1 Cardiopathies congénitales : doutes et incertitudes Laurent Fermont (cardiopédiatre-Paris) Au début des années 1980, sous l’impulsion du professeur Jean Kachaner, cardiopédiatre à Paris (hôpital Necker-Enfants Malades) , l’activité partout nommée « échocardiographie fœtale » consistant à examiner les cœurs des fœtus au moyen des techniques ultrasonores dévolue au diagnostic prénatal est devenue la « cardiologie prénatale » : une technique s’est ainsi transformée en spécialisation médicale à part entière, englobant tous les éléments techniques , expérimentaux, l’acquisition et la diffusion des connaissances, les recherches fondamentales et appliquées dans le but d’optimiser la prise en charge des patients « cardiaques congénitaux » et la mise en œuvre la plus efficace possible de leurs traitements (1). Doutes pour les médecins : le diagnostic prénatal des cardiopathies est-il utile et nécessaire ? L’essor de la médecine ultrasonore a conduit à aborder directement et de façon non invasive le fœtus et d’étudier son comportement dans des conditions normales et dans le cadre de pathologies générales ou de l’un de ses organes...dont le cœur jusque-là uniquement et indirectement étudié au moyen de l’auscultation du cœur fœtale utilisée depuis 1822(2) et accueillie par les « autorités » comme un amusement sans avenir. Les échographistes ont rencontré un scepticisme équivalent. En fait, la première utilité des examens systématiques des cœurs des fœtus n’a pas concerné les fœtus eux-mêmes. En fait, les mères déjà été confrontées à un antécédent de cardiopathie grave et complexe ont été les premières à en percevoir l’avantage. De de tels examens ont pu les rassurer quant à l’absence de récidive et éclairer la perspective de grossesses suivantes. Il suffit d’observer l’accélération immédiate des cœurs des fœtus à l’annonce de l’absence de récidive pour immédiatement s’en convaincre. Le patient est ici bien particulier pour des cardiopédiatres qui ont pour formation et pour action de traiter les enfants cardiaques. En effet, dans le domaine de la cardiologie prénatale, la prise en charge est forcément ubiquitaire puisque le patient est le fœtus tandis que les explications et le discours médical s’adressent à la mère et au père et par leur intermédiaire à toute une famille. Bien des polémiques ont occupé pendant des années le devant de la scène. On mettait en doute la possibilité de pouvoir détecter les cardiopathies sur une large échelle par l’échographie d’autant que l’accès aux fœtus dépendait et dépend toujours de personnels non spécialisés tandis que les « sachants cardiopédiatres » étaient éloignés de ce type de patients (ils en étaient d’ailleurs souvent volontairement maintenus éloignés). Surtout, dans bien des cas, on craignait de s’orienter vers la mise en place d’un « système » dont le but serait de « sélectionner » des patients selon un critère défini, en l’occurrence la présence d’une malformation cardiaque. On ne peut dire que cette crainte était infondée si l’on se rapproche des évolutions intervenues dans d’autres domaines de la médecine foetale où les tendances eugéniques se sont affinées...personnalisées... puisqu’on en est à réfléchir sur les tendances eugéniques individuelles lors des diagnostics préimplantatoires, et à développer un eugénisme médical collectif et élargi en ciblant une population spécifique tels que la population des enfants trisomiques. 2 Le concept de la cardiologie prénatale a en fin de compte été accepté par la communauté cardiopédiatrique. La crainte initialement prédominante de voir se multiplier une extension inconsidérée des interruptions de grossesse pour toutes les cardiopathies congénitales, suivant mécaniquement l’option de parents et les modes sociétales s’est révélée infondée. Les familles conservent un droit de regard sur l’ensemble du dossier et leurs avis sont bienvenus et discutés suivant en cela le cadre juridique du Code de la Santé Publique. En parallèle, les médecins qui participent à l’activité des Centres pluridisciplinaires de Médecine Fœtale conservent fort heureusement la liberté de pouvoir accepter ou refuser d’interrompre une grossesse à partir du moment où la pathologie discutée leur semble être susceptible de pouvoir être traitée efficacement au moment et dans le lieu où le dossier est discuté. Un mode de fonctionnement basé sur l’explication, la transparence, la confiance, l’acquisition permanente et la diffusion des connaissances a enclenché un système basé sur une collaboration efficace entre d’une part cardiopédiatres, échographistes, obstétriciens et d’autre part les