voilà qui se décline : ma rente, de ma rente, à ma rente »).
• Le savoir devient un dérivatif qui permet de vivre autrement des plaisirs que la vie n’accorde pas.
2. Les « femmes savantes » : un rapport faussé au savoir
A. Du XVIIe au XVIIIe siècle, pour les femmes de la bourgeoisie ou de la noblesse, les salons étaient bien souvent le
seul moyen de voir leurs talents reconnus. La bienséance cependant les contraignait à ne pas faire étalage de leur
savoir, qu’elles mettaient en réalité au service des hommes qui venaient briller chez elles.
B. L’amour de l’étude n’est pas libérateur lorsqu’il est subordonné avant tout au jugement d’une société souvent
superficielle, guidée par divers intérêts. Se donnant en spectacle, Philaminte, Bélise et Armande cherchent une
reconnaissance sociale… du côté des hommes (Trissotin, Vadius).
3. Instruction utilitaire et amour de l’étude
A. L’instruction utilitaire, subordonnée à la nécessité d’avoir un métier, ne libère pas
• Diversifié et cloisonné par les spécialisations, le savoir n’est pas un objectif en soi, mais se voit réduit
au rang d’outil de promotion sociale.
• Nombre d’élèves et d’étudiants choisissent aujourd’hui leurs études en fonction des débouchés
qu’elles offrent, par pragmatisme plutôt que par goût.
B. Le goût du savoir, quand il existe, est parfois factice, purement spectaculaire
L’encyclopédisme des candidats aux jeux télévisés, par exemple, tient davantage de la performance
gratuite que d’une réflexion féconde.
Conclusion
L’amour de l’étude, dans le sens où l’entend Mme du Châtelet, reste donc, comme elle le soulignait,
un luxe. C’est à cette seule condition, sans doute, qu’il devient susceptible d’être une source de
bonheur. Si Molière dénonce le goût du savoir de ses personnages, c’est que, faussé par une nouvelle
forme d’aliénation, il n’est qu’une manie.
Écriture d’invention
Un tel devoir doit rendre compte d’une lecture pertinente du texte de Fénelon et des Femmes savantes.
Ainsi Philaminte et son interlocuteur s’entendent-ils sur la nécessité d’instruire les jeunes filles. D’un
point de vue dramaturgique, cela peut faire l’objet, dans une première partie, d’un quiproquo, chacun
s’extasiant sur les bienfaits d’une telle éducation.
Cependant, tous deux s’opposent sur l’ampleur et la nature de l’enseignement qui leur est dispensé,
l’objectif de l’un et de l’autre étant différent. Philaminte cherche, en effet, à affranchir les femmes des
petitesses et des contraintes de la vie conjugale, tandis que Fénelon entend y préparer les jeunes
demoiselles. Ainsi, le quiproquo se dissipe-t-il peu à peu, laissant place à la suspicion, puis à la franche
querelle.
A c t e
I I I ,
s c è n e
3
( p p .
9 1
à
9 8 )
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 99-100)
Sa connaissance du grec fait de Vadius, aux yeux des trois savantes, un hôte d’exception. Trissotin,
très fier de le produire devant elles, entend en tirer profit et retarde cette révélation. Usant d’abord de
formules vagues pour laisser entendre qu’il s’agit d’un visiteur de choix, il prend plaisir à faire languir
ses interlocutrices (v. 939 : « Il peut tenir son coin parmi de beaux esprits »). La flatterie mondaine et
!
Réponses aux questions – 24
formelle de Philaminte (v. 940 : « La main qui le présente en dit assez le prix ») prend une valeur toute
autre dès que le mot crucial a été prononcé : son prix – il est helléniste – dit assez celui de la main qui
le présente ! Ces préliminaires contribuent à mettre en relief le mot « grec », qui sera répété par la suite
à 11 reprises, comme si les personnages s’en gargarisaient. Molière recourt donc largement dans ce
passage au comique de répétition. Philaminte, initiatrice de cette extase verbale, prononce tout
d’abord ce terme trois fois en un seul vers : « Du grec, ô Ciel ! du grec ! Il sait du grec, ma sœur ! »
(v. 943). Le mot est mis ici en relief par sa place en début de vers et à l’hémistiche, ainsi que par la
ponctuation (point d’exclamation, virgule). De même, dans les vers suivants (v. 944 – 2 fois –, 945 à
948, 952), ce vocable monosyllabique est phonétiquement accentué par des positions privilégiées dans
le vers. La prosodie offre ainsi aux comédiens la possibilité de souligner aisément ce procédé comique.
" Tous les personnages sont vains et ridicules dans ce passage, mais Vadius l’emporte sur les autres en
fatuité. En effet, encensé pour sa connaissance du grec, il se montre bien éloigné des modèles antiques
auxquels il se réfère : « Et d’un Grec là-dessus je suis le sentiment » (v. 964). Il reproche aux auteurs
décriés par cet auteur grec ce qu’il s’apprête à faire lui-même. Brossant le portrait des fâcheux, il fait
en réalité son autoportrait : « Je crains d’être fâcheux » (v. 949), « Le défaut des auteurs » (v. 955),
« tyranniser » (v. 956), « vers fatigants lecteurs infatigables » (v. 958), « gueuser des encens » (v. 960), « les
martyrs de ses veilles » (v. 962), « fol entêtement » (v. 963). Molière réussit ici le tour de force de mettre
dans la bouche même de Vadius – alias Ménage – une satire sans concession des auteurs mondains. Ce
procédé comique fait de Vadius un personnage farcesque, benêt qui se berne lui-même.
# À la fin de la scène, alors que la querelle est à son comble, Molière inflige à Cotin et à Ménage un
ultime outrage en mettant dans la bouche des personnages qui les représentent un hommage à leur
ennemi déclaré : Boileau. En effet, Vadius, à cours d’arguments, y fait allusion le premier : « Oui, oui,
je te renvoie à l’auteur des Satires » (v. 1026). Ils finissent tous deux par se glorifier d’avoir été attaqués
par Boileau, comme si c’était un gage de notoriété (un prix littéraire). Ainsi, comme au début,
lorsque Vadius, croyant faire le portrait d’autrui, se dépeint lui-même, ces deux personnages ont des
propos si fallacieux qu’ils se retournent absurdement contre eux-mêmes et valorisent leurs
adversaires : « J’ai le contentement / Qu’on voit qu’il m’a traité plus honorablement » (v. 1027-1028) ; « un
rang plus honorable » (v. 1033) ; « Et ne t’a jamais fait l’honneur de redoubler » (v. 1036) ; « comme un noble
adversaire » (v. 1037). Le véritable sens de leurs paroles échappe à ces deux fats, tant ils sont obnubilés
par leur propre image. Cette joute verbale devient ainsi, malgré eux, un éloge paradoxal : croyant
déstabiliser leur contradicteur immédiat, ils font l’apologie de celui qui a le mieux démontré leur
inanité.
$ Les trois femmes, flattées de recevoir des hommes qu’elles supposent brillants, souhaitent se
montrer à la hauteur et être reconnues : « Faisons bien les honneurs au moins de notre esprit » (v. 932).
Elles n’en auront pas l’occasion. Les deux hommes, en effet, cherchent en elles des admiratrices. Elles
les encensent d’ailleurs très volontiers et à l’unisson, dans le premier quart de la scène. Cet
enthousiasme naïf exprime une soif de connaissances authentique, qui les rend plus sympathiques que
les deux pédants. Par la suite, Trissotin et Vadius se montrent, en effet, véritablement grossiers à leur
égard : ne leur prêtant plus la moindre attention, ils monopolisent la parole. Chacun souhaite plus que
tout lire ses vers et obtenir des louanges (v. 967-968 : « Voici de petits vers pour de jeunes amants, / Sur
quoi je voudrais bien avoir vos sentiments » ; v. 988-989 : « Avez-vous vu certain petit sonnet / Sur la fièvre
qui tient la princesse Uranie ? »). Ainsi l’enjeu n’est-il pas le même pour les hommes et les femmes,
subordonnées ici, sans s’en rendre compte, à une nouvelle forme de domination masculine.
% Les répliques de Trissotin et de Vadius se répondent deux à deux. Trissotin prend l’initiative des
compliments, que Vadius reformule ensuite. La structure syntaxique de ces binômes varie légèrement,
tandis que leur fond diffère à peine. Ainsi « des beautés » deviennent « Les Grâces et Vénus » (v. 969970) ; « le tour libre, et le beau choix des mots » sont relayés par « l’ithos et le pathos » (v. 971-972) ; aux
« églogues » correspondent les « odes », tandis que « Horace » répond à « Théocrite et Virgile » (v. 973 à
976). Le même procédé se poursuit jusqu’au vers 986. Cet échange de louanges, qui évoque les jeux
mondains pratiqués dans les salons, est un échauffement qui prépare le véritable combat. Trissotin, de
manière apparemment plaisante, défie Vadius qui, mis à l’épreuve, doit trouver du tac au tac une
variation sur le thème lancé par son interlocuteur.
& Trissotin et Vadius sont deux pédants quasiment interchangeables : leur langage est truffé de
références antiques, et tous deux pratiquent la poésie galante et fréquentent les salons. Trissotin
Les Femmes savantes – 25
occupe cependant une place plus importante dans la pièce, à la mesure des flèches que Molière
décoche contre l’abbé Cottin. Ainsi Trissotin est-il dans cette scène plus agressif que Vadius ; dans la
première joute verbale, apparemment amicale, comme dans la querelle qui suit, c’est lui qui prend
l’initiative et envenime le conflit que Vadius tente au contraire d’apaiser : « Il faut qu’en écoutant j’aie
eu l’esprit distrait, / Ou bien que le lecteur m’ait gâté le sonnet. » Vadius est donc plus inoffensif que son
comparse, qui, outre son pédantisme, est un intrigant.
' Absorbés par leur différend, Trissotin et Vadius se font moins policés. Oubliant la présence des
dames, ils révèlent leur naturel grossier. Des vers 1006 à 1018, les références savantes disparaissent ; le
langage devient de plus en plus rudimentaire, dans la syntaxe comme dans le vocabulaire. Trissotin se
montre particulièrement agressif, Vadius ne faisant que se défendre. En effet, le premier prend
systématiquement l’initiative de l’insulte : « La ballade […] est une chose fade. / […] elle sent son vieux
temps » (v. 1006-1007) ; « pour les pédants » (v. 1011) ; « sottement » (v. 1013) ; « petit grimaud,
barbouilleur de papier » (v. 1015) ; « fripier d’écrits, impudent plagiaire » (v. 1017). Vadius fait preuve d’un
caractère moins offensif et moins inventif également, puisque, comme dans la précédente joute
verbale, il finit par imiter la formulation de son adversaire, se contentant de variations sur le même
thème (v. 1013 à 1017). Ainsi « sottement » est-il repris par « impertinemment » (v. 1013-1014) et « petit
grimaud » par « rimeur de balle », tandis que « barbouilleur de papier » devient dans sa bouche « opprobre du
métier ». Ces échanges vers à vers rappellent en les parodiant les stichomythies des agôns tragiques.
( L’intervention de Philaminte n’apaise pas la querelle. Elle ramène cependant un tant soit peu les
antagonistes aux règles de la bienséance. Le langage, qui commençait à devenir véritablement trop
direct (v. 1018 : « Allez, cuistre… »), se fait dès lors plus raffiné. En effet, se souvenant de la nécessité
de ne pas déplaire en public, Trissotin et Vadius rivalisent à nouveau de références antiques : « les
Grecs et les Latins » (v. 1020), « au Parnasse » (v. 1021), « Horace » (v. 1022). Le souci plus trivial de
leur réputation aux yeux des contemporains prend cependant très vite le pas sur l’Antiquité : « de ton
livre et de son peu de bruit » (v. 1024), « ton libraire à l’hôpital réduit » (v. 1024), « Ma gloire est établie »
(v. 1025), « l’auteur des Satires » (v. 1026). Philaminte, en interrompant le faible Vadius plutôt que
l’arrogant Trissotin, n’a donc pas réussi à s’imposer aux deux rivaux.
) Dans les quatre derniers vers de la scène, à l’initiative de Vadius cette fois-ci, les deux adversaires se
menacent, comme le souligne l’apparition de l’indicatif futur : « Ma plume t’apprendra » (v. 1041), « et
la mienne saura » (v. 1042). La plume, devenue toute-puissante, fait désormais fonction d’épée. Par le
biais de cette métaphore, les deux hommes se défient en duel. Les armes sont cependant bien
dérisoires, en regard de l’âpreté du ton. Ce décalage entre le vocabulaire du combat (v. 1043-1044 :
« Je te défie », « nous nous verrons seul à seul ») et celui de la littérature (« en vers, prose, grec, et latin »,
« chez Barbin ») produit un effet comique qui décrédibilise la menace et ceux qui la profèrent.
*+ L’Épine, pour introduire Vadius, prend la peine de le décrire. Le jeune laquais, qui par ailleurs a
un rôle quasiment muet, rend compte de son étonnement – ce qui contribue à accentuer les ridicules
du visiteur. Son costume et sa voix laissent présager, par métonymie, l’affectation de son austérité (« Il
est vêtu de noir ») et son caractère doucereux (« et parle d’un ton doux »). Comme dans les caricatures,
quelques traits, grossis, suffisent à camper sa personnalité – du moins, celle qu’il veut laisser paraître,
qui contrastera, au final, avec son penchant pour la poésie galante et son emportement. Vadius est
bien, comme Trissotin, l’un des avatars de Tartuffe.
*, Philaminte s’adresse à Henriette avec une brutalité qui contraste vivement avec le ton employé à
l’égard des autres personnages. L’amorce des deux répliques est sans appel : l’interjection « Holà ! »
(v. 933) est relayée par l’impératif « Venez » (v. 935). Philaminte affirme une autorité qui n’admet
aucune contestation : « en paroles bien claires », « vous les faire savoir ». Les défauts des personnages qui
occupent le devant de la scène (Trissotin et Philaminte) paraissent d’autant plus détestables qu’ils
contrastent avec le ton mielleux des flatteries mondaines déversées à la ronde.
*- La présence d’Henriette dans la scène est extrêmement discrète. Elle n’est pas dupe des singeries de
Vadius et de Trissotin et semble flairer un danger. Elle cherche donc tout d’abord à s’esquiver, puis se
dérobe adroitement au baiser de Vadius : « Excusez-moi, Monsieur, je n’entends pas le grec. » Tout en
faisant mine d’entrer dans le jeu des autres, elle en détourne les règles pour exprimer son refus. Misant
sur le décalage entre la forme courtoise de ses propos et l’impertinence de sa pensée, cette jeune
personne manipule finement l’ironie. Loin d’être une oie blanche, Henriette sait avec esprit tenir
fermement sa position, comme elle le fera tout au long de la pièce.
Réponses aux questions – 26
Philaminte, en véritable chef d’orchestre, mène le jeu. Sa triple exclamation (v. 943 : « Du grec, ô
Ciel ! du grec ! Il sait du grec, ma sœur ! ») donne le ton à Bélise et à Armande, qui la reprennent tour à
tour. C’est à nouveau Philaminte qui prend l’initiative de la tournée de baisers, « pour l’amour du
grec ». Chacun, sauf Henriette, se prête avec enthousiasme à ses volontés. Enfin, lorsqu’il s’agit de
répondre aux excuses empressées de Vadius qui craint d’avoir pu « troubler quelque docte entretien »,
seule Philaminte est concernée. Ainsi Armande et Bélise ne prennent la parole que lorsque cette
dernière la leur accorde.
*/ Trissotin n’a fait venir Vadius que pour se mettre en valeur. Tout d’abord en produisant devant les
dames de la maison une relation de qualité, mais surtout en l’invitant à louer ses poèmes. D’ailleurs,
Trissotin ne veut pas laisser son « ami savant » s’exprimer longuement. C’est pourquoi il lui coupe la
parole au moment où ce dernier s’apprête à donner lecture de sa ballade : « Avez-vous vu certain petit
sonnet / Sur la fièvre qui tient la princesse Uranie ? » Là encore, la grossièreté du personnage se révèle.
Égocentrique, il se désintéresse en réalité de la poésie qui n’est qu’un prétexte pour se mettre en
valeur. De plus, l’hypocrisie et les tics de la préciosité le poussent, avec une feinte modestie, à
déprécier son poème (« certain petit sonnet »). Ces détours se retournent contre lui : la mécanique trop
bien huilée du langage s’emballe, au point que les deux pédants se trouvent pris à leur propre piège.
Cela ne suffit pas pourtant à dessiller les yeux de Philaminte.
*0 Vadius entend se donner en spectacle à l’assemblée savante qui le reçoit. Mais il n’est pas le seul à
nourrir cet espoir. Philaminte encourage ses compagnes à se montrer spirituelles (v. 932 : « Faisons
bien les honneurs au moins de notre esprit »), tandis que Trissotin veut transformer tout un chacun en
admirateur ébahi de ses talents : « Vous en savez l’auteur ? » (v. 991). Seule Henriette se tient à l’écart
d’une telle mascarade. Cette course aux louanges et ce désir d’être vu créent un effet de mise en
abyme. En effet, la salle assiste à une joute dans laquelle chacun est en représentation : c’est à qui
occupera le devant de la scène et transformera les autres en autant de spectateurs. De ce jeu faussé,
personne ne sort vainqueur. Au contraire, tous perdent en révélant aux yeux du public leurs faiblesses
et leurs défauts, sans pour autant y gagner en lucidité. L’aveuglement général est ainsi au centre de
cette scène, et le spectateur, dans une position de retrait et de clairvoyance proche de celle
d’Henriette, s’en amuse.
