Température, gaz du sang et cerveau
Tremey Benjamin, Le Guen Morgan, Vigué Bernard
DAR Bicêtre, CHU de Bicêtre, Le Kremlin Bicêtre, 94275, cedex
Pour toute correspondance : Dr B. Vigué, DAR, CHU de Bicêtre, Le Kremlin Bicêtre,
94275, cedex
Tel : 01 45 21 34 41 ; Fax : 01 45 21 28 75
Introduction
Les variations de la température centrale sont fréquentes chez les patients de
neuroréanimation qu’il s’agisse d’hypothermie (introduite volontairement comme
thérapeutique ou non désirée au bloc opératoire) ou d’hyperthermie (d’origine
infectieuse ou autre). Parce que ces variations de température sont reconnues
comme susceptibles d’interférer avec le devenir des patients, péjoratif pour
l’hyperthermie et bénéfique pour l’hypothermie, le contrôle de la température centrale
est devenu ces dernières années un des objectifs principaux de la neuroréanimation.
Nous savons que les variations de température influent sur les propriétés
physico-chimiques des gaz présents dans les tissus de l’organisme, sur leur
transport dans le sang, sur la diffusion de ces gaz du sang aux tissus ainsi que sur le
métabolisme cellulaire. Ceci entraine des modifications dans les résultats des
pressions partielles des différents gaz artériel ou veineux et peut modifier la prise en
charge de nos patients de neuroréanimation. En effet, ces modifications sont
susceptibles d’avoir une influence notable sur l’hémodynamique cérébrale (la PCO2
artérielle - PaCO2 - contrôle étroitement le débit sanguin cérébral) et sur le
métabolisme cérébral (la SO2 veineuse jugulaire (SvjO2) approche du rapport entre
consommation cérébrale en oxygène et débit sanguin cérébral).
Le but de cet article est de donner les moyens au lecteur de comprendre et
d'analyser les modifications des gaz du sang en fonction de la température et leurs
conséquences sur l‘hémodynamique et le métabolisme cérébral. Nous allons voir, à
travers un exemple, comment le clinicien doit interpréter ces modifications, savoir en
éviter les pièges mais aussi éventuellement utilisé ces modifications dans la
réanimation quotidienne.
1
Cas clinique
Mr C, 46 ans, est admis en unité de soins intensifs neurochirurgicale suite à
un traumatisme crânien sévère, pour lequel aucune chirurgie n'est envisageable. Le
patient est intubé, ventilé mécaniquement et sédaté. Les moyens de surveillance mis
en œuvre sont un capteur de pression intra-crânienne (PIC) intraparenchymateux et
un cathéter veineux jugulaire interne rétrograde permettant la mesure régulière des
gaz du sang veineux et donc de la saturation veineuse jugulaire en oxygène (SvjO2).
La SvjO2 est un reflet de l’extraction en oxygène du cerveau. Il est admis
qu'en deçà du seuil de 50%, il existe un risque de lésions cérébrales ischémiques
irréversibles [1]. Le franchissement de ce seuil nécessite donc une réaction
thérapeutique immédiate.
L'ensemble des paramètres interférant avec le niveau de PIC est contrôlé :
patient en position demi assise, niveau de sédation pour un score de Ramsay 5 ou 6,
apyrexie, hématocrite supérieure à 30%, osmolarité sanguine conservée,
normocapnie (40 mmHg +/-2) et pression artérielle moyenne (PAM) à un niveau
suffisant pour assurer un pression de perfusion cérébrale supérieure à 70 mmHg. Il
persiste néanmoins une hypertension intracrânienne : PIC = 55 mmHg. La SvjO2
mesurée est de 49 %.
Il est décidé d'induire une hypothermie modérée à 34°C dans le but de mieux
contrôler l'hypertension intracrânienne [2, 3]. De plus, la baisse du métabolisme
cérébral provoquée par l'hypothermie devrait permettre une diminution des besoins
en oxygène du cerveau et, pour un même débit cérébral, l’élévation de la SvjO2 qui
se trouve, ici, en dessous du seuil de 50% [1]. Nous obtenons l’hypothermie par
refroidissement externe après avoir curarisé le patient déjà sédaté. Les paramètres
ventilatoires ne sont pas modifiés.
