être transposée dans le futur ; d’objet résultant
elle peut devenir moyen (outil) pour de nouvelles
enquêtes. L’indétermination de la situation
«eue », précisons-le, n’a néanmoins rien de sub-
jectif. Elle n’est pas dans la tête de l’acteur, c’est
objectivement que le fossé rompt le cours de ma
promenade, il y a, comme le montre Garretta
(1999), objectivement une rupture entre l’orga-
nisme et l’environnement qui impose de rétablir la
continuité. Le problème n’était pas là en tant que
problème, il prend la forme d’un problème du fait
du traitement humain de cette discontinuité de
l’expérience, le fossé n’est pas en soi probléma-
tique, il devient un problème parce qu’il empêche
de continuer une promenade. L’objet de connais-
sance en est le résultat : un évènement se trouve
stabilisé dans une signification, une planche n’est
pas seulement un bout de bois, elle peut aussi
faire un pont.
Mais la situation, bien qu’incertaine, ce qui va
engendrer l’enquête du sujet humain, obéit cepen-
dant à une logique. Elle engage dans une dyna-
mique que Dewey décrit précisément en disant la
situation à la fois « qualitative », elle est chaque fois
singulière à certains égards, mais aussi « qualifica-
tive ». Il entend par là qu’elle qualifie l’expérience,
elle la contrôle. Mais comment ? Essentiellement
par le fait qu’étant situation humaine, elle est en
quelque sorte pénétrée des significations que nous
lui conférons. Or ces significations sont sociales
(7), j’envisage de chercher une planche parce qu’il
me semble que c’est une solution possible. Ces
significations confèrent à la situation une logique
objective. En effet elles sont ancrées dans le passé
du fait des précédents de l’expérience (socialisée),
par leurs conséquences possibles elles le sont
dans le futur. Ainsi, la situation, parce qu’elle est
signifiante, contrôle la conduite, elle n’est pas un
contexte amorphe. Ce contrôle est donc contrôle
par les idées, en tant qu’elles sont des hypothèses
de solution. Ces idées ordonnent la situation en
mettant des faits présents en relation entre eux,
elles la qualifient. Formulées, on pourra en éprou-
ver la cohérence, puis les tester dans l’expérience.
L’enquête aboutit à son terme quand l’expérimen-
tation menée à partir d’hypothèses transforme la
situation troublée et permet sa réunification.
Ce point est très important car il donne à la
situation sa qualité logique, ce qui en fait autre
chose qu’un environnement amorphe. Prenons un
autre exemple pour mieux le faire comprendre. Il
est emprunté cette fois à Quéré (2001).
Supposons que, tenaillée par la faim, je décroche
mon téléphone pour commander une pizza à mon
domicile. Par ce geste je suis engagée dans une
situation qui commande la suite de ma conduite.
En effet, je vais devoir ouvrir la porte au livreur qui
va sonner dans un instant et accepter la pizza qu’il
apporte, mais de plus je me suis faite débitrice par
ce coup de téléphone et je me vois obligée de
donner en échange une certaine somme d’argent.
Ce qui vaut d’être ici souligné, c’est à la fois la
caractérisation de la situation comme intrinsèque-
ment sociale, par les significations qu’elle
contient, et conjointement la dynamique interne de
résolution logique que cela implique : prendre son
téléphone pour commander une pizza engage un
certain nombre de conséquences.
Retour sur l’enseignement
Mais l’action dont nous nous préoccupons est
bien autre chose que de franchir un fossé au cours
d’une promenade ou de commander une pizza,
puisqu’elle est, par définition, une action menée
en direction d’autrui pour le mettre à l’étude, une
action relayée à intention didactique. En quoi la
notion de situation inspirée de Dewey peut-elle
nous aider à comprendre l’action d’enseigner ?
On le sait, chez Dewey, la réflexion sur l’éduca-
tion précède et accompagne une réflexion sur la
connaissance et la logique. My pedagogic credo
(1897) précède How do we think (1905) et
Democracy and education (1916) précède Logic :
a theory of inquiry (1938). L’éducation des enfants
pour Dewey est le moyen d’assurer la continuité
sociale de la vie. Elle vise à faire partager aux
enfants les intérêts, les objectifs, les valeurs, les
idées couramment admises dans un groupe. Une
éducation démocratique, celle qui motive ses
écrits, doit de plus conduire ses membres à « s’in-
téresser personnellement aux relations sociales et
à la conduite de la société » (1975, p. 146). Mais
la valeur démocratique d’une éducation ne tient
pas uniquement à son contenu, elle tient autant à
la façon dont on y procède. Une éducation démo-
cratique est donc une éducation qui respecte tout
au long la signification de l’expérience. Elle s’ap-
puie sur les valeurs, la culture, et les réinsèrent
dans le présent par la liaison qu’elle opère avec
eux au sein de l’expérience. Il s’agit de trans-
mettre non des résultats, d’ailleurs pour Dewey les
idées ne peuvent se transmettre, mais de susciter
des expériences. Dewey craint l’enfermement qui
40 Revue Française de Pédagogie, n° 141, octobre-novembre-décembre 2002