L`ENTREPRISE: EVIDENCE OU SYMPTOME D`UN

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Critique Régionale n°17
L'ENTREPRISE: EVIDENCE OU SYMPTOME D'UN
PROBLEME?
Marcelle Stroobants
Pierre Desmarez*
Au moment où se multiplient les discours en faveur d'une "réhabilitation" de
l'entreprise dans la société, il est urgent de se demander si l'entreprise est un
"concept" pertinent pour comprendre les relations de travail et si elle est un "objet"
pertinent pour la sociologie.
Autour de l'entreprise se joue en effet aujourd'hui dans notre discipline une
querelle dont les fondements nous paraissent bien moins consistants que ceux
d'autres débats moins à la mode, tels que ceux qu'ont suscités les recherches sur les
transports, sur les systèmes professionnels fermés ou les comparaisons
internationales.
Pour saisir l'enjeu de la nouveauté, on peut se référer à l'introduction au
numéro spécial que Sociologie du travail a consacré à la question de l'entreprise.
Anni Borzeix nous y explique que, pour certains, l'entreprise pourrait être "en
passe de devenir pour de bon un véritable sujet dans la société, une instance
centrale du social, suffisamment autonome pour peser sur le système social global"
(1986: 232).
D'où sans doute la volonté de "fonder cette sociologie de l'entreprise qui fait
actuellement défaut" (233) et la proposition selon laquelle "L'entreprise demeure
un lieu plutôt qu'un véritable objet d'étude à part entière pour la majorité des
sociologues - des sociologues du travail en particulier" (231; Borzeix souligne).
•
Ce texte constitue une version remaniée de notre article « Au lieu de l'entreprise » paru dans le
Cahier du L.A.S. T.R.E.E., n°2, novembre 1987, Université des sciences et techniques de Lille
Flandres-Artois, pp. 39-56.
Ces derniers parviendraient donc enfin è "oser penser l'entreprise" (233),
économique (...) soumise aux pouvoirs de régulation détenus par l'Etat, les
banques, les partis ou les syndicats, l'entreprise accéderait aujourd'hui au rôle
nouveau d'acteur principal dans le combat pour la sauvegarde de l'emploi et, par
extension, de la société toute entière" (232).
Nous ne traiterons pas ici de l'éventuel "rôle nouveau" de l'entreprise dans
nos sociétés, point sur lequel il y a, à droite comme dans certaines fractions de la
gauche, un consensus quelque peu suspect1. Il nous appartient par contre de tenter
de déceler ce que signifie le fait d'affirmer que la sociologie du travail n'a jamais
considéré l'entreprise "comme un niveau d'analyse propre" (Borzeix, 1986: 232,
voir aussi Düll, Rose et Monjardet in Collectif, 1980 et Amiot, 1980).
Car, même en se limitant è la tradition française, il est difficile de
comprendre et d'accepter cette thèse sans réinterpréter rétrospectivement et
artificiellement le statut du cloisonnement entre la sociologie du travail et la
sociologie des organisations, à moins d'accepter de différer l'explicitation d'un
mode d'approche encore mystérieux.
Avant d'en venir è l'examen de la manière dont les sociologues du travail
traitent en ce moment de l'entreprise, il nous paraît important, pour comprendre
l'éventuelle originalité de ces nouvelles approches, de revenir sur les analyses
"traditionnelles" de l'entreprise en sociologie du travail (et des organisations).
Notons tout d'abord que la "sociologie de l'entreprise", en tant que
qualification d'un domaine spécialisé de la sociologie, est loin d'être une nouveauté.
En France par exemple, Pierre Rolle s'y réfère depuis 1971 et Catherine Ballé
1 Consensus qui pourrait nous amener à faire l'hypothèse que l'entreprise constitue aujourd'hui une
'figure de l'intérêt général', au sens que Chavallier et ses collègues (voir par exemple Chevallier, 1978)
donnent à cette expression dans le cadre de leur approche de l'idéologie du même nom. Figure qui
masque des divisions et qui en instaure; qui en masque en faisant référence au vieux refrain 'nous
sommes tous dans le même bateau' et qui en instaure en séparant ce qui est 'nous' de ce qui est 'eux' Ces
thèmes sont particulièrement présents à la fois à l'échelon des nations (compétitivité des entreprises) et à
celui des entreprises (concurrence sur un marché), et alimentent actuellement bon nombre de discours et
de politiques d'austérité. En ce sens, l'entreprise est une figure de l'intérêt général qui se substitue à celle
qu'a pu être le salariat dans le contexte des politiques économiques keynésiennes de croissanc
2
(1980) l'utilise pour décrire une partie de la production des sociologues français du
travail des années 1960 (aux Etats-Unis, l'expression 'plant sociology' est encore
beaucoup plus ancienne).