Sans variation de PAM, la PIC a diminué à 25 mmHg. Le Tableau I représente
les différents résultats des gazométries artérielles et veineuses jugulaires internes
successives (résultats rendus "corrigés en fonction de la température").
Le passage en hypothermie est associé à une diminution de la PaCO2 avec
augmentation concommitante du pH (alcalose ventilatoire). Une interprétation rapide
de la SvjO2 est rassurante puisqu'elle passe de 49 à 62 %. Nous sommes alors dans
des zones physiogiques de SvjO2 et le risque ischémique semble levé….
2
Analyse des gaz du sang en fonction de la température
Les modifications des gaz du sang avec la température ont surtout été
étudiées dans le cadre de l’hypothermie. Les études en chirurgie cardiovasculaire
avec circulation extra corporelle (CEC) en hypothermie modérée (32 à 34° Celsius)
ou profonde (15 à 21° Celsius) utilisée à des fins de protection tissulaire (cerveau,
etc…) ont permis d'analyser les modifications de la PaCO2 et du pH [4] comme de la
PaO2 et la SvO
2 [5, 6]. Cependant l’hypothermie est rencontrée dans d'autres
situations en anesthésie réanimation. Au bloc opératoire, lors de chirurgies longues,
il peut être difficile de maintenir à un niveau normal la température centrale, et
l’hypothermie se présente alors comme un élément indésirable de l’anesthésie. En
réanimation, l'hypothermie est aussi discutée comme traitement adjuvant de
l’hypertension intracrânienne après traumatisme crânien [7], arrêt cardiaque récupéré
[8] ou ischémie cérébrale [9]. Par son action vasomotrice puissante la PaCO2
influence le débit sanguin cérébral. Connaître les variations prévisibles des gaz du
sang liées à l’hypothermie permet une meilleure appréciation et un meilleur contrôle
de l'hémodynamique cérébrale [2]. L’influence de l’hyperthermie sur les gaz du
sang, moins étudiée, reste fondamentale à connaître, les variations ascendantes de
température étant largement plus fréquentes que l’hypothermie.
1) Analyse des modifications de la PCO2 et du pH
a. Variations de la PCO2
Le gaz carbonique existe sous deux formes dans le sang : une forme dissoute
(CO2 dissous) et une forme gazeuse ("bulles de gaz"). La PaCO2 est le témoin de la
forme gazeuse. L’équilibre entre ces deux formes dépend du coefficient de solubilité
(α) qui lui-même est dépendant de la température. Lorsque la température diminue,
α augmente, donc la quantité de forme gazeuse (la PaCO2) diminue. En
conséquence la PaCO2 diminue en hypothermie et augmente en hyperthermie sans
que pour autant le gaz carbonique total en solution ait varié. Pour fixer les esprits, il
suffit de prendre l’exemple d’une bouteille de champagne. Hermétiquement fermée,
elle contient une quantité donnée de CO2. Les bulles du champagne sont le témoin
de la forme gazeuse donc de la PaCO2. Mis au réfrigérateur à 4°C, le champagne est
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plus stable parce que le nombre de bulles (et donc la PaCO2) a diminué, témoin de
l'augmentation de la solubilité du gaz au froid. Si la température de la bouteille
augmente, la quantité de forme gazeuse augmente, les bulles se font plus
nombreuses, la PaCO2 augmente et le gaz sort plus facilement à l'ouverture de la
bouteille. Il est simple de comprendre que dans le cas d'un système clos (dans notre
exemple la bouteille), tous ces changements d'état gazeux se font alors que le gaz
carbonique total est constant. Seule la variation de température est responsable des
modifications de la proportion forme soluble/forme gazeuse.
