N°1 Avril 2002 AVIS D’EXPERT Recidive Biologique après Prostatectomie Totale Pour Cancer : Que Faire ? Pr Laurent Boccond-Gibod - Urologue CHU Bichat, Paris I. INTRODUCTION E n dépit des progrès spectaculaires de la stadification du cancer prostatique cliniquement localisé, un nombre non négligeable de patients soumis à une prostatectomie totale sera malheureusement, dans les suites, victime d’une récidive biologique caractérisée par la réapparition et l’ascension progressive du taux sérique de l’antigène prostatique spécifique (PSA). Cette population de patients dont la récidive tumorale est purement biologique, et cliniquement asymptomatique, est en augmentation croissante et pose de très difficiles problèmes diagnostiques et thérapeutiques, d’autant que le pronostic de la récidive et partant le traitement à lui apposer demeurent l’objet de nombreuses interrogations faute d’essais cliniques contrôlés randomisés. II. QUELLE EST LA SIGNIFICATION DE LA RECIDIVE BIOLOGIQUE ou d’une récidive métastatique ? • quelle est signification pronostique de la récidive biologique ? logique avant que le PSA ait atteint un seuil élevé (30 à 40 ng par ml). 1. La récidive biologique traduit bel et bien l’existence d’une réci dive tumorale. • L’immunoscintigraphie demeure extrêmement sujette à caution et n’a jamais fait la preuve de sa réelle efficacité, En effet, après prostatectomie totale, il persiste théoriquement des résidus de tissu sécrétant du PSA (glandes parauréthrales,tissu d’hypertrophie prostatique bénigne laissé en place par incision capsulaire ou lors de la préservation du col vésical) ; toutefois, ces résidus bénins, si ils existent, ne sauraient à eux seuls expliquer une ascension régulièrement progressive du taux d’antigène prostatique spécifique. De ce fait, il faut bien admettre que la récidive biologique équivant à une récidive tumorale et donc à la présence d’une maladie résiduelle. 2. La récidive biologique cor respond-elle à une récidive loca le ou une récidive métastatique ? La récidive biologique pose trois problèmes : • Il est souvent difficile de répondre à cette question dans la mesure où les examens complémentaires ne sont d’aucun secours. • la récidive biologique équivautelle à une récidive tumorale ? • s’il s’agit d’une récidive tumorale, s’agit-il d’une récidive locale • Ni le scanner abdominopelvien, ni l’IRM, ni la scintigraphie osseuse n’ont de chance de mettre en évidence d’image patho20 • La biopsie de la zone anastomotique, si elle est négative, n’élimine pas une récidive locale et si elle est positive, n’élimine pas l’association à la récidive locale d’une récidive métastatique. • Dès lors, la distinction entre récidive locale et métastatique est fondée sur l’analyse d’un panel de critères tentant de cerner le profil de la tumeur initiale et l’on estime ainsi que la récidive a de forte chance d’être locale si le PSA initial était inférieur à 15 ng/ml, la tumeur moyennement différenciée au maximum Gleason 7 (3+4), sans envahissement des vésicules séminales, avec un nombre de marges positives extrêmement réduit et bien entendu sans métastase ganglionnaire. Par ailleurs, le profil évolutif du PSA est bien entendu à prendre en compte et la récidive locale sera d’autant plus sûre, que la récidive biologique est plus tardive au delà de 12 mois après le traitement et que la progression du marqueur biologique mesuré eventuelle- AVIS D’EXPERT Recidive Biologique après Prostatectomie Totale Pour Cancer : Que Faire ? ment par le temps de doublement ou la vélocité du PSA est plus lente. 3. La signification pronostique de la récidive biologique demeure difficile à apprécier du fait du peu d’études longitudinales, ce qui ne manque pas de surprendre compte tenu du nombre de patients interessés par le phénomène. L’étude de groupe de Hopk ins porte sur des patients extrêmement sélectionnés et montre que le délai entre la récidive biologique et l’apparition de métastases et/ou de récidives locales est en moyenne de 8 ans et qu’entre l’apparition des métastases et le décès, s’écoule en général une période de 5 ans. Ces délais sont bien entendu d’autant plus courts que la tumeur initiale était moins différenciée, le PSA initial plus élevé, la récidive biologique plus précoce avec un temps de doublement du PSA plus court. Une autre étude venue de la Cleveland Clinic a montré de manière surprenante que la survie globale des patients atteints de cancer de la prostate cliniquement localisé traités par prostatectomie totale n’était pas significativement différente, qu’il soient restés indemnes de récidive biologique, qu’ils aient été victimes de récidives biologiques traités initiallement ou lors de l’apparition des symptômes….. De ce fait, la signification pronostique réelle de la récidive biologique, si elle est indiscutablement fâcheuse, n’est toutefois pas totalement catastrophique. 