HigHligHts La médecine interne dans le monde: un pas en arrière, un pas de côté, un pas en avant? Werner Bauer Société Suisse de Médecine Interne Tout est en mouvement, et pour éclairer l’objet, le projecteur doit lui-même se déplacer aussi, parfois avec rapidité. Il en va ainsi de nombreux aspects du système de santé et plus particulièrement de la médecine interne. Quel n’a pas été le chemin parcouru jusqu’ici: depuis une simple discipline médicale de base, peut-être quelque peu prétentieuse, en passant par la triste existence de l’objet à dépecer, jusqu’à la discipline médicale moderne capable de contribuer à la maîtrise de plus en plus nécessaire des problèmes de ressources au sein du système de santé, eux-mêmes en croissance constante. Dirigeons un instant notre projecteur sur quelques secteurs d’activité de la médecine interne en Suisse et à l’étranger. Acute Medicine – la médecine interne des 48 premières heures Depuis bien longtemps, la Grande-Bretagne se distingue du continent ou d’autres parties du monde par de nombreuses petites particularités. Toujours est-il que là-bas une nouvelle discipline médicale s’est développée, «la médecine aiguë», à propos de laquelle nous ne savons pas trop s’il faut nous en réjouir ou non. S’agit-il là d’un fractionnement de la médecine interne, ce qui représenterait un nouveau clivage dans les activités médicales, ou alors d’une façon moderne de pratiquer une médecine interne orientée vers les besoins? Laissons directement le Royal College of Physicians de Londres prendre position à ce sujet: The demands of admitting and managing acutely ill patients have spawned a new specialty within General Medicine. Acute Medicine has been established to improve the quality and safety of care for people who are acutely ill. It is defined as «that part of general internal medicine concerned with the immediate and early specialist management of adult patients with a wide range of medical conditions who present in hospital as emergencies». Werner Bauer Il ne s’agit donc ni de traitements d’urgence ni d’une médecine intensive, mais du diagnostic et de l’initiation d’un traitement pendant les 24 à 48 premières heures après l’admission à l’hôpital. Suite à quoi le patient est adressé dans un service spécialisé, dans une unité de service général ou alors il peut rentrer chez lui. Le concept de médecine aiguë veut que ce soient les médecins généralistes qui prennent les mesures initiales et que les spécialistes soient intégrés dans le concept. Du simple point de vue helvético-continental, on peut se demander s’il est vraiment nécessaire de créer une nouvelle discipline médicale pour prendre en charge la phase aiguë de façon compétente. Cependant il est manifeste que cette discipline attire de nombreux jeunes médecins et que ces praticiens de la médecine aiguë se voient comme des internistes. Leur société médicale s’est d’ailleurs dépêchée de déposer une demande d’admission dans la Fédération Européenne de Médecine Interne. Attendons la suite. Hospitaliste – une profession qui a le vent en poupe We have exceptional full-time day opportunities (no nights) for board-certified Internal Medicine physicians in our Hospitalist Group for the 40-bed long-term acute care facility with block schedules of 7 on/7 off. Our collaborative team environment works toward maintaining a patient census low enough to ensure each hospitalist has sufficient time to give quality patient care and communicate with the outpatient physician. (tiré d’une annonce parue dans la revue ACP Hospitalist) Le bonheur des uns fait le malheur des autres: alors que dans la médecine de famille ambulatoire, aux EtatsUnis, le manque de relève se fait sentir comme chez nous, la profession de médecin hospitalier y est de plus en plus appréciée. Dans de nombreuses cliniques, le système du médecin hospitalier vient à remplacer celui du médecin traitant et du médecin conventionné: les conditions de travail offertes à ces «hospitalistes» sont très attractives – ou pour le moins plus attractives que celles qu’offre la médecine de premier recours. Les médecins d’hôpital sont généralement des internistes ayant terminé leur formation postgraduée; il ne poursuivent pas de plan de carrière académique mais ils désirent poursuivre une activité de prise en charge médicale des patients dans les divers services de l’hôpital, tout en bénéficiant d’horaires de travail réguliers et d’un juste équilibre entre travail et loisirs. En général ils ne s’occupent pas d’urgences, et rarement de services de nuit ou de fins de semaine. Ils assurent par contre la continuité des soins aux patients hospitalisés. En tant que généralistes, ils établissent les concepts de diagnostic et de traitement, et il n’est pas rare que certaines unités de lits chirurgicaux fassent appel à des hospitalistes internistes pour assurer les soins médicaux à leurs patients. L’essor de la profession d’hospitaliste a provoqué des discussions aux Etats-Unis: s’agit-il d’une étape nouForum Med Suisse 2010;10(1–2):13 13 HigHligHts velle dans le développement du profil de l’interniste ou d’une manifestation supplémentaire du processus de