Exploitation du conflit entre capteurs pour la gestion d`un système

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Exploitation du conflit entre capteurs pour la gestion d’un système
complexe multi-capteurs
Contexte de l’étude
Pour devenir complexes à la mesure des tâches qu’on leur assigne, les systèmes
intègrent de plus en plus de capteurs physiques ou logiques1 qui facilitent la prise de décisions
optimales en fonction de l’exosystème et de l’endosystème via une mesure d’intérêt portant
sur les caractéristiques perceptives2. Ces capteurs sont des sources de données, qui délivrent
une information partielle, imprécise et/ou incertaine projetée sur les variables d’intérêt. Ces
variables sont souvent partiellement complémentaires et partiellement redondantes. La fusion
des données combine les données issues des différentes sources afin de déterminer les valeurs
des variables d’intérêt avec une précision ou une certitude suffisante pour déclencher une
action pertinente.
La théorie des fonctions de croyances (Shafer, 1976, Smets, 1978) offre un cadre
formel adapté à la représentation d’informations extraites des données en vue de leur fusion.
En effet, pour chaque élément d’information correspondant à une valeur pour une variable
d’intérêt, cette théorie permet de modéliser non seulement l’incertitude en associant une
confiance à la valeur annoncée, mais également l’imprécision dans le cas où la valeur n’est
pas un singleton de l’espace de discernement (par exemple, dans le cas d’un espace de
discernement égal à l’ensemble des réels, la valeur est un intervalle de nombres réels, ou dans
le cas d’un espace de discernement égal à un ensemble fini de classes, la valeur est une union
de classes). Ainsi, chaque élément d’information peut être représenté sous la forme d’un
couple (valeur, confiance) où la valeur est un sous-ensemble de l’espace de discernement.
Les éléments d’information étant partiellement complémentaires et partiellement
imprécis, leur combinaison est généralement partiellement conflictuelle. En effet, puisque
l’objectif de la fusion est de préciser les valeurs des variables d’intérêt, on s’intéresse
prioritairement à des règles de combinaison de type conjonctif. Ainsi, initialement dans la
règle de combinaison conjonctive de Dempster (Shafer, 1976) le conflit était réalloué
proportionnellement sur l’ensemble des masses. Zadeh (1979) ayant montré l’inconvénient de
cette approche, d’autres règles de combinaison ont été proposées : notamment, Smets (1990) a
proposé de ne pas normaliser la règle conjonctive, le conflit restant alloué à l’hypothèse
‘ensemble vide’, Yager (1987) a proposé de réallouer le conflit à l’hypothèse représentant tout
l’ensemble de discernement (et modélisant l’ignorance), et Dubois et Prade (1988) ont
proposé une solution où le conflit généré par une paire d’éléments focaux est réalloué à
l’union de ces éléments.
Nous affirmons ici l’hypothèse que le conflit peut être porteur en soi d’une
information. Plus précisément, un conflit important est généralement révélateur d’un
problème de modélisation : confiance excessive accordée à une ou plusieurs sources, cadre de
discernement non exhaustif, non indépendance des sources, etc. S’intéresser à l’origine du
conflit permet de diagnostiquer certains phénomènes ou évènements (Rombaut, 2008). Parmi
1
On appelle capteur logique l’ensemble d’un capteur et d’une classe de traitements qui le spécialise
dans la détection d’une caractéristique.
2
On appelle caractéristique perceptive toute variable telle que, dans un contexte donné, des valeurs
particulières déclenchent une action.
les exemples d’utilisation du conflit, citons : le diagnostic du système de perception et en
particulier du fonctionnement correct ou incorrect des capteurs (matériels ou mauvais
paramétrage des logiciels), la détection de nouvelles classes, la détection d’objets ou
d’évènements par déviation d’un modèle. D’une façon générale, un fort conflit est
généralement interprété en termes de non validité des hypothèses a priori (dans les exemples
cités précédemment : non validité d’une ou plusieurs sources de données, non validité de
l’exhaustivité de l’espace de discernement décrivant les classes, non validité du modèle dans
le cas de la détection par rapport à un modèle). Par exemple, Schubert, 2008, propose de
combiner seulement les sources non conflictuelles.