4. Dans ces conditions, que dire au patient lorsqu’apparaît la récidive biologique ? Il est d’abord important de ne pas nier et minimiser le problème, le patient bien informé, attiré dans la maladie (épreuves du diagnostic et du traitement) , par une anomalie du PSA comprendrait mal que ce PSA cesse brusquement d’avoir toute signification préoccupante……… Il est donc indispensable d’informer le patient aussi clairement que possible de la signification de la récidive biologique en insistant sur le fait que la réapparition du PSA n’est nullement synonyme d’une évolution fatale à court ou même moyen terme et que dans ces conditions, il est raisonnable de mettre en œuvre un programme de surveillance clinique et biologique et une réponse thérapeutique graduelle qui sera fondée sur le profil du patient, le profil de la tumeur intiale et le profil évolutif de la récidive biologique constatée. III. PROBLEMES THERAPEUTIQUES Le traitement de la récidive biologique après traitement à visée curative est préventif et curatif. 1. Le traitement préventif com porte trois aspects différents : • éviter d’operer les patients manifestement atteints d’un cancer extracapsulaire et donc à haut risque de récidive biologique, • éviter d’inciser la capsule en regard du cancer en cas de cancer intracapsulaire et donc de créer des marges positives chirurgicalement induites, utiliser une hormonothérapie néodjuvante. La meilleure prévention de la récidive biologique est indiscutablement d’écarter de la monothérapie locale chirurgicale les patients à fort risque d’extension extracapsulaire et donc à risque élevé de récidive 21 N°1 Avril 2002 biologique. Ceci est aujourd’hui possible grâce aux progrès considérables de la stadification. Plusieurs publications permettent aujourd’hui d’individualiser les patients à faible et à fort risque de récidive biologique. Dans notre institution, nous considérons que sont à fort risque de récidive biologique les patients dont le PSA est supérieur à 15 ng / ml, le score de Gleason supérieur ou égal à 7 (4+3), le nombre de biopsies positives supérieur aux deux tiers, et la longueur de cancer rapportée aux longueurs des biopsies supérieure à 30 %. Dans ces conditions, les examens d’imagerie (IRM endorectale) et la recherche de cellules prostatiques circulantes n’ont guère d’impact pratique. Il est par ailleurs possible d’utiliser différents nomogrammes qui ont été établis et validés de manière multi-institutionnelle et qui permettent de prévoir le risque de récidive biologique après prostatectomie radicale, en fonction des données pré-thérapeutiques. Ces différents nomogrammes ont été établis M. KATTAN et peuvent être extrêmement utiles si l’on ne dispose pas d’une base de données reflétant la pratique institutionnelle qui représente indiscutablement la meilleure manière de procéder. Il est indispensable, au cours de l’intervention chirurgicale, de passer au large de la prostate afin d’éviter toute pénétration capsulaire en regard de la tumeur. En effet, les incisions capsulaires exposant le cancer dans des tumeurs par ailleurs intracapsulaires sont relativement fréquentes (10 à 20 % des cas selon les séries), les marges positives intracapsulaires (stade pT2+) sont associées à une récidive biologique dans 20 à 30 % des cas. Il est donc indispensable, si une préservation des bandelettes neuro- AVIS D’EXPERT Recidive Biologique après Prostatectomie Totale Pour Cancer : Que Faire ? vasculaires est envisagée, de sacrifier délibérément la bandelette neurovasculaire du côté des biopsies majoritairement positives afin d’éviter des marges positives chirurgicalement induites. L’hormonothérapie néoadjuvante ; le bloquage androgénique complet pendant trois mois n’a pas fait la preuve de son efficacité : si le taux de marges positives est réduit, l’incidence de la récidive biologique est totalement identique avec et sans traitement néoadjuvant comme l’ont montré plusieurs essais contrôlés randomisés. Il est possible qu’une hormonothérapie néoajduvante plus prolongée (8 mois) puisse être bénéfique. Ceci reste à être prouvé par des essais contrôlés et randomisés, dont le recrutement est indiscutablement difficile compte tenu de la longueur du traitement pré opératoire. 