Les prestations de Mme Cantate - STA HealthCare Communications

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Tribune d’éthique
MeMichel T. Giroux
Un cas difficile?
Tout médecin se trouve un jour confronté à une situation difficile dans laquelle il devra
prendre position. MeMichel T. Giroux, avocat spécialisé en bioéthique, vous propose
d’éclaircir, aux termes de la loi et suivant l’éthique, certains cas dont vous nous
ferez part, afin d’en faire profiter vos collègues de la profession médicale.
Faites-nous parvenir vos cas d’éthique par télécopieur au (514) 695-8554,
ou téléphonez-nous au (514) 695-7623 et demandez Isabelle Gagnon ou Sylvie Lahaie.
Les prestations de Mme Cantate
Le Dr Clinicos visite régulièrement les résidents
d’un centre d’accueil. Cette activité professionnelle
lui est très agréable, notamment parce qu’il tient en
haute estime le personnel de l’établissement, qui
travaille à en faire un milieu de vie sain et agréable.
Le centre héberge une vingtaine de personnes
âgées. Comme c’est souvent le cas dans les milieux
d’hébergement, la plupart des pensionnaires sont
atteints de troubles cognitifs.
La patiente dont il est question ici, Mme Cantate,
est une dame de 80 ans atteinte d’une maladie
d’Alzheimer à composante vasculaire probable, étant
donné la détérioration de ses facultés intellectuelles.
Elle souffre aussi d’un diabète actuellement bien
contrôlé par la médication. Cette ancienne brillante
artiste d’opéra a toujours manifesté une forte
propension pour les sentiments exacerbés, parti-
culièrement ceux qui s’expriment par des scènes dra-
matiques; ses deux filles confirment sans hésiter l’au-
thenticité de ce trait de caractère chez leur mère.
L’évaluation médicale qui a précédé l’hébergement
de Mme Cantate au centre d’accueil a constaté la
présence d’un trouble anxieux comportant vraisem-
blablement des états de panique; ce trouble se greffe
au tempérament déjà particulier de la résidente.
Souvent, Mme Cantate devient très désorientée,
ce qui la rend anxieuse, alors qu’elle cherche et
cherche... un lieu? une personne? un public? ce qui
adviendra d’elle? Une attention personnalisée ra-
mène rapidement son sourire; le fait d’avoir un pu-
blic lui remet en voix ses anciens succès. L’effet est
cependant de courte durée, et Mme Cantate solli-
cite continuellement le personnel. Celui-ci en est
venu à tolérer difficilement l’expression souvent
théâtrale de ses demandes et, malgré une motiva-
tion indéfectible, il ne peut continuellement se per-
mettre des rapports «un à un». On aimerait bien
que Mme Cantate reste tranquille deux minutes,
MeMichel T. Giroux est avocat
et docteur en philosophie.
Il enseigne la philosophie au
Campus Notre-Dame-de-Foy et
la bioéthique à des étudiants de
deuxième cycle en médecine à
l’Université Laval, Québec.
Consultant en bioéthique,
il est conseiller en éthique au
FRSQ et directeur de l’Institut de
consultation et de recherche en
éthique et en droit (ICRED).
surtout la nuit! Quant aux enfants de la résidente,
leur demande est claire : «Faites n’importe quoi
pour que nous n’ayons plus à faire face à cette ex-
pression tourmentée qu’a notre mère lorsqu’elle
semble chercher quelque chose.»
Dans sa discussion avec le personnel pour identi-
fier les comportements de la résidente, le
Dr Clinicos relève en priorité les appels et l’errance
nocturnes que ne peut assumer l’infirmière qui
assume seule la surveillance. Les interventions
choisies jusqu’à présent — une présence apaisante
ou une forte dose de benzodiazépines — ne sont pas
d’une efficacité optimale. Dans le premier cas, la
disponibilité ne peut être constante; dans le cas du
recours aux benzodiazépines, la chute que laisse alors
appréhender la démarche chancelante de la patiente
justifierait une immobilisation au fauteuil ou au lit.
Quelle devrait être la conduite du Dr Clinicos?
Discussion
Aspect clinique. Le personnel du centre d’accueil
éprouve des difficultés à recevoir certains compor-
tements de Mme Cantate et à offrir à la patiente
une réponse toujours attentive et personnalisée. À
la longue, les sollicitations constantes pour obtenir
l’attention d’un membre du personnel et la vitalité
nocturne de Mme Cantate risquent d’épuiser
même les meilleures volontés. Les enfants de la
patiente sont plutôt préoccupés par l’expression
tourmentée parfois observable chez leur mère et par
l’anxiété qu’elle éprouve vraisemblablement lors-
qu’elle semble chercher.
Les interrogations cliniques soulevées par ce cas
se rapportent à un concept que l’on désigne par
l’appellation «comportement perturbateur». Cette
appellation est bien connue dans les milieux de
soins de longue durée; par contre, la nature des
réalités cliniques qu’elle désigne demeure, à ce jour,
mystérieuse et complexe.