La perspective de l'entreprise comme système est celle qui retiendra notre
attention. Elle rompt en effet avec les autres approches qui traitent l'entreprise
comme un "lieu", un "cadre, un décor a l'intérieur duquel s'observent, au gré des
intérêts et de la conjoncture, les mutations technologiques, les stratégies patronales
et syndicales, les changements dans l'organisation du travail ou les grèves,
l'évolution des qualifications, des professions ou des politiques de gestion de la
main-d'oeuvre" (Borzeix, 1986: 231. Borzeix souligne). Les recherches menées
dans cette optique ne relèvent donc pas de la "sociologie de l'entreprise" telle que
paraissent la concevoir les chercheurs qui tentent aujourd'hui d'en poser les
fondements. Il n'en va pas de même pour les approches qui considèrent l'entreprise
dans sa "globalité".
En France, comme le rappelle Ballé, cette perspective repose sur les travaux
de Michel Crozier et, en particulier, sur l'article que cet auteur a consacré aux
relations de pouvoir dans un système d'organisation bureaucratique (Crozier, 1960).
De nombreux textes se sont ensuite inscrits dans cette lignée, qui devait donner plus
tard naissance à une sociologie des organisations française fondée sur l''analyse
stratégique" (la création du Centre de Sociologie des Organisations date de 1966).
A titre d'exemple, voyons ce qu'avancent a ce propos les auteurs de L'acteur et le
svstème2
L'ENTREPRISE COMME ORGANISATION.
Pour Crozier et Friedberg, l'organisation doit être étudiée comme une entité
possédant ses propres règles de fonctionnement et non déterminée par les
contraintes de son environnement. Il conviendrait donc de considérer l'organisation
"comme un phénomène totalement autonome et artificiel, dont il faut expliquer
l'existence comme celle d'un construit contingent" (Crozier, Friedberg, 1977: 84).
La notion de "système d'action concret" se trouve au centre de cette
approche. Il s'agit d'un "ensemble humain structuré qui coordonne les actions de
ses participants par des mécanismes de jeux
2 nous aurions aussi bien pu partir du Phénomène bureaucratique. Si nous avons choisi d'aborder la
problématique de la théorie française de l'organisation au travers de l'ouvrage plus récent, c'est
principalement pour éviter de nous voir opposer un discours qui ferait appel aux progrès réalisés entre
1964 et 1977 dans ce domaine.
3
relativement stables et qui maintient sa structure, c'est-à-dire la stabilité de ses jeux
et les rapports entre ceux-ci, par des mécanismes de régulation qui constituent
d'autres jeux" (1977: 246; ces mots sont soulignés par les auteurs).
Afin d'éviter le piège de la réification, Crozier et Friedberg définissent un
système d'action concret par une démarche inductive, partant de l'existence de
relations de pouvoir entre acteurs: ils en infèrent l'existence de stratégies
relativement stables, dont la configuration permet à son tour de "faire des
hypothèses sur les jeux par rapport auxquels elles sont rationnelles et sur le système
qui contient ces jeux" (213). "Le postulat implicite qui justifie notre raisonnement,
c'est qu'il ne peut y avoir pouvoir sans structuration et que structuration suppose
régulation, c'est-à-dire que nous devons nous trouver dans le cas d'un système
d'action" (214).
