La médecine interne dans le monde: un pas en arrière, un pas de

Forum Med Suisse 2010;10(1–2):13 13
HigHligHts
La médecine interne dans le monde:
un pas en arrière, un pas de côté, un pas en avant?
Werner Bauer
Société Suisse de Médecine Interne
Tout est en mouvement, et pour éclairer l’objet, le pro-
jecteur doit lui-même se déplacer aussi, parfois avec
rapidité. Il en va ainsi de nombreux aspects du système
de santé et plus particulièrement de la médecine interne.
Quel n’a pas été le chemin parcouru jusqu’ici: depuis
une simple discipline médicale de base, peut-être
quelque peu prétentieuse, en passant par la triste exis-
tencedel’objet àdépecer,jusqu’à la discipline médicale
moderne capable de contribuer à la maîtrise de plus en
plus nécessaire des problèmes de ressources au sein du
système de santé, eux-mêmes en croissance constante.
Dirigeons un instant notre projecteur sur quelques sec-
teurs d’activité de la médecine interne en Suisse et à
l’étranger.
Acute Medicine –
la médecine interne des 48 premières heures
Depuis bien longtemps, la Grande-Bretagne se distingue
du continent ou d’autres parties du monde par de nom-
breuses petites particularités. Toujours est-il que là-bas
une nouvelle discipline médicale s’est développée, «la
médecine aiguë», à propos de laquelle nous ne savons
pas trop s’il faut nous en réjouir ou non. S’agit-il là d’un
fractionnement de la médecine interne, ce qui représen-
terait un nouveau clivage dans les activités médicales,
ou alors d’une façon moderne de pratiquer une médecine
interne orientée vers les besoins? Laissons directement
le Royal College of Physicians de Londres prendre po-
sition à ce sujet:
The demands of admitting and managing acutely ill
patients have spawned a new specialty within General
Medicine. Acute Medicine has been established to im-
prove the quality and safety of care for people who are
acutely ill. It is defined as «that part of general inter-
nal medicine concerned with the immediate and early
specialist management of adult patients with a wide
range of medical conditions who present in hospital as
emergencies».
Il ne s’agit donc ni de traitements d’urgence ni d’une
médecine intensive, mais du diagnostic et de l’initiation
d’un traitement pendant les 24 à 48 premières heures
après l’admission à l’hôpital. Suite à quoi le patient est
adressé dans un service spécialisé, dans une unité de
service général ou alors il peut rentrer chez lui. Le
concept de médecine aiguë veut que ce soient les méde-
cins généralistes qui prennent les mesures initiales et
que les spécialistes soient intégrés dans le concept. Du
simple point de vue helvético-continental, on peut se
demander s’il est vraiment nécessaire de créer une
nouvelle discipline médicale pour prendre en charge la
phase aiguë de façon compétente. Cependant il est ma-
nifeste que cette discipline attire de nombreux jeunes
médecins et que ces praticiens de la médecine aiguë se
voient comme des internistes. Leur société médicale s’est
d’ailleurs dépêchée de déposer une demande d’admis-
sion dans la Fédération Européenne de Médecine In-
terne. Attendons la suite.
Hospitaliste –
une profession qui a le vent en poupe
We have exceptional full-time day opportunities (no
nights) for board-certified Internal Medicine physicians
in our Hospitalist Group for the 40-bed long-term acute
care facility with block schedules of 7on/7 off. Our collab-
orative team environment works toward maintaining a
patient census low enough to ensure each hospitalist
has sufficient time to give quality patient care and
communicate with the outpatient physician.
(tiré d’une annonce parue dans la revue ACP Hospitalist)
Le bonheur des uns fait le malheur des autres: alors que
dans la médecine de famille ambulatoire, aux Etats-
Unis, le manque de relève se fait sentir comme chez
nous, la profession de médecin hospitalier yest de plus
en plus appréciée. Dans de nombreuses cliniques, le
système du médecin hospitalier vient àremplacer celui
du médecin traitant et du médecin conventionné: les
conditions de travail offertes àces «hospitalistes» sont
très attractives –oupour le moins plus attractives que
celles qu’offre la médecine de premier recours. Les mé-
decins d’hôpital sont généralement des internistes ayant
terminé leur formation postgraduée; il ne poursuivent
pas de plan de carrière académique mais ils désirent
poursuivre une activité de prise en charge médicale des
patients dans les divers services de l’hôpital, tout en béné-
ficiant d’horaires de travail réguliers et d’un juste équi-
libre entre travail et loisirs. En général ils ne s’occupent
pas d’urgences, et rarement de services de nuit ou de
fins de semaine. Ils assurent par contre la continuité des
soinsaux patients hospitalisés. En tant que généralistes,
ils établissent les concepts de diagnostic et de traitement,
et il n’est pas rare que certaines unités de lits chirurgi-
caux fassent appel àdes hospitalistes internistes pour
assurer les soins médicaux àleurs patients.
