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3.2.6
Quelques réflexions fondées sur l’expérience de la Fédération
Internationale des Ligues des Droits de l’Homme
Antoine BERNARD, Directeur exécutif de le FIDH
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,
Je voudrais vous faire partager quelques interrogations fondée sur notre expérience d’ONG internationale de
défense des droits de l’Homme oeuvrant en soutien de ligues et associations nationales réparties dans les différentes régions.
1. SUR LE CONCEPT DE BONNE GOUVERNANCE
Nous sommes donc très interrogatifs sur le concept de bonne gouvernance. Quelle est sa portée juridique ?
Permet-il d’adresser la question cruciale de la responsabilité des « mauvais gouvernants »? Contribue-t-il au
renforcement des libertés fondamentales, comme les libertés d’expression, d’association,le droit à participer aux
affaires publiques ? Quoique le concept soit de plus en plus répandu, nos interrogations demeurent.
Bonne gouvernance et droit international des droits de l’Homme
La bonne gouvernance, fait référence aux termes d’Etat de droit, de transparence, de participation ... autant de
concepts fondamentaux qui ont leurs pendants en droit positif depuis des années : droit à l’indépendance du
pouvoir judiciaire, droit à la participation affaires publiques, libertés politiques etc., droits affirmés et garantis par
un système international. Pourquoi alors ne pas se référer au droit positif, aux normes en vigueur, plutôt qu’à un
concept essentiellement politique, et appliqué essentiellement à la sphère économique? Le premier ne vise-t-il
pas à garantir, de façon universelle et indivisible, les droits essentiels, qui touchent à l’intérêt général, la protection de l’ordre public au sens le plus large ? La bonne gouvernance reste une notion, dépourvue de valeur juridique,
aux contours vagues et dont on peut craindre qu’elle ne soit à géométrie variable, au gré des intérêts partisans
qui la manipulent ; dont on peut craindre in fine qu’elle ne serve d’alibi aux pouvoirs qui prétendent s’y engager,
pour minimiser, sinon renier les engagements juridiques souscrits par ailleurs.
Bonne gouvernance et responsabilités
Nous nous interrogeons également sur ce concept, son utilité, son effectivité, s’agissant de répondre à l’impératif
de responsabilité des acteurs de la mauvaise gouvernance. La bonne gouvernance vise la sécurité juridique et
doit servir par exemple le renforcement des systèmes judiciaires. Outre que cette dimension, pourtant intéressante, de la bonne gouvernance poursuit essentiellement un objectif économique (garantir la sécurité des investissements), on ne mesure pas en quoi la bonne gouvernance contribue effectivement à la garantie par exemple,
du droit à un procès équitable,y compris le droit à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Si, là encore, on relève
que le concept de bonne gouvernance et la norme du droit à une justice indépendante sont censés converger, on
n’en relève pas moins le risque que le droit cède face au concept. Or le premier relève de l’universel : garantir le
droit des victimes, toutes les victimes et justiciables, à un recours effectif.
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ACTES DE LA TABLE RONDE PRÉPARATOIRE N° 3 : LA BONNE GOUVERNANCE : OBJET ET CONDITION DU FINANCEMENT
Bonne gouvernance et participation
La bonne gouvernance doit contribuer à la réalisation du droit à la participation aux affaires publiques et des
libertés politiques fondamentales (expression, association...), autrement dit au respect des conditions de la
démocratie horizontale sans laquelle il n’y a pas de démocratie tout court, quelle qu’en soit la transposition à des
contextes donnés et particuliers. A cet égard aussi, nous nous interrogeons sur la pertinence et l’eefectivité du
concept, si l’on en juge par l’accroissement des violations de ces libertés fondamentales dans la moitié des Etats
du monde. C’est le cas en particulier en matière de liberté d’association (cf infra).
2. SUR LA CONDITIONNALITÉ
Nous restons par ailleurs très interrogatifs sur le concept de conditionnalité, en particulier si elle est utilisée
comme un outil de mise en œuvre de la bonne gouvernance
En effet son usage s’est trop souvent caractérisé par la sélectivité, et par des effets dévastateurs pour les populations censées en être bénéficiaires. L’expérience a trop souvent démontré que la finalité réelle de l’outil conditionnalité était bien éloigné de la finalité fondamentale qui devrait être la sienne, c’est à dire l’amélioration effective du sort des victimes de violation des droits.
Plutôt qu’à la conditionnalité, nous nous intéressons davantage à un autre outil qui est celui de la recherche des
engagements réciproques (dans toute la mesure du possible librement souscrits) et effectivement évalués. A cet
égard, les accords de coopération interétatiques, fondés sur l’engagement respectif des Parties au respect des
standards universels de protection des droits de l’Homme, nous paraîssent potentiellement davantage protecteurs. Encore faut-il que leur mise en oeuvre, comme celle de la bonne gouvernance, soit sérieusement évaluée,
et c’est à l’évidence dans ce domaine déterminants que les plus grands progrès restent à accomplir.
3. L’IMPÉRATIF D’ÉVALUATION
Quels qu’ils soient, les outils du changement ne peuvent prétendre y concourir que si leur impact est l’objet d’une
évaluation rigoureuse et objective. A cet égard, les conditions suivantes nous paraissent requises pour fonder la
crédibilité d’un mécanisme d’évaluation :
– Son indépendance et son apolitisme, comme outil fondamental d’objectivation, de crédibilité de l’exercice.
