n°359-360 – Mars 2013 Insuffisance mitrale ischémique ISSN 0769-0819 Insuffisance mitrale ischémique : physiopathologie Luc A. Piérard (Liège, Belgique) Apport de l’imagerie dans l’évaluation de la fuite mitrale ischémique Emmanuel Messas (Paris) Insuffisances mitrales ischémiques : prise en charge chirurgicale Jean-François Aviérinos (Marseille) Coordination : Pr Jean-Paul Bounhoure Sommaire ÉDITEUR CARDIOLOGUE PRESSE 13 rue Niepce – 75014 Paris Tél. : 01.45.43.70.76 – Fax : 01.45.43.08.10 Email : [email protected] Site web : www.cardionews.com ÉDITEUR DÉLÉGUÉ Régifax – 32 rue de Paradis – 75010 Paris Tél. : 01.55.77.12.70 – Fax : 01.48.24.15.05 Directeur : Renaud Samakh Publicité : François Bondu Coordination de la rédaction : Renaud Samakh Directeur artistique : Pascal Wolff RÉDACTION Président et directeur de la publication : Dr Christian Aviérinos Directeur adjoint : Dr Serge Rabenou Rédacteur en chef : Dr Christian Aviérinos Comité scientifique : Pr Victor Aboyans Pr Jean-Paul Bounhoure Dr Thierry Denolle Dr François Diévart Dr Jean-Louis Gayet Dr Robert Haïat Pr Daniel Herpin Pr Christophe Leclercq Pr Jacques Machecourt Dr Marie-Christine Malergue Dr François Philippe Dr Bernard Swynghedauw Comité de lecture : Dr Gérard Jullien Dr Christian Ziccarelli TARIF 2012 – 1 an, 10 numéros France : 140 e CEE (hors France) : 160 e Tout autre pays : 275 e Prix « Spécial adhérent » au syndicat, à jour de cotisation : 70 e Prix unitaire : 20 e Les insuffisances mitrales ischémiques IV Editorial Les insuffisances mitrales ischémiques VI Insuffisance mitrale ischémique : physiopathologie Luc A. Piérard, Zineb El Honsali, Raluca Dulgheru, Julien Magne (Liège, Belgique) XIApport de l’imagerie dans l’évaluation de la fuite mitrale ischémique Emmanuel Messas (Paris) XIXInsuffisances mitrales ischémiques : prise en charge chirurgicale Jean-François Aviérinos (Marseille) Adhérent au Cessim et au SPEPS Mensuel réservé au corps médical Impression : Barbou Impressions 8, rue Marcel-Dassault, Bondy RCS Bobigny B 572 188 357 Commission paritaire : 0114 G 81182 Dépôt légal : à parution Les articles publiés dans la revue « Le Cardiologue » le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction par tous procédés réservés pour tous pays. Le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit expressément la photocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit. En application de la loi du 11 mars 1993, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement la présente publication sans autorisation de l’éditeur ou droits de reproduction versés à celui-ci. Le Cardiologue 359-360 – Mars 2013 III Les insuffisances mitrales L es insuffisances mitrales ischémiques constituent un ensemble pathologique hétérogène, complexe, dû à des lésions anatomiques, des mécanismes multiples et prenant des aspects cliniques et évolutifs, très variés. Peu d’atteintes cardiaques ont des expressions cliniques aussi contrastées. Au tableau dramatique de la fuite mitrale massive au cours d’une rupture de pilier lors d’un infarctus inférieur aigu, grande urgence chirurgicale, s’opposent les insuffisances mitrales fonctionnelles, plus ou moins symptomatiques, survenant dans l’évolution d’un remodelage ventriculaire au cours d’une cardiopathie ischémique post-infarctus. Ces insuffisances mitrales fonctionnelles, dont la fréquence peut atteindre 30 % dans le post-infarctus en fonction des modalités de leur détection, sont la conséquence de l’interaction au repos et à l’effort de la distorsion et de la dysfonction des divers composants de l’appareil valvulaire, de la dilatation et de l’asynchronisme ventriculaire, du volume de la régurgitation, variant avec les conditions de charge. Leur évolution est déterminée par un cercle vicieux constitué par l’importance de la fuite valvulaire, la progression du remodelage ventriculaire, de la modification sphérique cavitaire et de l’asynchronisme ventriculaire. La présentation clinique de ces fuites mitrales fonctionnelles est très variable, allant d’une simple dyspnée d’effort à l’œdème pulmonaire aigu et au tableau d’une insuffisance ventriculaire gauche plus ou moins accusée. Fait majeur, il n’y a pas de relation entre la sévérité de la régurgitation mitrale et l’intensité du souffle constaté. Les insuffisances mitrales fonctionnelles dans le cadre évolutif d’une cardiopathie ischémique avec séquelles d’infarctus ont un pronostic médiocre avec un risque évident d’insuffisance cardiaque dans les 3 ans qui suivent leur apparition et un taux de décès élevé à 5 ans. Le choix des modalités de leur traitement et des indications chirurgicales demeure au centre d’un large débat. L’évaluation du risque et de la gravité de l’affection fait appel aujourd’hui aux diverses techniques d’imagerie analysant la géométrie, la fonction du ventricule gauche, l’état de l’appareil mitral dans son ensemble, l’importance de la régurgitation. L’écho de stress, l’écho tridimensionnelle et l’IRM cardiaque apportent des informations utiles aux indications thérapeutiques. Editorial Jean-Paul Bounhoure ischémiques Si le traitement médical optimal et la resynchronisation par stimulation biventriculaire peuvent réduire les symptômes, l’indication chirurgicale, allant de la simple annuloplastie à des techniques diverses de reconstruction valvulaire, se discute chez les patients devant bénéficier de pontages. Plusieurs modalités de correction sont aujourd’hui proposées et sont en cours de validation, mais l’indication d’une réparation valvulaire doit être posée individuellement et le choix s’avère toujours difficile. Je remercie tout particulièrement les auteurs des différentes mises au point consacrées à ce sujet d’actualité, particulièrement fréquent et complexe. Le Professeur Luc Pierard et son équipe de l’Université de Liège font une mise au point remarquable sur les mécanismes et la physiopathologie de ces insuffisances mitrales, insistant sur les rôles de l’accroissement des forces de traction et la diminution des forces de fermeture. Ils soulignent le caractère dynamique de ces fuites mitrales fonctionnelles. Le Professeur Emmanuel Messas de l’Hôpital européen Georges Pompidou détaille l’apport des diverses techniques d’imagerie à l’étude des mécanismes des insuffisances mitrales fonctionnelles et à leur quantification. Il souligne l’intérêt des techniques actuelles d’imagerie dans le choix des indications thérapeutiques. Le Professeur Jean-François Aviérinos de Marseille fait le bilan des diverses techniques chirurgicales allant de la revascularisation myocardique isolée aux diverses techniques chirurgicales. Il fait état des résultats des diverses interventions cherchant à corriger les anomalies de l’appareil valvulaire et sous-valvulaire. Le challenge pour les cardiologues et les chirurgiens est d’intégrer les données des différentes techniques d’imagerie évaluant l’état de l’appareil mitral, la fonction ventriculaire et les possibilités de récupération du ventricule gauche, pour optimiser la prise en charge de ces patients. Nous espérons que ces mises au point vous seront utiles à propos d’affections relativement fréquentes dans la pratique cardiologique courante, mettant en jeu toutes les techniques d’imagerie n actuelles et dont le traitement chirurgical est encore controversé. Insuffisance mitrale ischémique L’insuffisance mitrale ischémique Physiopathologie L. A. Piérard, Z. El Honsali, R. Dulgheru, J. Magne. Liège L’Insuffisance Mitrale Ischémique (IMI) est une insuffisance mitrale secondaire, liée aux modifications anatomiques et fonctionnelles des différents composants de l’appareil valvulaire mitral : anneau, feuillets valvulaires, muscles papillaires, paroi du ventricule gauche. L’IMI est liée à une maladie coronaire, en l’absence de toute anomalie organique de l’appareil valvulaire. Le terme ischémique n’implique pas la présence d’une réelle ischémie myocardique ni d’une ischémie inductible. Le terme est un raccourci qui correspond à la présence d’une maladie coronaire chronique avec le plus souvent des antécédents d’un ou de plusieurs infarctus ayant entraîné un remodelage ventriculaire gauche progressif, global et/ ou régional. [1] L’IMI est une complication fréquente de la maladie coronaire qui affecte le pronostic des patients. [2] C’est, non seulement la présence, mais la sévérité de l’IMI qui est associée à une mortalité nettement accrue. [3] Mécanismes de l’insuffisance mitrale ischémique Le diagnostic de l’IMI est souvent difficile, dans la mesure où il n’y a pas de relation entre sa sévérité et l’intensité du souffle ausculté. [4] L’IMI résulte d’une part de forces de traction accrues et d’une diminution des forces de fermeture d’autre part. [5] Figure 1. Géométrie normale du Ventricule Gauche (VG), sans déplacement apical de la ligne de coaptation des feuillets mitraux et sans traction des feuillets (A et B). Déplacement apical systolique de la ligne de coaptation avec une aire sous la tente importante entraînant une insuffisance mitrale secondaire, chez un patient avec remodelage VG global (dysfonction systolique et dilatation du VG, C et D) et chez un patient avec remodelage VG régional (infarctus inféro-postérieur [flèches grises] et déplacement apical et latéral du muscle papillaire [flèches rouges], E et F). VI Normal Forces de traction La fermeture incomplète de la valve mitrale résulte de forces de traction accrues. Dans l’IMI, la situation la plus fréquente est rencontrée chez des patients ayant présenté un infarctus postérieur, souvent transmural, qui a entraîné un remodelage régional du ventricule gauche (figure 1). Le muscle papillaire postérieur est Remodelage VG global Remodelage VG régional Le Cardiologue 359-360 – Mars 2013 L’insuffisance mitrale ischémique : physiopathologie Figure 2. Traction des deux feuillets mitraux, antérieur (ligne blanche) et postérieur (ligne grise) chez un patient ayant une insuffisance mitrale secondaire. Le signe de la « mouette » est une marque de la traction sévère du feuillet antérieur; la flèche jaune indique le point d’inflexion du feuillet antérieur. Feuillet mitral antérieur Point d’inflection En cas de remodelage ventriculaire gauche global, la forme de selle caractéristique de l’anneau diminue et s’accompagne d’une dilatation annulaire : une perte de contraction annulaire systolique contribue également à la sévérité de l’IMI. La surcharge volumique liée à l’IM entraîne un cercle vicieux : plus le ventricule gauche est remodelé et sphérique, plus l’IMI est sévère et contribue à une dilatation plus importante du ventricule gauche qui aggrave à nouveau la régurgitation mitrale. [8] Forces de fermeture Feuillet mitral postérieur déplacé latéralement et vers l’apex. Les cordages tendineux ayant une longueur déterminée, les feuillets valvulaires sont déplacés également vers la pointe. Le feuillet postérieur a une mobilité réduite. Le feuillet antérieur est souvent déformé, selon ce que l’on appelle le signe de la mouette (figure 2). Ce déplacement des feuillets résulte en une sorte de tente entre ceux-ci et l’anneau mitral. La surface de cette tente est en relation avec l’importance de l’orifice régurgitant. [6] En cas d’infarctus postérieur, cette tente est asymétrique et l’insuffisance mitrale est également excentrique et orientée vers la paroi postérieure de l’oreillette gauche (figure 3). Plusieurs études utilisant l’échocardiographie 3D ont précisé ce mécanisme : la distorsion mésosystolique se fait entre l’extrémité du muscle papillaire et la commissure antérieure et la traction des feuillets est plus prononcée au niveau central et médian. Chez d’autres patients qui ont des antécédents d’infarctus antérieur ou d’infarctus inférieur et postérieur, le remodelage ventriculaire gauche est plus global (figure 1). La cavité devient sphérique. Les deux muscles papillaires sont déplacés. L’aire sous la tente est symétrique, le jet de régurgitation est central (figure 3). La contribution de la dilatation de l’anneau est plus importante. En cas de nécrose d’un muscle papillaire, les forces de traction sont moins importantes. Le concept d’une dysfonction du muscle papillaire comme source d’IMI est incorrect. L’infarctus isolé d’un pilier n’entraîne pas d’IMI. [7] La dysfonction de l’anneau mitral contribue également à l’IMI. L’anneau mitral normal est en forme de selle, ce qui réduit les contraintes exercées sur les feuillets au cours de la systole. La contraction systolique de l’anneau contribue au contact entre les marges libres des feuillets valvulaires ; lorsque la pression systolique augmente, une coaptation compétente se produit sur une longueur d’environ 1 cm. Le Cardiologue 359-360 – Mars 2013 Les forces de fermeture sont réduites en cas d’IMI. Ceci est lié à une perte régionale ou globale de contractilité qui entraîne un faible gradient de pression transmitral et un retard de montée de pression pendant la phase initiale de contraction. La contribution de l’asynchronisme de contraction soit des piliers, soit des parois du ventricule gauche représente un mécanisme important de la réduction des forces de fermeture. La surface de l’orifice régurgitant est réduite en mésosystole lorsque la pression du ventricule gauche et donc des forces de fermeture sont maximales. Caractère dynamique Une caractéristique importante de l’IMI est son caractère dynamique. Le déséquilibre entre les forces de traction et les forces de fermeture varie au cours du cycle cardiaque, ce qui explique la dimiFigure 3. Traction des feuillets mitraux. Traction asymétrique des feuillets avec un jet d’insuffisance mitrale excentrique (A, flèche rouge) et Angle du Feuillet Postérieur (AFP) plus grand que l’Angle du Feuillet Antérieur (AFA). Traction symétrique des feuillets mitraux avec un jet central d’insuffisance mitrale (B, flèche rouge) et angles AFP et AFA similaires. Asymétrique Aire sous la tente : 1,8 cm2 Distance de coaptation : 1,1 cm Symétrique Aire sous la tente : 1,8 cm2 Distance de coaptation : 0,9 cm VII Insuffisance mitrale ischémique Figure 4. Caractère dynamique de l’insuffisance mitrale secondaire (IM) avec diminution mésosystolique du rayon de la PISA par rapport au début et à la fin de la systole. Figure 5. Caractère dynamique de l’insuffisance mitrale secondaire (IM) avec augmentation de la sévérité de l’IM au cours de l’échocardiographie d’effort. L’augmentation de 13 mm² de la surface de l’orifice régurgitant (SOR) pendant l’effort permet d’identifier un patient à plus haut risque de mauvais pronostic. Repos Rayon PISA = 6,6 cm SOR = 20 mm2 Vol régurgitant = 27 mL Exercice Rayon PISA = 8,1 cm SOR = 33 mm2 Vol régurgitant = 43 mL nution de la surface de l’orifice régurgitant en mésosystole (figure 4). [9] Le caractère dynamique peut résulter de modification de précharge. Plusieurs études ont montré qu’un traitement médicamenteux approprié, en diminuant le volume du ventricule gauche, entraîne une réduction de la sévérité de l’IMI. [10] Les modifications de charge ventriculaire gauche rencontrées au cours d’une anesthésie générale réduisent la sévérité de l’IMI qui est donc largement sous-estimée si l’on évalue, par exemple par échographie transœsophagienne, en salle d’opération avant une intervention chirurgicale pour laquelle se pose l’indication d’une revascularisation isolée ou d’une chirurgie combinée. Le caractère dynamique s’exprime également dans la vie courante, en relation avec des modifications de précharge, de postcharge, d’inotropisme, d’asynchronisme, d’ischémie myocardique ou d’un à-coup hypertensif. Le caractère dynamique de l’IMI peut être évalué de façon fiable par l’échocardiographie-Doppler à l’effort (figure 5). [11] Il n’existe pas de relation entre la sévérité de l’IM au repos et les VIII variations induites par l’effort. [12] Chez certains patients, les variations sont très faibles. Chez d’autres patients, le volume régurgité et la surface de régurgitation diminuent au cours de l’effort, en raison d’une réserve contractile du ventricule gauche, essentiellement au niveau de la partie basale des segments inférieurs et postérieurs, ce qui entraîne à la fois une augmentation des forces de fermeture et une réduction transitoire de la distorsion de l’appareil valvulaire mitral. De tels patients ont habituellement un excellent pronostic. En revanche, environ un tiers des patients développe une augmentation importante de la régurgitation mitrale à l’effort. Celle-ci peut être quantifiée, en particulier par des variations de la surface de l’orifice régurgitant. Les répercussions cliniques sont, sur le plan des symptômes, la survenue d’une dyspnée d’effort plus importante que ce que suggèrent la fonction ventriculaire gauche et l’insuffisance mitrale au repos. [13] Une autre conséquence est la limitation de l’adaptation du volume éjecté pendant l’effort, ce qui contribue à une diminution de la Le Cardiologue 359-360 – Mars 2013 L’insuffisance mitrale ischémique : physiopathologie capacité fonctionnelle. De fréquentes augmentations de l’IMI au cours de la vie courante entraînent une majoration des pressions au niveau de l’oreillette gauche et de la circulation pulmonaire et peut contribuer à la pathogénie de l’œdème pulmonaire aigu. Nous avons effectué une étude à l’effort de patients avec dysfonction ventriculaire gauche systolique admis pour œdème pulmonaire aigu sans évidence d’ischémie ou d’arythmie ; les résultats ont été comparés à un groupe de patients avec les mêmes caractéristiques cliniques et échographiques de repos qui n’avaient jamais présenté d’œdème pulmonaire aigu. Chez les patients aux antécédents récents de moins d’une semaine d’œdème aigu du poumon, le volume régurgité a pratiquement doublé à l’effort, avec une augmentation parallèle des pressions dans la circulation pulmonaire. [14] L’écho d’effort permet donc de démasquer des patients dont le risque n’est pas correctement apprécié par un examen au repos. Une augmentation importante de l’orifice régurgitant ≥ 13 mm² est associée à un pronostic sombre, avec une mortalité à 4 ans quadruplée par rapport aux autres patients et un taux d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque aiguë nettement majoré. [15] De plus, le caractère dynamique de l’IMI est également un déterminant d’une augmentation rapide de la durée du QRS qui contribue à une désynchronisation électromécanique permanente, réduisant encore davantage les forces de fermeture. [16] Pathophysiologie La pathophysiologie de l’IMI est plus complexe que celle de l’insuffisance mitrale primaire, organique, puisque les séquelles d’infarctus et la dysfonction ventriculaire gauche sont la cause de l’IM et la précèdent. A l’exception de la rupture de pilier, complication mécanique devenue rare d’un syndrome coronaire aigu de type STEMI ou de réel épisode ischémique dans le territoire de l’artère circonflexe ou de la coronaire droite, l’IMI complique une maladie coronaire chronique chez des patients souvent en insuffisance cardiaque. L’IMI réduit l’impédance ventriculaire gauche et contribue à la décharge de celui-ci. Par contre, la dilatation du ventricule gauche et en particulier son caractère sphérique augmentent la tension pariétale du ventricule, ce qui majore davantage la dysfonction ventriculaire. [17] Les conséquences en amont sont une augmentation de pression de l’oreillette gauche, une dilatation de la cavité auriculaire gauche et le développement d’une hypertension artérielle pulmonaire. Evaluation de l’IMI L’IMI doit être de préférence quantifiée, soit par la mesure du diamètre de la vena contracta, soit par une méthode quantitative. [18] La méthode Doppler volumétrique nécessite quatre mesures indépendantes : le volume régurgitant représente la différence entre le Le Cardiologue 359-360 – Mars 2013 Figure 6. Vue parasternale petit axe au niveau du sommet des feuillets de la valve mitrale démontrant une vena contracta elliptique chez un patient avec insuffisance mitrale secondaire. Figure 7. Traction asymétrique sévère des feuillets mitraux avec géométrie défavorable pour une annuloplastie restrictive mitrale chez un patient avec insuffisance mitrale secondaire : • L’aire sous la tente > 2,5 cm² (zone délimitée par la ligne jaune), • L’angle de feuillet postérieur (AFP) > 45 ° (angle entre le feuillet postérieur et l’anneau mitral), • La distance de coaptation > 1 cm (DC, ligne rouge), • La distance de traction > 40 mm (distance entre le muscle papillaire et l’inter-valvulaire fibrosa, flèche blanche). Distance de traction > 40 mm Aire sous la tente > 2,5 cm2 AFP > 45° DC > 1 cm volume antérograde au travers de la valve mitrale et le volume éjecté dans l’aorte. La méthode de la PISA la plus fréquemment utilisée basée sur la visualisation de la zone de convergence, optimisée sous la forme d’un hémisphère par l’adaptation adéquate de la vitesse de repliement spectral. Les sources d’erreur doivent être signalées. L’écho 3D a montré que chez beaucoup de patients souffrant d’IMI, la zone de convergence est hémielliptique plutôt qu’hémisphérique, ce qui risque de sous-estimer l’importance de la régurgitation (figure 6). IX Insuffisance mitrale ischémique D’autres mesures concernent la distorsion de l’appareil valvulaire mitral : déplacement apical du point de coaptation, surface sous la tente, distance entre les deux muscles papillaires, angle entre le feuillet postérieur et le plan de l’anneau mitral (figure 7). Enfin, les anomalies du VG doivent être évaluées et quantifiées : volume ventriculaire, évaluation de la sphéricité de la cavité, anomalie régionale, évaluation de l’asynchronisme. Chez les patients capables d’effectuer un test d’effort, le caractère dynamique doit être évalué : variation de la surface de l’orifice régurgitant, estimation de la pression systolique artérielle pulmonaire, variation de la surface sous la tente et de l’asynchronisme ventriculaire gauche. Conclusions L’IMI chronique est une complication importante chez les patients coronariens et est associée à un pronostic sombre, avec insuffisance cardiaque progressive et mortalité accrue. Il s’agit d’une IM secondaire, même si des études récentes ont démontré une adaptation des feuillets valvulaires qui s’élargissent. L’IMI n’implique pas l’existence ou l’inductibilité d’une ischémie. Elle est la conséquence d’une balance entre des forces de traction accrues et des forces de fermeture réduites. L’IMI a un caractère dynamique qui contribue à la symptomatologie et au pronostic. Son traitement reste difficile chez le patient individuel. [8] n RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES [1] Levine RA, Schwammenthal E. Ischemic mitral regurgitation on the threshold of a solution : from paradoxes to unifying concepts. Circulation, 2005, 112, 745-58. [2] Bursi F, Enriquez-Sarano M, Nkomo VT et al. 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La quantification de la fuite doit tenir compte de son caractère variable et de sa sensibilité aux conditions de charge. L’échographie transthoracique de repos permet le plus souvent de faire le diagnostic, alors que l’échocardiographie de stress permet de mieux évaluer le pronostic de ces patients. L’avènement de l’échographie tridimensionnelle et de l’IRM cardiaque est à l’origine d’une meilleure compréhension du mécanisme de cette fuite et de son traitement. Mots clés insuffisance mitrale, ischémie, remodelage ventriculaire, échographie. L ’Insuffisance Mitrale (IM) ischémique concerne plus de 20 % des patients en post-infarctus et double le risque de mortalité tardive. [1] Sa présence est un facteur indépendant de mauvais pronostic à tous les stades du post-infarctus (aigu, subaigu et chronique) comme en cas de cardiomyopathie ischémique. [2] De nombreux travaux expérimentaux et cliniques ont récemment amélioré la compréhension de son mécanisme et de sa prise en charge. Les IMI relèvent de 2 types de mécanisme (figure 1) : - l’IMI aiguë par rupture de pilier qui correspond à une dysfonction de type II de la classification de Carpentier, - l’IMI fonctionnelle qui correspond à un type IIIb de cette même classification, plus fréquente en pratique clinique. Le Cardiologue 359-360 – Mars 2013 IM aiguë par rupture de pilier mitral Devenue rare depuis l’avènement de l’angioplastie primaire, la rupture de pilier conserve un pronostic spontané péjoratif avec une mortalité de 75 % à 24 heures et de 95 % à 48 heures. La rupture incomplète est associée à un pronostic moins sombre. Cette rupture de pilier entraîne une éversion complète du segment paracommissural postérieur de la valve mitrale et fuite massive. Elle survient, le plus souvent, après un infarctus inférieur (perfusion monotronculaire du pilier postérieur par l’artère coronaire droite ou la circonflexe) entre le 5e et 10e jour avec un tableau cataclysXI Insuffisance mitrale ischémique IMI fonctionnelle Figure 1. Variétés d’IMI. Gauche : IMI aiguë par rupture de pilier (dysfonction de type II de la classification de Carpentier). Droite : IMI fonctionnelle (dysfonction de type IIIb de la classification de Carpentier). Rupture de pilier Remodelage post IDM VG VG MP mique associant douleur thoracique, œdème aigu du poumon massif et choc cardiogénique nécessitant des mesures de réanimations rapides. Plus rarement, on retrouve une élongation de pilier isolée ou une rupture de cordages marginaux entraînant une fuite mitrale modérée par prolapsus (type II de Carpentier). C’est l’échocardiographie transoesophagienne après sédation et stabilisation du patient qui permet le plus souvent de faire le diagnostic et de déterminer de façon précise le mécanisme et l’importance de la fuite. Elle permet de faire le diagnostic positif en bidimensionnel en visualisant la rupture totale ou partielle de la tête du pilier s’accompagnant le plus souvent d’une éversion complète du segment postérieur de la valve en A3P3 selon la classification de Carpentier. Le jet de régurgitation mitrale est objectivé en mode 2D couplé au Doppler couleur avec visualisation du flux régurgitant tapissant le versant auriculaire du feuillet antérieur et se poursuivant le long de la paroi médiale de l’oreillette gauche au contact de l’aorte ascendante. L’évaluation se fait par la méthode de la PISA (Proximal Isovelocity Surface Area) et par la recherche d’un reflux dans les 4 veines pulmonaires (inversion de l’onde S systolique). Cette fuite aiguë n’a pas de retentissement sur la taille des cavités cardiaques avec un ventricule gauche de taille normale hyperkinétique et une oreillette gauche et des cavités droites non dilatées (figure 2). IM++ IM ischémique prolapsus IM ischémique restriction VG Ventricule Gauche – IM Insuffisance Mitrale – MP Muscle Papillaire Figure 2. Rupture de pilier mitral Mécanismes physiopathologiques Depuis sa première description par Burch et De Pasquale en 1963, l’IMI a été rattachée à la dysfonction des piliers mitraux qui, en modifiant la position géométrique du point d’ancrage valvulaire, entraînerait la fuite. [3] Pourtant, des études expérimentales ont démontré que la dysfonction isolée d’un pilier mitral n’entraînait jamais de fuite mitrale. [4] Plus encore, une étude animale a analysé, grâce à une occlusion sélective des branches de la