Le Prophète de l`islam en images. Un sujet tabou

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Book Reviews / Comptes rendus
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Ishmael in order to illustrate how biblical figures are used as political tools. The last
chapter, ‘‘The Sacrifice of Isaac and Ishmael,’’ studies how this sacrifice is understood
and interpreted in the three religions. They all stress Abraham’s willingness to obey
God’s command, but at the same time call this order into question. In the Jewish and
in the Christian traditions, the identity of the son to be sacrificed is clearly Isaac; in the
Muslim tradition, there is a discussion: in the beginning Isaac was seen as the son of the
sacrifice, later it was, rather, Ishmael.
There are presently several books and studies on the topic of Abraham as the father of all
three religions. Among them Bakhos’ book is exceptional and of a high standard. It is not
easy for the same person to be qualified in biblical studies and in the traditions of Judaism,
Christianity and Islam. She is well informed, and balanced without favouring one above the
other. She shows convincingly how the interpretations of common texts recast Abraham and
his family in order to accommodate philological, theological, but also political concerns.
One can question Bakhos on some readings of the biblical text. She says that Abraham
in Gn 12 ‘‘is summoned from Ur of the Chaldeans to leave his father’s house . . . ’’ (p. 56;
see also p. 52). However, it was Terah, Abraham’s father, who decided to bring his family out of Ur of the Chaldeans to go to Canaan, but on arrival in Haran settled there (Gn
11:31). Therefore God, in Gn 12:1, called Abraham to leave Haran and not Ur, which he
had left already. Commenting on Gn 24, she writes: ‘‘He orders his oldest servant, Eliezer, to find a suitable wife for Isaac’’ (p. 64). It would be preferable to write ‘‘probably
Eliezer’’ or not give the name at all, since the biblical text does not specify the identity of
the servant even if it may indeed be him. She writes: ‘‘The apocryphal . . . work Wisdom
of Jesus ben Sira . . . ’’ (p. 64); she might have better written in such a book on the three
religions: ‘‘The apocryphal/deutero-canonical . . . ’’. These are just a few examples of
how one could question her on some details, but they do not diminish in any way the
value of her fine study, which I highly recommend.
One problem with the book is the use of endnotes rather than footnotes. These notes
comprise a good portion of the book, but turning continually from the text to the notes is
frustrating, and will limit the reader’s engagement with valuable notes. There is one
index, containing technical terms and names. In such a book, a separate index of biblical
and Qur’an references would be useful.
Walter Vogels
Saint-Paul University and
Dominican University College, Ottawa
Le Prophète de l’islam en images. Un sujet tabou ?
François Bœspflug
Paris : Bayard, 2013. 188 p.
François Bœspflug, historien des religions, poursuit ici une réflexion abordée à plusieurs
reprises au fil des ans, et à laquelle se trouvent liées la question de la représentation du
sacré et celles du culte des images, de l’interdit et de l’iconoclasme. Initiée probablement
dans le cadre de la codirection du collectif Nice´e II, 787–1987. Douze siècles d’images
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religieuses (1987), cette réflexion se poursuit dans une imposante monographie sur Dieu
et ses images. Une histoire de l’E´ternel dans l’art (2008), puis dans un ouvrage de taille
plus modeste, Le Dieu des peintres et des sculpteurs. L’invisible incarne´ (2010). En
2006, François Bœspflug publiait aussi Caricaturer Dieu ? Pouvoirs et dangers de
l’image (2006), un essai plus directement en lien avec la question de la représentation
du prophète Muhammad.
De manière générale, l’auteur aborde, dans l’ensemble de ces écrits, les questions du
culte, de la représentation et de l’interdit, en tenant compte, simultanément, du
judaı̈sme, du christianisme et de l’islam, et en constituant un parcours chronologique
abrégé, par le biais duquel il situe ces trois traditions religieuses en directe continuité.
Ce parcours linéaire et l’accent mis sur les textes comme point de repère par rapport
aux images permettent à l’auteur d’axer l’ensemble de son argumentation sur l’idée
que l’interdit de figuration, dans l’islam, émane du Décalogue, sans pourtant y être
reconduit. En outre, l’auteur aborde, toujours dans l’ensemble de ces écrits, la question
de la représentation « de Dieu » (identifié comme sujet principal dans les titres de 2006,
2008 et 2010) d’un point de vue théologique et chrétien, ce qui pose problème, du
moins en l’occurrence, puisque, en regard du judaı̈sme et de l’islam, la représentation
de Dieu est hors propos (nonobstant quelques rares cas dans le judaı̈sme). À ce sujet,
notons le titre de l’ouvrage de 2006 (Caricaturer Dieu), qui ne peut que surprendre,
puisque la question posée est celle de la représentation, ou la caricature, du prophète
de l’islam, et non celle de Dieu.