De ce point de vue, nous sommes extrêmement sceptiques, par principe, sur les mécanismes d’évaluation par
les pairs. On s’interroge actuellement sur le mécanisme du NEPAD, malgré les analyses que l’on peut voir ici et
là, et les évolutions. En effet, trop souvent, l’autoévaluation aboutit à l’auto absolution. C’est-à-dire, en fin de
compte, à l’irresponsabilité ou à l’impunité.
Les sources d’information
On sait que l’ensemble des mécanismes visant l’évaluation fonctionnent essentiellement grâce aux sources indépendantes non-étatiques. Nous sommes actuellement en train de coopérer avec certains des Etats qui sont
autour de cette table pour essayer d’aider leur adhésion progressive au système de la Cour pénale internationale.
On peut craindre que le procureur de la Cour pénale internationale ne fonctionne au bout du compte qu’avec des
sources indépendantes qui sont celles des ONG en l’occurrence et que le mécanisme de saisine par un Etat
soient extrêmement peu utilisé. C’est ce que montre l’expérience des systèmes régionaux de protection des
droits de l’Homme devant le Conseil de l’Europe et devant la commission interaméricaine des droits de l’homme.
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Procédures contradictoires, dialogue et publicité
Là aussi l’expérience, en particulier des procédures onusiennes, confirme l’importance du recours à des procédures contridictoires tant pour répondre à une exigence de principe que pour les vertus protectrices de telles
procédures. Le contradictoire est ainsi vecteur d’amélioration, dans la seule limite où le dialogue ne devient pas
une fin en soi, mais une étape dans un processus.Au surplus, tout système fermé sans étape périodique
d’évaluation publique « se mord la queue. ». La publicité crédibilise l’instance d’évaluation (transparence),
renforce le dialogue entrepris et, le cas échéant, facilité la bonne compréhension des mesures de sanction prises.
La critériologie et la fiabilité des indicateurs.
A nouveau ici, nous plaidons pour que les normes internationales soient systématiquement utilisées comme
instruments de mesure et d’évaluation. Je voudrais prendre un exemple : je parlais tout à l’heure du droit à la
participation, du rôle de la société civile, des ONG de défense des droits de l’Homme.Dans ce domaine, la liberté
d’association et d’expression est garantie en droit positif. Aux Nations Unies, les Etats ont adopté un régime de
la liberté de défense des droits humains localement et internationalement, le 9 décembre 1998 à l’Assemblée
générale. La Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme pose les obligations des Etats en matière de
garantie et de respect des libertés d’association et d’expression. Elle pose aussi le droit pour chacun de détenir,
de rechercher, d’obtenir, de recevoir des informations ; de les publier, de les communiquer librement y compris
à travers les médias, d’appeler l’attention du public sur ces questions ; d’utiliser les voies de recours, de porter
plainte, de se plaindre des politiques et de l’action des fonctionnaires de l’organe de l’Etat.
Toute la critériologie existe, universellement garantie.Il devrait s’agir du principal référentiel des mécanismes
d’évaluation touchant à ces domaines.
4. LA VOLONTÉ POLITIQUE
S’interroger sur la bonne gouvernance et la conditionnalité, au delà des questions conceptuelles et méthodologies, c’est enfin – ce devrait être d’abord – soulever la question de la volonté politique indispensable au
changement.
Pourquoi un nombre considérable d’Etats se proclamant de la bonne gouvernance sont-ils en train de restreindre,
aujourd’hui, le droit aux libertés d’association et d’expression sous des motifs parfois légitimes et en particulier
la lutte contre le terrorisme, mais en réalité détournés de leur objectif premier pour restreindre des libertés
aussifondamentales. Pourquoi, dans quatre vingts Etats officiellement soucieux de bonne gouvernance, la Déclaration de l’ONU sur les défenseurs des droits de l’Homme que j’évoquais plus tôt est-elle quotidiennement violée ?
Pourquoi le protocole additionnel portant création de la Cour pénale africaine a-t-il tant tardé à recueillir les
quinze ratifications nécessaires à son entrée en vigueur ?
Quand on sait l’importance du problème de l’impunité, parfaitement antinomique des objectifs de sécurité juridique
et de démocratisation, pourquoi le mécanisme du chapitre 5 de la Déclaration de Bamako adoptée par la Francophonie connaît il des problèmes de mise en œuvre aussi importants ?
On en revient toujours à la question de la volonté politique.
En conclusion, les concepts de bonne gouvernance et l’outil de la conditionnalité – ou des engagements réciproques – nous paraissent manquer encore de crédibilité et d’effectivité. Pour y remédier et témoigner de l’exis-
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tence de volontés politiques soucieuses de changement, les conditions suivantes, pour le moins, devraient être
réunies :
➣ viser prioritairement l’amélioration effective des individus et populations concernés, le respect concret de
leurs droits ;
➣ utiliser le référentiel normatif du droit international des droits de l’Homme, seul cadre universel et indivisible
➣ utiliser des mécanismes d’évaluation objectifs.
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