*.
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 101 à 109)
Examen des textes
! Le portrait de Damophile est construit en accumulation croissante, comme le soulignent les mots
de liaison logique qui le structurent : « Premièrement », « De plus », « Au reste », « Mais », « encore ».
Tous ces termes expriment la surenchère, « mais » (pour ce qui concerne la 2e occurrence du terme)
conservant son sens premier, issu du magis latin. Les défauts s’entassent donc sans rémission et passent
du ridicule à l’odieux. Non contente de cultiver les signes extérieurs de savoir (maîtres, livres), de
prononcer des paroles vaines, de mépriser les « soins domestiques » et d’afficher dans le monde une
attitude professorale déplacée, Damophile va jusqu’à feindre l’amour afin de s’approprier les vers de
son soupirant. Le mot « mais » met en relief ce dernier trait.
Au moyen de ce portrait, Madeleine de Scudéry esquisse en creux celui de Sapho et, par là même, le
sien. Il s’agit d’un autoportrait déguisé. Sapho représente l’idéal classique de la femme savante, dont
l’esprit orné fuit l’ostentation, tout en se faisant discrètement valoir. Diverses formules, comparatives
et antithétiques à la fois, permettent à trois reprises de mettre en relief ce contraste : « on voyait plus de
Livres […] qu’elle n’en avait lus : […] moins chez Sapho, qu’elle n’en lisait » ; « au contraire » ; « mais »
(1re occurrence). Ainsi les trois premiers défauts de Damophile font-ils briller explicitement les qualités
de son modèle dans le première partie du texte et plus implicitement par la suite.
" Le discours de Granger, en deçà de sa volontaire complexité, est d’une grande banalité. Les
métaphores amoureuses les plus ordinaires de la préciosité y sont masquées par une accumulation
d’antithèses. L’amour est donc comparé à un feu : « n’embrasaient mon esprit », « les flammes visibles »,
« m’échauffe ». Les yeux sont des vainqueurs muets : « si ces aveugles clairvoyants […] n’avaient contraint
volontairement mon génie dans la libre prison ». Enfin, la femme est un soleil ou une étoile : « Si bref vous
ne m’aviez apporté des ténèbres par vos rayons ». Son langage, qui paraît n’avoir d’autre fonction que
Les Femmes savantes – 27
formelle, brille donc par son inanité. Genevotte souligne cette absence de sens lorsqu’elle donne à ce
discours le nom de « Galimatias ».
# Au début du texte, Cydias est décrit comme un comédien faisant son entrée en scène. Il est
d’ailleurs comparé à un musicien, donc à une personne qui donne un spectacle. Pour parfaire la
caricature de ce personnage, Jean de La Bruyère le réduit à quelques traits caractéristiques,
extrêmement théâtraux : « après avoir toussé, relevé sa manchette, étendu la main et ouvert les doigts ».
L’homme, amoureux de lui-même, se rend odieux au fil du texte par son outrecuidance. Le dernier
trait décoché par l’auteur (« Uni de goût et d’intérêt avec les contempteurs d’Homère, il attend paisiblement
que les hommes détrompés lui préfèrent les poètes modernes ») permet de comprendre la violence de
l’attaque : Cydias est un spécimen des « Modernes ». L’auteur, partisan, en ces temps de querelle, des
« Anciens », le juge vain et dangereux et le renvoie à la bourgeoisie provinciale. Cette pique finale
inscrit véritablement le personnage dans les modes de son époque, qui favorisent le variable aux
dépens de la fixité.
$ Dès les premiers vers, les défauts de l’élève du Pédant sont énumérés : c’est un « sot », un « fripon »,
dont le maître n’est apte qu’à « gâter la raison ». L’idée de bêtise est associée, tout au long du texte, à
celle de malfaisance. Si le Pédant « gâte » l’esprit des enfants, il leur transmet également sa capacité à
abîmer ce qu’il faudrait cultiver. En effet, l’irruption dans un jardin de l’un des élèves, puis de toute
une troupe, est un fléau. Le jardin, métaphore à la fois du paradis et de la connaissance, est envahi par
une « maudite engeance », véritable personnification du mal : « Gâtait jusqu’aux boutons », « Pires que le
premier », « accrut le mal », « mal instruite », « maudite engeance », « gâter », « bête », « pire ». Le Pédant est
ainsi un être destructeur, que les sages, représentés symboliquement par le Maître du jardin, doivent
fuir. Le champ lexical du bien, associé au jardin (« les plus beaux dons », « douce et frêle espérance »,
« l’abondance »), s’oppose en effet à celui du mal, associé au Pédant et à ses élèves. À la bêtise de ce
personnage – incapable de remplir correctement ses fonctions professorales – s’ajoute donc la
défaillance morale : loin d’instruire l’humanité, il la dévoie et la pervertit.
% L’écolier, le pédant et le maître occupent, à eux trois, le centre de la gravure, la composition
illustrant donc au sens strict la volonté de Grandville d’illustrer la fable de La Fontaine. L’apparence
du professeur le confirme : sa taille supérieure, la teinte plus foncée de son costume, le doigt
professoral pointé vers le haut et le large chapeau qu’il n’a pas pris la peine d’ôter rendent compte de
son sentiment de supériorité. Le gris du costume du maître de jardin reflète une position de retrait,
faite de nuances et de modestie. Au premier plan, à droite, se tient le fameux « enfant qui sentait son
collège ». Véritable apprenti pédant, le petit a un front surdéveloppé et un visage trop sérieux, dont le
regard biaisé suggère l’hypocrisie et la fourberie. Tenant obséquieusement son chapeau devant lui, il
baisse la tête et ne semble pas écouter le sermon de son maître. En effet, ce discours, qui ne lui est pas
adressé, s’abat sur le propriétaire du jardin, qui doit donc subir ce que La Fontaine dénonce : « Je hais
les pièces d’éloquence / Hors de leur place, et qui n’ont point de fin. » À l’arrière-plan, la « jeunesse mal
instruite » dévaste impunément le jardin, sans même chercher à se cacher du maître.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
La figure du pédant au XVIIe siècle est frappante par sa permanence. L’ostentation et le goût de
paraître (« la passion de passer pour savante » dans Artamène ou le Grand Cyrus) en sont une manifestation
récurrente. Granger (Le Pédant joué) monopolise la parole et se donne en spectacle (« écoutez parler
l’antithèse »), s’identifiant lui-même au langage déchaîné ; Cydias s’exhibe grâce à un personnage
intermédiaire, sorte d’imprésario « qui n’a d’autre fonction sur la terre que de le promettre longtemps à un
certain monde et de le présenter enfin dans les maisons ». Enfin, le pédant de La Fontaine profite de
l’occasion qui lui est donnée pour mettre sa science en avant (« Là-dessus il cita Virgile et Cicéron / Avec
force traits de science »). Toute opportunité est mise à profit par le pédant pour se mettre au centre et
emplir l’espace.
L’excès, dans ses diverses manifestations, est en effet intrinsèque à ce personnage – ce en quoi il
s’oppose à l’idéal classique de bienséance et de modération : le vocabulaire de la démesure abonde, au
sujet de Damophile, dès les premières lignes du texte (« toujours » – employé à quatre reprises –, « cinq
ou six maîtres, continuellement, plus de livres, grands mots, plus rare »). L’emballement du langage est
révélateur de l’emphase qui habite le pédant jusqu’à la boursouflure. La tirade des antithèses débitée
Réponses aux questions – 28
par Granger est ainsi constituée d’une seule phrase. Cet écart systématique de la norme lui donne
l’énormité d’un monstre. L’outrecuidance de Cydias se manifeste particulièrement dans le trait final,
qui range le pédant du côté des « Modernes ». L’absence de mesure équivaut, chez La Bruyère, au
manque d’humilité : « Cydias s’égale à Lucien et à Sénèque, se met au-dessus de Platon, de Virgile et de
Théocrite. » Enfin, le personnage de La Fontaine, à l’instar de Granger, est atteint de logorrhée (« Avec
force traits de science », « son discours dura tant », « et qui n’ont point de fin »).
De surcroît, l’exhibitionnisme du pédant est obscène, au sens premier du terme : au-devant de la
scène, il n’est pas à sa place et dispense en tout lieu, comme du haut d’une chaire, des vérités
professorales. La Fontaine résume ce trait en deux vers : « Je hais les pièces d’éloquence / Hors de leur place
et qui n’ont point de fin. » Damophile ne se comporte pas autrement : « Damophile […] ne fait pas non
plus de difficulté de citer les Auteurs les plus inconnus, en une conversation ordinaire, que si elle enseignait
publiquement dans quelque Académie célèbre. » Granger assène à Genevotte, en fait de déclaration
d’amour, une leçon de rhétorique (« c’est de la force de ma passion que je prétends vous prouver par quatre
Figures de Rhétorique ; les Antithèses, les Métaphores, les Comparaisons, et les Arguments »), tandis que
Cydias veut enseigner à chacun « ses rares conceptions » et « n’ouvre la bouche que pour contredire ». Ces
traits récurrents – observés par des auteurs très différents, tant par leur mode d’expression que par leurs
goûts littéraires (roman précieux, théâtres baroque et burlesque, fable, portrait) – donnent à penser
que le pédant était, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, un fléau envahissant et stéréotypé.
Commentaire
Introduction
Jean de La Bruyère, en auteur classique, cherche à plaire et à instruire. La satire prend la forme
apparemment légère d’une caricature théâtralisée, pour mettre en place une critique sans concession.
1. Un pantin : l’art de la caricature
A. Choix d’une forme courte, goût du détail
L’asyndète, l’accumulation de traits de caractère et de comportements apparemment décousus.
B. Grossissement de certains traits caractéristiques
Synecdoques : la toux, la manchette, la main, les doigts.
C. Un duo comique contrasté et complémentaire
Le pédant et son flatteur.
2. Une saynète : théâtralité du portrait
A. Le présent exprime à la fois la narration, l’actualité et la vérité générale : la scène présentée, comme au théâtre,
peut se jouer indéfiniment.
B. Le point de vue externe fait penser à celui d’un auteur de théâtre qui offre son personnage à l’interprétation ;
les indications gestuelles fonctionnent comme des didascalies.
C. Les trois « répliques » de Cydias au discours direct amorcent de possibles scènes de comédie.
3. Du portrait à la satire
A. Vanité d’un personnage stérile
Gratuité d’une polémique systématique : « il n’ouvre la bouche que pour contredire », « fade discoureur ».
B. La Bruyère, adepte de la rupture et du mélange propres au registre satirique, varie les procédés
Il alterne des formes détournées, telles que l’ironie (Cydias « débite gravement ses pensées
quintessenciées »), avec des jugements directs (« fade discoureur », « on n’aperçoit rien de grand que l’opinion
qu’il a de lui-même »).
C. Une attaque en gradation
L’outrance de l’autosatisfaction apparaît en acmé, à la fin.
Conclusion
Pessimisme de La Bruyère. Au-delà d’un personnage englué dans la futilité éphémère d’une mode,
Cydias représente un type humain atemporel, au moyen d’une forme suffisamment distanciée pour
servir cette universalité du propos. Paradoxalement, malgré l’asyndète et l’impressionnisme de la
caricature, la vraisemblance l’emporte, en accord avec la volonté classique de peindre d’après nature.
Les Femmes savantes – 29
Dissertation
Introduction
Problématique : si le discours satirique est nécessairement ancré dans son époque, dans quelle mesure
peut-il se perpétuer au-delà de ce qu’il dit de son temps ?
Par définition, le registre satirique se nourrit de son époque. Cependant cet ancrage est, selon les
conditions politiques et le degré de liberté d’expression, plus ou moins explicite. La satire ne cesse
jamais d’exister dans l’histoire littéraire mais elle emprunte parfois des chemins détournés, qui lui
permettent peut-être d’échapper justement à une trop lourde temporalité.
1. L’observation des contemporains
A. La satire politique explicite
La satire politique explicite, ad hominem, est possible en exil (Victor Hugo, Les Châtiments) ou aux
risques et périls de l’auteur, qui choisit, s’il veut être explicite, des solutions comme l’anonymat
(Pascal, Les Provinciales) ou une publication posthume (le cardinal de Retz, Mémoires).
B. La satire politique implicite
• La satire politique passe, le plus souvent, par les détours de l’apologue et du sous-entendu. C’est ainsi que
fonctionnent les Fables de Jean de La Fontaine, mais aussi les contes philosophiques de Voltaire.
• Ces détours apportent souvent à l’œuvre une universalité qui lui permet d’être lue et appréciée audelà de son époque.
2. L’atemporalité du classicisme – Les détours de la satire
A. La permanence des types
• Inspirés de l’Antiquité, certains types (avares, parasites, entremetteuses, pédants…) apparaissent de
manière récurrente de la Renaissance jusqu’à la fin du XVIIe siècle, dans diverses formes littéraires
(fabliau, fable, épigramme, comédie, portrait).
• Quelle que soit l’époque qui les représente, ils en ont les caractéristiques, tout en présentant une
permanence. Ainsi l’Harpagon de Molière ne diffère-t-il pas fondamentalement de son ancêtre
Euclion (Plaute, Aulularia).
• L’idée de permanence est l’un des fondements du classicisme. Elle se manifeste dans les formes
diverses de la satire – ce qui n’entrave pas la lucidité incisive des auteurs sur leurs contemporains
(Molière, La Bruyère, La Fontaine, Boileau).
B. Des satiristes atemporels
Les œuvres considérées aujourd’hui au sens large comme classiques sont celles qui, tout en concernant
leur époque, la dépassent. La satire s’y manifeste, même si elle n’est pas l’objet premier de ces œuvres.
Ainsi Flaubert (Bouvard et Pécuchet), Balzac (Eugénie Grandet) ou Beckett (En attendant Godot), mais
aussi à leur manière Stendhal (Le Rouge et le Noir) et Proust (Du côté de Guermantes) sont-ils des
satiristes atemporels : observateurs acérés de leur époque, ils la rendent familière au lecteur
d’aujourd’hui qui s’y reconnaît et y retrouve ses contemporains.
Conclusion
Une satire ancrée trop immédiatement dans son époque n’a que peu d’intérêt. Elle est de l’ordre du
divertissement, du spectacle immédiat, du journalisme, du billet d’humeur, ou, aujourd’hui, du
sketch. La distance est donc la condition sine qua non d’une satire à la fois propre à agir dans son temps
mais apte aussi à fournir matière à une réflexion sur l’humain et le politique au-delà de l’immédiateté.
Écriture d’invention
L’élève est libre de situer ses personnages dans la catégorie sociale qui lui convient, car le pédant peut
exister dans tous les corps de métier. Le couple peut être composé d’un homme et d’une femme, mais aussi
d’un pédant et de son faire-valoir. À l’entente peut succéder la querelle, comme entre Trissotin et Vadius.
L’important est que soient respectées les caractéristiques récurrentes de ce type, observées dans le corpus :
– grossissements de certains traits (en synecdoque) pour donner, à partir du portrait physique, l’idée
des caractéristiques morales des personnages ;
– outrecuidance ;
– mise en scène de soi-même ;
Réponses aux questions – 30
– volonté de s’entourer d’un ou de plusieurs admirateurs ou disciples ;
– attitude professorale incessante et déplacée ;
– conflit d’influence et querelle révélatrice des travers sous le vernis.
La forme peut être le portrait (à la manière de La Bruyère ou de Madeleine de Scudéry), la fable ou
encore la comédie. Il peut être intéressant pour les élèves de tenter de dessiner, en creux, le portrait
de « l’honnête homme » (ou femme) du XXIe siècle (comme Henriette dans Les Femmes savantes ou
Sapho dans Artamène ou le Grand Cyrus).
A c t e
I V ,
s c è n e
2
( p p .
1 1 6
à
1 2 2 )
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 123-124)
Jusqu’au vers 1146, Armande parle apparemment en son nom ; cependant, le 1er vers montre
qu’elle souhaite voir sa mère s’identifier à sa cause : « Je ne souffrirais point, si j’étais que de vous […]. »
Le conditionnel permet d’opérer discrètement, comme par hypothèse, la substitution du « vous » au
« je ». Ce stratagème se poursuit progressivement au fil de la tirade, pour aboutir finalement à une
disparition apparente du « je », au profit du « vous ». Ainsi, Armande se met-elle peu à peu en retrait
(on observe six occurrences de la 1re personne du singulier des vers 1139 à 1144 et une seule des
vers 1145 à 1152). L’effacement est tel qu’Armande finit par n’être plus qu’une « âme » (v. 1145).
D’ailleurs, si cette tirade commence par « je », elle se clôt par le pronom « vous ». Armande a bien
instillé dans l’esprit de Philaminte sa propre rancœur contre Clitandre.
" Armande insiste à trois reprises sur les griefs imaginaires de Clitandre à l’encontre de Philaminte.
Connaissant parfaitement sa mère, elle dénature l’attitude du jeune homme et transforme sa réserve
un peu froide en attaque, manipulant avec adresse l’art de la litote : « il a paru de glace », « qu’il n’a
point trouvé beaux ». Systématiquement, Philaminte, piquée, réagit très vivement : « Petit sot ! », « Le
brutal ! », « L’impertinent ! ». Le rythme régulier des répliques et le caractère répétitif et mécanique des
réponses de Philaminte produisent un effet comique, qui n’en est pas moins inquiétant.