Le Prophète de l’islam en images. Un sujet tabou ?, paru en 2013, reprend l’essentiel
d’un article paru la même année (« Le prophète de l’islam serait-il irreprésentable ? », Revue
des sciences religieuses 87, 2 : 139–159), article auquel l’auteur ajoute une section où il
réunit et commente vingt illustrations du prophète Muhammad provenant de corpus variés.
Le livre se divise en trois chapitres, précédés d’une introduction (7–14) sur laquelle je
reviendrai. Le chapitre 1, intitulé « La place du Décalogue dans le Coran et les
Hadiths », présente un historique dont les premiers épisodes mettent en scène la
parole de Dieu – qui réclame un culte exclusif (17), ne tolère aucun rival (18), déclare
n’avoir besoin de rien (19) et prévient qu’il a les statues en horreur (20) –, l’auteur
rappelant ainsi que l’interdit, à l’origine, porte précisément sur les images cultuelles
(20) plutôt que sur la figuration. L’éclairage sur l’histoire est ensuite déplacé pour
porter sur les humains, soit sur leur réception de la parole de Dieu et la façon dont
ils sont susceptibles de transgresser l’interdit, par le biais de la figuration de scènes
bibliques, dans le judaı̈sme, et du ou des prophètes, dans l’islam. Ainsi, « . . . une
grande diversité d’interprétations [ . . . ] explique que l’interdiction des images a été
selon les temps et les lieux plus ou moins stricte dans sa compréhension, son extension et ses domaines d’application, sans jamais être absolue » (21). Ce déplacement
du sujet de l’histoire reconstituée par l’auteur, de Dieu aux humains et de l’image
cultuelle à la représentation, cette dernière étant selon lui « destinée à jouer un rôle
dans la transmission des connaissances », ou « n’ayant de rapport nécessaire qu’avec
le plaisir de l’intellect et de la délectation esthétique » (21), pose le problème à savoir
quelles sont les fonctions que l’auteur concède aux œuvres d’art, tandis qu’il donne
pour origine à la figuration dans l’islam le texte du Décalogue et ses éventuelles
répercussions dans le Coran et les Hadiths.
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Le chapitre 2, intitulé « Le prophète et son image », se déploie en trois parties où se
fondent : (a) une histoire des différentes dynasties de l’islam (50–54), (b) une histoire de
la représentation figurative dans l’islam (51–54), de la représentation de Muhammad
(51–52) ou celle de figures humaines et animales (53), et (c) une présentation de l’iconographie de Muhammad et des modalités de sa représentation, dans le cadre de récits
bibliques et historiques (54–56). Dans la dernière section de ce chapitre (56–59), l’auteur
traite plus précisément de l’iconographie de Muhammad, en identifiant quelques manuscrits et traditions artistiques. Ce faisant, il récapitule essentiellement les écrits des
auteurs ayant traité de ces questions, sans pour autant évoquer leurs noms dans le corps
de son texte, puis il renvoie aux illustrations qui accompagnent son ouvrage.
Dans le chapitre 3, intitulé « L’islam et les images, aujourd’hui et demain » (69–76),
l’auteur esquisse une évolution de la représentation de Muhammad, puis pose les conditions actuelles et futures de sa réception à la lumière des propos d’auteurs tels Mohammad Ali Amir-Moezzi et Malek Chebel. Cette section est suivie du cahier photos des
vingt illustrations (77–145), accompagnées chacune d’un descriptif d’une à deux pages
et d’une mise en contexte historique de l’épisode représenté. Enfin, une conclusion intitulée « Une question et sa réponse » (139–145) récapitule les conditions de représentation du prophète Muhammad, du point de vue juridique, historique, iconographique et
théorique. Le livre comprend un appareil de notes de 23 pages (147–169), suivi d’une
bibliographie de douze pages (171–182).
En définitive, même si l’on peut déplorer, avec François Bœspflug, l’ignorance
actuelle qui donne à croire qu’il n’existe pas de représentations du prophète Muhammad,
ou que celles-ci auraient été interdites dans le Coran, on peut regretter que l’auteur ne
signale que dans ses notes les études déjà publiées dans le domaine, notamment celle
de Silvia Naëf, qui traite de manière étayée de la question de l’interdit de représentation
dans l’islam, chiite autant que sunnite, dans Y a-t-il une « question de l’image » en islam ?
paru en 2004, plusieurs titres sur le Mi‘raj du prophète Muhammad publiés par
Christiane Gruber depuis 2004, ou le collectif sur Le prophète Muhammad : entre
le mot et l’image paru en 2011. À ce sujet, on peut s’étonner de ce que Bœspflug
affirme, dans son introduction, qu’il n’existe, dans aucune langue européenne, un
ouvrage de référence sur Mahomet dans l’art, sujet qui selon lui n’aurait été traité
que dans « des articles savantissimes publiés en langue anglaise ou allemande dans
des revues que seuls les spécialistes consultent » (9–10) ; une section bibliographique sous ce titre (179–182) témoigne déjà du contraire.