circonflexe, l’influence de la fuite mitrale, à l’adjonction d’une dysfonction de pilier à un infarctus inféro-latéral déjà établi. Les résultats démontrent que la dysfonction de pilier peut paradoxalement faire disparaître l’IMI en diminuant les forces de traction exercées par les cordages sur les feuillets mitraux en systole, [5] secondaires à l’élongation du pilier devenu ischémique. L’IMI résulterait donc d’un déséquilibre entre les forces agissant sur les feuillets mitraux en systole : augmentation des forces de traction avec restriction des mouvements des feuillets mitraux causée par les modifications de position des piliers, et d’autre part diminution des forces ventriculaires gauches permettant de fermer la valve mitrale (dysfonction VG) [7] (figure 3). L’équipe de Robert Levine (Boston, MA, Etats-Unis) a étudié ce concept en favorisant une approche expérimentale, car en pratique XII clinique il est impossible de séparer la dysfonction ventriculaire de la dilatation cavitaire post-infarctus. Dans une étude in vitro, sur banc hydraulique, [8] le déplacement des piliers mitraux, dans la même direction (déplacement postérieur, latéral et apical des piliers) que celle décrite chez les patients avec IMI, a permis de reproduire la fuite mitrale. Une valve mitrale porcine est suturée sur un anneau mitral flexible avec contrôle de la taille de l’anneau et de la position des piliers, le tout placé dans un banc hydraulique doté d’un flux pulsatile physiologique. Une augmentation de 50 % de la surface de l’anneau mitral entraîne une fuite mitrale importante quand elle est associée à un déplacement des piliers (le plus souvent asymétrique). Par contre, seule une augmentation de plus de 75 % de la surface Le Cardiologue 359-360 – Mars 2013 Apport de l’imagerie dans l’évaluation de la Fuite Mitrale Ischémique annulaire permet d’obtenir une fuite mitrale comparable quand les piliers sont en position normale. Dans un modèle animal d’IMI chronique, [9] la fuite mitrale apparaît progressivement (8 semaines) avec le remodelage du ventricule gauche, alors que la FE reste constante. Sur ce même modèle, une étude par échographie tridimensionnelle démontre que la progression de la fuite mitrale est parallèle au déplacement des piliers mitraux à distance de l’anneau. En analyse multivariée, la distance pilier - anneau mitral est la plus fortement corrélée au développement de la fuite mitrale. [10] Ces études confirment celle de Kono et al., [4] qui démontre une relation entre survenue d’une fuite mitrale ischémique et sphéricisation du ventricule gauche en post-infarctus. Sur une modélisation de la valve mitrale, le déplacement des piliers, le raccourcissement des cordages et la dilatation annulaire entraînent une augmentation du stress s’exerçant sur les cordages. [11] Présentations échocardiographiques L’échocardiographie bidimensionnelle (2D) permet de déterminer le mécanisme de la fuite et le Doppler de la quantifier. L’analyse du mécanisme de l’IMI par des études expérimentales a permis, en isolant les facteurs géométriques ou hémodynamiques mis en cause, de déterminer de façon précise la physiopathologie de cette fuite. On a démontré le rôle central des forces de traction exercées par les piliers mitraux déplacés loin de l’anneau mitral. Ce mécanisme se traduit par l’aspect dit de « fermeture incomplète de la valve mitrale » (Incomplet Mitral Leaflet Closure) que l’on rencontre typiquement en cas d’IMI. ■■ En écho 2D vue parasternale grand axe, on retrouve l’aspect typique en aile de mouette ou « seagul sign » du feuillet antérieur, témoignant de l’augmentation des forces de traction et traduisant ainsi une diminution de la surface de coaptation. La surface de « tenting » est corrélée à l’importance de la fuite mitrale (figure 4). Cette vue permet aussi d’évaluer la dilatation annulaire (diamètre antéro-postérieur / hauteur du feuillet antérieur > 1,3). Cette dilatation prédomine sur le diamètre antéro-postérieur de l’anneau mitral, lui donnant un aspect sphérique et contrastant avec sa forme ovoïde physiologique (figure 5). Figure 3. Mécanismes physiopathologiques de l’IMI. Gauche : Coaptation normale avec position normale des piliers et équilibre entre les forces de traction (distance pilier-anneau mitral) et les forces de fermeture (pression VG systolique) Droite : Aspect de « fermeture incomplète des feuillets mitraux en systole » secondaire au remodelage ventriculaire gauche post-infarctus qui déplace les piliers loin de l’anneau mitral, entraînant une traction apicale des feuillets mitraux. Déplacement des piliers Traction des piliers Restriction des feuillets IM VG Ventricule Gauche – IM Insuffisance Mitrale – OG Oreillette Gauche – AO Aorte Figure 4. Vue parasternale gauche grand axe d’un patient avec IMI. Gauche. Surface de traction apicale avec aspect typique en « aile de mouette » avec angulation de sa partie moyenne (flèche blanche) donnant un aspect convexe vers le ventricule gauche. Droite. Vue 2D couplée au Doppler couleur avec fuite mitrale modérée à moyenne tapissant le versant auriculaire du feuillet postérieur. VG AO OG Figure 5. Dilatation annulaire prédominant sur la partie postérieure de l’anneau mitral à l’origine d’une modification de la forme devenant sphérique (droite) par opposition à la forme ovoïde physiologique (gauche). ■■ En coupe apicale 4 cavités, on retrouve ce même aspect avec une restriction du mouvement des feuillets mitraux en systole (type IIIb de la classification fonctionnelle de Carpentier). [12] La quantification de la fuite mitrale fonctionnelle est rendue complexe par sa grande variabilité et sa sensibilité aux changements de conditions de charges. L’évaluation par la méthode de la PISA, considérée comme indépendante des conditions de charges, donne accès au calcul de la Surface effective de l’Orifice Régurgitant (SOR) et du Volume Régurgité (VR). Le Cardiologue 359-360 – Mars 2013 XIII Insuffisance mitrale ischémique L’aspect de fermeture incomplète de la valve mitrale est généralement évalué par le calcul de la surface délimitée par les feuillets mitraux en systole et le plan de l’anneau mitral (surface de « Tenting »). L’équipe de la Mayo Clinic [13] a démontré, chez des patients avec cardiopathie ischémique, que la surface de « Tenting » était fortement corrélée à l’importance de la fuite et constituait, en analyse multivariée, le plus puissant paramètre prédictif de l’IM. Cette étude humaine confirme ainsi l’importance du remodelage ventriculaire dans la genèse de l’IMI. Cependant, l’évaluation de la surface de « tenting » est discutée à plusieurs titres : - en vue 4 cavités, la surface de « Tenting » peut être minimisée par le plan de coupe utilisé ; - la forme de l’anneau mitral en selle de cheval [14] (dont les insertions hautes sont antérieure et postérieure : anneau aortique – mur postérieur ventriculaire ; et les insertions basses médiane et latérale : axe intercommissural) rend sa relation avec les feuillets variable en fonction du niveau de passage du plan de coupe. Ainsi, la surface de « Tenting » peut être de petite taille (inférieure à 1 cm²) avec des feuillets presque en contact avec l’anneau mitral malgré une fuite mitrale importante. A contrario, un faux aspect de « Tenting » des feuillets peut être observé dans cette même vue chez des sujets normaux, particulièrement en début et en fin de systole. Plusieurs observations cliniques permettent de corréler l’aspect de la valve et la présence d’une fuite mitrale fonctionnelle. En grand axe, le feuillet mitral antérieur apparaît concave vers l’oreillette gauche en cas de fuite mitrale fonctionnelle, alors que chez le sujet normal on retrouve un aspect convexe (figure 6). [12] Cet aspect reflète la modification de la géométrie de l’anatomie de l’appareil valvulaire mitral. Avec le déplacement (latéral et postérieur) des piliers, la traction des cordages s’exerce au niveau de Figure 6. Modifications géométriques de l’appareil valvulaire mitral en grand axe. Gauche. Le feuillet mitral antérieur apparaît convexe vers l’oreillette gauche, concave vers le ventricule gauche, sans surface de « tenting » (surface négative), en situation normale. Droite. Remodelage Le feuillet mitral antérieur apparaît concave vers l’oreillette Remodelage gauche,symétrique convexe vers le ventricule gauche, à l’origine d’une surface asymétrique de « tenting » (surface positive), en cas de fuite mitrale fonctionnelle. AO Convexe VG OG Surface + IM Surface - Con cave D’après Nesta F, J Am Soc Echocardiogr 2003;16(12):1301-8 XIV IM ischémique prolapsus IM ischémique restriction Figure 7. Direction du jet de fuite mitrale en fonction du type de remodelage. Remodelage symétrique Remodelage asymétrique VG VG OG OG VG Ventricule Gauche – OG Oreillette Gauche – AO Aorte D’après Agricola E, Eur J Echocardiog 2004;5:326-34 l’extrémité des feuillets par l’intermédiaire des cordages marginaux, mais aussi au niveau de l’insertion annulaire des feuillets par l’intermédiaire des cordages basaux, créant ainsi une angulation du corps du feuillet