L`action éducative et la logique de la situation. Fondements

Revue Française de Pédagogie, n° 141, octobre-novembre-décembre 2002, 37-46 37
Entrer dans l’examen de l’activité enseignante
par les programmes paraît adapté aux contours
de cette activité puisque c’est à l’aune des pro-
grammes prescrits que les enseignants seront
jugés ou questionnés, ils ont bien « à faire le
programme » comme ils le disent souvent.
Néanmoins cette entrée n’épuise pas le problème
méthodologique qui se pose au chercheur lorsqu’il
s’intéresse aux pratiques professionnelles des
enseignants en ce qu’elles sont très précisément
enseignantes.
Je me propose dans cet article d’exposer le sou-
bassement théorique, constitué progressivement à
partir d’analyses (1) de cours de sciences écono-
miques et sociales (2), dans des classes de lycée.
Bien qu’il y ait très certainement des caractères
spécifiques à l’enseignement des sciences de la
société, l’accent est mis sur l’activité enseignante
«en train de se faire ». L’enjeu est d’y voir « un
faire », non la « récitation » d’un texte déjà fait. En
conséquence je dirais que l’enseignement est une
action éducative située. Chacun de ces mots
mérite d’être explicité. Ce sera fait en précisant
d’abord ce qui est entendu comme étant l’activité
d’enseignement grâce aux outils de la didactique
des mathématiques, puis en clarifiant en quoi cette
action est dite située, selon une acception de la
situation inspirée de la philosophie pragmatiste de
Dewey. Un retour à la question initiale permettra de
souligner l’apport de la logique pragmatiste de la
situation à l’analyse des activités d’enseignement.
L’article entend contribuer au débat sur l’outillage conceptuel à la disposition des comparaisons entre
différentes didactiques en discutant le concept de « situation ». Il prend d’abord appui sur les concepts
élaborés en didactique des mathématiques, pour travailler ensuite avec le concept de situation inspiré de
la philosophie pragmatiste de John Dewey. En résulte l’énoncé d’une posture méthodologique
compréhensive et pragmatique pour examiner comment les enseignants répondent de façons diverses à
la prescription de « faire effectivement étudier aux élèves » les connaissances inscrites au programme.
Mots-clés : situation, didactiques, pratiques enseignantes, sciences sociales, pragmatisme, incertitude.
L’action éducative et la logique
de la situation.
Fondements théoriques
d’une approche pragmatique
des faits d’enseignement
Élisabeth Chatel
L’ACTIVITÉ ENSEIGNANTE
Enseigner les programmes, c’est à la fois prépa-
rer des cours, des dispositifs d’enseignement, des
tâches pour les élèves, puis les réaliser avec eux.
Dans les lycées français cette réalisation s’opère
dans des classes entendues ici comme un lieu où
un professeur exerce avec un groupe d’élèves
dans une séquence de temps inscrite à l’emploi du
temps. Domine en général une organisation dite
frontale de l’enseignement où se donnent des
cours magistraux dialogués, accompagnés ou clos
par des évaluations des élèves, souvent sous
forme de travaux écrits.
Pour désigner le phénomène de transformation
des programmes en dispositifs d’enseignement et
d’évaluation, on peut avoir recours au concept de
«transposition didactique ». Dans son ouvrage de
1985, Chevallard considère que la transposition
externe relève en grande partie de l’activité de ce
qu’il nomme la noosphère. Ce sont les faiseurs de
programmes, de manuels, etc. qui préparent les
contours du savoir à enseigner, définissant le
texte du curriculum prescrit, organisant des res-
sources pour l’enseignement. Par transposition
interne, il indique la recomposition par le profes-
seur de ces ressources en vue de l’enseignement
qu’il doit faire dans sa classe, puis la réalisation
effective de cet enseignement.
L’intérêt de cette théorie de la transposition est
d’aller contre l’évidence à laquelle nous convie le
vocabulaire familier, en soulignant que le savoir
effectivement enseigné n’est pas et ne saurait être
le savoir qu’il prend pour référence. Ainsi sommes
nous invités à sourire (Chevallard, 1994) devant
l’expression familière qui conduit à dire « bon en
anglais » un enfant de sixième qui après trois mois
d’enseignement de cette matière connaît quelques
mots ou expressions et satisfait seulement, cela
va sans dire, les attentes dans cette matière et à
ce niveau.