Qu'est-ce donc que le "pouvoir" ainsi conçu? C'est Pierre Rolle qui nous en
explique le sens. C'est la notion qui relie l'acteur et le système; le pouvoir est "le
dispositif qui oblige les comportements libres à se rencontrer et à se conjuguer, et
le résultat de leur rencontre, le système vu à travers le comportement et le
comportement reproduisant le système" (Rolle, 1980: 110). Cette conception du
pouvoir est une conception composite, qui "signifie à la fois la liberté et la
souveraineté individuelle, et leur disparition", qui "confond l'ampleur du résultat
(d'un rapport de force) avec la disproportion des ressources", qui "présente comme
une petite victoire celle qui est gagnée par une petite supériorité. Elle suppose que
la relation traduit et respecte une inégalité préalable, et qu'elle se conforme à la
distribution des ressources telle qu'on l'observe avant leur confrontation. Ce
schéma est plutôt celui de la pesée sur une balance que celui du conflit" (Rolle.
1980: 111-112).
Ceci nous amène à cette fameuse notion de "jeu" qui est fondamentale en
analyse stratégique. C'est au travers d'une critique du
fonctionnalisme que Crozier et Friedberg y parviennent: la théorie structurofonctionnaliste reposerait sur un point essentiel et criticable: "les occupants d'un
rôle organisationnel donné se conforment naturellement aux attentes de leurs
partenaires de rôle" (85). Elle n'admettrait d'individus qu'aux conduites
adaptatives et passives. Selon Crozier et Friedberg, "pour pouvoir restituer aux
individus leur statut d'acteurs autonomes dont la conduite constitue la mise en
oeuvre d'une liberté, si minime soit-elle, il nous faut changer de problématique"
(97) et en fonder une nouvelle sur le concept de jeu.
Le jeu est "un mécanisme concret grâce auquel les hommes structurent
leurs relations de pouvoir et les régularisent tout en leur laissant-en se laissantleur liberté" (97). Chaque joueur cherche normalement à gagner, à satisfaire ses
propres intérêts, tout en acceptant pour ce faire les contraintes qui lui sont
imposées.
4
"S'il s'agit d'un jeu de coopération, comme c'est toujours le cas dans une
organisation, le produit du jeu sera le résultat commun recherché par
l'organisation" (97). Et les auteurs de préciser en note: "Dans la mesure ou celleci ou plutôt ses dirigeants auront compris leur dépendance a l'égard des
structures, c'est-à-dire des jeux déjà établis, et auront su les orienter" (97) 3
On comprend alors le caractère artificiel de l'affirmation selon laquelle
l'intégration des acteurs a l'organisation n'est pas la conséquence directe de
l'apprentissage de rôles, mais la conséquence indirecte de la contrainte des règles
des jeux qui se jouent dans l'organisation et supposés nécessaires a
l'accomplissement des objectifs de celle-ci (98). Car que définissent les jeux déjà
établis, si ce n'est un ensemble de rôles?
En soutenant que plusieurs stratégies sont toujours possibles, Crozier et
Friedberg affirment une liberté qui est imprescriptible, mais concrète en même
temps. Et, dans ce cas, cette liberté sera bornée par les aptitudes, les compétences et
les ressources des individus, "notion vides qui font passer pour des attributs de
l'individu des caractéristiques sociales" (Rolle, 1980: 109). Dans cette perspective,
le déterminisme que l'on restaure en posant ces bornes comme éléments de
définition de la situation et capacités individuelles" sera présenté en fin de compte
comme une forme de la liberté même" (105).
L'analyse stratégique a aussi une autre face: "celle qui permettrait de
comprendre l'utilisation effective par les acteurs des potentialités et opportunités
d'une situation et la structuration différente de problèmes contextuels semblables
qui en résulte" (Crozier, Friedberg: 191). Cette autre face porte le nom d'analyse
culturelle. Dans ce type d'approche, la culture n'est pas un ensemble de normes et
de valeurs qui guident et rendent compte du comportement des individus; "elle est
capacité que les individus acquièrent, utilisent et transforment en bâtissant et vivant
leurs relations et leurs échanges avec les autres" (179. Crozier et Friedberg
soulignent). Les valeurs et les normes ne sont plus alors que des éléments de cet
ensemble, qui structurent les capacités des acteurs et qui, de ce fait, "conditionnent
mais ne déterminent jamais les stratégies individuelles et collectives" (179).
