HER- et trastuzumab : un nouveau paradigme biologique et thérapeutique dans le cancer du sein HER-2 et trastuzumab : un nouveau paradigme biologique et thérapeutique dans le cancer du sein Pierre-Jean Lamy Laboratoire d’oncobiologie Centre Régional de Lutte contre le Cancer Val d’Aurelle-Paul Lamarque Montpellier. Résumé L’oncogène HER2/neu code pour une protéine transmembranaire douée d’une activité tyrosine kinase intrinsèque, la protéine HER2. Il intervient dans la cancérogenèse mammaire par amplification génique et/ou surexpression de son produit, la protéine HER2 devenant protéine oncogénique parce que surexprimée. La PCR quantitative représente une méthode simple et fiable pour l’évaluation de l’activation HER2. En routine, une méthode immunoenzymatique permet le dosage quantitatif de la protéine au niveau tissulaire et sérique. L’amplification et/ou la surexpression du gène est un facteur de mauvais pronostic dans le cancer du sein et serait, de plus, utile dans la prédiction de la réponse thérapeutique. HER2 prend une importance considérable en tant que cible thérapeutique potentielle dans le cadre d’une thérapie antitumorale spécifique, le trastuzumab. Cancer du sein / HER2 / Marqueurs tumoraux / Trastuzumab INTRODUCTION ðLe cancer du sein a longtemps été le seul cancer à bénéficier de marqueurs prédictifs de la réponse à un traitement adjuvant. En effet, les récepteurs hormonaux ont permis de définir une population de cancers du sein, les cancers dits hormono-dépendants, répondeurs à un traitement anti-hormonal. Facteurs prédictifs de la réponse au tamoxifène, le taux de récepteurs aux estrogènes et à la progestérone est devenu un paramètre incontournable de la pratique clinique. Mais ce paramètre fonctionne par défaut pour les cancers du sein non hormonodépendants, ne don- nant comme option thérapeutique que l’alternative non ciblée d’une chimiothérapie vis à vis de laquelle la tumeur est peut être résistante. La découverte d’un facteur pronostic péjoratif, proche du récepteur à l’Epidermal Growth Factor (EGF), HER2 palie à ce déficit d’information. Son hyperexpression est lié à une évolutivité agressive de la maladie mais aussi à Correspondance : Pierre-Jean Lamy - Laboratoire d’Oncobiologie - Centre Régional de Lutte contre le Cancer Val d’AurellePaul Lamarque - 34298 Montpellier Cedex 05 Tél. : 04 67 61 31 47 - Fax : 04 67 63 28 73 - email : [email protected] 46 Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2002 - vol.26 - n°1 P.J. Lamy l’efficacité d’une thérapeutique originale, le trastuzumab. Le rôle exact de HER2 se doit d’être encore précisé pour améliorer la prise en charge du cancer du sein. Un vaste champ de travail s’ouvre aussi aux biologistes pour standardiser le dosage de ce marqueur. Un dosage qui se devra d’être simple, rapide, reproductible et fournissant une information précise en relation avec les traitements associés, une condition sine qua non de son utilisation optimisée comme facteur pronostic et prédictif de la réponse au traitement. HER2 et anticorps anti HER2 se présentent ainsi comme un nouveau modèle en oncologie, comme le furent en leur temps les récepteurs hormonaux et le tamoxifène : un marqueur spécifique et une thérapeutique ciblée sur un type précis de tumeur. L’accès aux mécanismes moléculaires de l’action de HER2 devrait permettre de comprendre son rôle dans la tumorigenèse et d’affiner la réponse thérapeutique à mettre en place. Deux décennies après sa découverte, HER2 est en train de modifier le concept même de chimiothérapie et confirme l’importance des informations qu’apportent les marqueurs de sensibilité aux traitements. HER2 : un facteur de croissance cellulaire ðHER2 est le récepteur d’un facteur de croissance de la famille des récepteurs erbb tyrosine kinase[1]. Cette famille comporte 4 types de récepteurs : le récepteur de l’epidermal growth factor (erbb1 ou EGFr), erbb2 (HER2),erbb3 (HER3) et erbb4 (HER4). Ces récepteurs transmembranaires possèdent tous une activité tyrosine kinase