# Non contente de présenter malhonnêtement les sentiments de Clitandre pour Philaminte,
Armande aggrave le cas de ce dernier en laissant entendre qu’il s’est montré désobligeant à plusieurs
reprises. Toutes les répliques d’Armande comprennent ainsi une tournure adverbiale qui insiste sur la
fréquence : « Toujours », « vingt fois », « Souvent », « de combien de sottises ». Clitandre passe donc pour
un adversaire acharné de Philaminte – ce qui est loin d’être son cas. À travers ce portrait déformé,
Armande donne au spectateur l’idée de sa propre démesure plutôt que de celle de Clitandre.
$ La préciosité d’Armande s’exprime tout d’abord, devant Clitandre, par l’emploi du pronom « on » au
lieu de « vous » (v. 1167). Cette tournure indirecte vise à préserver la pudeur de la femme qui s’adresse à un
homme. Le goût des hyperboles se manifeste ensuite : « des droits si sacrés », « renoncer au jour », « nulle
horreur ne s’égale », « un monstre en morale » (v. 1170 à 1174). Enfin, la métaphore du feu amoureux est
systématique : « les premières flammes », « brûler des feux d’un autre amour », « les feux », « brûler de ces terrestres
flammes », « leurs ardeurs », « ce beau feu », « C’est un feu pur et net comme le feu céleste » (v. 1169 à 1206). Ces
figures détournées et stéréotypées évitent à Armande d’exprimer le désir et le dépit qu’elle veut masquer, à
son interlocuteur comme à elle-même. Les sentiments élevés qu’elle professe tiennent lieu de prétexte à un
mécontentement motivé, en réalité, par la jalousie, le désir et le chagrin.
% La tirade d’Armande comporte deux parties apparemment opposées. Des vers 1189 à 1200, elle
dénigre la grossièreté des désirs de Clitandre, tandis qu’à partir du vers 1201, elle fait l’apologie de
l’amour idéal. Ainsi Armande semble-t-elle construire un discours dialectique. En réalité, son propos
est répétitif. La même idée est énoncée tout au long de la tirade sous des formes différentes. Ainsi « ce
qu’ils ont de vulgaire » est repris par « d’une amour grossière », « du commerce des sens » par « où les corps
n’entrent pas », et « tout l’attirail » par « et tout ce qui s’ensuit ». Enfin, la deuxième partie de la réplique
manipule en tous sens l’idée de pureté et ne dit rien d’autre que le refus de l’amour physique, déjà
largement exprimé dans les vers précédents : « les sens n’ont point de part », « c’est un feu pur et net »,
« on ne penche point vers les sales désirs », « rien d’impur ne se mêle », « ce n’est qu’à l’esprit seul ».
L’insistance d’Armande, que met en relief la répétitivité de son argumentation, dénote un état d’esprit fait
de certitudes, peu enclin à la discussion. Elle souhaite, en bonne émule des précieuses, « réduire » (v. 1191,
1237) Clitandre « à cette pureté » (v. 1191) et « à des ardeurs fidèles » (v. 1237) ; en un mot : être obéie.
!
Les Femmes savantes – 31
Pour évoquer l’amour physique, Armande parle de « nœuds de chair », de « chaînes corporelles ». Elle
emploie également le verbe « réduire » et l’expression « sentiments brutaux ». Ce vocabulaire violent,
évoquant une soumission et un rapport de forces, contraste avec celui de l’acceptation : « si ma mère le
veut », « je résous », « à consentir pour vous ». Cette contradiction démasque l’ambiguïté du discours
d’Armande, dont les désirs sont en réalité de se soumettre, sans se compromettre, à ceux de Clitandre.
' Clitandre interrompt Armande par une exclamation (« Eh ! doucement, de grâce ») afin de couper
court à ses médisances. L’indignation que suggère cette tournure se prolonge dans la phrase nominale
des vers 1159-1160, qui prend à son tour une valeur exclamative. La droiture de sa position tranche
avec celle d’Armande. Une succession de phrases interrogatives (v. 1161-1164) enjoint ensuite la
jeune fille à se justifier : « Quel mal vous ai-je fait ? et quelle est mon offense ? »
Ainsi, sur 8 vers, deux sont exclamatifs, quatre interrogatifs, tandis que le vers 1165, qui a pour noyau
un impératif, est injonctif.
La dernière phrase, déclarative et construite autour du verbe vouloir à l’indicatif présent, confirme la fermeté
de Clitandre. La vigueur de son expression est en adéquation avec la fermeté de sa volonté et de sa pensée.
( Pour signifier à Armande ses incohérences, Clitandre recourt systématiquement à l’antithèse des
vers 1183 à 1188 :
&
ATTITUDE D’ARMANDE
ne peuvent rien sur vous » (v. 1183)
« Je vous trouve contraire […]
« Ce que vous refusez, […]
ATTITUDE DE CLITANDRE
« Tous mes feux, tous mes soins […]
à mes vœux les plus doux » (v. 1184)
je l’offre au choix d’une autre. » (v. 1185)
« […] ou ma faute […]
ou la vôtre ? » (v. 1186)
« Mon cœur court-il au change […]
ou si vous l’y poussez ? » (v. 1187)
« Est-ce moi qui vous quitte […]
ou vous qui me chassez ? » (v. 1188)
Ce tableau met en relief la distance qui sépare les deux jeunes gens : la 1re personne du singulier est
totalement distincte de la 2e personne du pluriel (l’absence du « nous » est totale) ; les initiatives de
rupture sont à placer du côté d’Armande, comme le souligne leur position forte dans le vers
(2e hémistiche des vers 1186 à 1188). Ainsi Armande, qui reproche à Clitandre son inconstance, se
trouve-t-elle confrontée à ses propres contradictions.
) Dans la tirade d’Armande sur l’amour idéal, la pudibonderie est telle que la 1re personne n’apparaît
qu’une fois (v. 1193 : « pour moi »). Le « on » précieux s’y substitue largement (1 occurrence au
vers 1199, 6 occurrences des vers 1207 à 1212). Ce tic de langage et toute la pruderie qu’il implique
semblent avoir pour effet d’exaspérer Clitandre, qui y oppose un « moi » franc et insistant, quitte à
paraître lourd : « Pour moi, [… ] je m’aperçois, […] / Que j’ai […] » (v. 1213-1214) ; « Je sens »
(v. 1215) ; « je ne connais point […] » (v. 1216) ; « m’a dénié » (v. 1217) ; « Et mon âme et mon corps
[…] » (v. 1218) ; « pour moi » (v. 1223) ; « je suis un peu grossier, comme vous m’accusez » (v. 1224) ;
« j’aime avec tout moi-même, et l’amour qu’on me donne » (v. 1225) ; « je le confesse » (v. 1226) ; « je vois »,
« ma méthode » (v. 1229). Ce relevé souligne la présence croissante de la 1re personne, sous toutes ses
formes – jusqu’aux plus accentuées –, tout au long de la tirade. Clitandre provoque ainsi son
interlocutrice. Le comédien peut souligner ces répétitions par l’intonation et la prononciation,
montrant ainsi l’ironie du personnage, et mettre en relief également le « on » parodique du vers 1225.
*+ Dans la première partie de la réplique qu’il consacre à la question de la fidélité amoureuse,
Clitandre semble résumer les préceptes de la « carte de Tendre ». Il se présente comme un serviteur,
soumis aux désirs de la femme aimée et prêt à subir des épreuves : « Je ne fais qu’obéir aux lois qu’elle
m’impose. » À la manière des précieuses, il accumule les pluriels : « soins empressés, devoirs, respects,
services ». Molière emploie ici à dessein, dans une intention parodique, des formules qui figurent
textuellement sur la célèbre carte de Madeleine de Scudéry. Enfin, Clitandre reprend à son compte la
métaphore du feu amoureux : « il a brûlé deux ans d’une constante ardeur », tout en assimilant l’objet
aimé à une divinité digne « d’amoureux sacrifices ».
Réponses aux questions – 32
La tirade de Clitandre sur l’amour physique est fondamentalement ironique. La droiture et
l’honnêteté de ses propos n’ayant pas fait évoluer son interlocutrice, il feint d’entrer dans ses vues et se
prétend grossier. Plusieurs antiphrases soulignent cette position railleuse : « par un malheur », « ne vous
déplaise », « Il n’est rien de plus beau […] / Que ces vœux épurés qui ne vont qu’à l’esprit, / Ces unions de
cœur, et ces tendres pensées / Du commerce des sens si bien débarrassées ». Ce décalage entre la forme des
propos et le fond de la pensée contribue à grossir l’inadéquation de la position d’Armande : loin des
réalités les plus simples, elle affiche en amour une attitude obsolète. En effet, en 1672 (date de
création de la pièce), la pudibonderie précieuse est passée de mode.
*- Dès le début de cette scène, le spectateur est en position privilégiée. Il voit Clitandre, tandis
qu’Armande et Philaminte ignorent sa présence. Les propos de la jeune fille en deviennent d’autant
plus odieux que le spectateur perçoit la double réception qui en est faite : complaisante du côté de la
mère, stupéfaite du point de vue de Clitandre. Le spectateur est d’emblée complice de ce dernier et
partage son indignation. Mises en position d’infériorité par cette présence qu’elles ignorent, Armande
et Philaminte n’en restent pas moins redoutables. Ce procédé, habituellement comique – ainsi Orgon,
caché sous la table, entend-il Tartuffe qui courtise sa femme (Le Tartuffe, IV, 5) –, renforce ici la
tension dramatique, dans une scène qui oscille entre comédie et tragédie.
*. Philaminte, tout aussi outragée que sa fille du refus que cette dernière vient d’essuyer, tente de
compenser sa défaite par la toute-puissance d’un argument d’autorité (« mais enfin comptez-vous,
monsieur, sur mon suffrage »). Elle met ainsi fin à la discussion entre les jeunes gens et épargne à
Armande une humiliation supplémentaire. Cependant, son objectif n’est pas tant de voir Clitandre
revenir vers sa fille aînée que de forcer Henriette à épouser Trissotin. Cette courte réplique,
composée de deux phrases interrogatives, met Clitandre en position d’aporie. Il ne peut plus
désormais demander à Philaminte la main d’Henriette, comme il se proposait de le faire. Cependant,
la brusquerie de cette intervention maternelle encourage Clitandre à dire à Philaminte ses vérités.
*/ Clitandre parle en gentilhomme à une bourgeoise et tente sans complaisance de la dessiller.
Trissotin est présenté comme un être plein « d’ignominie » (v. 1250), « indigne » (v. 1251), « moins
noble » (v. 1254), auteur de « sornettes » qui cherche à « duper » son monde et n’est pas même reconnu
par le « mauvais goût du siècle ». Ce portrait laisse entendre implicitement que Philaminte est
exceptionnellement naïve : « hors céans », en effet, Trissotin « n’a pu duper personne ». De plus, son peu
de jugement (voire son mauvais goût, pire, a priori, que celui du siècle) frise le ridicule, comme le
souligne l’expression imagée et hyperbolique des vers 1260-1261 : « Et ce qui m’a vingt fois fait tomber
de mon haut / C’est de vous voir au ciel élever des sornettes. » Cette sortie finale n’est pas faite pour flatter
la susceptibilité des deux femmes, comme le lui conseillait pourtant Henriette : loin de « s’efforce[r] de
plaire », Clitandre apparaît comme l’anti-Trissotin.
*0 À la fin de l’acte III, les amours d’Henriette et de Clitandre étaient certes en danger, mais le
soutien de Chrysale pouvait laisser quelque espoir. Cependant la remontrance du père à la fille aînée
(III, 6, v. 1109 : « Taisez-vous, péronnelle ! ») était restée en suspens. Dans l’acte IV, Armande cherche
refuge auprès de sa mère pour fomenter sa vengeance. La démarche conciliatrice de Clitandre,
entreprise sur les conseils d’Henriette, est dès lors vouée à l’échec. Plutôt que de plaider sa cause,
Clitandre la met en péril. Ainsi cette entrevue a-t-elle des conséquences désastreuses, amplifiées
encore par le conflit qui oppose les deux rivaux dans la scène suivante.
Incapable de flatterie, le prétendant d’Henriette se montre fidèle à l’image qu’il présentait dès le début de la
pièce : « Mon cœur n’a jamais pu, tant il est né sincère, / Même dans votre sœur flatter leur caractère. » Se mettant
en danger par le refus et la dénonciation des hypocrisies, Clitandre est bien le porte-parole de l’auteur.
*,
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 125 à 133)
Examen des textes
! Le premier paragraphe est une étape déterminante. Il établit, en effet, un bilan nécessaire à la
poursuite du raisonnement de Descartes. L’expression « Mais maintenant que » met en relief cette
double fonction. En effet, « maintenant que » renvoie à ce qui précède tout en annonçant une suite
que souligne la conjonction « Mais ». Employé dans le sens positif issu de magis (« en plus »), ce terme
exprime ici la surenchère plus que l’opposition. À l’intérieur de ce même paragraphe, deux tournures
Les Femmes savantes – 33
similaires et répétitives annoncent la poursuite d’un raisonnement dialectique : « je ne pense pas à la
vérité que […], mais je ne pense pas aussi que […] ». L’auteur va procéder par hypothèses successives.
L’emploi d’expressions comparatives telles que « mieux me connaître » et « plus clairement » souligne le
caractère méthodique et progressif d’un raisonnement qui va pas à pas à la recherche d’une certitude,
comme l’indique l’adverbe positif « aussi » (« mais je ne pense pas aussi que »). Les deux propositions
sont donc complémentaires plutôt que contradictoires.
Le deuxième paragraphe, initié par « Et premièrement », va dans le même sens. Dans la première partie
de ce paragraphe (de « Et premièrement » à « n’est que de penser »), les étapes sont mises en relief par
plusieurs liens logiques : « pour ce que » introduit un bilan explicatif qui aboutit à une certitude
nuancée (« Et partant, de cela même que je connais avec certitude que j’existe, et que cependant […] »), puis à
une avancée propre à permettre la poursuite du raisonnement (« je conclus fort bien que […] »).
L’étape suivante, qui commence avec « Et quoique », indique à nouveau un raisonnement dialectique
positif. Cette dernière partie permet encore une progression initiée par un terme positif (« Et »)
associé immédiatement à un terme concessif (« quoique »). Ainsi, grâce à une succession d’avancées
régulières, prudentes mais solides, la conclusion du passage est finalement représentée comme
incontestable : « il est certain que », cette assurance étant soulignée par des termes modalisateurs tels que
« entièrement et véritablement ».
Une telle analyse donne aux élèves l’exemple de la pratique méthodique du doute systématique,
propre à l’esprit cartésien. Elle les sensibilise à l’idée que philosophie, science et littérature ont une
parenté.
" Le titre de la pièce de Calderón induit une métaphore du mariage entre l’Âme et le Corps. Le
Péché, jaloux de cette union, souhaite la briser au plus vite. Le Corps, présenté comme inférieur à
l’Âme, ne mérite pas d’en « jouir » car il en avilit la nature. Cependant, une autre métaphore, sans
relation apparente avec celle du mariage, souligne la différence de nature entre ces deux éléments : le
Corps est un « coffre […] grossier » dans lequel on met une « perle ». Cette comparaison secondaire
rejoint donc la première, qui, filée tout au long du passage, fait succéder le divorce au mariage.
De fait, la comparaison juridique prédomine. Le Péché parle d’une « dot », de « mettre en
communauté », de « faire opposition » et d’obtenir « l’annulation du mariage », qui « désunit » les époux,
pour aboutir à « la nullité de cette union ». Cette fusion de l’Âme et du Corps, fondée sur des
contraintes légales, ne présente aucune harmonie et semble a priori vouée à sa perte. La Mort et le
Péché vont s’y opposer et avoir gain de cause, tandis que la Vie, née de leur union, perdra. L’Âme
séparée du Corps retrouvera dès lors son essence supérieure.
# Sur le document présenté ici, la scénographie, les costumes et l’expression des comédiens mettent
en relief la valeur symbolique des personnages de Calderón.
L’Âme, au fond de la scène à gauche, est visible de dos. Les autres ne la voient pas plus qu’elle ne les
voit. Elle est tournée du côté d’un univers supérieur vers lequel elle s’élève, comme le suggère la
position de ses bras. Rien ne semble l’attirer vers le bas, si ce n’est une contrainte, opposée à sa propre
tendance. En effet, ses mains sont liées aux cordes d’une machinerie qui détourne le procédé du deus
ex machina : loin d’apporter ici-bas le salut pour favoriser le dénouement d’une intrigue, sa chute
inaugure et la pièce et sa déchéance.
Par ailleurs, l’Âme est une jeune femme aux cheveux longs (Audrey Bonnet), vêtue d’une longue
robe claire. Verticale, elle trouve sa réplique inversée à l’avant de la scène (à droite de l’image) dans le
personnage de la Mort. Vêtue de blanc, comme l’Âme, la Mort (Madeleine Marion) est une femme
âgée, au visage doux. Légèrement souriante, elle lève les yeux vers un ciel putatif. Une
correspondance s’établit entre ces deux figures, qui, tout en paraissant opposées (jeune / vieille ; de
dos / de face ; cheveux longs et libres / cheveux masqués par une cagoule noire ; mains nues
attachées / mains libres gantées), ont une parenté (deux femmes ; vêtements clairs ; position verticale).