3 il est à notre sens un peu simple de présenter l'approche organisationnelle de Crozier comme une
approche en termes de 'système social', comme le font Sainsaulieu et Segrestin (1986: 347). Cet auteur
traite de 'systèmes d'action', ce qui est plus général. Il serait d'ailleurs possible de montrer que la
distinction entre 'système social' et 'système d'action' qu'il convient de faire ici repose sur des
fondements comparables à ceux de la sociologie parsonienne, en particulier dans ses développements
postérieurs à 1945
5
En outre, "ces capacités sont inséparables des structures a l'intérieur desquelles
doit se déployer l'action sociale des individus. Se conditionnant mutuellement, ces
deux éléments forment système" (183).
Les mécanismes d'intégration de l'organisation comme système d'action ont
tendance à se stabiliser et à se reproduire grâce a des processus d'auto-entretien
(188). Et c'est une logique "d'ordre affectif et culturel qui, en dernière analyse,
fonde l'autonomie du phénomène organisationnel en tant que processus
d'intégration des conduites humaines" (189-190). C'est donc sur cette logique que
doivent reposer les stratégies de ceux des acteurs qui entendent entretenir
l'intégration de l'organisation, en assurant la coopération nécessaire à la réalisation
de ses objectifs.
En somme, un système d'action concret comprend des acteurs (individus ou
groupes), qui déploient des stratégies organisées par des jeux dont les règles sont
relativement stables et qui sont elles-mêmes conditionnées par des capacités
propres à chaque acteur (individuel ou collectif). Nous nous trouvons donc face à
un système composé de trois éléments fondamentaux et interdépendants: les
stratégies des acteurs, les règles des jeux (la structure) et la culture comme capacité.
Au sein de ce système, qui est censé répondre aux attentes de chacun de ses
membres, certains acteurs se trouvent, de par leur position et de par leurs
ressources, a même de contrôler ce système, et d'en orienter l'évolution, s'ils
connaissent les modalités de fonctionnement des systèmes d'action concrets qui
"incarnent une bonne partie du 'contrôle social' exercé au sein du système social"
(Crozier, Friedberg: 252).
En quoi cette manière de voir les choses se distingue-t-elle de la "théorie
sociologique de l'entreprise" qui se construit aujourd'hui?
L'ENTREPRISE COMME CULTURE.
Selon la nouvelle approche, la sociologie des organisations se heurte a la
contradiction interne du fonctionnalisme (Sainsaulieu, Segrestin: 1986: 347).
Contradiction que nos auteurs décrivent comme suit : "Comment les régulations
sociales et stratégiques qui fondent l'articulation entre règles et pouvoirs dans
l'entreprise peuvent-elles assurer tout à la fois la production d'un équilibre
nécessaire au fonctionnement, et la transformation de ces rapports stratégiques pour
assurer la créativité nécessaire au changement?" (Sainsaulieu, Segrestin: 1986:
347). Pour répondre à cette objection, Crozier et Friedberg rappelleraient sans
doute qu'il ne faut pas confondre "stratégie" avec "règle" et attireraient
probablement une nouvelle fois l'attention sur le rôle de la culture comme
6
capacité, en soulignant notamment ses dimensions contradictoires (Crozier,
Friedberg, 1977: 180-189 par exemple). Mais là n'est pas notre problème. Nous
cherchons plutôt à comprendre ce que les critiques de la sociologie des
organisations à la française entendent par "sociologie de l'entreprise".
Or, ceux-ci plaident pour "une analyse délibérément institutionnelle de
l'entreprise, qui fasse place non seulement à sa capacité à diffuser des règles, mais
aussi à sa propension à produire des valeurs, des modèles et des systèmes de
représentation" (Sainsaulieu, Segrestin: 1986: 348).
Outre cette dimension institutionnelle, sur laquelle nous reviendrons,
l'approche sociologique de l'entreprise comporte deux autres aspects, qui sont les
niveaux "identitaire" et "culturel". Considérons les successivement.
L'entreprise a une "fonction identitaire"; elle est une base de constitution du
"nous". S'il n'est pas nouveau que les entreprises forment "la base mobilisatrice de
processus identitaires", le discours dont elles font aujourd'hui l'objet serait différent
d'un retour au "vieux mythe de l'esprit-maison" (Sainsaulieu, Segrestin: 1986: 340341). Mythique, l'esprit-maison ne l'a pourtant jamais été que si on l'assimile a un
"culturalisme communautaire" (Sainsaulieu, Segrestin: 1986: 343). En effet, si nous
examinons les politiques de gestion du personnel, il apparaît clairement que les
nombreuses formes d'identité actuellement produites par les entreprises (images de
marque, indices de performance, lutte pour l'emploi, technologie de pointe,
renommée locale, participation, expression, formation, modifications de
l'organisation du travail) trouvent leur équivalent dans de nombreuses industries,
localement depuis le début de ce siècle et plus généralement depuis les années
1930.
