Book Reviews / Comptes rendus 107 Ishmael in order to illustrate how biblical figures are used as political tools. The last chapter, ‘‘The Sacrifice of Isaac and Ishmael,’’ studies how this sacrifice is understood and interpreted in the three religions. They all stress Abraham’s willingness to obey God’s command, but at the same time call this order into question. In the Jewish and in the Christian traditions, the identity of the son to be sacrificed is clearly Isaac; in the Muslim tradition, there is a discussion: in the beginning Isaac was seen as the son of the sacrifice, later it was, rather, Ishmael. There are presently several books and studies on the topic of Abraham as the father of all three religions. Among them Bakhos’ book is exceptional and of a high standard. It is not easy for the same person to be qualified in biblical studies and in the traditions of Judaism, Christianity and Islam. She is well informed, and balanced without favouring one above the other. She shows convincingly how the interpretations of common texts recast Abraham and his family in order to accommodate philological, theological, but also political concerns. One can question Bakhos on some readings of the biblical text. She says that Abraham in Gn 12 ‘‘is summoned from Ur of the Chaldeans to leave his father’s house . . . ’’ (p. 56; see also p. 52). However, it was Terah, Abraham’s father, who decided to bring his family out of Ur of the Chaldeans to go to Canaan, but on arrival in Haran settled there (Gn 11:31). Therefore God, in Gn 12:1, called Abraham to leave Haran and not Ur, which he had left already. Commenting on Gn 24, she writes: ‘‘He orders his oldest servant, Eliezer, to find a suitable wife for Isaac’’ (p. 64). It would be preferable to write ‘‘probably Eliezer’’ or not give the name at all, since the biblical text does not specify the identity of the servant even if it may indeed be him. She writes: ‘‘The apocryphal . . . work Wisdom of Jesus ben Sira . . . ’’ (p. 64); she might have better written in such a book on the three religions: ‘‘The apocryphal/deutero-canonical . . . ’’. These are just a few examples of how one could question her on some details, but they do not diminish in any way the value of her fine study, which I highly recommend. One problem with the book is the use of endnotes rather than footnotes. These notes comprise a good portion of the book, but turning continually from the text to the notes is frustrating, and will limit the reader’s engagement with valuable notes. There is one index, containing technical terms and names. In such a book, a separate index of biblical and Qur’an references would be useful. Walter Vogels Saint-Paul University and Dominican University College, Ottawa Le Prophète de l’islam en images. Un sujet tabou ? François Bœspflug Paris : Bayard, 2013. 188 p. François Bœspflug, historien des religions, poursuit ici une réflexion abordée à plusieurs reprises au fil des ans, et à laquelle se trouvent liées la question de la représentation du sacré et celles du culte des images, de l’interdit et de l’iconoclasme. Initiée probablement dans le cadre de la codirection du collectif Nice´e II, 787–1987. Douze siècles d’images 107 108 Studies in Religion / Sciences Religieuses 44(1) religieuses (1987), cette réflexion se poursuit dans une imposante monographie sur Dieu et ses images. Une histoire de l’E´ternel dans l’art (2008), puis dans un ouvrage de taille plus modeste, Le Dieu des peintres et des sculpteurs. L’invisible incarne´ (2010). En 2006, François Bœspflug publiait aussi Caricaturer Dieu ? Pouvoirs et dangers de l’image (2006), un essai plus directement en lien avec la question de la représentation du prophète Muhammad. De manière générale, l’auteur aborde, dans l’ensemble de ces écrits, les questions du culte, de la représentation et de l’interdit, en tenant compte, simultanément, du judaı̈sme, du christianisme et de l’islam, et en constituant un parcours chronologique abrégé, par le biais duquel il situe ces trois traditions religieuses en directe continuité. Ce parcours linéaire et l’accent mis sur les textes comme point de repère par rapport aux images permettent à l’auteur d’axer l’ensemble de son argumentation sur l’idée que l’interdit de figuration, dans l’islam, émane du Décalogue, sans pourtant y être reconduit. En outre, l’auteur aborde, toujours dans l’ensemble de ces écrits, la question de la représentation « de Dieu » (identifié comme sujet principal dans les titres de 2006, 2008 et 2010) d’un point de vue théologique et chrétien, ce qui pose problème, du moins en l’occurrence, puisque, en regard du judaı̈sme et de l’islam, la représentation de Dieu est hors propos (nonobstant quelques