parents (3). Un conflit de droit est toujours possible. Il est le plus souvent géré par l’orientation des parents vers un autre cardiopédiatre voire vers un autre groupe médical, qui conserve sa propre autonomie de décision et son propre libre-arbitre. Il a fallu démontrer que la pratique du diagnostic prénatal des cardiopathies serait en fin de compte positive, pour les fœtus, pour leurs familles et pour leurs environnements sociaux et médicaux. Il a fallu démontrer que les efforts mettant en jeu des actions médicales et un investissement de la part des organismes payeurs en valaient la peine. Le premier diagnostic prénatal d’une cardiopathie congénitale émane d’une équipe obstétricale française (4). En rapportant le diagnostic échographique d’un « syndrome d’Ivemark », J.P. Aubry et R. Henrion ont ouvert le champ du dépistage in utero des cardiopathies congénitales. Peu de temps après, en 1983, De Geeter et Nisand (5) de Strasbourg ont démontré à propos d’un cas de tératome intrapéricardique que le diagnostic prénatal permettait d’avoir un temps d’avance sur l’urgence circulatoire néonatale désormais prévue. Ils ont ouvert la voie de l’efficacité thérapeutique. Quinze ans plus tard, le bien-fondé de la cardiologie prénatale était encore discuté tant dans ses objectifs que dans sa faisabilité (6, 7,8). C’est en 1999, soit vingt ans après le premier diagnostic de Henrion et Aubry que le tournant a été décisif. Cette véritable révolution en matière de diagnostic prénatal a été acquise par le travail de Bonnet et Coltri (9) à l’occasion d’une étude restée mémorable et présentée dans une publication à ce jour l’un des articles dans le cadre de la médecine fœtale. A partir de des années 2000, les études épidémiologiques collaboratives des registres européens (10,11) et les rapports de l’INSERM (12) ont définitivement établi la cardiologie prénatale. Trente années de travaux et de discussions ont en définitive été nécessaires pour obtenir la reconnaissance du droit des fœtus à avoir un accès à l’examen cardiologique...avec tout ce que cela représente comme efforts et comme nuits d’insomnie pour les médecins qui s’en sont faits les porte-paroles... Implication du diagnostic prénatal des cardiopathies. 3 La demande des familles et des obstétriciens confrontés à un diagnostic prénatal des cardiopathies congénitales se résumait à une question centrale : le pronostic est-il bon ? Est-il mauvais ? En fait, le pronostic des cardiopathies n’est pas « blanc » ou « noir ». La mort inéluctable est une occurrence rare même en cas de cardiopathie complexe. Dans ces cas, les adaptations circulatoires spontanées ou chirurgicales peuvent maintenir la vie parfois pendant plusieurs années et souvent dans des conditions satisfaisantes pour peu que les conditions anatomiques soient appropriées. Des cardiopathies complexes sont compatibles avec une survie et une croissance avant la naissance : les fœtus vivent et l’adaptation circulatoire est satisfaisante dans la grande majorité des cas. Ils naissent vivants et sont viables mais les conditions anatomiques sont incompatibles avec une réparation chirurgicale anatomique dite « biventriculaire ». Les interventions disponibles ont pour but de corriger les déséquilibres physiologiques néonataux en maintenant des anomalies anatomiques structurales souvent majeures. Elles sont dites « palliatives » ce qui sous- entend l’incertitude pronostique à moyen et long terme (au-delà de dix années) en terme de survie, de qualité de vie et de la survenue de complications, la probabilité d’interventions multiples, la nécessité de traitements médicaux prolongés et souvent astreignants. Il faut ainsi bien comprendre que cardiopathie complexe signifie que la cardiopathie ne sera pas anatomiquement réparable mais ne signifie pas que le nouveau-né va certainement mourir peu de temps après la naissance. L’usage montre que cette nuance est de compréhension difficile pour des parents déjà déstabilisés par l’annonce souvent tardive d’une malformation...et pourtant de là découle bien souvent l’option des parents en terme de décision d’interruption de grossesse ou d’ « accompagnement » néonatal. Des cardiopathies réparables par la chirurgie sont bien tolérées avant la naissance mais risquent de se manifester par un déséquilibre hémodynamique aigu après la naissance. La menace survient parfois dès la salle de travail, d’autres fois la dégradation survient plus ou moins brutalement lors de l’hospitalisation néonatale en maternité, ou ailleurs, après la sortie de maternité alors que le nouveau-né est pris en charge par ses parents au domicile. On