antérieur. L’aspect concave vers l’oreillette gauche du feuillet antérieur traduit directement l’excès de traction apicale et la limitation des mouvements des feuillets, entraînant un défaut de coaptation et une fuite mitrale. Cet aspect facilite le diagnostic du mécanisme de la fuite et pourrait guider la technique de réparation valvulaire. Les patients avec feuillet mitral antérieur concave présentent une fuite mitrale moyenne ou modérée alors que plus de 90 % des patients avec feuillet mitral antérieur convexe vers l’oreillette gauche ont une fuite mitrale non significative ou minime. La surface de « Tenting » ne permet pas de distinguer les patients avec ou sans fuite mitrale et n’est que faiblement corrélée à l’importance de la fuite. L’aspect concave du feuillet mitral antérieur est le facteur prédictif le plus puissant de la présence d’une fuite mitrale en analyse multivariée (r² = 0,7). Ainsi, un aspect concave du feuillet antérieur vers l’oreillette gauche en grand axe permet d’identifier rapidement le mécanisme d’une fuite mitrale secondaire à une dysfonction VG globale ou segmentaire. Cet aspect du feuillet semble plus fortement corrélé à la présence de la fuite qu’à l’importance de la surface de « tenting ». La visualisation à l’échographie d’un tel aspect doit faire rechercher un trouble de la cinétique segmentaire responsable de cette déformation. [7] Une étude rétrospective [12] a été réalisée sur 80 patients avec Le Cardiologue 359-360 – Mars 2013 Apport de l’imagerie dans l’évaluation de la Fuite Mitrale Ischémique Figure 8. Méthode de quantification de l’angle d’inclinaison valvulaire postérieur LV Angle PL BD BD AL ALA PLL CD IM PLA LA PLA = sin-1 (CD/PLL) D’après Magne J, Circulation 2007;115:782-91 fuite mitrale fonctionnelle (40 avec infarctus inférieur et FE > à 50 %, 40 avec dysfonction VG globale et FE < 50 % avec et sans fuite mitrale) comparés à 10 patients normaux témoins. Les patients avec concavité du feuillet antérieur (n = 37) ont une fuite mitrale significativement plus importante que ceux ne présentant pas cet aspect, quelle que soit la cardiopathie en cause (ischémique ou dilatée). Dans une autre étude, [15] l’importance de la fuite mitrale a été comparée entre deux groupes, l’un de 25 patients avec dilatation mitrale annulaire isolée secondaire à une fibrillation auriculaire et l’autre de 24 patients avec cardiomyopathie ischémique ou dilatée. La dilatation annulaire était comparable dans ces 2 groupes (11,6 ± 2,3 versus 12,5 ± 2,9 cm2) avec une surface annulaire plus importante que celle des contrôles (8,0 ± 1,2 cm2, p < 0.001). Seuls les patients avec dysfonction VG ont une fuite mitrale importante (fraction régurgitée de 36 ± 2,5 % versus 3 ± 0,9 %, p < 0,001). Cette étude démontre l’absence de survenue d’IM significative en cas de dilatation annulaire isolée et souligne la nécessité des modifications géométriques de l’appareil sous-valvulaire mitral (déplacement des piliers) dans la genèse de cette fuite. Une étude rétrospective sur l’influence de la topographie de l’infarctus dans la genèse de l’IMI est réalisée par les mêmes auteurs. On définit 3 groupes de patients : patients avec infarctus antérieur (n = 61), avec infarctus inférieur (n = 42) et un groupe contrôle (n = 20). On retrouve plus fréquemment une IMI en cas de topographie inférieure (38 % vs 10 %, p < 0,0001) malgré une dilatation et une dysfonction VG moins importantes que celles retrouvées dans le groupe infarctus antérieur (FE = 51 ± 9 % vs 42 ± 7 %, p < 0,0001). [16] Ceci est expliqué par la place centrale occupée par la distance pilier postérieur - anneau mitral antérieur dans la physiopathologie de cette fuite. Agricola et al. [17] ont ainsi distingué 2 types de localisation de fuite mitrale fonctionnelle : la forme asymétrique se rencontre en cas de Le Cardiologue 359-360 – Mars 2013 Figure 9. Evolution du rayon de la PISA, de la SOR au moment de la systole. v Débit régurgité (2πr2)v r t Vitesse Mode TM Doppler continue t SOR t D’après Hung J, J Am Coll Cardiol 1999;33:538-45 remodelage régional de la paroi inférieure (impliquant dans ce cas préférentiellement l’artère coronaire droite) à l’origine d’une traction et d’une restriction prédominant sur le feuillet postérieur. Le jet de régurgitation est excentrique, tapissant la face postérieure de l’oreillette. La forme symétrique se rencontre essentiellement en cas de remodelage global (impliquant dans ce cas l’artère coronaire gauche) tel que celui des cardiomyopathies dilatées avec sphéricisation ventriculaire. Cette forme touche volontiers les 2 piliers, à l’origine d’une traction apicale et d’une restriction des mouvements des 2 feuillets. Le jet d’IM apparaît central (figure 7). La restriction des mouvements du feuillet postérieur participe aussi à la diminution de la surface de coaptation. Magne [18] et Pibarot ont démontré que la mesure de l’angle d’inclinaison du feuillet postérieur par rapport à l’anneau mitral (figure 8) apparaissait comme un puissant facteur prédictif de persistance de fuite mitrale, après annuloplastie mitrale sous-dimensionnée, pour le pronostic à 3 ans chez les patients. Une autre étude a démontré, chez l’homme, le caractère variable XV Insuffisance mitrale ischémique de la fuite mitrale ischémique, au cours de la systole. [19] En effet, le rayon de la PISA ou la SOR évolue en sens inverse des vélocités maximales du flux Doppler continu de la fuite : rayon maximal en proto- et télésystole et minimal en mésosystole au moment où la vélocité Doppler est maximale, et donc où les forces de fermeture de la valve mitrale sont maximales (figure 9 page précédente). Cette étude souligne avant tout l’intérêt du M-mode couleur dans l’évaluation du rayon de la PISA en cas d’IM fonctionnelle, mais elle illustre aussi le mécanisme de cette fuite qui est la résultante d’un déséquilibre entre les forces de fermeture (gradient systolique transmitral x surface de l’anneau) et les forces de traction, proportionnelles à la distance pilier-anneau mitral. La place de l’échocardiographie de stress ou d’effort dans l’évaluation de l’IM est encore sujette à discussion, mais déjà plusieurs études réalisées par l’équipe de Piérard font date. Les variations du degré d’IMI sont mal prédites par le degré d’IMI au repos. En cas de cardiopathie ischémique, les IM associées, qui s’aggravent lors de l’épreuve de stress, ont un plus mauvais pronostic à long terme. [20] En cas de dysfonction VG et fuite mitrale, la présence d’une aggravation de cette fuite lors de l’échocardiographie de stress favorise la survenue d’OAP et nécessite donc un traitement plus agressif. [21] Les patients présentant une augmentation de la surface de l’orifice régurgitant (SOR) ≥ 13 mm² ont un risque de mortalité à 4 ans cinq fois supérieur, indépendamment du degré d’IM au repos. [22] Cette augmentation de la sévérité de l’IM est plus fréquente chez les patients qui interrompent le test pour dyspnée que pour fatigue. [23] De plus, cette majoration de la SOR ≥ 13 mm² constitue le facteur prédictif le plus puissant de survenue de décès, de décompensations cardiaques et d’événements cardiovasculaires. Les patients qui ont une diminution de la fuite à l’effort présentent une réserve contractile des segments postérobasaux avec un antécédent d’infarctus inférieur non transmural. Ce recrutement de réserve contractile est associé à un meilleur pronostic. [23] Echocardiographie 3D temps réel L’échographie 3D a démontré son intérêt, dans des travaux princeps, sur la meilleure compréhension de la physiopathologie de la fuite mitrale ischémique. Ces travaux, réalisés principalement par l’équipe de Levine de Boston, puis développés dans le cadre d’un réseau Leducq avec l’équipe de cardiologie de l’HEGP (Prs Messas et Hagege) utilisent un logiciel dédié de reconnaissance manuel des contours endocardiques avec codage couleur. [5] Ce logiciel, développé par l’ingénieur Mark Handschumacher du Massachusetts General Hospital, Harvard Medical School, permet de localiser en 3D les piliers mitraux et leurs rapports géométriques avec l’anneau mitral. Ainsi, appliqué à des modèles expérimentaux, on a pu déXVI Figure 10. Reconstruction 3D utilisant le logiciel “Color mapping”. 