Approche proposée
Dans le cadre de ce projet, nous proposons de développer une méthodologie
d’exploitation du conflit dans la fusion de données acquises par un système complexe. En
effet, dans les travaux antérieurs cités les approches proposées sont généralement ad hoc.
Nous proposons de chercher une formalisation adaptée à l’exploitation du conflit. Par ailleurs,
dans les travaux cités, le conflit est pris en compte au moment de la combinaison : soit il est
géré par la règle qui permet de le redistribuer, soit il sert à invalider certaines hypothèses a
priori ou sources (qui sont alors soit écartées de la combinaison, soit affaiblies). Nous
proposerons alors d’étendre l’exploitation du conflit jusqu’à la décision. Le conflit devra
pouvoir être exploité non seulement pour détecter l’invalidité de certaines sources ou de
l’espace de discernement, mais également pour guider leur choix, voire participer à la
décision finale.
Comme début d’approche générique, remarquons que dans les exemples d’exploitation
du conflit, la remise en cause des hypothèse a priori (fonctionnement de la source, espace de
discernement…) peut être également vue comme une remise en cause du modèle de mise en
correspondance d’une observation avec une valeur de croyance sur l’espace de discernement
(l’espace de discernement considéré est le produit des espaces de discernement des
différentes sources). Dans le cas de la détection du non fonctionnement ‘normal’ d’une
source, c’est en fait le modèle d’interprétation des données issues de la source qui est non
valide ; dans le cas d’apparition d’une classe c’est le modèle d’interprétation des observations
en termes de classe la plus probable qui est remis en question (que la description utilisée des
classes soit incomplète en nombre de classes ou en description statique des classes :
découverte d’un nouveau mode d’une classe connue) ; et dans celui de détection d’évènement
par rapport à un modèle, le modèle de prédiction peut être vu comme une mise en
correspondance de la variable considérée à t-1 avec une croyance sur la valeur de cette
variable à t, qu’un fort conflit est susceptible de remettre en cause.
La méthodologie à mettre en œuvre pourrait se décomposer selon les trois étapes
suivantes : (i) mesure de conflit, (ii) exploitation du conflit pour la gestion des modèles
d’association (observation, fonctions de croyance), et (iii) prise en compte du conflit résiduel
lors de la décision finale.
Concernant le point (i), parmi les mesures de conflit entre deux sources (excluant les
mesures définies pour une seule fonction de masse, comme la non-spécificité ou le doute de
Klir, 1994), on peut citer le conflit global égal à la masse de l’ensemble vide après
combinaison conjonctive non normalisée des sources (somme des conflits partiels associés
aux couples d’hypothèses mutuellement exclusives), et les distances sur les fonctions de
masses (Martin et al., 2008). Nous proposons de tester en premier ces définitions pour évaluer
leur pertinence pour notre objectif. Il est également envisageable d’utiliser différentes
mesures du conflit qui puissent être mise en compétition.
Concernant le point (ii), l’exploitation du conflit pour la gestion des modèles
d’association, nous avons montré que les méthodes précédentes d’exploitation du conflit
passent en premier lieu par le choix d’un nouveau modèle d’association observation-fonctions
de croyance, ce choix étant fixé aujourd’hui de façon ad hoc. Le travail de généralisation que
l’on propose comporte alors une première étape de définition des classes de transformations et
remises en cause du modèle (par exemple, modification de l’espace de discernement,
affaiblissement d’une source). Il s’agit ensuite de définir un ordre de parcours de ces
différentes transformations de modèle à tester en fonction du conflit (par exemple, on peut
envisager de définir des arbres de modèles et d’ordonner le parcours de l’arbre). C’est dans la
définition de cet ordre que sera injectée l’information a priori sur notre problème (par
exemple, les actions résultant des différentes décisions peuvent induire des bornes de début et
de fin dans le parcours ordonné de l’arbre), et les causes possibles du conflit (par exemple,
ordonnées par probabilité décroissance dans l’arbre). Cet ordonnancement peut être
dynamique notamment en fonction des valeurs de conflit local (entre deux hypothèses).