La Mort serait donc une amie de l’Âme, tout en se faisant la complice du Pêché ? Autant de questions
posées par Calderón, qui souligne l’ambiguïté des choses, comme le rappellent le noir et le blanc du
costume porté par Madeleine Marion.
Contrairement aux deux autres personnages, le Corps (Thierry Hancisse) et le Péché (Éric Ruf) sont
proches du sol. Le Péché est un beau jeune homme blond, séduisant et richement vêtu. Accroupi
derrière le Corps avachi, il semble le manipuler à sa guise. Protecteur, il l’aide à se redresser et à lever
la tête ; brutal, il tire ses cheveux sans précaution pour le contraindre à lever les yeux, tout comme
lui, vers le ciel. Le Péché est ainsi montré dans toute sa duplicité.
Réponses aux questions – 34
Le Corps, en position horizontale, sort à peine de la fosse d’avant-scène. Presque nu, comme un
Christ, il élève au ciel le visage angoissé d’une victime expiatoire. Livré à la Mort et au Péché, il
paraît en mauvaise posture. À peine sorti de sa fosse souterraine, il semble appelé à y retourner, tant il
paraît lourd et inerte, loin de l’Âme.
Ce document évoque, comme le texte de Calderón, l’incompatibilité fondamentale entre l’Âme et le
Corps et le caractère éphémère de leur rencontre. Leur union improbable est une épreuve pour tous
deux, imposée par le Ciel (vers lequel tous élèvent le regard) et administrée par le Péché et la Mort.
$ Tout en affirmant qu’elle n’éprouve plus pour lui les « transports tumultueux d’un attachement
criminel », Elvire recourt constamment au vocabulaire amoureux : « il n’a laissé dans mon cœur pour vous
qu’une flamme épurée de tout le commerce des sens, une tendresse toute sainte, un amour détaché de tout ». Cette
surabondance, mise en relief par une accumulation ternaire, exprime une exaltation pour le moins
ambiguë. Elvire n’est pas tant poussée par l’amour de Dieu que par celui qu’elle éprouve pour Don
Juan, qui revêt toutes les caractéristiques de l’amour précieux rêvé par Armande et Bélise : « C’est ce
parfait et pur amour ». Cette tendance se renforce au fil de la tirade. En effet, dans les dernières lignes,
les termes se font de plus en plus pressants. Elvire supplie explicitement Don Juan au nom de leur
tendresse passée : « une personne que j’ai chérie tendrement ». Sa supplique reprend les termes du discours
amoureux : « accordez-moi, pour dernière faveur, cette douce consolation ». Le recours aux adjectifs
hyperboliques exprime une passion encore vive : « j’aurais une douleur extrême », « ce me sera une joie
incroyable ». Molière montre dans un registre à la fois mystique et lyrique toutes les contradictions des
amours sublimées.
% L’auteur de cet article souligne « le ridicule » des « femmes savantes », en laissant entendre qu’elles
font de Descartes une lecture réductrice. Les vers 1685-1686 auxquels il est fait allusion dans cette
phrase sont prononcés par Bélise : « La substance qui pense y peut être reçue / Mais nous en bannissons la
substance étendue. » Effectivement, ce vocabulaire, propre au dualisme cartésien, apparaît dans l’extrait
des Méditations métaphysiques (texte B) : « je suis une chose qui pense ou une substance dont toute l’essence ou
la nature n’est que de penser » ; « j’ai une idée distincte du corps, en tant qu’il est seulement une chose étendue et
qui ne pense point ». Molière critique ici l’interprétation réductrice faite par un personnage pétri de
préciosité, qui ramène tout, plus ou moins consciemment, à la question de l’amour. Chacun, à ce
stade de la pièce, connaît les « chimères » de Bélise. Cela n’enlève rien à la réalité du savoir de ces trois
personnages féminins, qui connaissent les textes et les citent avec précision. Molière répartit les
égratignures. Il permet au lecteur de décider, de Descartes ou du cartésianisme de salon, la cible qui
lui semble principalement visée. C’est en cette liberté laissée à l’interprétation que résident la richesse
et la pérennité d’un texte de théâtre.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Tous les textes présentés dans ce groupement présentent une conception dualiste de l’âme et du
corps : « il est certain que ce moi, c’est-à-dire mon âme, par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement et
véritablement distincte de mon corps, et qu’elle peut vivre et exister sans lui » (Descartes, texte B) ; « Alors
qu’elle est, je le redis, / si belle et noble créature / […] voilà qu’on la veut introduire / dans un embryon de
cadavre » (Calderón, texte C) ; « Le Ciel a banni de mon âme toutes ces indignes ardeurs » (Molière,
texte D) ; « Ah ! quel étrange amour ! et que les belles âmes / Sont bien loin de brûler de ces terrestres
flammes ! » (Molière, texte A, v. 1201-1202).
Cependant, dans les Méditations métaphysiques (texte B), le Procès en séparation de l’âme et du corps (texte
C) et Dom Juan (texte D), cette notion se fonde explicitement sur la foi chrétienne : « Mais maintenant
que je commence à mieux me connaître moi-même et à découvrir plus clairement l’auteur de mes origines », « pour
ce que je sais que toutes les choses que je conçois clairement et distinctement peuvent être produites par Dieu »
(Descartes) ; « elle naît dans l’esprit de Dieu » (Calderón) ; « Le Ciel a banni de mon âme toutes ces indignes
ardeurs », « pour vous faire part d’un avis du Ciel », « ce même Ciel qui m’a touché le cœur », « grâces au
Ciel », « la justice du Ciel » (Molière, Dom Juan).
En revanche, dans Les Femmes savantes, Armande défend ardemment « la pureté [du] parfait amour »,
sans référence explicite à un argumentaire chrétien. Le « feu céleste » qu’elle invoque n’est pas
nécessairement une métaphore religieuse. Il peut tout aussi bien renvoyer à la philosophie
pythagoricienne, selon laquelle le monde entier est organisé autour d’un noyau, le Feu central. Elle en
Les Femmes savantes – 35
vient à la conclusion extrême et absurde qui consiste à vouloir nier son corps : « Et l’on ne s’aperçoit
jamais qu’on ait un corps. » Clitandre, qui avoue apprécier d’avoir « un corps tout comme une âme », se
réfère au Ciel avec une certaine ironie : « Le Ciel m’a dénié cette philosophie », soulignant ainsi le
caractère fallacieux du raisonnement d’Armande, qui amalgame sans discernement la religion
chrétienne, la cosmogonie antique et la « carte du Tendre ».
Commentaire
Introduction
Le rapprochement des textes A et C peut sembler artificiel. Il permet cependant de s’interroger sur le
traitement de l’idée au théâtre et sur son incarnation. En effet, ces deux textes du XVIIe siècle posent
certes la question de l’âme et du corps, mais ils sont éloignés aussi bien géographiquement
(Espagne/France) que dans le temps (vers 1645 / 1672). Il s’agit, chez Molière, d’un dialogue, situé
vers la fin de la pièce, tandis que le texte de Calderón, constitué d’un monologue, se trouve au début
de la pièce. De plus, les principes mêmes de la théâtralité diffèrent dans chacun d’eux. Le premier met
en scène des allégories, alors que le second représente des personnes. L’un se situe donc, a priori, dans
une universalité détachée des contingences, l’autre est censé au contraire railler les travers d’une
époque dans laquelle il est ouvertement ancré.
N.B. : Le texte de Calderón est une traduction ; nous ne pourrons donc pas véritablement nous
pencher sur sa forme.
1. Un thème commun : la séparation de l’âme et du corps
A. Points communs entre Calderón et Molière dans la thématique
• L’âme :
– « si belle et noble créature », « elle naît dans l’esprit de Dieu », « une perle si précieuse » (Calderón) ;
– « les belles âmes / Sont bien loin de brûler de ces terrestres flammes », « ce beau feu », « c’est un feu pur et
net » (Molière).
• Le corps :
– « un embryon de cadavre », « ce rustre grossier », « salive et terre mélangées / de nature barbare et si rude »,
« un coffre si grossier » (Calderón) ;
– « une amour grossière », « tout l’attirail des nœuds de la matière », « rien d’impur ne se mêle », « Et l’on ne
s’aperçoit jamais qu’on ait un corps », « des nœuds de chair, des chaînes corporelles » (Molière).
L’antithèse et la redondance soulignent dans les deux textes l’incompatibilité de l’âme et du corps.
B. Le détournement de cette thématique dans Les Femmes savantes
• Armande mêle au vocabulaire métaphysique le langage amoureux propre à la préciosité : « du parfait
amour », « ses plus doux appas », « cette union des cœurs », « ce n’est qu’à l’esprit seul que vont tous les
transports ». Elle applique très concrètement à sa vie affective des concepts dont elle néglige de fait la
portée religieuse et métaphysique.
• La métaphore du mariage, présente tout au long du texte de Calderón, ne s’applique qu’à des figures
allégoriques. Molière montre qu’un abus de lectures mal dirigées peut avoir des conséquences
désastreuses pour un esprit fragile (Armande, Bélise) ou dogmatique (Philaminte).
2. Des allégories
A. Traitement des allégories chez Calderón : leur humanité
• Le Péché est tombé amoureux de la beauté de l’Âme (« si belle et noble créature », « une perle »). Il semble
mû par la jalousie (« un embryon de cadavre / qui n’a ni forme ni figure »). Sa ferveur, voire son emportement
(« que peurs et angoisses l’étranglent, / que la zizanie s’introduise ») lui confèrent une certaine humanité.
• Ce qui domine pourtant dans son discours est le raisonnement sur la nature de l’Âme et du Corps,
comme le souligne l’emploi des mots de liaison (« alors qu’elle est », « voilà que », « si […] que », « mais,
si », « et si », « puisque »). La dimension allégorique l’emporte sur la dimension humaine.
B. Traitement des personnages chez Molière : leur caractère allégorique
• Dans Les Femmes savantes, les personnages figurent des idées. Ainsi, Armande est-elle une incarnation
de la pruderie, tandis que Clitandre représente la droiture de l’honnête homme.
• Molière a pourtant individualisé chaque personnage. Des deux prudes de la pièce (Bélise et
Armande), chacune présente des particularités qui font d’elle un individu. Ainsi, l’attitude d’Armande
Réponses aux questions – 36
dément-elle ses théories lorsqu’elle se jette à la tête de Clitandre : « pour vous réduire à des ardeurs fidèles
[…] / Si ma mère le veut, je résous mon esprit / À consentir pour vous à ce dont il s’agit ». Cette réponse
puérile exprime les contradictions d’une jeune fille tiraillée entre l’influence autoritariste de sa mère
(« pour vous réduire », « si ma mère le veut ») et le désir de lâcher prise (« je résous mon esprit / À
consentir »).
Conclusion
Cette comparaison entre une pièce religieuse (un auto sacramentale) et une comédie de mœurs met en
lumière, au-delà de leurs différences, la fonction politique du théâtre. Calderón comme Molière
étaient des dramaturges officiels et cautionnaient en partie un certain immobilisme social. En
représentant un « théâtre du monde » régi par la religion (Calderón) ou par la Cour (Molière), ils
permettaient, en effet, au pouvoir monarchique de renforcer ses assises. Bien qu’apparemment
détachée des contingences, la pièce de Calderón n’en reste pas moins représentative d’une idéologie
qui ne va pas sans conséquences politiques ; l’ancrage explicite des Femmes savantes dans leur époque
n’enlève pas à la pièce sa portée universelle.
Dissertation
Introduction
Le conflit de l’esprit et de la matière ouvre Les Femmes savantes (I, 1) et se décline tout au long de la
pièce. Chaque personnage (ou presque) dit son mot sur le sujet, en parlant d’âme ou de raison, de
sexualité ou de nourriture. Les trois femmes savantes se situent sincèrement du côté de l’esprit à
travers lequel elles espèrent exister, tandis qu’il constitue pour leurs hypocrites visiteurs un mot de
passe propre à servir leurs ambitions. Pour les gens de bon sens, l’équilibre balance selon leur âge et
leur tempérament.
1. Les « femmes savantes » : Armande, Bélise, Philaminte
A. L’exaltation de l’esprit : de l’âme à la raison
• Armande, pour détourner Henriette du mariage, exalte « l’esprit, la pensée, l’amour de l’étude, la raison,
les hautes régions de la philosophie » (I, 1). Elle réserve « l’âme » au dialogue amoureux (IV, 2, v. 1170,
1201).
• Pour la consoler à la fin de la pièce, Philaminte la renvoie à « l’appui de la philosophie » (v. 1772).
• Bélise explique à son frère la supériorité de l’esprit sur la matière : « L’esprit doit sur le corps prendre le
pas devant, / Et notre plus grand pas, notre plus grande instance, / Doit être à le nourrir du suc de la science. »
B. Les dégoûts d’un femme mariée
Philaminte apparaît tout d’abord comme une puriste, émule de Vaugelas, qui entend faire respecter
des règles (acte II, scène 6). Elle déplore la bonhomie, mais surtout la lourdeur d’un mari préoccupé
avant tout de « bonne soupe » (v. 531) : « ce discours grossier », « quelle indignité pour ce qui s’appelle
homme », « le corps, cette guenille », « Quelle bassesse, ô Ciel, et d’âme, et de langage ! ». Cet époux méprisé
lui semble un ventre, un organisme soucieux d’être repu, un corps réduit aux fonctions organiques les
moins poétiques : tout sauf un homme d’esprit. « Cette guenille », c’est lui.
C. Les contradictions des prudes
L’arrivée de Trissotin provoque chez les trois femmes des réactions proches de la pâmoison
amoureuse. Armande, pour qui « l’on ne s’aperçoit jamais qu’on ait un corps » (v. 1212), ne cesse
d’exprimer malgré elle des désirs très physiques : « Je brûle de les voir » (v. 713), « ce m’est une douceur à
nulle autre pareille » (v. 715). Tandis que Philaminte s’exclame « Ne faites point languir de si pressants
désirs » (v. 717), Bélise ajoute « Faites tôt, et hâtez nos plaisirs » (v. 718). Comme le souligne l’article du
Dictionnaire des grandes œuvres de la littérature, « Bélise ne peut croiser un homme sans l’imaginer aussitôt
follement épris d’elle ; Armande, qui se sentait “blessée” (v. 11) par le seul mot de mariage, finit par s’offrir à
Clitandre », tandis que Philaminte « découvre “des hommes” dans la Lune ».
2. Les pédants imposteurs : Vadius et Trissotin
A. La primauté apparente du savoir et de la poésie
• Après avoir lu ses œuvres, Trissotin parle de son « respect » des femmes ; il rend « hommage […] au
brillant de leurs yeux [et] de leur esprit », dont il « honore les lumières » (v. 863 à 865).
Les Femmes savantes – 37
• Il est le premier à mettre la conversation sur le terrain des écoles philosophiques : « Je m’attache pour
l’ordre au péripatétisme » (v. 877).
• Vadius, à peine entré, exprime sa crainte de « troubler quelque docte entretien » (v. 951).
B. De petits désirs : Vadius
Vadius se contente de recevoir quelques baisers féminins en hommage à sa connaissance du grec :
« Ah ! permettez, de grâce, / Que pour l’amour du grec, Monsieur, on vous embrasse » (v. 945-946). Encore
Henriette les lui refuse-t-elle. Les envies de ce grammairien se tournent surtout vers la reconnaissance
mondaine.
C. Un carnassier : Trissotin
Trissotin, en revanche, est habité de désirs charnels qu’il n’avoue pas, et il se sert, en imposteur, de
son statut de poète et de savant pour arriver à des fins que ses interlocutrices ne soupçonnent pas. Son
langage est plein de l’expression de cette sensualité qui le rapproche de fait de Chrysale. Tout dans
son discours est ramené à la chair. Il parle de son sonnet comme d’« un enfant nouveau-né » dont il
vient « d’accoucher » (v. 720, 722). Il file ensuite largement la métaphore du repas que lui suggère
Philaminte : « cette grande faim », « un plat seul de huit vers », « le ragoût d’un sonnet », « assaisonné »,
« d’assez bon goût » (v. 747-754). À Henriette qui lui exprime ses réticences, il dévoile finalement son
peu de délicatesse : « Pourvu que je vous aie, il n’importe comment » (v. 1536).
3. Les personnages de bon sens : Chrysale, Martine, Henriette, Clitandre
A. Un mari tourné vers les plaisirs de la nourriture
Tout comme Trissotin, mais sans détour métaphorique, Chrysale recourt au langage culinaire : « à la
cuisine », « en épluchant ses herbes », « brûler ma viande », « saler trop mon pot », « bonne soupe », « bien faire
un potage » (v. 525-534). Il est désolé et inquiet du départ de Martine : « Une pauvre servante au moins
m’était restée » (v. 603). Un peu gaillard, il évoque avec Ariste ses jeunes amours : « Nous n’avions alors
que vingt-huit ans, / Et nous étions, ma foi, tous deux de verts galants » (v. 345-346). Chrysale affirme ainsi
sans détour l’importance que revêtent (que revêtaient ?) pour lui les plaisirs de l’amour, compensés
désormais par ceux de la bonne chère.
B. Une servante exprimant ses désirs
Martine affirme l’importance de l’union physique dans le mariage : « Par quelle raison, jeune et bien fait
qu’il est, / Lui refuser Clitandre ? » (v. 1655-1656), « Il lui faut un mari, non pas un pédagogue » (v. 1658),
« Les livres cadrent mal avec le mariage ; / Et je veux, si jamais on engage ma foi, / Un mari qui n’ait point
d’autre livre que moi » (v. 1666 à 1668). Elle se fait ici l’interprète des pensées de Chrysale, qui n’est pas
en mesure, pour sa part, de les exprimer de façon si directe.