rares cas dans le judaı̈sme). À ce sujet, notons le titre de l’ouvrage de 2006 (Caricaturer Dieu), qui ne peut que surprendre, puisque la question posée est celle de la représentation, ou la caricature, du prophète de l’islam, et non celle de Dieu. Le Prophète de l’islam en images. Un sujet tabou ?, paru en 2013, reprend l’essentiel d’un article paru la même année (« Le prophète de l’islam serait-il irreprésentable ? », Revue des sciences religieuses 87, 2 : 139–159), article auquel l’auteur ajoute une section où il réunit et commente vingt illustrations du prophète Muhammad provenant de corpus variés. Le livre se divise en trois chapitres, précédés d’une introduction (7–14) sur laquelle je reviendrai. Le chapitre 1, intitulé « La place du Décalogue dans le Coran et les Hadiths », présente un historique dont les premiers épisodes mettent en scène la parole de Dieu – qui réclame un culte exclusif (17), ne tolère aucun rival (18), déclare n’avoir besoin de rien (19) et prévient qu’il a les statues en horreur (20) –, l’auteur rappelant ainsi que l’interdit, à l’origine, porte précisément sur les images cultuelles (20) plutôt que sur la figuration. L’éclairage sur l’histoire est ensuite déplacé pour porter sur les humains, soit sur leur réception de la parole de Dieu et la façon dont ils sont susceptibles de transgresser l’interdit, par le biais de la figuration de scènes bibliques, dans le judaı̈sme, et du ou des prophètes, dans l’islam. Ainsi, « . . . une grande diversité d’interprétations [ . . . ] explique que l’interdiction des images a été selon les temps et les lieux plus ou moins stricte dans sa compréhension, son extension et ses domaines d’application, sans jamais être absolue » (21). Ce déplacement du sujet de l’histoire reconstituée par l’auteur, de Dieu aux humains et de l’image cultuelle à la représentation, cette dernière étant selon lui « destinée à jouer un rôle dans la transmission des connaissances », ou « n’ayant de rapport nécessaire qu’avec le plaisir de l’intellect et de la délectation esthétique » (21), pose le problème à savoir quelles sont les fonctions que l’auteur concède aux œuvres d’art, tandis qu’il donne pour origine à la figuration dans l’islam le texte du Décalogue et ses éventuelles répercussions dans le Coran et les Hadiths. 108 Book Reviews / Comptes rendus 109 Le chapitre 2, intitulé « Le prophète et son image », se déploie en trois parties où se fondent : (a) une histoire des différentes dynasties de l’islam (50–54), (b) une histoire de la représentation figurative dans l’islam (51–54), de la représentation de Muhammad (51–52) ou celle de figures humaines et animales (53), et (c) une présentation de l’iconographie de Muhammad et des modalités de sa représentation, dans le cadre de récits bibliques et historiques (54–56). Dans la dernière section de ce chapitre (56–59), l’auteur traite plus précisément de l’iconographie de Muhammad, en identifiant quelques manuscrits et traditions artistiques. Ce faisant, il récapitule essentiellement les écrits des auteurs ayant traité de ces questions, sans pour autant évoquer leurs noms dans le corps de son texte, puis il renvoie aux illustrations qui accompagnent son ouvrage. Dans le chapitre 3, intitulé « L’islam et les images, aujourd’hui et demain » (69–76), l’auteur esquisse une évolution de la représentation de Muhammad, puis pose les conditions actuelles et futures de sa réception à la lumière des propos d’auteurs tels Mohammad Ali Amir-Moezzi et Malek Chebel. Cette section est suivie du cahier photos des vingt illustrations (77–145), accompagnées chacune d’un descriptif d’une à deux pages et d’une mise en contexte historique de l’épisode représenté. Enfin, une conclusion intitulée « Une question et sa réponse » (139–145) récapitule les conditions de représentation du prophète Muhammad, du point de vue juridique, historique, iconographique et théorique. Le livre comprend un appareil de notes de 23 pages (147–169), suivi d’une bibliographie de douze pages (171–182). En définitive, même si l’on peut déplorer, avec François Bœspflug, l’ignorance actuelle qui donne à croire qu’il n’existe pas de représentations du prophète Muhammad, ou que celles-ci auraient été interdites dans le Coran, on peut regretter que l’auteur ne signale que dans ses notes les études déjà publiées dans le domaine, notamment celle de Silvia Naëf, qui traite de manière étayée de la question de l’interdit de représentation dans l’islam, chiite autant que sunnite, dans Y a-t-il une « question de l’image » en islam ? paru en 2004, plusieurs titres sur le Mi‘raj du prophète Muhammad publiés par Christiane Gruber depuis 2004, ou le collectif sur Le prophète Muhammad : entre le mot et l’image paru