tard qu’ils avaient cru voir A. Diallo s’emparer d’une arme. Selon les quatre officiers, le
vestibule était sombre, ce qui pouvait expliquer la confusion. Cette ligne de défense
convaincra le jury réuni à la cour d'Albany (Etat de New York) pour les juger en février 2000.
Ce verdict a créé un scandale, en particulier parmi les activistes afro-américains, notamment
en raison du nombre de balles tirées par les policiers (41). Il va sans dire que, même si le cas
Diallo est exceptionnel, les bavures policières à caractère raciste ne sont pas l’apanage des
Etats-Unis.
Stéréotypes sociaux et racisme
Quels types de processus peuvent expliquer une telle violence ? Sans nous prononcer sur le
fond de l’affaire Diallo, concentrons-nous sur le rôle joué par les stéréotypes sociaux dans ce
type de comportement.
Une interprétation peut sembler a priori séduisante : selon cette interprétation, les policiers
étaient « racistes », c’est-à-dire qu’ils possédaient des attitudes négatives vis-à-vis des Noirs.
Leurs stéréotypes racistes à propos des Noirs les auraient donc conduits à agresser Amadou.
C’est à cette interprétation qu’adhéraient certains activistes noirs américains.
Dans cette perspective, il suffirait d’être tolérant, ouvert à autrui, et dépourvu de préjugés
pour échapper à ce type de comportement.
Cette vision des choses a ses limites, comme on va le voir. Tout d’abord, qu’entend-on par
stéréotype social ? En psychologie sociale, on considère un stéréotype comme un noyau de
représentations mentales associées aux membres d’un groupe social : « les pompiers sont
courageux », « les Corses sont fainéants », « les politiciens sont corrompus », sont des
stéréotypes sociaux Ces contenus peuvent concerner des traits de personnalité, des qualités ou
tares morales, voire des exemplaires particulièrement saillants de ce groupe.
Parmi les nombreuses fonctions des stéréotypes sociaux, l’une d’elles nous permet
d’interpréter le comportement d'autrui, de lui donner du sens. C’est le rôle qu’ils semblent
avoir joué ici : familiers avec le stéréotype du Noir délinquant, les policiers auraient interprété
l’objet comme une arme alors que s’ils avaient été confrontés à un père de famille blanc, ils
auraient correctement perçu qu’il s’agissait bien d’un portefeuille.
Une expérience de Keith Payne (2) a étudié ce processus. Pour ce faire, cet auteur a eu recours
à une tâche d’amorçage prenant la forme suivante : les participants, tous des Blancs d’une
vingtaine d’années, voyaient apparaître un visage pendant 200 millisecondes (un délai
extrêmement court) sur un écran d’ordinateur. Ce visage pouvait appartenir à un Blanc ou à
un Noir. Ensuite, on leur présentait un objet pouvant être un outil inoffensif ou une arme. Leur
tâche consistait à appuyer le plus rapidement possible sur une touche A si l’objet était une
arme et sur une touche B s’il s’agissait d’un outil. K. Payne constata que les sujets
identifiaient plus souvent un outil inoffensif comme une arme lorsqu’ils avaient vu
précédemment un visage « noir » que « blanc ». Les résultats corroborent donc l’idée d’un
rôle des stéréotypes dans l’interprétation de l’objet. De façon plus intéressante encore,
l’inverse se produit lorsque l’objet est une arme : si la présentation d’un visage noir précède
véritablement celle d’une arme, les sujets se trompaient moins souvent que si un visage blanc
avait été présenté. Les stéréotypes vis-à-vis des Noirs exercent ainsi un effet direct sur
l’interprétation d’un objet et ce, pas seulement chez des policiers.
Mais entre interpréter un objet comme une arme et faire feu sur celui qui le brandit, il y a un
pas. C’est cette étape qu’ont cherché à examiner Josuah Correll et ses collaborateurs à travers
plusieurs études (3) dont la structure était toujours identique : les sujets de ces études étaient
invités à participer à une sorte de jeu vidéo. Ils apercevaient rapidement un personnage blanc
ou noir. Celui-ci brandissait soit une arme soit un objet inoffensif. Leur tâche consistait à
appuyer sur une touche le plus rapidement possible pour tirer sur la cible s’il s’agissait bien