L’enseignement est apprêt de savoirs sociale-
ment considérés comme devant être enseignés
pour en permettre l’enseignement. La théorie de la
transposition a l’ambition d’être une pièce dans
une « anthropologie des savoirs » (Chevallard,
1992), dont le système didactique ne serait qu’un
morceau, morceau qui plus est largement condi-
tionné par le système d’enseignement qui l’en-
globe. Elle sert à montrer combien tout savoir est
dépendant de l’institution dont il est le savoir, le
savoir enseigné étant particulièrement déterminé
par sa fonction didactique.
Néanmoins la finalité du système didactique n’est
pas en soi l’apprêt des savoirs « à enseigner », elle
est, au-delà, l’apprentissage des élèves. Arsac
(1992), synthétisant les travaux autour du concept
de transposition didactique, la définit comme la
visée « d’une transformation du rapport au savoir
des élèves ». Dans une perspective constructiviste,
le maître ne saurait communiquer des connais-
sances, il s’agit plutôt d’assurer la « dévolution »
par exemple d’un problème mathématique aux
élèves pour que la découverte de la solution vienne
de l’intérieur de leur activité (Brousseau, 1988). Les
heuristiques ne sont que des moyens, jamais le
tout de la connaissance mathématique visée.
Paradoxalement « Il faut que le maître pose, mais
dissimule une question telle que l’élève, bien qu’il
ne connaisse pas la réponse, puisse finir par l’ob-
tenir par son activité propre » (Brousseau, 1987,
p. 75).
L’action éducative telle que gérée sur le versant
enseignant, dans la transposition didactique
interne, devient alors l’occasion d’ « une transfor-
mation du rapport au savoir des élèves ». Quelle
que soit l’acception plus précise que l’on donne à
cette expression, il n’en reste pas moins que l’en-
seignant n’a pas de prise directe sur le « rapport
au savoir » de l’élève. C’est pourquoi nous défini-
rons plus modestement son activité comme visant
à « mettre à l’étude » les élèves sur un objet de
connaissance repéré par le maître et institution-
nellement valide. L’enseignement consiste alors
en une activité bien particulière puisqu’elle vise à
faire œuvrer autrui pour son propre apprentissage,
elle est une action didactique relayée (Chatel,
2001a), à double dimension (3) (Baudouin, 1999).
Les concepts de transposition et de dévolution,
nés dans la didactique des mathématiques, ont
soutenu d’abord nos investigations, mais ils nous
ont paru ensuite d’une aide limitée pour penser
l’enseignement dans les classes de sciences éco-
nomiques et sociales, tel qu’il se fait effectivement
(Chatel, 1995). À cela deux raisons principales.
D’abord le fait que la classe, dans sa turbu-
lence, n’était pas prise en considération dans
l’analyse, du moins dans ces travaux de première
génération auxquels nous nous référons. La rela-
tion didactique triadique est une relation entre un
maître et un élève générique, elle n’est pas une
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relation entre un maître, une classe d’élèves nom-
breux et un objet de connaissance à étudier.
Ensuite, mais peut-être les deux questions
sont-elles liées, le fait que nous voulions étudier
l’enseignement des sciences économiques et
sociales et non celui des mathématiques. Or le
régime de validité des énoncés en sciences sociales
ne répond pas au critère de « nécessité », la norme
de référence qui guide l’action didactique du pro-
fesseur s’en trouve très probablement modifiée. De
plus, cette norme n’est pas a priori explicitée, car,
bien que la discipline scolaire puisse être référée à
des savoirs savants, en tant que construction histo-
rique et sociale, elle n’a pas une unité épistémolo-
gique absolue.
Il nous fallait trouver des concepts permettant
de mieux comprendre et décrire la logique de l’ac-
tion enseignante en train de se faire au quotidien
dans les enseignements de lycée en sciences éco-
nomiques et sociales.
L’ENSEIGNEMENT COMME ACTION SITUÉE
C’est avec une conceptualisation de la situation,
empruntée au courant pragmatiste, que je dis l’ac-
tion éducative située. Ceci permet de donner une
certaine consistance à l’action du professeur, tout
en maintenant fermement l’enjeu des savoirs en
son sein.
La logique de la situation chez Dewey
Le concept de situation mérite en effet d’être
précisé dès lors que l’action éducative est envisa-
gée comme « une action située ». L’enjeu de cette
relecture de John Dewey est d’éviter de prendre la
situation comme un simple environnement contrai-
gnant l’action (4), au contraire de lui conférer une
dynamique et l’ouvrir ainsi à une pluralité de
déroulements possibles.