C. Deux jeunes gens amoureux corps et âme
Henriette et Clitandre défendent tour à tour (avec ironie) leur attachement à tous les aspects de l’amour :
« mon esprit, se tenant ici-bas, / Goûtera de l’hymen les terrestres appas », « Moi, du côté des sens et des grossiers
plaisirs » (Henriette, v. 66, 70) ; « Pour moi, par un malheur, je m’aperçois, Madame, / Que j’ai, ne vous déplaise,
un corps tout comme une âme », « J’aime avec tout moi-même, et l’amour qu’on me donne / En veut, je le confesse, à
toute la personne » (Clitandre, v. 1213-1214, 1225-1226). Clitandre rappelle à Armande le sens commun :
« le mariage est assez à la mode, / Passe pour un lien assez honnête et doux ».
Conclusion
Par un rapport au corps plus ou moins simple, alambiqué ou pudibond, les personnages révèlent des
manies ou des insuffisances, mais aussi des qualités faites de tempérance et de lucidité. Chrysale se
situe à la lisière des deux camps. Trissotin s’y révèle particulièrement odieux, tandis que les trois
« femmes savantes », aux prises avec leur naïveté et leurs déceptions, font figure de victimes. Parmi les
hommes, en effet, Clitandre est une exception, les autres étant pour le moins décevants. Cette crainte
féminine de l’imperfection des hommes se perpétue dans le théâtre du XVIIIe siècle (Silvia dans Le Jeu
de l’amour et du hasard ; la Comtesse dans Le Mariage de Figaro).
Écriture d’invention
Elvire et Armande ont subi des influences communes. L’une cependant est une amoureuse mystique
et sensuelle, qui a connu le mariage (Don Juan l’a épousée), tandis que l’autre est une demoiselle
prude, soumise à l’autorité de sa mère, qui tente de cacher aux autres comme à elle-même la véritable
Réponses aux questions – 38
nature de ses sentiments. Le rapprochement des deux extraits doit être justifié au cours du devoir, par
le professeur.
Les élèves peuvent s’inspirer du texte de Louis Jouvet (lectures croisées, pp. 21-22) et imaginer les
conseils donnés par un metteur en scène. La lecture des pages consacrées aux mises en scènes des
Femmes savantes (pp. 215 à 219) leur donnera une idée de la diversité des interprétations. En effet, le
jeu d’un acteur ne se calque pas nécessairement sur la psychologie apparente des personnages, mais
peut se révéler plus intéressant quelquefois s’il en prend le contre-pied. L’essentiel est que les élèves
comédiennes s’interrogent sur le sens de la pièce et sur leur interprétation et que leur dialogue avec
leur professeur exprime le tâtonnement d’une recherche.
Le point de vue et la forme du devoir sont libres :
– récit d’une des comédiennes, sous forme de lettre, par exemple, ou de livre de souvenirs ;
– dialogue entre le professeur et ses élèves (à la manière du texte de Louis Jouvet) ;
– reportage d’un observateur extérieur (journaliste ou biographe).
A c t e
V ,
s c è n e
3
( p p .
1 5 3
à
1 6 0 )
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 161-162)
Philaminte et Bélise reprochent au notaire son « style sauvage » et sa « barbarie ». Les usages
juridiques leur paraissent donc primitifs et étrangers à la civilisation (« au milieu de la France ! »). Bélise
propose, pour y remédier, de remplacer le vocabulaire courant (« au lieu d’écus, de livres et de francs »)
par des termes latins (« mines et talents », « les mots d’ides et de calendes »). Rien ne justifie ces
modifications, si ce n’est le pédantisme et l’application dogmatique des préceptes classiques aux
domaines de la vie courante. Ces propositions sont d’autant plus absurdes qu’elles reposent sur un
contresens. En effet, la barbarie représente pour les Grecs et les Romains ce qui est étranger à leur
civilisation. Il y a donc « une espèce de barbarie à latiniser des noms français », comme l’affirmera Voltaire
– tenant pourtant du classicisme. Le notaire souligne avec simplicité l’incongruité – pour ne pas dire
« la bêtise » – de ces remarques : « je serais un sot, / Madame, de vouloir y changer un seul mot. » Ce
personnage-outil, en porte-parole du commun des mortels, estime qu’il est bon, « au milieu de la
France », de parler français et d’appliquer les textes sans « vouloir y changer un seul mot ».
" Tout au long de la pièce, Philaminte exprime des positions tranchées, que Bélise reprend de façon
caricaturale, en les agrémentant, comme ici, de termes savants. Dans cette scène cruciale, qui précède
le dénouement, l’inquiétude sur le sort d’Henriette et de Clitandre est à son comble. L’entrée en
scène des deux femmes n’est pas rassurante. En effet, Philaminte s’y montre d’emblée autoritaire et
monomaniaque, bien plus préoccupée de la forme du contrat de mariage que de son contenu : « nous
faire un contrat qui soit en beau langage ». Au moment où elle s’apprête à décider, contre la volonté de
son mari, de la destinée de sa fille, les sentiments des membres de sa famille lui sont indifférents. Cette
entrée en trombe rappelle sa première apparition, au cours de laquelle elle gourmandait Martine
(II, 6). Lorsque Philaminte constate le retour de cette dernière, ses mots et son attitude montrent
qu’elle n’a pas évolué.
# Dès qu’il s’agit de mettre en œuvre le contrat de mariage, l’enchaînement des répliques s’accélère,
prenant le rythme d’un agôn parodique. Les deux époux ne s’adressent pas la parole mais s’affrontent
par l’intermédiaire du notaire qui ne sait plus où donner de la tête. Philaminte prend naturellement
l’initiative des décisions et répond la première aux questions du magistrat : « Celle que je marie est la
cadette. » Chrysale, pour ne pas être en reste, acquiesce : « Oui. La voilà, Monsieur ; Henriette est son
nom. » Ce semblant d’accord se prolonge, mis en relief par les termes positifs employés par Chrysale et
par le notaire : « Bon », « Oui », « Fort bien ». Ce temps de latence rend plus amusant pour le
spectateur l’affrontement qu’il sait inévitable.
Dans les vers suivants, la forme similaire des répliques pourrait laisser penser que l’entente se prolonge,
mais la symétrie est une mécanique qui souligne surtout la mésentente des époux. En effet, les phrases
de Chrysale se calquent sur celles de sa femme. Il imite son langage pour tenter d’affirmer une autorité
qu’il n’a pas. Ainsi l’« époux que je lui donne » (Philaminte, v. 1621) est repris par « celui, moi, qu’en
propre personne / Je prétends qu’elle épouse, est Monsieur » (Chrysale, v. 1622-1623). En multipliant par
trois la 1re personne, le mari tente d’en imposer – trois fois plus – à sa femme et au notaire.
!
Les Femmes savantes – 39
L’impossibilité d’un accord se confirme dans les vers suivants. Les personnages se comportent comme
deux pantins, l’un répétant en les inversant les propos de l’autre. Les reprises enfantines des verbes
accentuent ce processus : « Mettez, mettez, Monsieur », « Suivez, suivez, Monsieur », « Faites, faites,
Monsieur ». Plus le fond des propos s’oppose, plus la forme se ressemble – ce qui souligne la puérilité
des conjoints : centrés sur leur concours d’autorité, ils ne se comportent pas en parents raisonnables,
soucieux de l’avenir de leurs filles.
$ Après l’intervention du notaire (v. 1631) qui a mis fin à l’emballement mécanique du langage,
Philaminte prend l’initiative d’un dialogue direct avec son époux. Sur les six répliques de ce passage,
toutes celles que prononce Chrysale sont des phrases déclaratives. Seul un « Ouais ! » exclamatif lui
échappe (v. 1640), signifiant davantage la faiblesse de son langage et de son argumentation que la
force de son caractère (c’est d’ailleurs à ce moment que Martine vient à son secours). Les formes
verbales confirment ce manque de consistance : le conditionnel présent (v. 1633 : « Je ne saurais
souffrir ») et le passé composé (v. 1637 : « j’ai fait choix ») ne se prêtent pas particulièrement à
l’expression d’une volonté immédiate.
En revanche, Philaminte emploie l’indicatif présent et fait varier les types de phrases. La première
(v. 1632) est interrogative et contraint son mari à reconnaître ouvertement qu’il ose s’opposer à sa
volonté. Elle est donc en position d’attaque, tandis que Chrysale est sur la défensive. La réponse qu’il
lui fait (v. 1633-1634) suscite son indignation, qu’elle manifeste dans une phrase exclamative
(v. 1635-1636). Philaminte, depuis le début de la pièce, ne s’adresse à son mari que sur le mode du
mépris et de la consternation. Elle ne dialogue pas véritablement avec lui. La seule phrase déclarative
qu’elle emploie ici (v. 1638-1639) est truffée de termes injonctifs : « je veux », « mon choix », « résolu ».
Rien entre les époux n’a changé depuis le début de la pièce (ni ne changera dans l’avenir). Seule une
intervention extérieure peut dénouer la situation.
% De même que son frère et sa belle-sœur, Bélise est figée dans une identité sclérosée. À l’approche
du dénouement, elle est plus que jamais une pièce rapportée, inutile à l’action. Comme Philaminte,
elle a le même comportement que lors de sa première apparition sur la scène (I, 4). Ses lubies
amoureuses ne l’ont pas quittée : elle reste persuadée du fait que Clitandre se marie par dépit. Son
vocabulaire en témoigne dans les deux scènes : « une espèce d’amour qui doit être épuré » (v. 1683-1684)
rappelle « les vœux épurés » du vers 318. Elle reprend de manière obsessionnelle dans cette dernière
réplique les thèmes qu’elle a brassés tout au long de la pièce : la cartésianisme (« la substance étendue »),
la préciosité (emploi de la périphrase « comme l’astre du jour » et du pronom « on »). À la fin d’une
scène dont l’enjeu est grave et qui a vu s’affronter vivement des intérêts contraires, cette intervention
décalée est à la fois comique et pathétique.
& Martine commet peu de solécismes dans cette scène. Son unique faute de syntaxe apparaît au
vers 1641 : « je sommes ». Par ailleurs, elle emploie des expressions imagées et populaires, empruntées
au domaine du jeu (v. 1643 : « Mon congé cent fois me fût-il hoc »), de la basse-cour (v. 1644 : « La poule
ne doit point chanter devant le coq ») ou de la farce populaire (v. 1649 : « je ne l’aimerais point, s’il faisait le
jocrisse »), qui constituent aux yeux de sa maîtresse autant de fautes de goût. Le rapprochement du
verbe populaire « bailler » avec le mot « savant » (v. 1657) et la prononciation « grais » pour grec
constituent également des écarts. Ces deux formules, ressenties comme particulièrement
irrespectueuses par Philaminte, contribuent à la ridiculiser, dans la mesure où une personne peu
éduquée est capable de lui tenir tête, avec des arguments solides, sans recourir aux ressources d’un
langage savant.
' Martine intervient au moment où l’affrontement entre Chrysale et Philaminte se met à tourner à
vide : « Mon choix sera suivi, c’est un point résolu » (v. 1639) ; « Ouais ! vous le prenez là d’un ton bien
absolu ». Chrysale, en tentant de rivaliser d’autorité avec son épouse, s’aventure sur un terrain qui lui
est étranger. Les conjoints mettent en jeu, au cours de cette scène, leur place au sein de leur ménage
et plus largement dans la société.
Martine, comme le reste de la maisonnée, connaît la faiblesse de Chrysale et sa propension à le céder
en tout à sa femme. Chassée dès sa venue sur scène, elle s’est trouvée évincée de l’action. Elle a donc
des comptes à régler avec cette bourgeoise qui lui a donné congé sans raison. Philaminte, en refusant
au langage domestique de s’exprimer au naturel, a empêché la servante de remplir la fonction
d’auxiliaire de la jeunesse qui lui était dévolue. Ainsi, lorsque l’occasion lui est donnée de prendre sa
revanche, Martine tente-t-elle tout d’un bloc de rééquilibrer les forces en venant au secours
Réponses aux questions – 40
d’Henriette et de Clitandre. Son intervention ne permet pourtant pas de dénouer la situation ; elle
confirme la mollesse du paterfamilias et renforce le mépris de Philaminte à l’égard de son mari : « Est-ce
fait ? et sans trouble ai-je assez écouté / Votre digne interprète ? » Philaminte vit dans un univers
hermétique, insensible à toute argumentation.
( Martine n’a jamais eu, au cours de la pièce, l’occasion de s’exprimer aussi longuement (9 vers). Elle
développe dans cette tirade une pensée organisée, sans recourir au langage populaire. L’emploi de
maximes (au présent de vérité générale) rappelle le chœur grec exprimant la mesure et le sens
commun : « Les savants ne sont bons que pour prêcher en chaise » (v. 1662) ; « Les livres cadrent mal avec le
mariage » (v. 1666). De tels propos ont semblé aux détracteurs de Molière contribuer au caractère trop
sérieux des Femmes savantes (l’emploi du verbe cadrer avec la préposition avec apparaît dans la langue
française en 1672 et peut sembler trop soutenu dans la bouche d’une servante). L’ensemble de la
tirade n’est cependant pas abstrait. Martine la clôt par des remarques qui montrent qu’elle n’a d’autre
référent qu’elle-même : « Et je veux, si jamais on engage ma foi, / Un mari qui n’ait point d’autre livre que
moi » (v. 1667-1668). Se présentant comme un substitut des références livresques, Martine fait figure
d’incarnation du bon sens, s’offrant à livre ouvert comme l’humanité sensible face à la dureté du
dogmatisme. On retrouve là la fonction traditionnelle de la servante-nourrice comme substitut
maternel (Œnone dans Phèdre, Dorine dans Le Tartuffe).
) Martine oppose à Philaminte une conception traditionnelle et passéiste du monde. Les femmes
sont soumises aux hommes et doivent le rester : « Ce n’est point à la femme à prescrire, et je sommes /
Pour céder le dessus en toute chose aux hommes » (v. 1641-1642). Sans véritablement argumenter, elle
assène une série de vérités, qu’elle ne justifie pas. Ses interventions successives, soutenues par
l’assentiment répétitif de Chrysale, ne changent que dans leur forme, comme autant de variations sur
un même thème. Le ton devient, au fil du texte, de plus en plus populaire et imagé, le proverbe se
substituant à la maxime : « La poule ne doit point chanter devant le coq. » L’emploi récurrent de
modalisateurs injonctifs renforce l’impression de soumission domestique à un ordre établi
incontestable : « Ce n’est point » (v. 1641), « ne doit point » (v. 1644). De plus, Martine est soucieuse
du qu’en-dira-t-on : « Et nous voyons que d’un homme on se gausse » (v. 1645).
La deuxième partie de son intervention (v. 1647 à 1670) est consacrée à l’idée qu’elle se fait du mari
idéal : « Je ne voudrais jamais prendre un homme d’esprit » (v. 1644), « Je voudrais qu’il se fît le maître du
logis » (v. 1648), « jeune et bien fait qu’il est » (v. 1655). L’homme et la femme sont censés se consacrer
l’un à l’autre (v. 1670 : « Et ne soit en un mot docteur que pour sa femme »), au nom d’une valeur suprême
(« le mariage ») et de l’engagement de la foi (v. 1667). Cette conjugalité basique ne comporte ni
amour, ni goûts communs, mais repose sur un rapport de forces inégal et consenti, qui corrobore les
fondements d’une société patriarcale : « je trouverais fort bon / Qu’avec quelques soufflets il rabaissât mon
ton ». Les relations entre époux sont primaires et fondées sur un rapport de dominant à dominée.
*+ À travers sa harangue sur le mariage, Martine fait en creux le portrait de ses maîtres, qui sont
l’illustration vivante des méfaits des mariages arrangés. Philaminte est « une poule » qui chante « devant
le coq ». Elle se comporte en homme (v. 1641 : « ce n’est point à la femme à prescrire ») et porte « le hautde-chausse ». Chrysale est présenté comme un individu dont « on se gausse » et qui fait « le jocrisse ».
Ainsi, d’après Martine, les choses vont-elles sens dessus dessous. Si elle prend sa revanche sur
Philaminte, elle laisse aussi éclater sa rancœur à l’égard de son maître, qui n’a pas su en imposer à sa
femme pour l’empêcher de commettre à son égard une injustice. Cette veulerie constitutive de
Chrysale est confirmée par ses piètres interventions (« C’est bien dit », « Sans doute », « Il est vrai »,
« C’est parler comme il faut »), sémantiquement plus pauvres que celles de sa servante, lesquelles ne
brillent pas non plus pourtant par la richesse et la variété de leur contenu. Observatrice, membre
éjectable et inférieur de la maisonnée dont elle partage l’intimité, la servante est un révélateur efficace
des travers de ses maîtres. La crudité imagée de son langage, bridé mais indomptable, favorise la satire.
*, Au début de la scène, l’arrivée de Philaminte rappelle le culte inconsidéré qu’elle voue à la langue
et sa propension à sacrifier tout principe de réalité. Qu’il s’agisse de langage ou de mariage, le ton de
Philaminte est sempiternellement injonctif. Les paroles de Martine, non plus a fortiori que celles de
Chrysale, ne la font évoluer d’un iota à la fin du passage : « Je l’ai dit, je le veux : ne me répliquez pas. »
Cette affirmation, renforcée par un rythme ternaire, résume l’inflexibilité de son tempérament.