La mission confiée aux milieux de soins de longue
durée depuis quelques années leur impose de dis-
penser des soins psychiatriques. Or, il se révèle très
difficile pour plusieurs milieux de soins de longue
durée de s’adapter à ce mandat, puisque la culture
gériatrique ne correspond pas à la culture psychia-
trique. La gestion des divers types de comportements
n’a certainement pas fini de préoccuper les profes-
sionnels qui œuvrent en soins de longue durée.
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Voyons comment une étude récente définit les
comportements perturbateurs :
«L’appellation “comportements perturbateurs
désigne une grande variété de conduites agressives,
dysfonctionnelles ou déviantes; les attitudes et les
gestes qualifiés de perturbateurs ont pour effet de
compromettre la qualité du milieu de vie et de
nuire à la dispensation adéquate des soins. Les
comportements perturbateurs ne constituent pas
une maladie en eux-mêmes; ils sont plutôt l’expres-
sion d’une maladie ou d’une tension.
Les comportements perturbateurs prennent
l’une des trois formes suivantes : un comportement
agressif verbal et/ou physique, un comportement
non agressif verbal, un comportement non agressif
physique. Concrètement, les comportements per-
turbateurs les plus fréquemment observés sont
l’agressivité verbale, les cris, les gestes répétitifs, les
demandes persévérantes, l’errance, l’appropriation
de l’espace d’autrui, les conduites physiquement
agressives, les injures, les répétitions de phrases ou
de questions, les plaintes récurrentes, les sons, les
grognements et les pleurs plaintifs.»1
D’après cette définition, certains comportements
de Mme Cantate peuvent être qualifiés de perturba-
teurs : les demandes répétitives et persévérantes, la
quête incessante d’une attention exclusive et l’acti-
vité nocturne. Ces comportements sont perturba-
teurs parce qu’ils induisent du désordre, une irrégu-
larité dans le milieu de vie. Ainsi, il est impossible
pour le personnel de maintenir un rapport de un à
un avec Mme Cantate sans diminuer les interven-
tions auprès des autres résidents qui ont besoin de
soins et d’attention. Les demandes répétitives et
incessantes de Mme Cantate peuvent être consi-
dérées comme des comportements perturbateurs
parce qu’elles font obstacle à l’accomplissement de
ses tâches par le personnel et qu’elles provoquent
chez lui une lassitude compréhensible.
La description du cas mentionne le recours aux
benzodiazépines, dont l’effet est de nécessiter une
immobilisation au fauteuil ou au lit pour éliminer
les risques consécutifs à leur emploi. Cet aspect de
la situation nous place dans la nécessité de clarifier
le concept de la contention :
«Définie au sens large et courant, à la fois d’après
sa finalité et ses moyens, une contention est l’immo-
bilisation totale ou partielle d’une personne par
divers moyens environnementaux, physiques ou chi-
miques. La contention peut aussi avoir pour finalité
l’atténuation de certains comportements inadaptés.
La contention environnementale consiste en un
aménagement des lieux fréquentés par le résident,
par exemple l’installation d’une demi-porte ou de
barrières psychologiques.
La contention physique est obtenue par un équi-
pement attaché ou adjacent au corps du malade.
Cet équipement limite les mouvements du patient
ou le maintient dans une position déterminée. Le
fauteuil gériatrique, les côtés de lits, les attaches ou
les bandes fixées aux membres, la ceinture abdo-
minale et le gilet thoracique en sont des exemples.
La contention chimique est obtenue par le recours
à des substances pharmacologiques. Les substances
utilisées sont des sédatifs, des anxiolytiques, des tran-
quillisants majeurs, etc.»1
La forte dose de benzodiazépines ayant pour but
de contrecarrer les activités nocturnes de la patiente
est une forme de contention. L’immobilisation de la
patiente au fauteuil ou au lit constitue, elle aussi, de
la contention. Dans notre cas, l’un des effets de la
contention chimique est de nécessiter l’application
de la contention physique. Cette situation n’est pas
singulière, car il arrive fréquemment que l’adminis-
tration d’une forte dose de médicaments produise
un affaissement du patient, d’où la nécessité de pro-
téger celui-ci par une contention supplémentaire.
Outre un affaissement et un risque de chute plus
élevé,2la contention chimique peut entraîner, entre
autres effets indésirés, un ralentissement de la fonc-
tion intellectuelle, une augmentation de la dépen-
dance et une privation sensorielle.
La finalité supposée justifier le recours aux deux
formes de contention appliquées à Mme Cantate
paraît se rapporter essentiellement à l’organisation
du milieu plutôt qu’au bien-être de la patiente.
Aspect juridique. À l’évidence, la maladie dont
souffre Mme Cantate en fait une personne inapte.
Cependant, rien dans l’état ou la conduite de la
patiente n’autorise à penser que son état mental
présente un danger quelconque pour elle-même ou
pour autrui. En conséquence, il n’y a pas lieu d’exa-
miner ici les dispositions légales concernant les per-
sonnes dont l’état mental présente ce danger.