Le concept de situation est présent dans plu-
sieurs écrits de John Dewey, nous nous référons
ici principalement à sa Logique (1938/1967). Il
n’est pas particulièrement aisé à nos esprits for-
més par la logique cartésienne d’entrer dans cette
philosophie pragmatiste dont le grand inspirateur
est Charles S. Peirce ; le projet se dit en effet anti-
dualiste et anticartésien. Il est d’articuler connais-
sance et expérience dans un continuum de la rela-
tion de l’homme au monde, de la pensée et de
l’action, des signes et symboles à la pensée.
L’action ne saurait donc être décrite comme le
résultat d’un calcul pour atteindre des fins qui a
priori seraient claires. Elle n’a de sens et ne se
produit qu’en relation à un tout organisé. Toute
expérience a lieu en connexion à un tout qu’on
peut nommer situation. La situation n’est donc pas
une entité qu’on pourrait caractériser a priori par
un découpage du monde ou par des variables. Elle
se présente quand nous agissons, elle est « eue »
précise Dewey (5). Entrent dans la situation tous
les éléments qui se sont révélés pertinents dans la
conduite et la résolution de l’enquête que le
caractère vague, indéterminé de la situation au
départ occasionne. La situation est « eue » au
sens où elle contient l’être agissant et contient de
ce fait la façon dont il peut socialement percevoir,
saisir, penser les choses dans lesquelles il est
engagé.
Prenons un exemple (6). Lors d’une promenade
dans la campagne, un fossé barre notre chemin
(difficulté). Pouvons-nous le franchir d’un bond
(idée hypothétique) ? Mais l’examen (observations
qui qualifient les éléments de la situation) nous
montre qu’il est trop large et que l’autre rive est
glissante (données). Il faut chercher une autre
solution. Une planche qui traîne par là pourrait-elle
nous servir de pont (nouvelle hypothèse) ? Nous
jetons la planche et passons (vérification de l’idée
et confirmation par la réussite de l’action).
L’enquête unifie la situation et restaure la clarté,
nous continuons notre promenade.
La matière de l’enquête, son « subject-matter »,
est le fossé qui, barrant notre route, arrête la flui-
dité mécanique de notre conduite. L’enquête pro-
gresse par la mise à l’épreuve de diverses hypo-
thèses de solution. C’est un processus intellectuel
de confrontation d’idées. Chacune est comme une
possibilité de poursuite qui est testée et entre
ainsi dans une logique. Elles proviennent d’expé-
riences antérieures, sont réinvesties dans la situa-
tion, ainsi mise en rapport avec d’autres. Son
issue cristallise une solution, une planche peut
servir de pont. Dans une autre société, à une autre
époque, peut-être aurions nous eu d’autres idées
de solution ; les idées pour Dewey, comme pour
Peirce (1899), nous viennent d’expériences anté-
rieures cristallisées en habitudes d’action, elles
ont de ce fait un contenu social. Celle qui résout
la situation problématique pourra, quant à elle,
L’action éducative et la logique de la situation. Fondements théoriques d’une approche pragmatique des faits d’enseignement 39
être transposée dans le futur ; d’objet résultant
elle peut devenir moyen (outil) pour de nouvelles
enquêtes. L’indétermination de la situation
«eue », précisons-le, n’a néanmoins rien de sub-
jectif. Elle n’est pas dans la tête de l’acteur, c’est
objectivement que le fossé rompt le cours de ma
promenade, il y a, comme le montre Garretta
(1999), objectivement une rupture entre l’orga-
nisme et l’environnement qui impose de rétablir la
continuité. Le problème n’était pas là en tant que
problème, il prend la forme d’un problème du fait
du traitement humain de cette discontinuité de
l’expérience, le fossé n’est pas en soi probléma-
tique, il devient un problème parce qu’il empêche
de continuer une promenade. L’objet de connais-
sance en est le résultat : un évènement se trouve
stabilisé dans une signification, une planche n’est
pas seulement un bout de bois, elle peut aussi
faire un pont.