Mais ce phénomène physico-chimique n'explique que partiellement les
variations de la PaCO2 chez l'homme en hypo ou hyperthermie. In vivo, les variations
de la PaCO2 peuvent être aussi liées à des modifications de ventilation alvéolaire ou
de métabolisme. Dans le cas clinique présenté les paramètres ventilatoires n'ont pas
changé donc la ventilation alvéolaire ne varie pas et ne peut pas être à l'origine d'une
modification de la PaCO2. En revanche le gradient de température centrale provoque
une variation du métabolisme cellulaire susceptible de modifier la PaCO2. Le gaz
carbonique est le produit final de la dégradation du glucose lors de la glycolyse. De
façon grossière mais reproductible en pratique clinique, les variations de la PaCO2
sont reliées aux variations du métabolisme ; en hypothermie, il existe un
ralentissement du métabolisme, c'est à dire une diminution de consommation
d'oxygène et donc une diminution de production de CO2 et une diminution de la
PaCO2. En hyperthermie on observe le phénomène inverse.
En hypothermie il existe donc deux raisons pour que la PaCO2 diminue:
l'augmentation de la solubilité et la diminution du métabolisme. Pour ces deux
raisons la pression partielle en CO2 diminue quand la température diminue, comme
l‘expliquait déjà Severinghaus il y a plus de trente ans : « en hypothermie,
l’interaction de la diminution du métabolisme et de l’augmentation de solubilité du
CO2 est telle qu’à ventilation constante, quand la température passe de 37 à 25
degrés centigrade, la PaCO2 chute de 40% » [10]. Les variations de PaCO2
connaissent des variations parfaitement symétriques.
Au laboratoire, la mesure des gaz du sang se fait à 37°C. En effet, une fois
prélevé, le sang est conservé à basse température dans de la glace. Au laboratoire,
l’automate le réchauffe à 37°C pour pratiquer les mesures. Enfin, selon des abaques
intégrés à l'automate, le résultat est corrigé en fonction de la température du patient
4
dont la valeur est introduite manuellement dans la machine. Ces abaques tiennent
compte de la modification de solubilité.
La mesure à 37°, après réchauffement du sang dans l’automate, reflète donc
uniquement la modification du métabolisme sans la modification de solubilité. En
revanche, la correction effectuée dans un second temps par l’automate rend compte
des deux phénomènes (Tableau II). Il est donc logiquement possible par simples
soustractions de déduire les variations de PaCO2 liées aux modifications du
métabolisme cellulaire et celles liées aux modifications de la solubilité. Au delà de
l’artifice mathématique de correction, il faut bien comprendre que c’est le résultat
corrigé, dépendant de la température du patient qui reflète la réalité de la PaCO2 du
patient. A ce titre, la mesure continue de la fraction en gaz carbonique de fin
d'expiration (ETCO2), qui est le reflet des équilibres réels de pression en CO2 de part
et d'autre de l'alvéole, est un indicateur de la PaCO2 corrigée en fonction de la
température, valeur réelle de PaCO2 du patient [2, 11].
b. Variations du pH
Comme pour la PaCO2, on appelle pH corrigé en fonction de la température le
pH réel du patient qui est déduit de la mesure du pH dans le sang artériel réchauffé
par l’automate à 37°C puis de la correction faite par les abaques de l’automate en
fonction de la température du patient notifié à la machine (Tableau II). La réponse
physiologique à l’hyperthermie est l’acidose, tandis que l’hypothermie s’accompagne
d’une alcalose. Ces modifications de pH concordent avec les modifications de
PaCO2 retrouvée, acidose et hypercapnie en hyperthermie, alcalose et hypocapnie
en hypothermie [4]. Les variations de pH suivent naturellement les modifications de
la PaCO2. Les variations de pH sont physiologiques car elle permettent de préserver
l’électroneutralité plasmatique. En effet, la valeur du pH du point d’électroneutralité
varie de façon inversement proportionnelle à la température. On peut simplement
remarquer qu’à 37°C le pH de l’eau pure est de 6,8, et qu’à 20°C, il est de 7,4. En
hyperthermie le pH du point d’électroneutralité diminue (« acidose physiologique »),
en hypothermie il augmente (« alcalose physiologique »). Il semble que le paramètre
clef soit le maintient constant de l’équilibre entre formes dissociée ionisée et non
dissociée des protéines plasmatiques (notamment reflété par l’importance entre
forme ionisée et non ionisée des groupements imidazole de l’histidine, acide aminé
de pKa proche de celui du sang et présent dans la plupart des protéines tampons
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