dans leur partie intracytoplasmique. Le domaine extracellulaire forme la partie récepteur de liaison aux ligands, l’EGF et les neurégulines. Leur action intervient dans la croissance cellulaire normale aux différents stades du développement de la glande[2,3]. Le gène qui code pour la protéine HER2 est un proto-oncogène appelé c-erbb2 ou HER2/neu. Il est situé sur le chromosome 17q21. Il code pour la protéine HER2 de 185 kDa. Il existe 2 copies du gène par cellule mais son expression est variable d’un tissu à l’autre. Aucun ligand n’a encore été identifié pour HER2. HER2 existe sous forme d’hétérodimères avec un autre membre de la famille des récepteurs erbb tyrosine kinase[4]. Cette dimérisation nécessite l’action d’un ligand spécifique.Ainsi l’action de l’EGF conduira à la formation d’un hétérodimère HER1/HER2. La liaison des neurégulines spécifiques de HER3 et 4 formera des dimères HER3/HER2 ou HER4/ HER2. Ces dimères présentent une grande affinité au ligand dont le monomère autre que HER2 est spécifique. Cette liaison entraîne une émission très forte de signaux dans la cellule. HER2 se comporte comme un amplificateur des signaux de croissance cellulaire des récepteurs erbb. On comprend ainsi mieux son rôle dans la cancérogenèse par un mécanisme d’amplification de la croissance cellulaire [5]. mous, l’œsophage, la vessie, le rein, le pancréas, les glandes salivaires, et la thyroïde. Il a été montré une amplification ou une surexpression dans les lésions précancéreuses au niveau du sein (carcinomes in situ peu différenciés) ou du colon. L’amplification génique est toujours moins fréquente que l’hyperexpression et se situe entre 15 et 30% en fonction des cancers. Amplification et surexpression ne sont pas synonymes, bien que dans le cancer du sein les 2 phénomènes soient le plus souvent corrélés. 25 à 30 % des cancers du sein présentent une amplification et/ ou surexpression de HER2. Une élévation isolée de la protéine HER2 a des significations encore non élucidées et résulterait d’une dérégulation transcriptionnelle ou post transcriptionnelle. Il est à noter que quelle que soit la cause de l’hyper-expression, la protéine des cellules cancéreuses est analogue à la protéine des cellules normales, aucune mutation de HER2 n’ayant été encore décrite. CANCERS ET SUREXPRESSION DE HER2 ðDes études in vitro et in vivo ont démontré le rôle de HER2 dans la prolifération cellulaire, la transformation maligne de lignées en culture et la mobilité cellulaire intervenant dans le potentiel métastatique [6]. L’amplification et l’hyperexpression du gène sont en cause dans le processus de transformation cancéreuse. On parle d’amplification avec un nombre de copie du gène supérieur à 5 ou 10. Cette amplification entraîne une augmentation de la production d’ARNm et une synthèse accrue de HER2 protéine.A la surface des cellules, le nombre de HER2 est alors multiplié par 100 et la forme homodimérique HER2HER2 prédomine. Celle-ci induit une dérégulation du cycle cellulaire pouvant amener à la cancérisation de la cellule [7]. MÉTHODES DE DÉTECTION ET DE DOSAGE ðIl existe un grand nombre de méthodes de détection et de dosage de HER2. L’immunohistochimie sur coupe de tissu frais ou congelé ou inclus en paraffine et la technique ELISA dans le sérum ou le cytosol des tumeurs, permettent de détecter une surexpression de la protéine. Les techniques d’hybridation par f luorescence in situ (FISH) et le Southern blot ciblent l’amplification du gène. D’autres techniques comme la RT PCR permettent d’accéder à l’ARNm. Une positivité à l’un ou l’autre de ces tests ne recouvre pas forcément la même réalité clinique. Il y a un besoin de standardisation de la méthode de détermination du statut HER2. L’amplification et la surexpression de HER2 ont été retrouvées dans de nombreux cancers chez l’homme. Les localisations retrouvées sont le sein, les ovaires, l’endomètre, le col de l’utérus, les poumons, le colon, les tissus L’immunohistochimie couple la fixation d’anticorps spécifiques à une