conçoit le désarroi de familles nullement préparées à la perspective d’une menace vitale survenant parfois de nuit et nécessitant l’appel aux services d’urgence et le transfert vers une unité hospitalière souvent distante de l’environnement familial. Les questions concernent alors la prévisibilité de la malformation, de la dégradation clinique et l’adéquation des moyens mis en œuvre. Des malformations syndromiques ou chromosomiques ont été méconnues et une cardiopathie aurait pu constituer un signe d’appel vers l’indication d’examens complémentaires prénataux, un caryotype notamment. La cardiopathie est le plus souvent spontanément viable et cette viabilité de même que l’indication d’interventions chirurgicales de difficultés variables accentuent encore la colère face à des défauts considérés comme des manquements à des obligations. En définitive, la cardiologie est un exemple de la difficulté de gestion des dossiers en médecine fœtale. La représentation particulière du coeur, comme la face ou les membres accentue les difficultés. Une décision rapide d’interruption de grossesse peut laisser des blessures pendant toute la vie future de la mère. Les blessures seront d’autant plus longues à cicatriser que des possibilités chirur- 4 gicales efficaces sont disponibles même si la cardiopathie n’est pas curable au sens strict de ce terme. L’attitude est d’orienter dans ces cas vers la poursuite de la grossesse, même si le diagnostic intervient tôt, au cours du premier trimestre De toute façon, la meilleure protection provient du fait que les parents ont conscience de la force de la décision qui leur est confiée. Le diagnostic prénatal exclut la fatalité et l’injustice. En fait, avant et après la naissance, on vit le fait que les parents sont prêts à défendre leurs enfants pour peu que les médecins leur expose, assurément, honnêtement et complètement les faits. Eloigner le doute et exposer les faits sont les conséquences de l’approfondissement des connaissances. Le travail médical et la connaissance de l’histoire naturelle des cardiopathies sauvent les vies. Les hésitations et les imprécisions tuent... Bibliographie 1 Fermont L, Kachaner J, Neveux JY Vers une cardiologie prénatale p 183-194 In Le diagnostic prénatal Mattei JF, Dumez Y Dion Ed 1986 2 Le Jumeau de Kergaradec JA "Mémoire sur l'auscultation appliquée à l'étude de la grossesse" Séance de l’académie de médecine : 1822 3 Fermont L, DeGeeter B, Aubry MC, Bessis R, Kachaner J, Sidi D A close collaboration between obstetricians and pediatric cardiologists allaws antenatal detection of severe cardiac malformations by 2D echocardiography Proceedings of 2d World Congress of Pediatric Cardiology New York 1985 108 4 Henrion R, Aubry JP. Malformation cardiaque chez un fœtus diagnostiquée par examen ultrasonore : un cas de syndrome d’Ivemark. Contrib. Gynecol. Obstet. 1979;6:119 -22. 5 De Geeter B, Kretz JG, Nisand I, Eisenmann B, Kieny MT, Kieny R. Intrapericardial teratoma in a newborn infant: use of fetal echocardiography. Ann Thorac Surg. 1983;35:664-666. 6 Buskens E, Steyerberg EW, Agterberg G, Wladimiroff JW, Passchier J Routine prenatal screening for congenital heart disease: what can be expected? A decision-analytic approach. Am J Public Health 1997: 87; 962-967 7 Wladimiroff JW, Hess J. Efficacy of routine fetal ultrasound screening for congenital heart disease in normal pregnancy. Circulation. 1996;94:67-72. 8 Copel JA, Tan AS, Kleinman CS. Does a prenatal diagnosis of congenital heart disease alter shortterm outcome? Ultrasound Obstet Gynecol 1997;10: 237 9 Bonnet D, Coltri A, Butera G, Fermont L, Le Bidois J, Kachaner J, Sidi D. Detection of transposition of the great arteries in fetuses reduces neonatal morbidity and mortality. Circulation 1999; 99: 916– 918. 10 Tegnander E, Williams W, Johansen OJ, Blaas HG, Eik-Nes SH. Prenatal detection of heart defects in a non-selected population of 30,149 fetuses--detection rates and outcome.Ultrasound Obstet Gynecol. 2006;27:252-65 11 Garne E, Loane M, Dolk H, De Vigan C, Scarano G, Tucker D, Stoll C, Gener B, Pierini A, Nelen V, Rösch C, Gillerot Y, Feijoo M, Tincheva R, Queisser-Luft A, Addor MC, Mosquera C, Gatt M, Barisic I. 5 EUROCAT Working Group. Prenatal diagnosis of severe structural congenital malformations in Europe. Ultrasound Obstet Gynecol. 12 Khoshnood B, De Vigan C, Vodovar V, Goujard J, Lhomme A, Bonnet D, Goffinet F. Trends in prenatal diagnosis, pregnancy termination, and perinatal mortality of newborns with congenital heart disease in France, 1983-2000: a population-based evaluation Paediatrics 2005;115:95-101