3D display of echo images Trading valve and LV borders Papillary muscle tips Colorized LV endocardial surface Calculation of 3D valve Apparatus relationships D’après Liel-Cohen N, Circulation 2000;101:2756-63 montrer le rôle central de la distance pilier-anneau mitral dans la genèse de la fuite mitrale ischémique. [10] C’est donc la position de pilier mitral, et non sa dysfonction, qui est responsable de la fuite mitrale (figure 10). L’échographie 3D transœsophagienne en temps réel est maintenant bien établie en pratique clinique courante. Elle permet une très bonne reconstruction et analyse de l’appareil mitral, et plus particulièrement de l’anneau mitral. Ainsi, une publication récente d’une équipe chinoise a permis de démontrer l’intérêt de cette technique dans l’évaluation des modifications de la géométrie de l’anneau mitral dans la fuite mitrale ischémique. Elle a étudié une cohorte de 72 patients avec fuite mitrale ischémique secondaire à un infarctus antérieur ou inférieur, et a comparé ses caractéristiques à un groupe de 20 patients contrôles. En utilisant un logiciel de post-processing, elle a pu démontrer que les 6 segments de l’anneau mitral étaient dilatés de façon significative dans le groupe avec fuites mitrales ischémiques vs contrôles, cette augmentation étant plus importante sur le segment P3 de l’anneau mitral, et plus particulièrement chez les patients en postinfarctus inférieur. Cette étude 3D temps réel a permis de mieux comprendre l’implication de la dilatation asymétrique de l’anneau mitral dans la genèse de la fuite mitrale, avec une modification plus marquée sur le segment P3 et la commissure postérieure. [24] C’est cette asymétrie postérieure qui est à l’origine du design spécifique de l’anneau mitral McCarty-Carpentier, qui devrait diminuer le tenting prédominant au niveau de la commissure postérieure. Ainsi, l’échographie 3D en temps réel est un outil très intéressant pour l’évaluation du mécanisme de la fuite mitrale ischémique et pour mieux comprendre l’implication de la dilatation annulaire et du remodelage ventriculaire dans la genèse de cette fuite (figure 11). Le Cardiologue 359-360 – Mars 2013 Apport de l’imagerie dans l’évaluation de la Fuite Mitrale Ischémique Figure 11. Aspect asymétrique en écho 3D de la dilatation annulaire en cas d’IM ischémique. Vue verticale Vue de côté Vue oblique D’après Bin J, Echocardiography 2012;29:42-50 Figure 12. Evaluation du remodelage annulaire et ventriculaire gauche par IRM cardiaque. D’après Covadonga Fernandez-Golfın et al, Int J Cardiovasc Imaging (2011) 27:539-46 IRM Cardiaque L’IRM cardiaque a pris une place prépondérante dans l’évaluation de la fonction ventriculaire gauche, de l’ischémie myocardique et de la fibrose endocardique. Les dysfonctions valvulaires organiques ne bénéficient, quant à elles, que très peu de l’IRM pour leurs évaluations et leurs retentissements. A contrario, l’IM ischémique étant avant tout une maladie du muscle cardiaque (remodelage ventriculaire post-infarctus) son évaluation et son mécanisme peuvent être mieux appréhendés par cette modalité. Un papier récent de l’équipe madrilène de Samorano a permis de mieux souligner l’intérêt de cette modalité dans l’évaluation des facteurs prédictifs de la fuite Le Cardiologue 359-360 – Mars 2013 mitrale fonctionnelle dans le post-infarctus. Cette étude porte sur une cohorte de 80 patients avec dysfonction VG (FE < 45 %) et dilatation ventriculaire gauche, d’origine ischémique et non ischémique. Les images en mode ciné étaient acquises en petit axe ainsi qu’en 4 cavités, afin d’évaluer l’appareil valvulaire mitral. Une fuite mitrale fonctionnelle (au moins modérée) était retrouvée chez 20 patients. Dans le groupe ischémique, l’ensemble des paramètres valvulaires était différent entre le groupe avec fuite et le groupe sans fuite, alors que dans le groupe avec cardiopathie dilatée, seule la distance interpiliers différait entre les deux groupes. En pratique, la fuite mitrale fonctionnelle est associée à une dilatation ventriculaire gauche et une dysfonction ventriculaire gauche plus sévères. Les paramètres valvulaires mitraux, en cas de fuite mitrale, sont différents entre les cardiopathies ischémiques et non ischémiques. Ainsi, l’IRM a pu mettre en évidence une augmentation du volume télédiastolique et systolique, associée à une diminution de la fonction VG systolique dans le groupe fuites mitrale vs groupe sans fuite mitrale. Par cette nouvelle évaluation, on retrouve aussi une augmentation de la surface sous la tente, de la longueur du feuillet antérieur et du feuillet postérieur dans le groupe fuite mitrale vs groupe sans fuite mitrale. Au niveau de l’appareil sous-valvulaire, on retrouvait une augmentation des distances inter-piliers et du diamètre intercommissural en fin de systole. Quand on différenciait ces différentes pathologies en ischémique et non ischémique, ces différences restaient significatives en cas de fuite mitrale ischémique, alors qu’en cas de cardiopathie non ischémique seule la distance interpiliers sortait entre le groupe fuite mitrale et le groupe sans fuite mitrale. Ainsi, cette étude permet déjà de confirmer le potentiel de l’IRM cardiaque dans l’évaluation de la géométrie valvulaire mitrale, plus particulièrement en cas de fuite mitrale fonctionnelle postcardiopathie ischémique ou dilatée. Cette étude souligne aussi, en cas de fuite mitrale sur cardiopathies dilatées, le remodelage ventriculaire prédominant en médio-latéral avec augmentation de la distance des piliers qui est responsable de la malcoaptation et de la fuite mitrale centrale. Ainsi, la haute résolution temporelle et spatiale de l’IRM cardiaque permet elle aussi de mieux évaluer la fuite mitrale ischémique ou fonctionnelle et d’aider potentiellement à sa réparation. [25] Conclusion La forme fonctionnelle de l’insuffisance mitrale ischémique, secondaire au remodelage ventriculaire gauche du post-infarctus, est une complication fréquente des infarctus du myocarde. L’évaluation par échocardiographie Doppler transthoracique reste le moment clé du diagnostic de l’IM ischémique : elle permet de quantifier la fuite et d’en décrire les mécanismes principaux (dilatation annulaire, « tenXVII Insuffisance mitrale ischémique ting » des feuillets, remodelage VG, modifications géométriques de l’appareil valvulaire et sous-valvulaire mitral). Elle permet aussi d’étudier le caractère dynamique et de déterminer les principaux éléments pronostiques cardiovasculaires de cette fuite mitrale. Cette évaluation peut aussi bénéficier des dernières avancées en imagerie cardiaque, avec l’ETO 3D temps réel et l’IRM cardiaque qui, par leurs représentations tridimensionnelles pour la première et par la qualité et la précision des images pour la seconde, permettent une analyse fine des mécanismes de la fuite mitrale permettant on l’espère d’améliorer la prise en charge de ces patients. n RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES [1] Rankin JS, Hickey MS, Smith LR, Muhlbaier L, Reves JG, Pryor DB, Wechsler AS. Ischemic mitral regurgitation. Circulation 1989;79:I116-21. [2] Grigioni F, Enriquez-Sarano M, Zehr KJ, Bailey KR, Tajik AJ. Ischemic mitral regurgitation: long-term outcome and prognostic implications with quantitative doppler assessment. Circulation 2001;103:1759-64. [3] Burch GE, De Pasquale NP, Phillips JH. Clinical manifestations of papillary muscle dysfunction. Arch Intern Med 1963;112:112-7. [4] Kono T, Sabbah HN, Stein PD, Brymer JF, Khaja F. 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Une fois le cap opératoire passé, l’espérance de vie de ces patients rejoint néanmoins celle de patients appariés pour le sexe, l’âge, la fraction d’éjection (FE) et la localisation de l’infarctus n’ayant pas été victime d’une IM aiguë. [1,2] Beaucoup plus fréquentes, les IM ischémiques fonctionnelles, qui font l’objet du présent article, sont la conséquence du remodelage et de la dysfonction systolique Ventriculaires Gauches (VG) chroniques [3] et de la désynchronisation des muscles papillaires, qui malgré l’absence de pathologie organique mitrale, peuvent créer un défaut d’étanchéité purement fonctionnel. Leur prévalence est estimée à près de 50 % lorsque la Fraction d’Ejection (FE) est inférieure à 40 % et leur impact pronostique est particulièrement défavorable à partir des valeurs seuils de 20 mm² pour la surface de l’orifice régurgitant et/ou 30 ml pour le volume régurgité. [4-6] Les IM ischémiques sévères ainsi définies peuvent être logiquement considérées comme une cible thérapeutique potentielle de la prise en charge des cardiopathies ischémiques. Les traitements médicamenteux de la dysfonction systolique [7] et la resynchronisation ventriculaire [8] ont fait la preuve d’une certaine efficacité dans la diminution de la régurgitation par le remodelage inverse induit, la resynchronisation des muscles papillaires et l’augmentation des forces de fermeture. Le traitement chirurgical des ces fuites mitrales ne peut donc se concevoir qu’après optimisation du traitement médical mais les incertitudes concernant son impact pronostique et la méthode de correction optimale expliquent les vives controverses qu’il suscite dans ses indications comme dans ses modalités techniques. Effet du pontage coronaire isolé En cas d’indication de revascularisation chirurgicale, le pontage coronaire isolé ne permet pas une réduction durable de l’IM ischémique chez la plupart des patients. Malgré une diminution post-opératoire immédiate de l’IM attribuée aux modifications des conditions de charge induite par la CEC et l’anesthésie, la récidive d’une fuite au moins modérée est observée chez la moitié des patients dès la fin de l’hospitalisation. Il faut souligner pour les mêmes raisons l’absence Le Cardiologue 359-360 – Mars 2013 de fiabilité de l’échographie transœsophagienne peropératoire dans la prédiction du résultat à moyen