fragmentation de la médecine? De son côté, la grande organisation faîtière des médecins internistes américains, l’American College of Physicians (ACP) tente de conserver les hospitalistes sous le même toit que les internistes. En Suisse également, les préférences pour la profession de médecin hospitalier commencent à se faire sentir; cependant il existe un certain équilibre entre les postes de médecins assistants et ceux de médecins hospitaliers, et on ne pourra pas le déplacer en faveur des seconds au-delà de certaines limites. Recherche? Recherche! Pour qu’une discipline médicale soit reconnue comme telle et qu’elle puisse bénéficier de l’appui académique, il faut que ses représentants fassent de la recherche. A cet égard, la médecine interne n’a hélas pas produit beaucoup de résultats depuis de nombreuses années, et cela continue. Seuls des travaux de recherche dans l’une ou l’autre des anciennes sous-spécialités permettaient en fait d’assurer une carrière scientifique. Mais tout doucement, de façon différenciée selon les lieux, un changement se dessine. Les problèmes de ressources des systèmes de santé, l’augmentation du nombre de patients polymorbides, la nécessité de comparer les différentes méthodes et de définir certains standards au-delà des disciplines médicales ouvrent de nouveaux champs de recherche en médecine interne, et il est probable qu’ils occuperont une place de plus en plus importante à l’avenir. Le rédacteur en chef des Annals of Internal Medicine, Harald Sox, un homme très estimé, vient de quitter son poste d’éditeur; il a pris la direction d’un nouvel institut de recherche en efficacité comparative («comparative effectiveness»), qui reçoit un fort soutien financier étatique aux Etats-Unis. Ce domaine de recherche ne se situe évidemment pas dans l’axe de financement des industries, et il est défini comme suit: Comparative effectiveness analysis evaluates the relative (clinical) effectiveness, safety, and cost of two ore more medical services, drugs, devices, therapies or procedures to treat the same condition (ACP). Il ne s’agit donc plus de comparer un médicament ou une méthode avec un placebo ou un quelconque objet supposé moins efficace, mais de tenir compte de tous les aspects et critères pour déterminer, parmi les méthodes diagnostiques ou thérapeutiques dont on dispose, laquelle est la plus appropriée pour un groupe de patients précis. Il faut que le domaine de recherche qui s’ouvre ici à la médecine interne se transforme le plus rapidement possible en un domaine phare. Quatre diagnostics, huit médicaments, x interventions – où est le concept? plusieurs problèmes de santé à la fois, ou présentant des tableaux cliniques complexes, est en augmentation. Pour les prendre en charge de façon appropriée, il faut élaborer un concept diagnostique et thérapeutique pour chaque cas. Cela signifie que la société a besoin de généralistes et de spécialistes. La Fédération Européenne de Médecine Interne (EFIM) a magnifiquement intégré cette réalité dans sa nouvelle définition de la médecine interne, publiée récemment dans son document stratégique, dont nous citons un extrait: Internal Medicine is the core medical discipline that is responsible for the care of adults with one or more complex, acute, or chronic illnesses, both in the hospital and in the community. It is patient-centred, scientifically based and committed to ethical, scientific and holistic principles of care. Internal Medicine analyzes the findings of other medical specialties and integrates them into strategies for diagnosis, treatment and care for the individual patient. Internists cope with the challenge of developing standards, decision making, quality improvement and patient safety tools, and integrated health care delivery systems. La lumière du projecteur s’est déplacée pour éclairer certains des domaines où la médecine interne est en pleine mouvance – comme il se doit lorsqu’une discipline est vivante: – la médecine aiguë en tant que médecine interne des premières 48 heures – le concept des anglais; – les hospitalistes en tant qu’internistes assurant la continuité et la compétence de la prise en charge des patients hospitalisés (maintenant ils existent également dans le domaine ambulatoire) – en somme, les américains découvrent ce que nous avons déjà; – la recherche clinique, qui doit être interdisciplinaire si l’on veut trouver la voie vers la meilleure utilisation des ressources possible – une chance à saisir pour la médecine interne; – la prise en charge judicieuse de l’établissement ou de la réalisation du diagnostic et des plans thérapeutiques par les internistes – toujours en collaboration avec les spécialistes, dont ils doivent évidemment bien connaître les compétences et les méthodes. Comme le dit si bien Osler: The future is today. Renew yourself daily. Cela ne veut dire qu’une simple chose: en avant! Correspondance: Dr Werner Bauer Facharzt für Innere Medizin und Onkologie-Hämatologie Kohlrainstrasse 1 CH-8700 Küsnacht [email protected] Nous connaissons tous le développement démographique en Europe: le nombre des patients atteints de Forum Med Suisse 2010;10(1–2):14 14