2. Le traitement curatif de la récidive biologique peut utiliser 4 possibilités différentes : • l’observation avec traitement retardé, • le régime alimentaire, • le traitement local et • enfin les traitements miques. sy sté- L’observation avec traitement (hormonal) retardé est tout à fait légitime, chez les patients âgés de plus de 70 ans, lors de la survenue de la récidive biologique, qui acceptent l’idée d’une surveillance clinique et biologique et d’un traitement hormonal retardé chez qui il est possible d’instaurer une surveillance clinique et biologique régulière environ tous les 6 mois. Ce choix est d’autant plus fondé qu’il n’a jamais été prouvé que le traitement médical immédiat avait des effets béné- fiques en terme de survie par rapport au traitement retardé lors de l’apparition des symptômes. Le régime alimentaire représente la première étape de la réponse graduelle. Son utilisation est fondée sur des données expérimentales et épidémiologiques et de fait, quelques études ont montré que l’instauration d’un régime pauvre en graisse, riche en fibres et essentiellement végétarien, associé éventuellement à des études de méditation, fait réduire voire stabiliser la croissance du PSA. Le traitement local après prostatectomie totale est représenté par la radiothérapie adjuvante à la dose de 65 grays. Ce traitement peut entraîner une rémission biologique complète (PSA indétectable) dans un nombre significatif de cas dès lors que le patient a un profil favorable (PSA initial inférieur à 20, PSA lors de l’instauration inférieur à 1,5, absence d’envahissement des vésicules séminales). L’efficacité de ce traitement n’est toutefois pas encore prouvée et il faudra attendre les résultats de l’essai de l’EORTC comparant observation contre traitement radiothérapique. Il faut par ailleurs remarquer que les effets secondaires de la radiothérapie adjuvante sont loin d’être nuls (rectite, cystite hémorragique….). Le traitement systémique utilise soit le traitement hormonal, soit les nouvelles thérapeutiques. Le traitement hormonal peut utiliser : soit la suppression des androgènes testiculaires, continue par castration médicale ou chirurgicale, ou intermittente ; et les anti-androgènes non stéroïdiens (Flutamide et surtout Bicalutamide). Il a été démontré que, quelle que soit la forme qu’il utilise, ce traitement retarde de manière spectaculaire l’apparition des métastases. 22 N°1 Avril 2002 Toutefois, son impact sur la survie globale demeure actuellement non démontré. Ceci nécessite des études longitudinales extrêmement prolongées puisque la survie spontanée peut avoisiner 10 ans. Se pose alors le problème de la mise en perspective de la très longue période où le cancer demeure asymptomatique, et des effets secondaires de l’hormonothérapie (anémie, ostéoporose) et surtout du problème difficile posé par l’attitude à adopter lorsque le PSA cesse de répondre au traitement hormonal alors qu’il n’y a pas de métastases mises en évidence. Les nouvelles thérapeutiques peuvent comporter le recours aux vaccinothérapies, aux thérapies géniques et aux inhibiteurs de l’endothéline et à d’ autres médicaments actuellement à l’étude, aucun toutefois n’a fait la preuve de son efficacité dans l’immédiat IV. CONCLUSION La récidive biologique du cancer de la prostate après prostatectomie totale traduit la présence d’une maladie résiduelle. Sa signification pronostique demeure mal aisée à appréhender et il est toujours difficile de savoir si la récidive biologique traduit une récidive locale ou métastatique et surtout qu’elle sera la durée de l’évolution. Cette récidive biologique nécessite une thérapeutique décidée en concertation avec le patient en prenant en compte les profils respectifs du patient et de la tumeur et en mettant en perspective la durée prévisible de l’évolution de la maladie et les effets secondaires des traitements proposés.