terme de la réparation mitrale en matière d’IM fonctionnelle. [9] Une publication plus récente a souligné l’intérêt de la recherche préopératoire d’une viabilité et d’un asynchronisme de la zone d’insertion des muscles papillaires. Au sein d’une population de 135 patients d’âge moyen 65 ans, avec IM ischémique modérée et FE inférieure à 45 %, la majorité des patients présentant à la fois une XIX Insuffisance mitrale ischémique Figure 1. Pronostic comparé (ajustement par score de propension) des patients d’âge moyen 65 ans avec IM fonctionnelle (ischémique dans 70 % des cas) sévère, symptomatique et FE moyenne = 23 %, traités médicalement (n = 293) et par annuloplastie restrictive isolée (n = 126). [14] Event-free survival viabilité myocardique et une absence d’asynchronisme des piliers, bénéficiait d’une diminution significative de l’IM un an après pontage coronaire isolé. [10] La revascularisation était sans effet sur la fuite chez les autres patients. En outre le pronostic des patients dont la fuite ne s’améliorait pas était significativement plus grave que celui des patients dont la fuite régressait, soulignant l’impact pronostique défavorable de la persistance d’une fuite mitrale significative après pontage coronaire isolé. On retiendra donc que, dans la plupart des cas, la correction chirurgicale d’une fuite mitrale ischémique, qu’il y ait ou non indication de revascularisation, suppose la réalisation d’un geste mitral spécifique dont le risque, malgré la dysfonction VG sous-jacente, paraît acceptable dans les séries les plus récentes. 1,0 0,8 0,6 0,4 Résultats de la chirurgie de l’IM ischémique 0,2 P = NS 0 Risque opératoire Pronostic postopératoire L’association au pontage coronaire d’un geste mitral spécifique – en l’occurrence une annuloplastie réductrice – par rapport à la revascularisation seule diminue le risque de fuite mitrale postopératoire. La chirurgie de l’IM ischémique améliore en outre le statut fonctionnel, les paramètres ventriculaires et diminue les pressions pulmonaires au moins à court terme dans la plupart des séries [12] y compris dans un essai randomisé [13] que cette chirurgie soit ou non associée à une revascularisation coronaire. [11] En revanche, peu de preuves convaincantes de son bénéfice pronostique à long-terme ont été apportées à ce jour. Dans un travail non randomisé, après ajustement des groupes par score de propension, XX 500 1000 1500 2000 Years Figure 2. Pronostic comparé (ajustement par score de propension) des patients d’âge moyen 66 ans avec IM ischémique modérée et FE < 45 %, traités par pontage coronaire isolé (n = 100) et par l’association pontage coronaire + annuloplastie restrictive (n = 290). [12] Survival (%) La mortalité hospitalière après chirurgie de l’IM ischémique reste supérieure à celle observée après chirurgie de l’IM organique, mais a significativement diminué ces dernières années pour se situer entre 2 et 7% dans la plupart des séries actuelles. [11] En cas d’indication de pontage coronaire, la réalisation concomitante d’un geste mitral n’augmente pas significativement le risque opératoire. [12,13] En l’absence d’indication de pontage la mortalité opératoire n’était que de 4,7 % dans la série marseillaise ayant pourtant inclus des patients avec FE moyenne de 36 % et IM fonctionnelle massive, symptomatique, en insuffisance cardiaque réfractaire au traitement médical au moment de l’intervention. De même, contrairement à la crainte d’un effondrement postopératoire de la FE après chirurgie mitrale, celle-ci reste stable en postopératoire chez la plupart des patients. Dans la série de la Timone, la FE était de 36 ± 6 % en préopératoire, 36 ± 6 % en postopératoire immédiat et de 33 ± 8 % (NS) après un suivi moyen de 2,6 ans, réfutant le concept d’un effet soupape des fuites mitrales fonctionnelles. 0 50 CABG alone ( ) (81) (70) 40 40 (55) (238) 30 30 (35) (172) (90) 50 (9) CABG + MV anuloplasty ( ) 40 30 20 (15) P = NS 10 0 (51) 0 2 4 6 8 10 Years l’annuloplastie réductrice isolée (n = 126) n’apportait aucun bénéfice par rapport au traitement médical seul (n = 293) sur un critère combiné associant mortalité, assistance circulatoire et transplantation, chez des patients avec IM fonctionnelles ischémiques ou non ischémiques et altération très sévère de la fonction systolique (FE moyenne = 23 %) [figure 1]. [14] De même, dans un autre travail non randomisé comparant pontage coronaire isolé (100 patients) à l’association pontage coronaire et annuloplastie (290 patients), le geste mitral n’améliorait pas la survie tardive par rapport à la revascularisation isolée [figure 2]. [12] Dans l’essai randomisé déjà cité ayant comparé l’association pontage plus annuloplastie au pontage coronaire seul chez 102 patients d’âge moyen 65 ans avec IM ischéLe Cardiologue 359-360 – Mars 2013 Insuffisances Mitrales Ischémiques : prise en charge chirurgicale mique modérée et FE moyenne de 43 %, aucune différence n’était observée en termes de survie à 5 ans. [13] Un seul travail issu de l’essai « STICH » a rapporté une tendance en faveur de l’association pontage plus annuloplastie en termes de mortalité à 5 ans, par rapport au pontage seul ou au traitement médical seul. Dans cet essai, les patients, d’âge moyen 60 ans avec IM ischémique modérée à sévère et FE moyenne ≤ 35 %, étaient randomisés entre traitement médical et revascularisation chirurgicale ; dans le bras chirurgical toutefois, l’association au pontage d’un geste mitral était laissée à la discrétion du chirurgien. [15] Ces résultats décevants expliquent la prudence des recommandations actuelles en matière d’indications chirurgicales [2,16] et suscitent deux réflexions. La première consiste à remettre en question le principe même d’une correction chirurgicale de l’IM ischémique qui, n’étant que la conséquence d’une maladie ventriculaire, peut être considérée comme une cible thérapeutique non pertinente. La seconde est d’ordre technique et attribue à l’annuloplastie réductrice utilisée dans les travaux précédents l’absence de bénéfice pronostique de la chirurgie mitrale en raison du risque élevé de récidive à moyen terme. Impact de la technique chirurgicale Annuloplastie restrictive L’annuloplastie restrictive consiste à corriger les IM ischémiques par l’implantation d’un anneau sous-dimensionné, sans geste associé sur les feuillets mitraux ou l’appareil sous-valvulaire. Considérée comme la référence historique du traitement des IM fonctionnelles, à l’époque où ces IM étaient attribuées à la dilatation annulaire seule, l’annuloplastie réductrice reste citée comme la méthode de choix par les recommandations américaines et européennes mais avec nuances. [2,16] En offrant une solution annulaire à un problème primitivement ventriculaire, l’annuloplastie est en effet non seulement intellectuellement non satisfaisante mais s’accompagne d’un nombre élevé de récidives, [12] pouvant atteindre 70 % des cas à 3 ans. [17] Dans la série de la Timone, 50 % des patients après annuloplastie restrictive isolée présentaient une IM récidivante au moins modérée après un suivi moyen de 2,6 ans (surface moyenne de l’orifice régurgitant à distance de l’intervention de 21± 6 mm²). L’hétérogénéité des anneaux utilisés dans les différentes séries chirurgicales en termes de rigidité et de taille notamment est l’argument avancé par les chirurgiens promoteurs de la technique pour expliquer ces échecs. Il est recommandé en effet que l’anneau soit rigide, complet et très sous-dimensionné, de plus de 2 tailles par rapport aux anneaux implantées dans les IM dégénératives. [18] Néanmoins, dans un travail mené au sein de 30 patients avec IM ischémique récidivante malgré la combinaison annuloplastie plus revascularisation, la réapparition de la Le Cardiologue 359-360 – Mars 2013 fuite mitrale suivait l’augmentation des volumes VG et de l’index de sphéricité malgré la stabilité de la FE, indiquant que la progression de la cardiopathie et du remodelage cavitaire était responsable de la réapparition de l’IM indépendamment du type d’anneau utilisé. [19] L’annuloplastie restrictive garde néanmoins probablement quelques indications et certains patients peuvent bénéficier d’un geste dont le principal mérite est la simplicité. L’équipe qui a le plus promu la technique a rapporté après annuloplastie associée à un pontage coronaire un pronostic meilleur en l’absence de dilatation extrême du ventricule gauche (valeur seuil de 65mm -34mm/m²- pour le diamètre télédiastolique). [18] Plus que le degré du remodelage, sa direction est en fait probablement l’élément clef. Dans un travail mené chez des patients avec IM fonctionnelle non ischémique, le succès de l’annuloplastie semblait lié à la mobilité préopératoire de l’extrémité du feuillet antérieur apprécié par l’angle entre le plan de l’anneau et l’extrémité du feuillet antérieur. [20] Un angle aigu (< 25 °) traduit un remodelage et une traction sur les feuillets plus postérieure qu’apicale, s’exerçant donc plus sur les cordages secondaires (basaux) du feuillet antérieur que sur les principaux. Dans ce type de