L’extrait se clôture par une intervention de Bélise, en proie à des lubies inchangées.
Les Femmes savantes – 41
Chrysale parle très peu au début de la scène, se contentant de remettre à plus tard la discussion sur le
retour de Martine : « Tantôt, avec loisir, on vous dira pourquoi » (v. 1616), mais sa pusillanimité et son
égoïsme sont confirmés par les vers 1679-1680 : « Voilà dans cette affaire un accommodement. / Voyez : y
donnez-vous votre consentement ? » Malgré ses résolutions et l’intervention de Martine, il est le même
que celui qui, au commencement de la pièce, renonçait à affronter sa femme : « Allons, sortez. (Bas)
Va-t-en, ma pauvre enfant » (v. 510).
Les personnages de la génération parentale sont tout aussi autistes que dans les premiers actes. Les
deux dernières interventions de Philaminte et de Bélise font écho à celles du début et encadrent le
passage de leur aveuglement inquiétant. Cette scène n’a pas pour fonction de faire évoluer l’action
mais d’en resserrer encore les nœuds.
*- Excédée par la rébellion de son mari et par l’intervention de Martine, Philaminte entend mettre fin
à toute tergiversation. Plus intelligente que Chrysale, elle lui offre une porte de sortie honorable, dont
elle sait qu’il l’empruntera volontiers. L’emploi de la 1re personne, légèrement incorrect, traduit
l’irritation de cette maîtresse femme et son incapacité à entendre la parole et les désirs d’autrui. Le
pronom accentué « moi » (v. 1673) est mis en relief par sa place en début de vers et par la rupture
syntaxique, qui le laisse en suspens dans la phrase. Cette anacoluthe souligne la haute estime que
Philaminte accorde à sa propre personne, le pronom tenant quasiment lieu à lui seul d’argument
d’autorité. Un adjectif possessif le relaie au vers suivant : « Il faut qu’absolument mon désir s’exécute. »
Cette formule impérieuse est presque pathétique, dans la mesure où cela devient pour Philaminte une
condition essentielle d’existence : « Je l’ai dit, je le veux : ne me répliquez pas. » Chrysale ne peut
répondre que par un désir « d’accommodement » et de « consentement ». Dans cette ultime intervention,
Philaminte a décliné la 1re personne sous toutes ses formes, confirmant ainsi le trait fondamental de
son caractère : le culte de soi l’emporte pour finir sur celui du langage.
*. Chrysale trouve le moyen de ponctuer les propos de Martine de sept phrases déclaratives qui
forment autant de modulations sur le thème de l’acquiescement : « C’est bien dit », « Sans doute », « Il
est vrai », « C’est parler comme il faut », « Oui », « Fort bien », « Elle a dit vérité ». Ce procédé répétitif
produit un effet comique, tant il souligne l’incapacité de ce personnage à développer une pensée et
son penchant pour les vérités simplistes et proverbiales. En se montrant si complaisant, Chrysale
dessert sa cause. Cette série de phrases creuses est presque la figure inversée du procédé de la
prétérition habituel chez Molière qui consiste à faire dire au valet ce qu’il pense, tout en faisant
semblant de dire autre chose : le domestique dit ici à la place du maître ce que celui-ci n’ose pas dire !
Chrysale a beau soutenir toutes les assertions de Martine, il reste incapable, sans tiers intermédiaire,
d’imposer quoi que ce soit à Philaminte et déclare forfait dès qu’il le peut, essayant tout au plus de ne
pas perdre la face, en une formule interrogative : « Y donnez-vous votre consentement ? » Ne craignant
pas d’être versatile, ce père de famille se compromet en douceur. Quitte à sacrifier ses vagues
convictions, il a pour cause première sa tranquillité et la paix domestique.
*/ La structure de la scène met en relief le caractère inextricable de la situation. En effet, la première
partie (v. 1601-1617) et la dernière (v. 1673-1686) sont similaires : Philaminte s’y montre brutale et
péremptoire, Bélise chimérique et décalée, et Chrysale y tient des propos en demi-teinte. Le centre
de la scène, très rythmé, se structure en deux temps, caractérisés par un rapide échange de répliques
quasiment vers à vers. Des vers 1618 à 1640, la joute verbale entre les époux, via le notaire, constitue
une sorte de ballet que rythme le parallélisme des répliques. L’intervention de Martine, qui alterne des
remarques brèves ou plus développées (v. 1641 à 1672), rompt cette stichomythie. Par la liberté de ses
propos (tant dans la forme que dans le fond), elle apporte une tonalité nouvelle. Pourtant, Philaminte
reste sans réaction face à Martine, qu’elle ignore. Sa force d’inertie finit par déstabiliser la servante
aussi bien que son maître. Cette stratégie du silence n’est pas sans rappeler celle que Don Juan oppose
à Sganarelle (III, 1 : « Oh dame, interrompez-moi donc si vous voulez, je ne saurais disputer si l’on ne
m’interrompt, vous vous taisez exprès, et me laissez parler par belle malice ») pour laisser son raisonnement
« avoir le nez cassé ». Ainsi, dans la dernière partie (v. 1673-1686), Philaminte reprend-elle le dessus, le
duo Martine/Chrysale étant réduit au rang d’intermède comique.
*0 Cette scène est a priori inquiétante, en raison de la tension que fait régner l’intransigeance de
Philaminte. Les procédés comiques y sont donc à double tranchant. Chrysale s’y illustre dans deux
numéros successifs. Tout d’abord, le duo mécanique des deux conjoints amuse, aux dépens du
personnage plutôt sympathique qu’est Chrysale. L’effarement du notaire, le décalage de ses réponses
Réponses aux questions – 42
(v. 1623-1624 : « Deux époux ? / C’est trop pour la coutume ») sont drôles, tant il y a de distance entre le
pointillisme administratif, le sérieux de ses réponses, et la réalité de la situation. Ensuite, le comique
naît de la répétition béate des formules affirmatives de Chrysale, qui sert cette fois de faire-valoir à
Martine. Ainsi, si cette scène prête à rire, c’est d’un rire crispé, mâtiné d’inquiétude, car le spectateur,
à ce stade de la pièce, s’inquiète fort du sort des amoureux, en constatant l’incapacité croissante de
Chrysale à tenir la dragée haute à sa femme.
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 163 à 170)
Examen des textes
! L’échange des rôles entre maîtres et valets dans L’Île des esclaves libère la parole. Cléanthis, comme
enivrée, se livre au plaisir des mots et offre au public un numéro d’imitation. Le désir d’être pour une fois
entendue se manifeste par les formules de captatio benevolentiae qui ouvrent chacune de ses répliques : « Vous
souvenez-vous […] ? », « Écoutez, écoutez ». Cléanthis est emportée par sa logorrhée, au point qu’à deux
reprises Trivelin doit lui signifier la nécessité de se taire : « En voilà donc assez pour à présent », « Cela suffit ».
Au moyen d’une formule de prétérition (« J’allais parler des vapeurs »), Cléanthis trouve encore le moyen de
prolonger son plaisir en développant ce dont elle est censée ne pas parler.
Par ailleurs, la servante s’amuse en imitant sa maîtresse : offrant au public un spectacle dans le
spectacle, elle joue tour à tour son propre rôle et celui de sa maîtresse, mettant au jour l’intimité
d’une coquette. Le recours au discours direct pour rapporter les propos d’Euphrosine contribue à faire
de ce passage une succession de saynètes : « Cette femme-là est aimable, disiez-vous », « À moi ? lui dîtesvous », « Continuez folâtre, continuez, dîtes-vous ». Enfin, Cléanthis commente ses propres paroles pour
en souligner le caractère pittoresque : « voici le plus plaisant ».
Sur le point d’être définitivement interrompue, elle abandonne les temps traditionnels du récit
(imparfait, passé simple) en une chute rendue particulièrement expressive par le présent de narration
et l’emploi d’une onomatopée populaire : « Crac ! la vapeur arrive. » Entendue à la fois par sa cible
(Euphrosine), par le juge de celle-ci (Trivelin) et par le public, Cléanthis a plusieurs destinataires. La
richesse de l’énonciation permet à la comédienne un véritable morceau de bravoure, que favorisait à
l’époque la souplesse du jeu des comédiens italiens.
" Le comte Almaviva incarne, dans Le Barbier de Séville, l’aveuglement de la noblesse d’Ancien
Régime. En effet, il peine à reconnaître son valet : « Je crois que c’est ce coquin de Figaro », « Je ne te
reconnaissais pas, moi. Te voilà si gros et si gras… ». Figaro, en revanche, sait dès le premier coup d’œil à
qui il a affaire : « Je ne me trompe point ; c’est le comte Almaviva. » Almaviva, tout à ses amours, ne
perçoit pas les changements qui se profilent. Figaro est « si gros et si gras » parce qu’il évolue et aspire à
une reconnaissance sociale. Le Comte, lui, figé dans les valeurs du passé, ne change pas. Le dialogue
entre les deux hommes est faussé dès le début. Le Comte, déguisé, biaise d’emblée la
communication : « Ayons l’air de jaser. » Ainsi ne s’agit-il pas d’une vraie conversation mais d’un jeu.
Seul ce procédé explique d’ailleurs qu’Almaviva se soucie de la vie de son ancien valet. Une fois de
plus, la parole du domestique est déconsidérée. Le Comte s’en amuse, sans la prendre au sérieux,
comme s’il était au spectacle et que Figaro faisait un numéro pittoresque, attendu, conforme à la
tradition. D’ailleurs, Almaviva l’honore dès le début de sobriquets réservés à la domesticité (« ce coquin
de Figaro », « Maraud ! »). Il rit au récit de ses tribulations et les commente en amateur : « Beau
début ! », « Ah ! ah ! », « Puissamment raisonné ».
Pourtant, les maximes énoncées par l’ancien garçon apothicaire à la fin de l’extrait ont raison de cette
ironie, à laquelle Figaro coupe court en l’interrompant : « Et tu ne lui fis pas représenter », « paresseux,
dérangé ». Figaro sort vainqueur de ce faux échange. Sa parole prend du poids et rééquilibre les forces :
« persuadé qu’un grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal », « Aux vertus qu’on exige
dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d’être valets ? ». De
haute lutte, ici, Figaro est le premier valet de théâtre à sortir vainqueur, sans se casser le nez, d’une
joute verbale avec son maître, rejoignant là le rôle subversif des fous du roi du théâtre élisabéthain.
Enfermé dans une vision stéréotypée, nombriliste et passéiste du monde, Almaviva n’est pas plus
sensible aux difficultés rencontrées par son ancien domestique, qu’il ne perçoit les changements qui
auront raison de l’Ancien Régime.
Les Femmes savantes – 43
Lorsqu’elle prononce cette formule apparemment anodine et même humoristique (le tilleul n’étant
pas un poison violent, mais une tisane bien inoffensive, symbole de la douceur feutrée d’une vie
bourgeoise), Madame ne perçoit pas, apparemment en tout cas, toute la portée de ses propos. Le
public et Claire en apprécient en revanche la polysémie. Le tilleul est effectivement empoisonné,
Claire veut vraiment tuer Madame avec son tilleul. Une autre hypothèse est possible : Madame sait ce
que manigancent Claire et Solange et s’en amuse.
Quoi qu’il en soit, Jean Genet réutilise, en le détournant, le procédé antique de l’ironie tragique. La
victime supposée du destin n’est pas celle qui en est ici la cible. La volonté des domestiques étant
inefficiente, Madame ne sera pas plus une héroïne tragique que Claire et Solange ne réussiront à
exister.
$ Tandis que Marceau, une cigarette aux lèvres, regarde son maître en arrangeant son nœud
papillon, le Marquis esquisse un demi-sourire et son regard se perd dans le vague. Dans cette société
décadente de la fin des années 1930, le maître se soucie peu des conventions. Il joue à être un
marquis, de même que Marceau, ancien braconnier, joue au valet. La cigarette allumée et le regard
désabusé des deux personnages montrent qu’ils ne sont pas dupes de cette fin de partie, qui s’achèvera
en mascarade tragique. Marceau, heureux d’avoir été promu domestique, fier de sa livrée, se soucie
pourtant sérieusement de la tenue de son maître, lequel se prête au jeu, avec indolence.
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Travaux d’écriture
Question préliminaire
Les extraits des pièces de Molière, de Marivaux, de Beaumarchais et de Genet mettent en avant
l’intimité des maîtres et des valets, laquelle ne débouche pas nécessairement sur une connivence,
notamment dans Les Femmes savantes. Martine met le doigt sur les failles du ménage de ses maîtres. Sa
maîtresse est autoritaire et narcissique, si bien que sa familiarité avec ce ménage bourgeois n’aboutit
pas à la complicité.
Il en va de même pour Cléanthis. L’Île des esclaves, pièce en forme d’apologue, vise justement à
démontrer que ces deux états (intimité, complicité) devraient aller de paire. Cléanthis, en effet,
connaît toutes les manies de sa maîtresse, jusqu’à la ruelle de son lit : « vous étiez avec ce cavalier si bien
fait », « vous avez la main belle, il la vit, il la prit, il la baisa », « J’attendais une vapeur, elle est encore à venir.
Le lendemain en compagnie une rose parut ; crac ! la vapeur arrive ». Cléanthis démasque les hypocrisies de
sa maîtresse, mais n’entretient avec elle aucune relation d’amitié.
Entre le Comte et le « barbier de Séville », en revanche, la complicité est évidente. Tous deux se
« reconnaissent » comme des familiers et jouent avec le langage et les conventions. Ainsi, lorsque
Figaro parodie Voltaire, la réaction d’Almaviva est-elle également parodique : « FIGARO. […] L’envie
aux doigts crochus, au teint pâle et livide… / L E COMTE. Oh ! grâce ! grâce, ami ! » Ce jeu reste pourtant
superficiel, chaque personnage étant ramené finalement au rapport de forces qu’implique la différence
sociale.
Dans Les Bonnes, Claire semble materner Madame, qui se conduit en amoureuse folâtre ; condamnées
à une vie insipide, Claire et Solange tentent d’utiliser le semblant d’intimité qui les unit à Madame
pour la réduire à néant. La fausse proximité est pour elles un supplice quotidien, et le simulacre de la
complicité quasi amoureuse qu’elles entretiennent avec elle vire à la haine. Tout dans ce passage est
faux-semblant. Madame est la dupe de ses bonnes, comme elles le sont de leur maîtresse, objet de leur
fascination qui leur échappera pour les laisser face à leur propre vacuité. Enfin, le plan du film de
Renoir confirme l’ambiguïté des rapports humains dans lesquels la proximité des corps ne réduit pas
l’écart fixé par les règles du jeu social, auxquelles chacun semble se plier sans y croire.
Commentaire
Introduction
Dans Les Bonnes, Jean Genet reprend un thème constitutif de l’histoire du théâtre : les relations entre
maîtres et serviteurs. Madame et ses bonnes jouent à vivre ou à mourir : Claire et Solange tentent
d’empoisonner leur maîtresse, qui le sait ou l’ignore, ou feint de l’ignorer. Cette ambiguïté est
exacerbée dans le passage décisif qui précède le dénouement. S’inspirant d’un fait divers (le meurtre
commis par les sœurs Papin sur leur maîtresse et sa fille), Genet interroge le théâtre et la modernité :
Réponses aux questions – 44
entre comédie et tragédie, les rapports de forces se jaugent, pour laisser finalement chacun face à sa
vacuité, sa solitude ou son errance. L’enjeu, malgré la gravité de la situation, reste dérisoire.
1. Les relations maîtres-serviteurs
A. La réification des bonnes
• Les relations entre Madame et ses bonnes passent par les objets : le tilleul, le réveil, l’étagère, la pendule,
les petits objets dont elle ne se sert plus, un prie-Dieu, l’eau bénite, son gant, le taxi, le meuble, les roses.
• La chaleur des sentiments, l’attention prêtée à l’autre s’évaluent par l’intermédiaire des objets
donnés, déplacés, négligés.
• Les bonnes sont, aux yeux de Madame, de « petits objets ». En effet, son langage trahit sa pensée :
« CLAIRE. C’est Solange pour le ménage. Elle n’ose jamais se fier à la pendule.
MADAME. Elle est l’exactitude même. »
Solange est assimilée ici à l’objet-pendule. Elle est celle qui compte le temps de Madame, dans tous les
sens du terme : incarnation dérisoire de la grande faucheuse ou figure ratée du destin.
B. Un faux dialogue
• Les deux femmes ne s’écoutent pas ou du moins ne veulent pas entendre la parole de l’autre. Ainsi,
au moment où Claire, « avec amertume », « récite les bontés de Madame », cette dernière, sans y prêter
attention, l’interpelle depuis la cuisine : « Écoute ! Écoute ! » Madame, préoccupée de l’arrivée du taxi,
est toute tournée vers l’extérieur.
• Chacune poursuit son idée, restant étrangère aux préoccupations de l’autre tout en feignant d’y
prêter attention, comme le souligne l’enjouement faussé de Madame : « Il est vrai que la cuisine m’est un
peu étrangère. Vous y êtes chez vous. C’est votre domaine. Vous en êtes les souveraines. » Sous prétexte
d’encenser ses bonnes, elle les humilie, en les confinant au rang de souveraines de la cuisine. Chaque
compliment est ainsi assorti d’une brimade ou d’une contradiction : « Que d’honneurs… et de
négligence », « Mais très heureuse, Claire. Et je pars ! ».
