LA CLINIQUE, HISTOIRE, THÉORIE, PRATIQUE
(x
la
science
infirmière
D)
Mais, maintenant, cette partie, auxiliaire, tend à se
détacher ; ses oeuvres, les examens scientifiques systé-
matiques approfondis deviennent auto-suffisants ; un
indice : la supériorité sociologique du spéci+te par
rapport au généraliste. A la limite, le malade disparaît
devant le
«
cas
»,
et même devant le schéma patholo-
gique.
-
Cela provoque une réaction, qui se marque
dans le
sens
moderne du mot
«
clinique
»,
surtout en
psychologie et dans les sciences humaines : volonté de
ne pas réduire l’homme à un objet d’expérimentation,
l’abstraction systématique n’étant pas une fin en soi ;
souci de reconnaître l’originalité, l’unicité de I’indivi-
du. Retour au réel. C’était déjà l’idée d’Aristote, philo-
sophe, certes, mais aussi médecin et biologiste,; ainsi
on peut lire dans le premier chapitre de sa Métaphysi-
que :
«
si on possède la notion sans l’expérience, et
que, connaissant l’universel, on ignore l’individuel qui
y est contenu, on commettra souvent des erreurs de
traitement, car ce qu’il faut guérir, c’est l’individu
».
Ce que l’on appelle aujourd’hui
«
clinique
»
répond à
ce principe aristotélicien ; ainsi, dans l’article déjà
cité, Monique FORMARIER résume les idées de
LACACHE
(1903.62) :
«
Toute démarche clinique vise
l’étude d’un cas en situation et en évolution
»
;
LA-
GACHE étend cette règle aux
u
sciences humaines
».
Mais cela soulève des problèmes théoriques
et
métho-
dologiques :
a) théoriques :
<<
si la clinique est l’étude approfondie d’un
cas, peut-on fonder une science sur la singularité
»
CRS/,
n’ 24,
p.
67) ; plus encore :
«
l’homme devient l’objet
d’une science dont il
est
lui-même le sujet
»
(p.
68) ;
b)
méthodologiques : comment
«
épuiser
»
un cas :
«
quand nousanalysonsdessituations, nous lessimplifions,
alors que le réel est composé d’une multitude de fac-
teurs non maîtrisables et non appréhendables. Le nom-
bre de variable est tellement important qu’il est difficile
de les séparer. De ce fait, les principes explicatifs pour
un même contenu peuvent être contradictoires
»
(p. 68).
De là les tentatives contemporaines d’éviter res fâ-
cheuses contradictions en construisant des instruments
d’analyse très fins et pénétrants. Prenons seulement
l’exemple du DSM Ill, exposé dans le
«
Manuel diag-
nostique et statistique des troubles mentaux
D,
publié
par l’Association psychiatrique américaine (voir Pierre
PICHOT, L’approche clinique en psychiatrie, p. 13
sq.) ; on veut s’en tenir à l’approche descriptive,
y.
athéorique
»
(opposée aux spéculations de la psychia-
trie allemande classique) ; mais on propose une stand-
ardisation des entretiens, une systématisation des ‘algo-
rithmes qui permettraient, évitant les contradictions, et
même les divergences, d’obtenir un diagnostic automa-
tique et objectif ; la clinique serait alors devenue par-
faitementscientifique,surmontantles aléas de I’intui-
tion Subjective.
Mais
~Peut-on
établir de tels canevas d’entretien
!
N’y
a-t-il vraiment aucune thèse a priori sous cette entre-
prise ?.D’autre part, HECHT rappelle à juste titre
(PICHOT, p. 15-17) :
«
Il faut au clinicien un certain
nombre de qualités innées qui peuvent bien se fortifier
et se développer, mais qui ne sauraient que difficile-
metit s’acquérir quand on ne les possède pas dans une
certaine mesure. C’est de ce point de vue que l’on a pu
dire~que
la clinique est à la fois une science et un art
[...I
La clinique est la médecine pratique qui puise ses
ressources dans chacune des branches médicales pour
les diriger vers son but spécial : l’étude de l’organisme
malade et son retour à l’état de santé
[...l
Elle étudie
non pas des maladies, mais des organismes malades
[...l
Elle doit apprécier les modifications que les diffé-
rences individuelles inhérentes à chaque organisme
impriment nécessairement à la maladie dont il est af-
fecté
»
; elle se distingue ainsi de la pathologie, science
théorique des maladies générales.
Le problème posé dès l’origine se retrouve aujour-
d’hui, : science ou art
3
ou plutôt : science et art.
«
II n’y
a de science que du général, de l’universel
»
(Aristote),
mais il
n’,y
a de réalité que de l’individuel, et la clinique
doit être la saisie du singulier. Pour pouvoir examiner
ce problème au fond, il faut d’abord rappeler les
concepts classiques appliqués à l’approche clinique.
2. BASE THÉORIQUE
a) Premier groupe de concepts, ordinairement rete-
nus
:~individualité,
totalité
1) INDIVIDUALITÉ : c’est le trait principal d’un être
vivant, qui dispose d’une pluralité de fonctions et d’or-
ganes, et qui marque cet ensemble d’un caractère sin-
gulier,
qu’i
lui est propre ; l’individu sedistinguedetous
les autres, au sein même d’une espèce commune
;
nous
savons maintenant que l’individualité a une base dans
le code génétique qui n’appartient qu’à un individu
déterminé. Cependant : a) cette individualité qui
comporte originalité et insécabilité ne s’arrête pas à la
limite du corps propre : aucun individu ne se suffit
entièrement à lui-même, il ne peut vivre qu’avec d’au-
tres,
dans~un
monde social et
un
univers cosmique
;
b)
l’individu, avec d’autres, appartient à une espèce : il y
a donc, des caractères communs, plus ou moins nom-
breux:et
essentiels.
2) UNICITÉ (singularité) : distinct des autres, l’individu
tend à se considérer comme unique au monde ; en