De manière générale, on peut regretter un flou artistique concernant plusieurs aspects :
le lieu où l’auteur situe sa parole, en tant que non-spécialiste qui rédige un ouvrage non
spécialisé sur un sujet ayant été traité par des spécialistes dont les titres ne sont évoqués
que dans les notes ; l’objet, sinon le point d’ancrage de son ouvrage (Dieu ? La représentation ? De qui ?) ; le genre de figuration dont il est question (BD, caricatures ou illustrations de manuscrits savants) ; la conjoncture de production de ces images (dont les époques
et les lieux ne sont évoqués que de manière furtive). En fait, ce dont rêve l’auteur, c’est un
grand livre, une sorte de « légende dorée » (60), qui comprendrait, « à l’aide de toutes ces
miniatures, persanes, ottomanes ou indiennes, une véritable ‘Vie du Prophète en images’
tant sont nombreuses les scènes qui le représentent, y compris dans certaines scènes qui
paraissent relever de sa vie privée, et qui permettent non seulement de retracer les
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dernières phases de sa vie [ . . . ], mais aussi de le représenter au paradis ou le plus souvent
sur le seuil du paradis » (61).
En somme, c’est peut-être le prototype de Muhammad que François Bœspflug voudrait ressusciter, de la même manière qu’il conçoit l’histoire de la représentation de Dieu
et des prophètes bibliques à partir du personnage de Dieu lui-même et de sa parole, alors
que les modalités de représentation du prophète Muhammad, dans plusieurs des corpus
d’images évoquées dans son livre, répondent à des enjeux ponctuels, complexes et multiples, dont plusieurs auteurs ont traité efficacement. Leurs écrits se voient déclassés ici,
en quelque sorte, au profit de la nécessité d’un ouvrage vulgarisateur : « L’ampleur de la
désinformation réclame plus que quelques articles savants dispersés dans des revues universitaires, et mieux qu’une BD, fût-elle ou se voulût-elle ‘très sérieuse’ . . . » (8). Plus
précisément, on peut regretter l’absence, dans l’ouvrage, du nom de Robert Hillenbrand
et l’absence d’une référence, entre autres, à l’article de Priscilla Soucek de 1975 consacré
au manuscrit d’al-Birūnı̄ sur Les vestiges des siècles passe´s (manuscrit qui réunit
quelques-unes des plus anciennes représentations de Muhammad encore connues de nos
jours), alors que les écrits de Hillenbrand et Soucek sur le sujet sont essentiels. Cela dit,
le livre de François Bœspflug a le mérite de poser des questions importantes au sujet de
la figuration du prophète Muhammad ; il offre aussi un accès à de nombreuses images et
à diverses informations sur ce sujet.
Olga Hazan
Universite´ du Que´bec à Montre´al
Empire of Religion : Imperialism and Comparative Religion
David Chidester
Chicago, IL : University of Chicago Press, 2014. 377 p.
L’auteur est professeur d’histoire des religions (religious studies) et directeur de l’Institute for Comparative Religion in Southern Africa à l’université du Cap. Chidester jouit
d’une réputation des plus enviables au sein de la discipline. Il a publié une vingtaine
d’ouvrages, dont son Savage Systems (1996) – le livre s’est mérité un prestigieux prix.
L’objectif de sa dernière mouture est pour le moins ambitieux, il propose « a counterhistory of the academic study of religion, an alternative to standard accounts » (xi).
En substance, il analyse les relations entre l’émergence des sciences des religions en
Angleterre et la colonisation de l’Afrique du sud durant la seconde moitié du dix-neuvième
siècle. Selon lui, les « imperial theorists », les Max Müller, E.B. Tylor, Andrew Lang et
James Frazer, « depended upon the raw materials provided by colonial middlemen
who in turn depended upon indigenous informants . . . who were undergoing colonization ». En fait, l’auteur présente une « interpretative analysis of imperial comparative religion » (il utilise aussi l’expression « material history » pour parler,
semble-t-il, de la même chose). L’approche de Chidester n’est pas sans rappeler celle
d’Edward Saı̈d à l’endroit de l’orientalisme. Les orientalistes étaient souvent, dans la
perspective de Saı̈d, des agents servant la cause des empires coloniaux. La production du savoir était donc biaisée par le regard colonial. Dans la plus pure tradition
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