Comme l’objectif est clairement de choisir un modèle à la fois non ou peu conflictuel (par
rapport aux autres sources) et le plus riche en information (le plus ‘engagé’), nous proposons
que l’ordre des modèles induise un ordonnancement local des fonctions de croyance (des
ordonnancements ont déjà été définis comme les {pl,q,s}-ordonnancements, Dubois et al.,
2001, et le w-ordonnancement, Denoeux, 2008). Ainsi, le dernier modèle de la liste ordonnée
pourrait être un modèle ‘vide’ en information correspondant à la non prise en compte de la
source. Enfin, d’une façon générale, il paraît raisonnable que le choix du modèle résulte alors
d’un compromis entre la précision de la variable à estimer (liée au degré d’engagement du
modèle obtenu après fusion lui-même lié au degré d’engagement du modèle retenu) et le
conflit résiduel. Notons également que cette approche multi-modèles n’exclut pas une
réflexion sur la règle de combinaison à utiliser. En particulier des travaux récents prennent en
compte la non-indépendance partielle des sources (Denoeux, 2008, Kallel et Le HégaratMascle, 2009).
Concernant le point (iii), la prise en compte du conflit résiduel lors de la décision
finale nécessite d’introduire la notion de coût ou de risque dans la règle de décision (de façon
similaire à la théorie de la décision bayésienne). Nous proposons d’associer un coût (lié
notamment à l’action induite par l’hypothèse décidée) à chaque décision d’hypothèse, et la
décision finale se fait en prenant en compte les valeurs de croyance dans chaque hypothèse,
les coûts associés aux décisions d’hypothèses, et les valeurs de conflit partiel associés aux
hypothèses. Par exemple, on peut choisir de répartir la masse de l’ensemble vide, ou
l’autoconflit (Martin et Osswald, 2006), sur les hypothèses ayant un coût de décision élevé.
Un tel exemple ad hoc nécessite une approche plus formelle. Il s’agit par exemple de justifier
des approches utilisant des règles de décision hybride maximisant une mesure évidentielle qui
est soit la plausibilité, Pl, soit la croyance, Bel, selon le risque lié à la décision
(respectivement, fort risque, et faible risque).
Une généralisation de ces travaux est de redéfinir un modèle comme ‘un capteur
logique et la fonction de mise en correspondance de ses observations avec les valeurs de
croyance sur l’espace de discernement’. Dans ce cas, le conflit est utilisé non seulement pour
choisir la fonction d’interprétation crédale des observations d’un capteur, mais également
pour le choix des capteurs à combiner et l’ordre de cette combinaison (rappelons que, par
exemple, la règle de combinaison de Dubois et Prade, 1988, n’est pas associative).
Cadre applicatif
Nous proposons d’appliquer les concepts précédents pour illustration à un système
supposé complexe parce que doté d’autonomie, tel qu’un robot mobile ou un véhicule avec
caméra embarquée. Le système a un objectif qui lui est donné, par exemple aller d’un point A
à un point B. Il est muni d’une cartographie des lieux, symbolique, éventuellement incomplète
ou partiellement erronée (carte ‘datant un peu’) et d’un système de localisation (balise pour le
robot, GPS pour le véhicule). Le système est également muni d’un capteur de vision (caméra
couleur), et d’algorithmes de détection de primitives sur l’image acquise : bords de route,
objets... Cette thématique a été choisie car elle permet d’aborder différents problèmes
importants pour un système visant l’autonomie, et d’illustrer la généricité de l’exploitation
d’une mesure de conflit. Les trois problèmes applicatifs qui pourraient bénéficier de
l’approche proposée sont :
La localisation : La ‘cartographie interprétée’ peut être vue comme le modèle qui
associe, aux instants d’acquisition du capteur vision, les valeurs données par le système de
localisation à la position sur l’image de certaines primitives. L’exploitation du conflit entre les
primitives prédites et celles observées permettra alors de valider ou non, à tout instant, les
modèles de détection des primitives dans l’image à l’instant t et de ‘cartographie interprétée’
(il est par exemple envisageable de disposer de plusieurs modèles de ‘cartographie
interprétée’ décrivant des primitives plus ou moins grossières et imprécises, et de choisir le
modèle correspondant à un compromis entre précision des primitives et conflit).