remodelage la restriction prédomine sur la base du feuillet antérieur alors que son extrémité conserve une certaine mobilité, donnant l’aspect en aile de mouette avec tenting asymétrique et faux prolapsus du feuillet antérieur (figure 3B). Ces patients conservent une « réserve » de coaptation et semblent présenter moins de récidive après annuloplastie que les patients dont l’angle > 25 °. Dans ce deuxième cas, les contraintes sont plus apicales que postérieures et s’exercent à la fois sur la base et sur l’extrémité du feuillet antérieur dont la mobilité est restreinte. Cet aspect de tenting symétrique, fréquent en cas de remodelage extrême et de diminution profonde de la FE, augmente le risque de récidive après annuloplastie (figure 3C). Le degré de restriction du feuillet postérieur apprécié par l’angle entre l’anneau et l’extrémité du feuillet (valeur seuil de 45 °), la hauteur du tenting (valeur seuil de 10mm) et la surface sous la tente (valeur seuil de 2,5cm²) ont également été corrélés au risque de récidive. En résumé, ce risque est d’autant plus élevé que la déformation mitrale est importante et symétrique. [21] Prothèse valvulaire Le remplacement valvulaire mitral dans cette indication connaît un regain d’intérêt en raison des résultats imparfaits sur les plans technique et pronostique des méthodes actuelles de réparation des IM ischémiques. A ce jour, la plupart des études non randomisées ayant comparé les résultats de l’implantation d’une prothèse à ceux de l’annuloplastie n’ont pas démontré de supériorité de la plastie sur le remplacement. L’équipe de Québec [17] a comparé les résultats respectifs de la réparation et du remplacement valvulaire chez 370 patients avec IM ischémique et FE moyenne de 43 %, dont la majorité nécessitait une XXI Insuffisance mitrale ischémique revascularisation coronaire associée. Après ajustement aux différentes variables notamment par score de propension, l’annuloplastie restrictive n’obtenait pas de meilleurs résultats que le remplacement valvulaire en termes de mortalité opératoire et de pronostic postopératoire tardif. Des résultats similaires ont été rapportés par l’équipe d’Ottawa chez 130 patients avec IM ischémique sévère symptomatique, FE moyenne de 37 %, dont la plupart nécessitait une revascularisation associée à la procédure mitrale. Après ajustement par score de propension, la survie postopératoire était équivalente après annuloplastie et après remplacement valvulaire. [22] Dans la série marseillaise, très différente par l’indication chirurgicale centrée exclusivement sur l’IM symptomatique sous traitement optimal et non sur la revascularisation coronaire, non seulement l’annuloplastie ne faisait pas mieux que le remplacement valvulaire en termes pronostiques, mais elle était en outre associée à une moindre diminution postopératoire des diamètres ventriculaires et des pressions pulmonaires. La fréquence des récidives de la fuite après annuloplastie explique probablement ces résultats dans cette série. Très récemment, l’équipe de Milan a rapporté le pronostic respectif du remplacement valvulaire et de la plastie mitrale obtenus dans leur centre chez 132 patients avec IM fonctionnelle sévère symptomatique, ischémique chez deux tiers d’entre eux et FE de 32 %. Un tiers des patients bénéficiait d’un pontage coronaire associé au geste mitral dans chaque groupe. Dans ce travail, la mortalité opératoire était plus basse dans le groupe plastie et la survie tardive meilleure. Il doit être précisé d’une part que 25 % des patients du groupe plastie ont bénéficié en plus de l’annuloplastie d’une technique « edge to edge » associée, d’autre part et surtout que la décision de remplacer la valve était prise par le chirurgien en cas de déformation valvulaire extrême rendant aléatoire la réparation. [23] En d’autres termes, lorsque la probabilité de succès durable d’une plastie est élevée selon les critères précédents, il est peut-être préférable de réparer la valve ; dans les autres cas (tenting symétrique), l’insertion – plus que l’implantation – d’une prothèse valvulaire en conservant l’appareil sous-valvulaire peut apparaître comme un moyen techniquement simple de supprimer l’IM sans exposer les patients au risque de récidive de la fuite. Conclusion Malgré les progrès réalisés dans la connaissance des mécanismes des IM fonctionnelles, les techniques actuelles de plastie sont imparfaites et l’annuloplastie restrictive isolée longtemps considérée comme la référence est associée à un taux élevé de récidives et à un impact pronostique incertain. La réparation d’une IM ischémique reste un défi chirurgical lié notamment à la grande variété des déformations valvulaires dont résultent des anatomies fonctionnelles très variables d’un patient à l’autre, fonction de la profondeur de la restriction et de son caractère plus ou moins symétrique. En matière de plastie chirurgicale, l’avenir sera sans doute à la combinaison des techniques en associant des approches plus physiopathologiques visant à corriger le dysfonctionnement valvulaire à ses différents étages, annulaire mais aussi valvulaire (extension des feuillets, « edge to edge ») et sous-valvulaire (section des cordages basaux, repositionnement des muscles papillaires, filet extra cardiaque). Figure 3. Différents types de déformation valvulaire et implications chirugicale. A B C BC MC P A Coaptation normale Tenting asymétrique Le remodelage VG latéral et postérieur exerce une traction sur le feuillet postérieur et les cordages basaux du feuillet antérieur laissant à son extrémité une certaine mobilité et diminuant le risque de récidive après annuloplastie restrictive MC cordages principaux – BC cordages secondaires XXII Tenting symétrique Le remodelage apical, survenant en règle dans le cadre d’un remodelage VG global et très marqué avec diminution profonde de la FE exerce une traction à la fois sur les cordages basaux et principaux du feuillet antérieur dont l’extrémité a perdu sa mobilité, rendant très faibles les chances de succès de l’annuloplastie. [20] Le Cardiologue 359-360 – Mars 2013 Insuffisances Mitrales Ischémiques : prise en charge chirurgicale Les recommandations européennes [2] restent donc prudentes et les indications s’adressent essentiellement aux patients avec IM sévère nécessitant une revascularisation coronaire. En l’absence de dysfonction VG extrême (FE > 30 %), l’indication est de classe I (IIa si l’IM n’est que modérée) ; en cas de diminution très sévère de la FE (<30%), elle est réservée aux patients avec IM sévère très symptomatiques sous traitement optimal (indication de classe IIa). La réticence est encore plus nette en l’absence d’indication de pontage et l’indication n’est tolérée en Europe qu’en cas de FE > 30 % et de symptômes réfractaires au traitement médical (classe IIb). Elle est étendue par les recommandations américaine aux patients avec FE < 30 %, [16] mais avec les mêmes réserves (classe IIb). Pourtant à l’heure de la pénurie de greffon ou en cas de contre-indication à la transplantation, il semble que cette chirurgie ne doive pas être récusée « de principe » sur le seul argument de la diminu- tion préopératoire même profonde de la FE, ceci même en l’absence d’indication de revascularisation coronaire. Malgré la gravité du tableau clinique et échographique préopératoire, la mortalité hospitalière reste en effet « acceptable » dans la plupart des séries chirurgicales, entre 4 et 5 % y compris chez les patients les plus graves, et l’amélioration fonctionnelle est régulièrement rapportée. Dans ce contexte d’altération profonde de la fonction systolique, cette chirurgie ne peut s’adresser qu’aux patients dont l’IM est indiscutablement sévère voire massive, avec des paramètres quantitatifs très au-delà des seuils, restant symptomatiques malgré un traitement médical optimal. L’étude préopératoire de la réserve contractile ou de l’étendue de la fibrose myocardique par IRM permettra peut-être d’affiner la sélection des candidats. Dans l’attente d’une technique de réparation efficace qui pour l’instant n’a pas été trouvée en cas de déformation valvulaire extrême, l’insertion d’une prothèse valvulaire chez ces patients est peut-être une solution. n RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES [1] Russo A, Suri R, Grigioni F, et al. Clinical outcome after surgical correction of mitral regurgitation due to papillary muscle rupture. Circulation. 2008;118(15):1528-34. [9] Aklog L, Filsoufi F, , et al. Does Coronary Artery Bypass Grafting Alone Correct Moderate Ischemic Mitral Regurgitation? Circulation. 2001;104[suppl I]:I-68-I-75. [2] Vahanian A, Alfieri O, Andreotti F, et al. Guidelines on the management of valvular heart disease. Eur Heart J. 2012. [10] Penicka M, Linkova H, Lang L, et al. Predictors of improvement of unrepaired moderate ischemic mitral regurgitation in patients undergoing elective isolated coronary artery bypass graft surgery. Circulation. 2009;120:1474-81. [3] Otsuji Y, Handschumacher M, Schwammenthal E, et al. 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