Mais la situation, bien qu’incertaine, ce qui va
engendrer l’enquête du sujet humain, obéit cepen-
dant à une logique. Elle engage dans une dyna-
mique que Dewey décrit précisément en disant la
situation à la fois « qualitative », elle est chaque fois
singulière à certains égards, mais aussi « qualifica-
tive ». Il entend par là qu’elle qualifie l’expérience,
elle la contrôle. Mais comment ? Essentiellement
par le fait qu’étant situation humaine, elle est en
quelque sorte pénétrée des significations que nous
lui conférons. Or ces significations sont sociales
(7), j’envisage de chercher une planche parce qu’il
me semble que c’est une solution possible. Ces
significations confèrent à la situation une logique
objective. En effet elles sont ancrées dans le passé
du fait des précédents de l’expérience (socialisée),
par leurs conséquences possibles elles le sont
dans le futur. Ainsi, la situation, parce qu’elle est
signifiante, contrôle la conduite, elle n’est pas un
contexte amorphe. Ce contrôle est donc contrôle
par les idées, en tant qu’elles sont des hypothèses
de solution. Ces idées ordonnent la situation en
mettant des faits présents en relation entre eux,
elles la qualifient. Formulées, on pourra en éprou-
ver la cohérence, puis les tester dans l’expérience.
L’enquête aboutit à son terme quand l’expérimen-
tation menée à partir d’hypothèses transforme la
situation troublée et permet sa réunification.
Ce point est très important car il donne à la
situation sa qualité logique, ce qui en fait autre
chose qu’un environnement amorphe. Prenons un
autre exemple pour mieux le faire comprendre. Il
est emprunté cette fois à Quéré (2001).
Supposons que, tenaillée par la faim, je décroche
mon téléphone pour commander une pizza à mon
domicile. Par ce geste je suis engagée dans une
situation qui commande la suite de ma conduite.
En effet, je vais devoir ouvrir la porte au livreur qui
va sonner dans un instant et accepter la pizza qu’il
apporte, mais de plus je me suis faite débitrice par
ce coup de téléphone et je me vois obligée de
donner en échange une certaine somme d’argent.
Ce qui vaut d’être ici souligné, c’est à la fois la
caractérisation de la situation comme intrinsèque-
ment sociale, par les significations qu’elle
contient, et conjointement la dynamique interne de
résolution logique que cela implique : prendre son
téléphone pour commander une pizza engage un
certain nombre de conséquences.
Retour sur l’enseignement
Mais l’action dont nous nous préoccupons est
bien autre chose que de franchir un fossé au cours
d’une promenade ou de commander une pizza,
puisqu’elle est, par définition, une action menée
en direction d’autrui pour le mettre à l’étude, une
action relayée à intention didactique. En quoi la
notion de situation inspirée de Dewey peut-elle
nous aider à comprendre l’action d’enseigner ?
On le sait, chez Dewey, la réflexion sur l’éduca-
tion précède et accompagne une réflexion sur la
connaissance et la logique. My pedagogic credo
(1897) précède How do we think (1905) et
Democracy and education (1916) précède Logic :
a theory of inquiry (1938). L’éducation des enfants
pour Dewey est le moyen d’assurer la continuité
sociale de la vie. Elle vise à faire partager aux
enfants les intérêts, les objectifs, les valeurs, les
idées couramment admises dans un groupe. Une
éducation démocratique, celle qui motive ses
écrits, doit de plus conduire ses membres à « s’in-
téresser personnellement aux relations sociales et
à la conduite de la société » (1975, p. 146). Mais
la valeur démocratique d’une éducation ne tient
pas uniquement à son contenu, elle tient autant à
la façon dont on y procède. Une éducation démo-
cratique est donc une éducation qui respecte tout
au long la signification de l’expérience. Elle s’ap-
puie sur les valeurs, la culture, et les réinsèrent
dans le présent par la liaison qu’elle opère avec
eux au sein de l’expérience. Il s’agit de trans-
mettre non des résultats, d’ailleurs pour Dewey les
idées ne peuvent se transmettre, mais de susciter
des expériences. Dewey craint l’enfermement qui
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peut naître dans les écoles. Il met l’activité de
penser au premier plan, la voyant comme une
façon de doter les enfants de capacité à étendre
leur perception de significations et ainsi de per-
mettre aux membres de la société d’assurer ulté-
rieurement les réajustements des institutions
nécessaires à la vie sociale. Autrement dit, il s’agit
de développer chez l’enfant une forme d’autono-
mie, tournée vers l’intérêt pour la chose collective.
Enseigner consiste à organiser délibérément
l’environnement des jeunes de façon à créer l’oc-
casion d’expériences formatrices. L’éducateur doit
donc agencer l’environnement pour maintenir l’ex-
périence des élèves en mouvement dans la direc-
tion de ce que l’expert connaît déjà. « Un véritable
développement (de l’enfant) élargit l’expérience et
la fait participer à celle d’autrui, et il est impos-
sible de l’obtenir sans un intermédiaire qui facilite
le jeu des capacités et des intérêts reconnus
valables » (1931, p. 105). Il y a donc besoin d’un
médiateur.
