« Une fois que vous connaissez les atouts de votre équipe, vous pouvez commencer à les
exploiter. Le point de départ, c’est l’enthousiasme. Personne n’a jamais été mis en pouvoir
de prendre en charge une nouvelle tâche [empowered to take on a new task] avec des mots
d’excuse ‘désolé de t’embêter, c’est un boulot ennuyeux, mais …’. Vous voulez par
exemple qu’ils prennent en charge la production des données trimestrielles, demandez leur
ce qui, d’après eux, motive cette production, ce qu’on fait de ces données et pourquoi on en
a besoin. Ecoutez les réponses et acquiescez. Ne corrigez pas leurs erreurs. Demandez-leur
pourquoi ils pensent cela et laissez-les se corriger eux-mêmes. […] Essayez de les
encourager ‘continue, c’est exactement ce dont on a besoin’ […] Bien sûr, tout cela prend
du temps, peut-être plus longtemps que si vous aviez fait le travail vous-même, mais c’est le
prix à payer pour éviter d’être un martyre surchargé de travail et qui n’a plus le temps de
réfléchir »16.
Le Goff dénonce les manipulations effectuées sur les individus dans les discours managériaux
qui prônent l’empowerment. Il pointe les propos des conseillers en management selon
lesquels tout doit se faire par "imprégnation", et non par contrainte ou domination. « Le
pouvoir des dirigeants se déploie par la communication. Les normes, les objectifs à atteindre
ne seraient plus imposés par la contrainte »17. Finalement, l'idéologie managériale a
intelligemment pris en compte le besoin moderne de reconnaissance des individus18. En
témoigne le fait qu'elle ne présente plus le travail comme la soumission à une contrainte mais
comme un acte de réalisation personnelle. On dit aux salariés : « soyez les entrepreneurs de
vous-mêmes » 19. Dans ce contexte, le management s’appuie sur l’implication de l’individu et
non plus sur la contrainte ou sur l’invocation d’une subordination hiérarchique :
« Ce sont moins des besoins qui sont au centre du mécanisme [de contrôle] que la
personnalité de l’employé, d’autant plus libre qu’il a préalablement fait siens les buts de
l’organisation. Il est dès lors d’autant plus prédisposé à juger positives les très fortes
contraintes que cette organisation lui impose, et à considérer comme autonomie ce qui n’est
pas réellement détention de pouvoir »20.
Effectivement, la prétendue autoréalisation n'est tolérée que si elle s'inscrit à l'intérieur d'un
modèle prescrit. Certains chercheurs soulignent ainsi que privilégier l'initiative individuelle
revient à instaurer une nouvelle norme à laquelle il n'est pas possible d'échapper21. Les
discours des professionnels sont, sur ce plan, parfois moins trompeurs (plus réalistes ?) que
ceux des consultants ou de la presse. Ainsi, dans leurs récits de mise en place
d’empowerment, ils mentionnent souvent la notion de responsabilité au double sens anglo-
saxon de « prendre en charge » et « rendre compte de ». Par exemple, Elios Pascual, PDG de
Mack Trucks dans les années 90, affirme que « dans une organisation ‘empowered’, chaque
personne est un joueur fondamental. […] L’empowerment implique le fait de rendre compte
[accountability] et les équipes doivent assumer la responsabilité de ce qu’elles font. »22
Les discours sur l’empowerment montrent qu’il est indéniablement un outil de management
et, s’il vise à développer l’esprit d’initiative et l’autonomie chez l’employé, il s’agit bien
16 ALLAN J., « Empowerment », loc. cit.
17 LE GOFF J.P., « Management et imaginaire social », loc. cit.
18 HONNETH A., La société du mépris. Vers une théorie nouvelle critique, Armillaire, coll. La Découverte, Paris,
2006
19 HONNETH A. in DUBOIS J., « La fabrique des invisibles », Les Echos, 30 novembre 2006
20 BOUQUIN H., Le contrôle de gestion, PUF, collection gestion, octobre, 4e édition mise à jour, 1998
21 HONNETH A. in DUBOIS J., « La fabrique des invisibles », loc. cit.
22 HACKMAN J.R., PASCUAL E., GELINAS M.V., JAMES R.G., RANDOLPH, W.A., « Can Empowerment Work at
SportsGear? », loc. cit.
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