L’ essor de la profession d’hospitaliste a provoqué des
discussions aux Etats-Unis: s’agit-il d’une étape nou-
Werner Bauer
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velle dans le développement du profil de l’interniste ou
d’une manifestation supplémentaire du processus de
fragmentation de la médecine? De son côté, la grande
organisation faîtière des médecins internistes améri-
cains, l’American College of Physicians (ACP) tente de
conserver les hospitalistes sous le même toit que les in-
ternistes. En Suisse également, les préférences pour la
profession de médecin hospitalier commencent à se
faire sentir; cependant il existe un certain équilibre
entre les postes de médecins assistants et ceux de mé-
decins hospitaliers, et on ne pourra pas le déplacer en
faveur des seconds au-delà de certaines limites.
Recherche? Recherche!
Pour qu’une discipline médicale soit reconnue comme
telle et qu’elle puisse bénéficier de l’appui académique,
il faut que ses représentants fassent de la recherche. A
cet égard, la médecine interne n’a hélas pas produit
beaucoup de résultatsdepuis de nombreuses années, et
cela continue. Seuls des travaux de recherche dans l’une
ou l’autre des anciennes sous-spécialités permettaient
en fait d’assurer une carrière scientifique.
Mais tout doucement, de façon différenciée selon les
lieux, un changement se dessine. Les problèmes de
ressources des systèmes de santé, l’augmentation du
nombre de patients polymorbides, la nécessité de com-
parer les différentes méthodes et de définir certains
standards au-delà des disciplines médicales ouvrent de
nouveaux champs de recherche en médecine interne, et
il est probable qu’ils occuperont une place de plus en
plus importante à l’avenir.
Le rédacteur en chef des Annals of Internal Medicine,
Harald Sox, un homme très estimé, vient de quitter son
poste d’éditeur; il a pris la direction d’un nouvel institut
de recherche en efficacité comparative («comparative
effectiveness»), qui reçoit un fort soutien financier éta-
tique aux Etats-Unis. Ce domaine de recherche ne se
situe évidemment pas dans l’axe de financement des
industries, et il est défini comme suit: Comparative
effectiveness analysis evaluates the relative (clinical)
effectiveness, safety, and cost of two ore more medical
services, drugs, devices, therapies or procedures to
treat the same condition (ACP).
Il ne s’agit donc plus de comparer un médicament ou
une méthode avec un placebo ou un quelconque objet
supposé moins efficace, mais de tenir compte de tous
les aspects et critères pour déterminer, parmi les mé-
thodes diagnostiques ou thérapeutiques dont on dis-
pose, laquelle est la plus appropriée pour un groupe de
patients précis. Il faut que le domaine de recherche qui
s’ouvre ici à la médecine interne se transforme le plus
rapidement possible en un domaine phare.
Quatre diagnostics, huit médicaments,
x interventions – où est le concept?
Nous connaissons tous le développement démogra-
phique en Europe: le nombre des patients atteints de
plusieurs problèmes de santé à la fois, ou présentant
des tableaux cliniques complexes, est en augmentation.
Pour les prendre en charge de façon appropriée, il faut
élaborer un concept diagnostique et thérapeutique pour
chaque cas. Cela signifie que la société abesoin de géné-
ralistes et de spécialistes. La Fédération Européenne de
Médecine Interne (EFIM) a magnifiquement intégré
cette réalité dans sa nouvelle définition de la médecine
interne, publiée récemment dans son document straté-
gique, dont nous citons un extrait:
Internal Medicine is the core medical discipline that is
responsible for the care of adults with one or more
complex, acute, or chronic illnesses, both in the hospital
and in the community. It is patient-centred, scientifi-
cally based and committed to ethical, scientific and
holistic principles of care.
Internal Medicine analyzes the findings of other medical
specialties and integrates them into strategies for diag-
nosis, treatment and care for the individual patient.
Internists cope with the challenge of developing stan-
dards, decision making, quality improvement and pa-
tient safety tools, and integrated health care delivery
systems.
La lumière du projecteur s’est déplacée pour éclairer
certains des domaines où la médecine interne est en
pleine mouvance – comme il se doit lorsqu’une disci-
pline est vivante:
–la médecine aiguë en tant que médecine interne des
premières 48 heures – le concept des anglais;
–les hospitalistes en tant qu’internistes assurant la
continuité et la compétence de la prise en charge des
patients hospitalisés (maintenant ils existent égale-
ment dans le domaine ambulatoire) – en somme, les
américains découvrent ce que nous avons déjà;
–la recherche clinique, qui doit être interdisciplinaire
si l’on veut trouver la voie vers la meilleure utilisation
des ressources possible – une chance à saisir pour la
médecine interne;
–la prise en charge judicieuse de l’établissement ou
de la réalisation du diagnostic et des plans thérapeu-
tiques par les internistes – toujours en collaboration
avec les spécialistes, dont ils doivent évidemment
bien connaître les compétences et les méthodes.
Comme le dit si bien Osler: The future is today. Renew
yourself daily. Cela ne veut dire qu’une simple chose:
en avant!
Correspondance:
Dr Werner Bauer
Facharzt für Innere Medizin und Onkologie-Hämatologie
Kohlrainstrasse 1
CH-8700Küsnacht
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