La planification de trajectoire : Les obstacles détectés doivent être pris en compte en
vue d’une éventuelle modification de la trajectoire. Ainsi, l’exploitation du conflit par rapport
à un modèle de positions plus ou moins valides (en fonction par exemple de la distance aux
obstacles et prenant en compte la vitesse de déplacement du mobile, robot ou véhicule ainsi
que le déplacement éventuel des obstacles détectés) valide ou non un modèle de trajectoire
(donné par la cartographie confirmée à l’étape précédente et l’objectif de destination).
La détection d’obstacle : Dans l’étape précédente, on supposait détectés les obstacles
appelés ici ‘objets’. Or ceux-ci sont détectés par rapport à une image de ‘fond’ qui doit être
réactualisée au fur et à mesure du déplacement du système mobile embarquant la caméra, le
déplacement des structures présentes sur l’image de fond dépendant du mouvement de la
caméra et de leur distance à la caméra selon l’axe z perpendiculaire au plan de l’image. Or, à
partir des images précédentes dans la séquence, il est possible d’avoir une estimation (plus ou
moins précise) de la position selon z des structures (par exemple par mesure de flot optique et
interprétation du vecteur supposant la structure immobile et connaissant le déplacement de la
caméra). Le conflit avec l’observation (image acquise à un instant t) permet alors de valider
ou non le modèle selon lequel la structure fait partie du fond (est immobile dans le repère
cartographique) et est positionnée à la position estimée en z. En cas d’invalidité du modèle, il
est alors possible de basculer sur un autre modèle de position selon z, ou de détacher la
structure du fond et de l’étiqueter ‘objet’…
Les travaux théoriques que l’on propose pourront trouver une application notamment
dans le cas du projet SIMCOD3 permettant de télé-opérer un véhicule quasi-autonome.
3
Projet de recherche avancée soutenue par le RTRA DIGITEO
Références
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non distinct bodies of evidence”, Artificial Intelligence, 172:234–264.
Dubois, D., and Prade, H., 1988, “Representation and combination of uncertainty with belief
functions and possibility measures”, Computational Intelligence, 4:244–264.
Dubois, D., Prade, H., Smets, P., 2001, “New semantics for quantitative possibility theory”,
In: ECSQARU '01: Proceedings of the 6th European Conference on Symbolic and
Quantitative Approaches to Reasoning with Uncertainty, Springer-Verlag, London, UK,
pp.410-421.
Kallel, A., and Le Hégarat-Mascle, S., 2009, “Combination of partially non-distinct consonant
beliefs: the cautious-adaptive rule”, International Journal of Approximate Reasoning,
accepted.
Klir, G., 1994, G .Uncertainty Modelling and Analysis : Theory and Applications, chapitre
The Many Faces of Uncertainty, pp.3–19. Elsevier, éditeurs : B. M. Ayyub, M. M.
Gupta,
Martin, A., and Osswald, C., 2006, “A new generalization of the proportional conflict
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(Editors), American Research Press.
Martin, A., Jousselme, A.-L., Osswald, C., 2008, “Conflict measure for the discounting
operation on belief functions”, In: Proceedings of Information Fusion’08, Cologne,
Germany, 30 June-3 July 2008.
Rombaut, 2008, “Le conflit une information à prendre au sérieux”, Journées du GDR ISIS
“Gestion de l’incertain et fusion d’informations”, 9 octobre 2008.
Schubert, J.,2008, “Decomposed belief functions using generalized weights of conflict”,
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Shafer, G., 1976. A Mathematical Theory of Evidence, Princeton University Press
Smets, P., 1978. Un modèle mathématico-statistique simulant le processus du diagnostic
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Yager, R.R., 1987, “On the Dempster-Shafer framework and new combination rules”,
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