en 2011. À ce sujet, on peut s’étonner de ce que Bœspflug affirme, dans son introduction, qu’il n’existe, dans aucune langue européenne, un ouvrage de référence sur Mahomet dans l’art, sujet qui selon lui n’aurait été traité que dans « des articles savantissimes publiés en langue anglaise ou allemande dans des revues que seuls les spécialistes consultent » (9–10) ; une section bibliographique sous ce titre (179–182) témoigne déjà du contraire. De manière générale, on peut regretter un flou artistique concernant plusieurs aspects : le lieu où l’auteur situe sa parole, en tant que non-spécialiste qui rédige un ouvrage non spécialisé sur un sujet ayant été traité par des spécialistes dont les titres ne sont évoqués que dans les notes ; l’objet, sinon le point d’ancrage de son ouvrage (Dieu ? La représentation ? De qui ?) ; le genre de figuration dont il est question (BD, caricatures ou illustrations de manuscrits savants) ; la conjoncture de production de ces images (dont les époques et les lieux ne sont évoqués que de manière furtive). En fait, ce dont rêve l’auteur, c’est un grand livre, une sorte de « légende dorée » (60), qui comprendrait, « à l’aide de toutes ces miniatures, persanes, ottomanes ou indiennes, une véritable ‘Vie du Prophète en images’ tant sont nombreuses les scènes qui le représentent, y compris dans certaines scènes qui paraissent relever de sa vie privée, et qui permettent non seulement de retracer les 109 110 Studies in Religion / Sciences Religieuses 44(1) dernières phases de sa vie [ . . . ], mais aussi de le représenter au paradis ou le plus souvent sur le seuil du paradis » (61). En somme, c’est peut-être le prototype de Muhammad que François Bœspflug voudrait ressusciter, de la même manière qu’il conçoit l’histoire de la représentation de Dieu et des prophètes bibliques à partir du personnage de Dieu lui-même et de sa parole, alors que les modalités de représentation du prophète Muhammad, dans plusieurs des corpus d’images évoquées dans son livre, répondent à des enjeux ponctuels, complexes et multiples, dont plusieurs auteurs ont traité efficacement. Leurs écrits se voient déclassés ici, en quelque sorte, au profit de la nécessité d’un ouvrage vulgarisateur : « L’ampleur de la désinformation réclame plus que quelques articles savants dispersés dans des revues universitaires, et mieux qu’une BD, fût-elle ou se voulût-elle ‘très sérieuse’ . . . » (8). Plus précisément, on peut regretter l’absence, dans l’ouvrage, du nom de Robert Hillenbrand et l’absence d’une référence, entre autres, à l’article de Priscilla Soucek de 1975 consacré au manuscrit d’al-Birūnı̄ sur Les vestiges des siècles passe´s (manuscrit qui réunit quelques-unes des plus anciennes représentations de Muhammad encore connues de nos jours), alors que les écrits de Hillenbrand et Soucek sur le sujet sont essentiels. Cela dit, le livre de François Bœspflug a le mérite de poser des questions importantes au sujet de la figuration du prophète Muhammad ; il offre aussi un accès à de nombreuses images et à diverses informations sur ce sujet. Olga Hazan Universite´ du Que´bec à Montre´al Empire of Religion : Imperialism and Comparative Religion David Chidester Chicago, IL : University of Chicago Press, 2014. 377 p. L’auteur est professeur d’histoire des religions (religious studies) et directeur de l’Institute for Comparative Religion in Southern Africa à l’université du Cap. Chidester jouit d’une réputation des plus enviables au sein de la discipline. Il a publié une vingtaine d’ouvrages, dont son Savage Systems (1996) – le livre s’est mérité un prestigieux prix. L’objectif de sa dernière mouture est pour le moins ambitieux, il propose « a counterhistory of the academic study of religion, an alternative to standard accounts » (xi). En substance, il analyse les relations entre l’émergence des sciences des religions en Angleterre et la colonisation de l’Afrique du sud durant la seconde moitié du dix-neuvième siècle. Selon lui, les « imperial theorists », les Max Müller, E.B. Tylor, Andrew Lang et James Frazer, « depended upon the raw materials provided by colonial middlemen who in turn depended upon indigenous informants . . . who were undergoing colonization ». En fait, l’auteur présente une « interpretative analysis of imperial comparative religion » (il utilise aussi l’expression « material history » pour parler, semble-t-il, de la même chose). L’approche de Chidester n’est pas sans rappeler celle d’Edward Saı̈d à l’endroit de l’orientalisme. Les orientalistes étaient souvent, dans la perspective de Saı̈d, des agents servant la cause des empires coloniaux. La production du savoir était donc biaisée par le regard colonial. Dans la plus pure tradition 110