Puisque Mme Cantate n’est pas représentée par
un mandataire ou un curateur, les décisions la con-
cernant ont constamment été prises par ses enfants;
cette pratique peut être continuée, car elle est con-
forme à l’article 15 du Code civil (C.c.).
Même si elle est inapte, Mme Cantate continue
d’être une personne et de bénéficier des garanties
juridiques fondamentales quant à ses droits et li-
bertés. La Charte des droits et libertés de la personne
contient diverses dispositions susceptibles de s’ap-
pliquer plus particulièrement à la situation de la
patiente. Par exemple, son article 1 énonce les
droits à la sûreté et à l’intégrité; de plus, il reconnaît
à tout être humain la personnalité juridique :
«Tout être humain a droit à la vie, ainsi qu’à la
sûreté, à l’intégrité et à la liberté de sa personne. Il
possède également la personnalité juridique.»
Chaque intervention se rapportant à la santé ap-
partient à la catégorie des soins au sens du C.c., ce
qui inclut les interventions dont Mme Cantate
pourrait être l’objet au centre d’accueil. L’encadre-
ment destiné à la résidente et les médications pres-
crites font partie des soins. Les règles du C.c. con-
cernant les soins s’appliquent donc à la situation de
Mme Cantate.
Suivant les articles 10 et 11 C.c., la dispensation
des soins suppose un consentement libre et éclairé
provenant du patient ou de la personne qui détient
le consentement substitué.
Lorsque l’équipe soignante doit intervenir à pro-
pos de comportements perturbateurs , elle peut être
tentée de soumettre la personne concernée à des
soins ayant pour objectif la tranquillité du milieu
plutôt que le bien-être de la personne. Dans l’hy-
pothèse improbable où la personne concernée est
apte, cette personne peut consentir aux soins, alors
même que la finalité de ces soins est d’assurer la
tranquillité du milieu. Dans l’hypothèse plus
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probable où la personne concernée est inapte, cette
personne ne peut consentir aux soins. Il revient
donc au détenteur du consentement substitué de
consentir pour elle.
Or, suivant l’article 12 C.c., celui qui consent à
des soins pour autrui ou qui les refuse a le devoir de
ne considérer que l’intérêt de la personne pour
laquelle il exprime une volonté. Par ailleurs, le
détenteur du consentement substitué doit s’assurer
du caractère bénéfique des soins pour le patient,
malgré la gravité et la permanence de certains effets
indésirés :
«Celui qui consent à des soins pour autrui ou
qui les refuse est tenu d’agir dans le seul intérêt de
cette personne en tenant compte, dans la mesure
du possible, des volontés que cette dernière a pu
manifester.
S’il exprime un consentement, il doit s’assurer
que les soins seront bénéfiques, malgré la gravité et
la permanence de certains de leurs effets, qu’ils sont
opportuns dans les circonstances et que les risques
présentés ne sont pas hors de proportion avec le
bienfait qu’on en espère.»
La double contention dont Mme Cantate fait
l’objet respecte-t-elle les conditions de légalité po-
sées par l’article 12 C.c.? Puisque l’objectif pour-
suivi ici par la contention est de favoriser la tran-
quillité du milieu et que la personne qui détient le
consentement substitué ne doit agir que dans l’in-
térêt exclusif du patient, la légalité du consente-
ment donné à la contention est douteuse à ce
titre. De plus, le caractère bénéfique de la double
contention appliquée à Mme Cantate est loin
d’être démontré. Plus particulièrement, la néces-
sité de recourir à une contention physique pour
limiter les risques de la contention chimique
révèle certains effets indésirés de la contention
chimique.
Les enfants de Mme Cantate ont exprimé une
inquiétude en demandant à l’équipe soignante de
faire n’importe quoi pour ne plus avoir à observer
l’expression tourmentée que prend parfois le visage
de leur mère. En fait, l’équipe soignante doit pren-
dre les moyens scientifiquement valides pour dimi-
nuer, à défaut d’éliminer, la souffrance de la pa-
tiente. Toutefois, on ne pourrait pas traiter la
patiente en ayant comme unique objectif de provo-
quer chez elle un état qui serait tolérable pour ses
enfants.
Deux dispositions du Code de déontologie rap-
pellent que le médecin n’est pas autorisé à agir con-
trairement à l’intérêt de son patient et que les
ordonnances doivent être justitifées par des motifs
médicaux. Suivant l’article 2.03.21, «Le médecin
ne doit fournir un soin ou donner une ordonnance
de médicaments ou de traitement que si ceux-ci
sont médicalement nécessaires.» L’article 2.03.23
énonce que «Le médecin doit refuser sa collabora-
tion ou sa participation à tout acte médical qui irait
à l’encontre de l’intérêt du patient.»
Aspect éthique. Tout comme le droit reconnaît à
la patiente le statut juridique de personne, la mo-
rale reconnaît en Mme Cantate la présence d’une
personne humaine qui doit être traitée dans le
respect de sa dignité. Cette position de principe ne
pose aucun empêchement à la nécessité de tenir
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