En revanche, ce qui paraît nouveau, c'est que ces politiques reprennent
actuellement des formes plus individualisées que celles qu'elles avaient prises au fil
des ans et surtout depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. En d'autres termes,
la promotion de l'esprit maison, comme identité collective, accompagne
l'individualisation des dispositifs d'intégration. En ce sens, les politiques de gestion
de la main-d'oeuvre suivent une évolution du même type que les politiques
salariales et les modalités de l'organisation de la négociation collective.
Mais la question de l'identité soulève des problèmes plus généraux. On peut
en particulier se demander si le fait que les gestionnaires pensent l'entreprise
comme une institution qui serait plus que jamais productrice d'identités collectives
suffit pour que la sociologie décide qu'elle l'est réellement. Car, en somme, quand
Sainsaulieu et Segrestin nous disent que "l'entreprise devient en soi un univers
social fort précieux pour notre époque" ou qu'elle "devient un enjeu de société,
7
porteur d'un potentiel de reconnaissance et de redéfinition des identités collectives"
(Sainsaulieu, Segrestin: 1986: 341), que font-ils d'autre que reproduire le discours
que les dirigeants d'entreprise portent sur leur institution? Et ce alors que, comme
ils le rappellent eux-mêmes. "la réalité du travail et des rapports organisés observés
dans les grandes entreprises et les PME est évidemment fort éloignée de ce discours
et toutes les enquêtes empiriques montrent à l'évidence que le conflit social, la
bureaucratie et le taylorisme, voire même le paternalisme et les féodalités
professionnelles sont toujours bien en place" (Sainsaulieu, Segrestin: 1986: 338).
Selon eux, la culture de l'entreprise, comme culture autonome et comme
élément de régulation de l'entreprise, s'imposerait comme deuxième objet de
recherche. Se pose alors le problème de sa spécificité, comme le reconnaissent
Sainsaulieu et Segrestin. Selon ces auteurs, il existe trois manières principales,
toutes discutables, de situer la spécificité de la culture d'entreprise dans l'analyse
des relations de travail.
La première consiste à supposer que tout se joue au niveau des "groupes
élémentaires". Dans cette optique, la culture de l'entreprise n'est que l'agrégation
des cultures de base. La deuxième tendance soutient que les niveaux de la réalité
culturelle dans l'organisation sont autonomes et susceptibles d'une analyse du même
type. La culture d'entreprise ne prendrait alors son sens qu'articulée aux niveaux
inférieurs (petits groupes) et supérieurs (société). Enfin la troisième tendance
considère que la culture d'entreprise et la culture des groupes élémentaires
constituent deux pôles "de la production culturelle en organisation" (346). Le
premier pôle serait celui des processus d'interdépendance entre acteurs et des
rapports avec l'environnement, alors que le second serait celui de la sociabilité et de
l'identité. Cette troisième approche aurait l'avantage d'obliger l'analyste à se référer
"non seulement aux règles et valeurs qui régissent les relations des groupes sociaux
entre eux, mais aussi aux rapports que ces groupes entretiennent avec le projet de
l'entreprise" (Sainsaulieu,Segrestin, 1986: 346).
Cela signifie probablement que c'est à l'échelon de la culture d'entreprise
que se jouent les questions d'organisation des relations entre les acteurs qui la
composent ainsi que les relations entre l'entreprise et son environnement (entendu
ici comme la "société") et que c'est à l'échelon inférieur des groupes élémentaires
que se construisent la sociabilité et l'identité des acteurs (conçus en tant que
groupes). L'actualité de Management and the Worker, apparaît ici une nouvelle
fois. En effet, que retrouve-t-on comme caractéristiques, comme fonctions de
l'entreprise, sinon les deux fonctions décrites par le groupe de Harvard: fournir des
biens et des services à son environnement et satisfaire ses
8
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