Arnaud Denis n'a que 26 ans et met en scène avec nerf et
clairvoyance "Les Femmes savantes". De cette avant-dernière
comédie de Molière, travaillée quatre ans durant, on a souvent
caricaturé le propos, insistant trop sur la critique (misogyne) que
Molière y fait des prétentions intellectuelles des femmes en
opposant les choses du cœur et du bon sens aux vertus trop
ascétiques de l'esprit. Or, on réalise ici que l'auteur de "Tartuffe" y
dénonce aussi l'hypocrisie, le conformisme des modes du temps
et de la bienséance de la cour, les diktats du pouvoir ; surtout, il y
dépeint avec une tendre détresse la guerre civile au sein du
couple, de la famille, la différence radicale entre mari et femme,
enfants et parents, et la solitude à laquelle elle conduit. C'est en
travesti justement qu'est jouée Philaminte, la tyrannique mère
savante, comme si une femme apparemment si étrange ne
pouvait être jouée que par un homme, ce qui fut le cas d'ailleurs à
la création, en 1672. Face à son honnête et bon époux (Jean-
Pierre Leroux), Jean-Laurent Cochet est Philaminte. On est un
peu surpris d'abord, puis plus du tout. Tel un acteur de nô, il a
adopté jusqu'au bout des bagues la féminité du personnage. On
ne sait plus de quel sexe il est, ni même ce qu'identité sexuelle
veut finalement dire. Vertige.
Fabienne Pascaud
Ce qui étonne le plus chez Arnaud Denis, qui n’a que 25 ans,
c’est sa maturité. Il ne compte que sur la pertinence de ses mises
en scène pour se faire remarquer, se refuse à tout effet tape-à-
l’œil, toute provocation gratuite. Si Philaminte est ici jouée par un
homme, ce n’est pas pour exciter le rire à bon compte, mais pour
revenir aux sources, puisque c’est un certain Hubert qui créa le
rôle du temps de Molière. Bien sûr Jean-Laurent Cochet est
phénoménal en matrone, avec ses anglaises blondes, massive
comme une tour dans sa robe à vertugadin. Mais il est avant tout
terrorisant. Quand Philaminte darde sur son mari son regard
méchant, on comprend que le pauvre Chrysale se rende sans
coup férir. Il n’y avait que le travestissement pour conférer tant
d’autorité à cette femelle dominante. Si Cochet se montre
ébouriffant, il convient d’ajouter qu’il est bien entouré. Anne-Marie
Mailfer (Bélise), Jean-Pierre Leroux (Chrysale), Marie-Julie Baup
(Henriette), Elisabeth Ventura (Henriette) et Arnaud Denis lui-
même (Trissotin séduisant et pervers à souhait) sont à la hauteur
du maître. Tombée entre ces mains expertes, la pièce exprime
tout son suc. Le public ne se tient plus de joie.
Jacques Nerson