La tâche de l’éducateur est de susciter des
expériences qui risqueraient de ne pas se produire
sans son intervention, donc de tenter d’engager
les élèves à « avoir » une situation, mais pas n’im-
porte laquelle. Plus précisément elle est de com-
prendre les rapports de l’élève avec le contenu de
l’enseignement, alors que l’esprit de l’élève est
occupé avec le contenu de la leçon : « Tout sujet
ou branche d’étude a donc deux aspects : l’un
pour le savant en tant que savant ; l’autre pour le
pédagogue comme pédagogue. Ces deux aspects
ne sont pas opposés, mais ils ne sont pas iden-
tiques. Pour le savant, le savoir humain représente
un exemple déterminé de vérités dont il se servira
pour découvrir de nouveaux problèmes, pour ins-
tituer de nouvelles recherches, et les poursuivre
jusqu’à ce qu’il obtienne un résultat certain, véri-
fié et vérifiable. (…) Le pédagogue se propose un
but tout différent. Comme éducateur il ne se pro-
pose pas d’ajouter des faits nouveaux à ceux qu’a
réunis la science qu’il enseigne ; (…) ; l’éducateur
n’a donc pas affaire aux matières d’enseignement
en elles-mêmes, mais à ces matières dans leurs
relations avec un processus de croissance inté-
grale (de l’enfant) » (1931, p. 109-110).
Pour le dire autrement, la situation du maître et
celle de l’élève, bien qu’en co-présence et en
interaction mutuelle, n’ont pas en général le même
«subject-matter » : le maître connaît la leçon et sa
tâche concerne le rapport des élèves de la classe
à la leçon, l’élève est quant à lui supposé
concerné par le contenu de la leçon. On retrouve,
dans une formulation renouvelée, l’image de l’ac-
tion enseignante comme action « pour faire étudier
autrui », mais s’y ajoute l’idée que le « subject-
matter » de la leçon en est l’enjeu significatif et
qu’une certaine incertitude règne sur la réussite
de cet enjeu.
L’APPORT DE CETTE PERSPECTIVE
Il est essentiellement méthodologique. La théo-
rie des situations de Chevallard (1991 ; 1992 ;
1994) est centrée sur les systèmes et leurs articu-
lations. Il introduit la situation comme étant « un
état du système » (1992, p. 97). Les situations
sont présentées comme enchâssées les unes dans
les autres, chaque sujet est lui-même pris dans
une situation de niveau supérieur qui l’englobe et
l’institue comme sujet d’abord assujetti. Cette
représentation « des conditions de possibilité »
(p. 103) de l’action didactique relative à un savoir
donné et à son épistémologie souligne le lien entre
savoir et institution. L’accent est mis sur les pro-
blèmes de légitimité engendrés par les phéno-
mènes de transposition didactique. L’espace de
l’activité du professeur est alors tenu en quelque
sorte de l’extérieur, par l’impératif d’un savoir
«légitime ». Dans cette représentation, le théori-
cien occupe une position de surplomb à l’égard de
l’action dont il rend compte.
La situation au sens de Dewey ne peut être ren-
due par la métaphore de l’inclusion. Les contours
de la situation « eue », par définition obscurs, ne
sont pas déjà délimités dès lors qu’il a à y agir. Le
théoricien ici n’est pas en surplomb mais plutôt
aux côtés de celui qui agit. Il nous invite à penser
l’enseignement comme une action située, au sens
où des institutions y sont présentes, définissant
des identités sociales, des rôles des scénarios
possibles de l’action, sans que disparaisse toute
incertitude. Ce qui s’ouvre comme action au pro-
fesseur qui entre dans la classe est déjà structuré
socialement avant que les protagonistes, élèves et
professeurs, n’entrent en scène, il y a des rôles,
des positions, des habitudes, des us et coutumes,
des façons de dire et de faire, etc., néanmoins
quelque chose est à jouer, la situation reste à bien
des égards confuse, incertaine, problématique.
Certes le professeur a bien en tête un objet de
connaissance qu’il souhaite voir les élèves étudier,
L’action éducative et la logique de la situation. Fondements théoriques d’une approche pragmatique des faits d’enseignement 41
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