• Claire joue à materner Madame, en lui proposant avec insistance son tilleul. Elle fait semblant de
« récite[r] les bontés de Madame », mais parle très fort pour le lui signifier, exprimant par là une violence
décalée, qui souffre de ne pouvoir se dire.
2. L’ironie tragique inversée : l’absence de destinée
A. L’ambiguïté du langage
• La polysémie des répliques permet, au théâtre, l’exploitation de toutes les ressources de
l’énonciation. Elle favorise le quiproquo ou l’ironie tragique, selon la nature de la pièce.
• Dans un registre intermédiaire, mi-comique, mi-tragique, le procédé se fait ambivalent :
– « MADAME. Je suis déjà trop énervée. / CLAIRE. Justement. » ;
– « Tu veux me tuer avec ton tilleul, tes fleurs, tes recommandations. »
• Ni le spectateur, ni Claire ne savent vraiment ce que veut dire Madame, dans quelle mesure elle est
consciente de la portée de ses paroles ou de celles que Claire lui adresse. Son rire, sa légèreté, son
enjouement peuvent s’expliquer aussi bien par le plaisir qu’elle a à retrouver Monsieur, que par celui
qu’elle éprouve à se rire de ses bonnes et à leur échapper, les mettant ainsi face à la vacuité de leur
condition. Le spectateur ne sait pas qui manipule qui ; les repères sont troublés.
B. La perversité morbide des relations
• Madame fait souffrir Claire en refusant le tilleul qu’elle lui propose à quatre reprises, jusqu’à
l’implorer. À l’inverse, Madame est de plus en plus gaie et légère : « c’est du champagne que nous allons
boire. Nous ne rentrerons pas », « souriante », « elle rentre, souriante », « Et je pars ! », « riant, se penche sur
elle ». La victime se meut insensiblement en bourreau ; les didascalies soulignent la position
dominante, voire triomphante de la maîtresse, qui sort gagnante de cet affrontement biaisé.
• Les bonnes sont confinées dans un huis clos qui ne présente pas pour elles, contrairement à
Madame, d’échappatoire : « Vous ne nous attendrez pas, Solange et toi. Montez vous coucher tout de suite. »
Cet espace est habité par la mort : le réveil représente le temps qui passe, qui est compté pour Claire ;
les fleurs, la poussière complètent ce tableau mortifère. Les victimes tragiques sont les bonnes, que
leur jeu accule au suicide, toute identité ou raison d’être étant perdue après le départ de Madame.
Les Femmes savantes – 45
Conclusion
En explorant le thème traditionnel des relations entre maîtres et serviteurs, Genet semble signifier que
le théâtre ne peut y échapper, comme pris au piège de sa propre histoire, qui tournerait à vide. Entre
tragédie et comédie, Genet ne choisit pas : le triomphe insignifiant de Madame ne la grandit pas plus
que le suicide de Claire ne fait d’elle une héroïne tragique. À travers une réflexion sur le sens d’un
monde confronté à la perte des valeurs, Genet esquisse également une réflexion sur le théâtre.
Dissertation
Introduction
Les valets ont toujours été confinés dans des rôles secondaires : confidents dans les tragédies (Œnone,
Phénice), adjuvants rusés (Scapin, Dorine, Toinette) ou bouffons grotesques (Sosie, Sganarelle et
autres Arlequins) dans la comédie. La parole du valet dépend par définition de celle du maître, elle n’a
pas d’autonomie, elle en est le « respons ». Cependant, même si elle n’existe pas par elle-même, elle ne
se laisse pas étouffer et a même des résonances, parfois incontournables.
1. Une parole secondaire
A. La vacuité du discours des personnages-outils
• Comédie : L’Épine (Les Femmes savantes), Gusman (Dom Juan), Éraste (L’Illusion comique), Frontin (La
Fausse Suivante)…
• Tragédie : Panope (Phèdre), Arcas (Mithridate).
B. Une parole porteuse du sens commun
• Des personnages interchangeables.
• Comédie : Lisette (Le Jeu de l’amour et du hasard) / Lisette (La Double Inconstance).
• Tragédie : Phénice, confidente de Bérénice / Céphise, confidente d’Andromaque.
C. Une parole comique
Un comique involontaire. Même le valet rusé, comme Scapin, fait rire sans en avoir la volonté,
simplement pour ce qu’il est et par la truculence de son langage. Comme Sganarelle (Dom Juan) ou
Martine (Les Femmes savantes), il est un valet conformiste. Capables de ridiculiser leurs maîtres, ces
domestiques ne remettent pas pour autant en cause les fondements de la société. Au contraire, en
aplanissant les conflits familiaux, ils sont les garants d’une certaine stabilité. Si leur jugement
s’exprime, c’est toujours par le biais de subterfuges (prétérition, autorisation exceptionnelle du maître,
adresse à un maître hypothétique…).
2. Une parole agissante
A. Un comique maîtrisé, des personnages subversifs
• Trivelin, dans La Fausse Suivante, est un chevalier déchu, réduit au rang de valet ; il pratique
l’autodérision et porte un regard lucide et distancié sur toutes les catégories de la société, dont il
perçoit l’instabilité.
• Figaro (Le Barbier de Séville, Le Mariage de Figaro), avatar chanceux de Trivelin, suit une trajectoire
opposée. Parti de rien, il devient quelqu’un et finit par être doublement « reconnu », pour ses mérites
et sa naissance.
B. Des individualités remarquables
• Une parole adjuvante : Scapin (Les Fourberies de Scapin) sait parler à chacun et changer heureusement
le cours des choses, en réparant les erreurs d’un maître rendu ridicule par ses excès et ses erreurs.
• Une parole pernicieuse : Œnone (Phèdre) aime trop sa maîtresse. Sa relation avec elle est si intime et
fusionnelle qu’elle l’aveugle et transforme la protectrice en mauvais génie. Ce personnage abandonne
son statut de nourrice confidente pour accéder à celui de personnage tragique, puisqu’elle se suicide,
dans l’ombre.
• Une parole déplacée : Ruy Blas (pièce éponyme de Hugo) ; les relations de Ruy Blas avec la Reine
sont faussées. Son irrésistible ascension, qui défie les règles du jeu social, le condamne.
Réponses aux questions – 46
C. Une parole vaine, absurde, ni efficiente, ni signifiante, mais toujours assujettie
• Beckett, En attendant Godot : Lucky et Pozzo.
• Genet, Les Bonnes, Claire et Solange.
• Dès que la parole des valets est coupée du répondant au maître, elle se perd, elle perd ses repères.
Claire et Solange imitent leur maîtresse, la miment, comme le faisait déjà Cléanthis. La figure de
l’aliénation du valet, comme de l’aliénation du théâtre à sa tradition, apparaît dans En attendant Godot
avec les personnages de Lucky et Pozzo, la laisse figurant le lien dominant/dominé.
Conclusion
La parole du valet permet au maître d’exister. Elle semble, avec Figaro, s’aventurer vers
l’émancipation, mais Beaumarchais niait que son théâtre fût subversif. L’ordre social y est d’ailleurs
rétabli, puisque la valeur exceptionnelle de ce personnage s’explique finalement par une haute
naissance méconnue. Stratagème dramaturgique qui permet quoi qu’il en soit une parole audacieuse,
qui ne va pas sans conséquences politiques. Le drame romantique ne marque pas le triomphe de cette
libération : Ruy Blas en est une victime sacrifiée. Il faudra attendre Brecht, avec Maître Puntilla et son
Valet Matti (1940), pour assister à la véritable revanche de la parole et de la pensée du valet sur celle
du maître. Cette pièce fait figure d’exception, le regard de Genet (Les Bonnes, 1947) et celui de
Beckett (En attendant Godot, 1953) étant nettement plus désabusés.
Écriture d’invention
• Almaviva, en débarquant sur l’île des esclaves, continue d’inféoder Figaro : son langage reste
méprisant (« maraud », « coquin »…) et tend à confiner le valet dans un type figé et rétrograde.
• Figaro lui coupe la parole et développe sa pensée (« Aux vertus […] »). Ce discours doit former
l’essentiel du développement, mais peut être ponctué par quelques réactions, plus ou moins vives,
agacées ou amusées du Comte.
• Les vertus exigées dans un domestique : fidélité, loyauté, honnêteté…
• Figaro, à l’instar de Cléanthis, imite son maître et joue plusieurs saynètes, formant des tableaux
successifs du valet et du maître aux prises avec ces vertus. La démesure entre la nature et les
conséquences des défaillances de l’un et de l’autre sera patente. Le discours de Figaro alternera
anecdotes et maximes.
Les Femmes savantes – 47
COMPLÉMENTS
A U X
L E C T U R E S
D
’IMAGES
Les photographies des mises en scène des Femmes savantes sont étudiées dans la partie « Compléments
aux mises en scène ».
◆ Molière par Charles Antoine Coypel (p. 4)
L’auteur
Né le 11 juillet 1694, Charles Coypel est le dernier représentant d’une dynastie qui compte quatre
peintres célèbres du XVIIe au XVIIIe siècle. Fils d’Antoine Coypel (auteur, entre autres, des fresques du
plafond de la chapelle du château de Versailles), dont il fut l’élève, il connut une carrière brillante et
ses premiers succès furent précoces. À 21 ans, il fut reçu à l’Académie royale comme peintre
d’histoire. Premier peintre du roi en 1747, Charles Coypel devint, la même année, directeur de
l’Académie. Il décède en 1752.
L’œuvre
Son portrait de Molière (huile sur toile, vers 1730) présente le dramaturge écrivant. Le rouge
flamboyant de la robe de chambre et la luminosité du visage, relayée par la blancheur de la chemise,
contrastent avec l’obscurité du fond. Le visage légèrement incliné, le bras gauche accoudé sur deux
livres, Molière tient une plume dans la main droite. Son regard oblique, à l’expression songeuse,
s’élève. Tous ces éléments montrent un Molière jeune, concentré, réfléchi, marqué par la grâce de
l’inspiration. Le cercle formé par le mouvement des bras donne l’impression d’une structure en
médaillon, qui conforte le sentiment de sérénité dégagé par ce portrait chargé de signifiants littéraires :
les livres, la plume, la feuille, l’œil inspiré.
C’est le dramaturge classique, officiel qui apparaît ici, aux dépens de l’acteur comique, mais aussi du
personnage tourmenté qu’a pu être l’auteur. Ce portrait, somme toute assez lisse, cadre avec
l’académisme que « la Maison de Molière » privilégiait au XVIIIe siècle.
Travaux proposés
– Quelle image de Molière le peintre a-t-il privilégiée dans ce tableau ?
– Comparez ce tableau avec le Portrait de Molière dans le rôle de César (1658) par Nicolas Mignard
(1606-1668). Dans quelle mesure Charles Coypel a-t-il pu s’en inspirer ?
◆ Honoré Daumier, Le Roman (p. 66)
L’auteur
Honoré Victorien Daumier naît à Marseille le 26 février 1808. Son père, un artisan vitrier qui rêve de
devenir poète, monte à Paris en 1816. Coursier à douze ans, commis de librairie ensuite, le jeune
Daumier prend des cours dans une académie de dessin, où il est repéré par Alexandre Lenoir, le
fondateur du musée des Monuments français. Il réalise en 1828 ses premières gravures pour le journal
La Silhouette. À partir de 1830, il travaille pour Philippon, directeur de La Caricature puis du Charivari,
journal dirigé contre Louis-Philippe. Sa représentation de ce dernier en Gargantua lui vaut six mois
de prison. Il poursuit malgré tout ses caricatures en sculptant des statuettes de facture libre et
provocatrice, que l’on peut voir au musée d’Orsay. En 1835, la suppression des libertés le contraint à
se tourner vers la satire des mœurs (Les Gens de justice, Les Bons Bourgeois, Robert Macaire). Les séries du
Charivari sont consacrées à la physiologie du bourgeois (Les Cinq Sens, Mœurs conjugales, Émotions
parisiennes, Les Bas bleus…).
Les figures du lecteur sont récurrentes dans l’œuvre de cet ami de Balzac, dont il est l’un des
illustrateurs les plus connus (Le Père Goriot). En 1848, il revient à son inspiration politique (Ratapoil),
mais se consacre principalement à la peinture (La République, Don Quichotte). À partir de 1865, il
connaît de sérieux ennuis financiers, et doit abandonner son atelier parisien. Devenu presque aveugle,
il s’installe avec sa femme dans le Val-d’Oise où son ami le peintre Corot lui prête une maison, dans
laquelle il demeure jusqu’à sa mort survenue en 1879.
Compléments aux lectures d’images – 48
L’œuvre
Se reporter à la réponse à la question 5 (livre de l’élève, p. 67).
Travaux proposés
– Quelles sont les cibles de cette caricature ?
– Comparez cette gravure de Daumier avec le tableau de René Magritte (1898-1967) La Lectrice
soumise (1928).
◆ Jean-Jacques Grandville, illustration de la fable de La Fontaine (p. 107)
L’auteur
Jean Ignace Isidore Gérard, dit Jean-Jacques Grandville, naît à Nancy en 1803. Il se forme dans
l’atelier de son père, miniaturiste et portraitiste. En 1823, il se rend à Paris et publie une série de
lithographies. Il connaît le succès dès 1829, avec Les Métamorphoses du jour, satire politique et sociale.
L’artiste y raille, à travers la physionomie animale de ses personnages, les ridicules de l’humanité. Il
illustre quelques années plus tard Les Fables de La Fontaine. Avec des séries comme La Vie privée des
animaux, Les Petites Misères de la vie humaine ou Anime les fleurs, il transforme le quotidien en un
univers étonnamment onirique, qui font de lui l’un des précurseurs du surréalisme. En 1847, l’un de
ses enfants s’étouffe sous ses yeux. Dès lors, ses œuvres sont marquées par l’obsession de la mort. Il
décède la même année, dans un asile d’aliénés, à Vanves.
L’œuvre
Se reporter à la réponse à la question 5 (livre de l’élève, p. 108).
Travail proposé
– Imaginez le monologue intérieur du petit garçon qui figure au premier plan, à gauche.
◆ Mise en scène du Procès en séparation de l’âme et du corps par Christian Schiaretti (p. 131)
Le metteur en scène
Christian Schiaretti a étudié la philosophie et suivi en auditeur libre au Conservatoire national
supérieur de Paris les classes d’Antoine Vitez, Jacques Lassalle, Claude Régy... Il a dirigé la Comédie
de Reims, centre national dramatique, de janvier 1991 à janvier 2002. Depuis 2002, il dirige le
Théâtre national populaire de Villeurbanne.
Après avoir exploré un large répertoire (Sophocle, Euripide, Pirandello, Brecht, Minyana, Vitrac…),
Christian Schiaretti a associé à son travail le philosophe Alain Badiou, avec lequel il a créé, au Festival
d’Avignon, Ahmed le Subtil, puis Ahmed philosophe, Ahmed se fâche et Les Citrouilles. Après les trois
années de cette expérience, ils ont abordé la langue du XVIIe siècle avec Polyeucte et La Place Royale de
Corneille, et Les Visionnaires de Desmarets de Saint-Sorlin.
Marcel Bozonnet, administrateur général de la Comédie-Française, a demandé à Christian Schiaretti,
qui avait déjà monté à Reims Le Grand Théâtre du monde, de mettre en scène deux actes sacramentels.
Le parti pris est celui de la simplicité d’une dramaturgie qui mise beaucoup sur le jeu des acteurs,
essentiellement portés par le texte.
Travaux proposés
– « L’allégorie nous aide à penser en donnant chair à l’abstraction », affirme Florence Delay, traductrice du
Procès en séparation de l’âme et du corps. Cette photographie vous semble-t-elle corroborer cette
affirmation ?
– En quoi ces personnages allégoriques semblent-ils, malgré tout, habités par des contradictions ?
◆ Hippolyte Poterlet, Dispute de Trissotin et de Vadius (p. 150)
L’auteur
Hippolyte Poterlet (1803-1835), dessinateur talentueux, fait la connaissance de Delacroix en 1818,
alors qu’il copie les maîtres dans les salles du Louvre. Cette rencontre, leur amitié et leurs échanges
artistiques le marquent profondément. Une mort précoce l’a empêché de donner toute la mesure de
ses talents de peintre et de dessinateur. On connaît de lui aujourd’hui essentiellement des copies
d’après les maîtres, de la Renaissance au XVIIIe siècle (le musée Eugène-Delacroix en possède une
Les Femmes savantes – 49
quinzaine). En 1827, Poterlet expose au Salon une toile inspirée d’un roman de Walter Scott. En
1831 puis en 1833, pour ses envois au Salon, il s’inspire des Femmes savantes puis du Malade imaginaire
de Molière. Jules Janin lui rend ainsi cet hommage posthume, paru dans L’Artiste : « Un jeune homme
qui meurt en lisant Le Malade imaginaire comme Molière est mort en le jouant. »
L’œuvre
La Dispute de Trissotin et de Vadius est la seule œuvre que le Louvre conserve de Poterlet. Illustrant la
scène 3 de l’acte III, elle représente tous les personnages qui y figurent.
Le décor rappelle le goût de la maîtresse du lieu pour le savoir. Une bibliothèque encadre le couple
Trissotin/Bélise ; un luth, posé au sol derrière le fauteuil de Philaminte, répond symétriquement aux
livres et aux instruments (compas, lunette, livres ouverts et fermés, globes…) figurant à l’autre
extrémité du tableau. Au-dessus, sur un guéridon, se trouve un coquillage, héritage des cabinets de
curiosités qui ont culminé du milieu du XVIe au milieu de XVIIe siècle. Comme dans un petit muséum
d’histoire naturelle, les gens aisés y rassemblaient des curiosités exotiques, notamment du monde
animal. Celui qui est peint sur la toile semble être un nautile, pièce particulièrement rare.
L’entassement des objets scientifiques et la présence du luth rappellent les allégories de la mélancolie
dans la peinture de la Renaissance (Dürer, La Mélancolie ; Holbein, Les Ambassadeurs ; Feti,
Melancholy), mais ne revêtent pas dans cette toile la même portée symbolique.
Les deux pédants sont assis au centre du tableau, dont la construction symétrique rend compte de la
mécanique comique de la scène. Trissotin, bedonnant et rougeaud, prend confortablement ses aises
dans son fauteuil. À sa gauche, Vadius, reconnaissable à son vêtement entièrement noir (v. 928 : « Il
est vêtu de noir et parle d’un ton doux »), se penche vers lui et parle avec véhémence. Trissotin s’incline
sur la droite, comme pour s’en éloigner. Maigre et pâle, l’helléniste a une apparence plus austère que
celle de son acolyte, dont l’embonpoint et le teint rougeoyant révèlent un penchant pour les plaisirs
concrets. Les yeux écarquillés, les sourcils relevés de Trissotin expriment sa circonspection, tandis que
l’amertume d’un Vadius vociférant se manifeste dans le pli de sa bouche ouverte. La présence d’un
petit chien qui jappe aux pieds de ce dernier suggère une comparaison avec les aboiements ridicules
d’un roquet.
À la droite de Trissotin se tiennent deux femmes. La plus jeune, Armande, est assise et tente, avec un
sourire doux à l’adresse de Vadius, un mouvement d’apaisement, répondant symétriquement à la
gestuelle menaçante de ce dernier. Derrière elle se tient, selon toute vraisemblance, une Bélise
sérieuse, attentive à l’échange. Sa position secondaire la laisse à l’écart de l’action, comme c’est le cas
tout au long de la pièce.
À côté de Vadius, un peu en arrière et penchée vers la gauche, comme pour s’éloigner, Henriette est
assise. Placée non loin de la fenêtre, dans la lumière du jour, elle observe la scène sans y prendre part,
avec un visage légèrement amusé. Le mouvement de son corps, le geste esquissé par sa main droite
laissent supposer qu’elle s’apprête à se lever discrètement, pour sortir par ce qui pourrait être une
porte ajourée. Face à elle, Philaminte, assise dans l’ombre et couverte d’un capuchon noir, affiche une
expression sévère et entrouvre la bouche, comme prête à intervenir.
Les visages et les postures des femmes ne sont pas caricaturaux. La satire qui vise leurs visiteurs les
épargne. Ce point de vue sur les personnages propose une interprétation nuancée de la pièce de
Molière.
Travaux proposés
– Ce tableau vous semble-t-il fidèle à la scène qu’il représente (III, 3) ?
– En quoi cette toile pourrait-elle inspirer une mise en scène des Femmes savantes ?
◆ Jean Renoir (p. 169)
Le réalisateur
Jean Renoir est le second fils du peintre impressionniste Pierre-Auguste Renoir. Né le 15 septembre
1894 à Paris et mort le 12 février 1979 à Beverly Hills (Californie), il fut réalisateur de cinéma,
producteur, scénariste et acteur.
Son premier long-métrage, La Fille de l’eau (1924), reçoit un accueil mitigé qui ne le décourage pas. Il
se lance peu après dans une production ambitieuse, Nana (d’après Émile Zola, 1926), puis dans une
série de réalisations très diverses. La Chienne (1931) marque un tournant dans son œuvre. C’est un des
premiers films parlants, qui offrait à Michel Simon l’un de ses plus beaux rôles. Il tourne ensuite une
Compléments aux lectures d’images – 50
série de chefs-d’œuvre naturalistes : Boudu sauvé des eaux (1932), Le Crime de M. Lange (1935), Une
partie de campagne (1936, sorti en 1946). À partir de 1936, il s’efforce de mettre en scène les enjeux
politiques et sociaux de son époque : Les Bas-Fonds (1936), La Grande Illusion (1937), La Bête humaine
(1938). Dans La Règle du jeu (1939), il brosse un tableau sans complaisance des mœurs de la société
française.
Exilé aux États-Unis en 1940, il prend la nationalité américaine. S’adaptant difficilement au système
hollywoodien, il réalise néanmoins plusieurs films de commande. De retour en Europe au début des
années 1950, il tourne encore quelques films. Rencontrant des difficultés de plus en plus importantes
pour les produire, il se tourne vers la télévision, puis se consacre à l’écriture (Renoir, mon père, 1962 ;
Ma Vie et mes Films, 1974). En 1970, il prend sa retraite à Beverly Hills, où il décède en 1979.
L’œuvre
Se reporter à la réponse à la question 4 (livre de l’élève, p. 170).
Travail proposé
– Imaginez un dialogue entre Marceau et le Marquis sur les relations des domestiques avec leurs
maîtres, en cette première moitié du XXe siècle.
Les Femmes savantes – 51
COMPLÉMENTS
A U X
M I S E S
E N
S C È N E
◆ Texte complémentaire
Jean Donneau de Visé, Le Mercure galant, lettre du 12 mars 1672
Jean Donneau de Visé (1638-1710) fut auteur dramatique, romancier, journaliste. Il fonda, en 1672,
le journal Le Mercure galant.
« Jamais en une seule année l’on ne vit tant de belles pièces de théâtre, et le fameux Molière ne nous a point trompés
dans l’espérance qu’il nous avait donnée il y a tantôt quatre ans, de faire représenter au Palais-Royal, une pièce comique
de sa façon, qui fût tout à fait achevée. On y est bien diverti, tantôt par ces précieuses ou femmes savantes, tantôt par les
agréables railleries d’une certaine Henriette, et puis par les ridicules imaginations d’une visionnaire, qui se veut persuader,
que tout le monde est amoureux d’elle. Je ne parle point du caractère d’un père, qui veut faire croire à un chacun, qu’il
est le maître de sa maison, qui se fait fort de tout quand il est seul, et qui cède tout dès que sa femme paraît. Je ne dis
rien aussi du personnage de M. Trissotin, qui tout rempli de son savoir, et tout gonflé de la gloire, qu’il croit avoir
méritée, paraît si plein de confiance de lui-même, qu’il voit tout le genre humain fort au-dessous de lui. Le ridicule
entêtement qu’une mère, que la lecture a gâtée, fait voir pour ce M. Trissotin, n’est pas moins plaisant ; et cet
entêtement, aussi fort que celui du père dans Tartuffe, durerait toujours, si par un artifice ingénieux de la fausse nouvelle
d’un procès perdu, et d’une banqueroute, (qui n’est pas d’une moins belle invention que l’exempt dans l’Imposteur) un
frère, qui, quoique bien jeune, paraît l’homme du monde du meilleur sens, ne le venait faire cesser, en faisant le
dénouement de la pièce. Il y a au troisième acte une querelle entre ce M. Trissotin, et un autre savant, qui divertit
beaucoup ; et il y a au dernier, un retour d’une certaine Martine, servante de cuisine, qui avait été chassée au premier,
qui fait extrêmement rire l’assemblée par un nombre infini de jolies choses qu’elle dit en son patois, pour prouver que les
hommes doivent avoir la préférence sur les femmes. Voilà confusément ce qu’il y a de plus considérable dans cette
comédie, qui attire tout Paris. Il y a partout mille traits d’esprit, beaucoup d’expressions hardies, et beaucoup de manières
de parler nouvelles et hardies, dont l’invention ne peut être assez louée, et qui ne peuvent être imitées. Bien des gens font
des applications de cette comédie, et une querelle de l’auteur, il y a environ huit ans, avec un homme de lettre, qu’on
prétend être représenté par M. Trissotin, a donné lieu à ce qui s’en est publié ; mais M. Molière s’est suffisamment
justifié de cela par une harangue qu’il fit au public, deux jours avant la première représentation de sa pièce : et puis ce
prétendu original de cette agréable comédie ne doit pas s’en mettre en peine, s’il est aussi sage et aussi habile homme que
l’on dit, et cela ne servira qu’à faire éclater davantage son mérite, en faisant naître l’envie de le connaître, de lire ses écrits,
et d’aller à ses sermons. Aristophane ne détruisit point la réputation de Socrate en le jouant dans une de ses farces, et ce
grand philosophe n’en fut pas moins estimé de toute la Grèce. Mais pour bien juger du mérite de la comédie dont je
parle, je conseillerais à tout le monde de la voir, et de s’y divertir, sans examiner autre chose, et sans s’arrêter à la critique
de la plupart des gens qui croient qu’il est d’un bel esprit de trouver à redire. »
Travail proposé : Une telle critique serait-elle possible aujourd’hui ?
Donneau de Visé accorde la primauté au texte. Ni le décor ni le jeu des acteurs ne sont évoqués, encore
moins la « mise en scène », notion qui n’existait pas au XVIIe siècle. Une telle critique serait inimaginable
aujourd’hui. Ce qui faisait événement alors était le texte, tandis que l’intérêt se porte de nos jours sur sa
lecture, à travers l’interprétation qu’en proposent le metteur en scène et les comédiens.
◆ Étude des photographies de mises en scène
Mise en scène de Catherine Hiégel : Henriette et Armande (I, 1, p. 23)
Travail proposé : La posture des comédiennes vous semble-t-elle fidèle à ce que suggère le
texte de Molière ?
Jacques Lassalle, lors d’une répétition de Dom Juan, dit aux deux comédiennes qui interprètent
Charlotte et Mathurine, pour les encourager à se livrer aux étreintes de Don Juan : « Vous jouez
d’abord l’abandon, le bien-être, en éteignant complètement la revendication. Et cela c’est superbe. Le texte dit une
chose, et vous en dites une autre, et le mélange est… [geste et intonation suggérant l’admiration] » Ce parti
pris semble adopté dans cette scène par Catherine Hiégel. La proximité des corps et la tendresse de la
gestuelle contrastent avec les paroles et soulignent l’ambiguïté du personnage d’Armande
(cf. questionnaire 1, réponse à la question 4).
Compléments aux mises en scène – 52
Mise en scène de Jean-Paul Roussillon : Chrysale, Bélise et Philaminte (II, 7, p. 52)
Travail proposé : En quoi cette photographie souligne-t-elle l’incapacité des personnages à se
parler ?
Au premier plan, Chrysale ferme les yeux, le visage fatigué et amer. Sa posture manque d’élégance et
le ridiculise : jambes écartées sur un fauteuil auquel il ne s’adosse pas, la main gauche posée sur la table
de travail de Philaminte, il semble à bout. Il tourne le dos à sa femme et ne se rend pas compte qu’elle
ne l’écoute pas.
En effet, Philaminte consulte d’un air soucieux les livres et les papiers qui encombrent sa table.
Derrière elle, Bélise passe d’un air affairé et se dirige vers des instruments de chimie, placés derrière sa
belle-sœur. Deux mondes se côtoient, sans se rencontrer.
Mise en scène de Simon Eine : Bélise, Vadius, Philaminte, Armande, Trissotin (III, 3, p. 109)
Travail proposé : La posture des personnages rend-elle compte du comique de cette scène ?
Les cinq personnages, de Bélise (à gauche) à Trissotin (à droite), forment une ligne descendante qui
accentue le dépit et l’abattement de l’auteur du Sonnet à la princesse Uranie.
Bélise, debout, paraît ravie et ne perçoit pas le conflit latent. Échangeant un sourire, Armande et sa
tante semblent décalées. Manipulées par Philaminte, elles n’ont pas encore compris ce qui se passe.
Cette dernière, en revanche, tourne le visage vers le public, comme les deux pédants. Ces trois
personnages se détachent de l’extase enthousiaste dans laquelle Bélise et Armande sont encore
plongées. Philaminte occupe le centre de la scène avec une expression de fierté noble, qui vise à
imiter sans doute le sérieux des deux « savants ». Vadius, sur sa droite, semble très content de lui.
Bien-portant, il tient sa sacoche sur ses genoux et pose sans daigner sourire. Armande, vêtue en
homme, est assise aux pieds de Vadius et de Philaminte. Elle semble enchantée et tourne le dos à
Trissotin. À l’écart, le cheveux gras et plat, le visage triste, ce dernier est dépité. Vadius occupe en
effet le devant de la scène et monopolise l’attention de Bélise et d’Armande.
La disposition géométrique des personnages, le masque impavide des uns et l’enthousiasme benêt des
autres contrastent, faisant d’eux des pantins. Le comique provient aussi du décalage entre ce que
semblent percevoir certains et ce que vivent les autres.
Cette mise en scène vise à souligner la drôlerie d’une pièce dont la mécanique comique est très
efficace.
Mise en scène de Jean-Paul Roussillon : Clitandre et Armande (IV, 2, p. 119)
Travail proposé : Qu’expriment le visage, le costume et la posture d’Armande ?
Toute de noir vêtue, Armande semble à la fois austère et endeuillée. Son visage affligé se détourne de
Clitandre, et le geste timide de ses mains révèle sa défaite. Tout en elle est dirigé vers le bas : son
visage, son regard, ses bras. Armande est désormais impuissante : elle a joué ses dernières cartes. Cette
femme douloureuse prend la dimension d’un personnage de tragédie. Victime secondaire d’un drame
dans lequel elle n’a pas sa part, elle pourrait rappeler Hermione (Racine, Andromaque).
Mise en scène de Simon Eine : Chrysale et Philaminte (II, 8, p. 155)
Travail proposé : Quel est ici le parti pris du metteur en scène ?
La scène 8 de l’acte II est la seule au cours de laquelle Chrysale et Philaminte sont ensemble sans
témoin. Après le sévère affrontement de la scène précédente, ces retrouvailles amoureuses sont
inattendues. Philaminte, assise sur les genoux de son mari éperdu, profite de l’ascendant qu’elle a sur
lui. La sensualité assurée de cette femme rend plus complexe la psychologie de ce personnage et
renforce son humanité. De même, un Chrysale plus tourmenté échappe à la caricature. La posture des
deux personnages est en décalage avec ce qu’ils se disent à ce moment-là, puisque Philaminte annonce
à Chrysale son choix de Trissotin comme gendre. Le rapprochement des corps contraste donc avec le
contenu des paroles, comme le souligne la divergence des regards. Ce qui a raison des bonnes
intentions de Chrysale n’est pas seulement une faiblesse constitutionnelle, mais surtout son désir
insatisfait d’une femme qui lui impose une tyrannie à la fois intellectuelle et physique.
Les Femmes savantes – 53
Mise en scène de Catherine Hiégel : Bélise, Philaminte, Chrysale (V, 4, p. 176)
Travail proposé : En quoi l’expression des comédiens exprime-t-elle la différence de
tempérament des deux époux ?
Chrysale et Philaminte sont assis à terre. Cette position correspond à la débâcle financière qu’ils
croient avoir subie. Chrysale, le visage hagard, scrute la réaction de Philaminte, avec qui il voudrait
partager sa détresse. Cette dernière, au contraire, détourne son regard et garde un visage beaucoup
plus impassible. Même dans l’adversité commune (position à terre), les époux restent éloignés
(divergence des regards) et inégaux (mépris de Philaminte, regard quémandeur de Chrysale).
Compléments aux mises en scène – 54
BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE
Molière et la comédie
– Jacques Audiberti, Molière dramaturge, coll. « Les Grands Dramaturges », L’Arche, 1954.
– Claude Bourqui, Les Sources de Molière, SEDES, 1999.
– Michel Corvin, Lire la comédie, Dunod, 1994.
– Roger Guichemerre, La Comédie classique en France, de Jodelle à Beaumarchais, PUF, 1978.
– Gustave Lanson, « Molière et la farce », in Revue de Paris, mai 1901.
– Gustave Reynier, Les Femmes savantes de Molière, Mellotée, 1937.
– Francisque Sarcey, « Molière et la comédie classique », in Quarante Ans de théâtre : feuilletons
dramatiques, t. II, Bibliothèque des annales politiques et littéraires, 1900.
Les sources et les contemporains de Molière
– Larivey, Le Fidèle (1611).
– Jean-Pierre Camus, Alexis (1622).
– Jean Desmarets de Saint-Sorlin, Les Visionnaires (1637).
– Madeleine de Scudéry, Artamène ou le Grand Cyrus (1649-1653).
– Pedro Calderón de la Barca, No hay burlas con el amor (1650).
– Saint-Évremond, Comédie des académistes (1650).
– Nicolas Boileau, Satires (1666-1668).
– Chappuzeau, L’Académie des femmes (1661).
– Antoine Furetière, Le Roman bourgeois (1666).
Le savoir et les femmes dans le théâtre de Molière
– L’École des femmes (1662).
– La Critique de l’École des femmes (1663).
– L’Impromptu de Versailles (1663).
– Les Précieuses ridicules (1659).
– La Comtesse d’Escarbagnas (1671).
– Les Femmes savantes (1672).
Sites Internet
– www.toutmoliere.net
– www.site-moliere.com
– www.comedie-francaise.fr
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