coloration pour distinguer les cellules carcinomateuses avec hyperexpression de HER2 des cellules sans hyperexpression (ces cellules présentent un taux faible de HER2 dé- Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2002 - vol.26 - n°1 47 HER- et trastuzumab : un nouveau paradigme biologique et thérapeutique dans le cancer du sein tecté par l’immunohistologie). Une forte coloration apparaît dans les cellules HER2+. Il est à noter qu’une technique trop sensible peut amener une coloration dans des cellules sans amplification et donner des faux positifs. L’autre problème de cette technique est que la coloration est peu stable dans le temps. Sa décroissance varie selon la nature et le temps de fixation, l’anticorps, le temps d’exposition, la durée de conservation. Les anticorps utilisés induisent aussi une variabilité des résultats obtenus [8]. La technique FISH, très sensible, cible par des sondes marquées antisens les régions de l’ADN spécifiques de HER2. Elle reste la technique de référence. Un anticorps fluorescent dirigé contre le marqueur de la sonde permet de visualiser la fixation de celleci. Cette technique peut être appliquée sur des cellules tumorales ou des métaphases et permet de quantifier l’amplification du gène et non l’expression de protéine HER2. Néanmoins sa réalisation est délicate et longue et ne permet de l’utiliser que comme technique complémentaire de confirmation [9]. Le test ELISA, simple et automatisable, est adaptable au cytosol tumoral ou au sérum. Dans le premier cas, la nature tumorale du tissu utilisé pour l’obtention du cytosol doit être absolument confirmée pour ne pas diminuer la sensibilité et la spécificité du dosage par "dilution" avec du tissu sain. Le dosage sérique permet de détecter un fragment de HER2 libéré par la tumeur [10]. Or il n’y a pas de corrélation entre l’expression de HER2 et la libération de fragment dans la circulation. Ceci explique les divergences observées entre l’immunohistochimie ou le FISH et les taux sériques de HER2. La quantification par PCR ou RT PCR de l’ADN ou des ARNm de HER2 pourrait devenir une méthode de substitution au FISH dont la sophistication l’éloigne des laboratoires de routine [11]. Les techniques de PCR quantitative en temps réel permettent d’accéder à l’amplification du gène de 48 façon automatisable, reproductible et rapide. La corrélation avec la technique FISH semble se confirmer. HER2 : une thérapeutique ciblée UN FACTEUR PRONOSTIC ET UN FACTEUR PRÉDICTIF de la réponse au traitement ðCompte tenu du nombre élevé de cancers HER2+ et du mauvais pronostic de ce marqueur, de nombreuses thérapeutiques ont été essayées dans des phases de développement précliniques. L’absence naturelle de ligand à HER2 a conduit à l’utilisation d’un certain type de molécules. ðLa positivité de HER2 est de mauvais pronostic dans les cancers et en particulier dans le cancer du sein. Ce qui a été démontré pour la première fois par Salmon et al en 1987[12]. D’autres études confirmèrent le résultat et la méta analyse de Ross et Fletcher[13] regroupant les résultats de 47 études incluant 15000 patientes montre que l’amplification HER2 est un paramètre indépendant des autres facteurs pronostics. Il signe un raccourcissement de la survie globale et de la survie sans échec. Le risque métastatique paraît aussi plus élevé chez les patientes sans atteinte ganglionnaire montrant une amplification de HER2. Néanmoins rien n’indique pour l’instant que cette augmentation du risque nécessite une thérapie anti-HER2 adjuvante. HER2 est aussi un facteur prédictif de la réponse au traitement. Dans le cas de l’hormonothérapie, il faut considérer les femmes HER2+ comme se rapprochant d’un phénotype récepteur estrogénique négatif. L’induction du gène HER2 permet en effet la possibilité d’une croissance cellulaire indépendante des estrogènes. Le tamoxifène semble par ailleurs être moins efficace chez les HER2 + [14]. En revanche les cancers HER2+ semblent plus sensibles à la chimiothérapie adjuvante. Le traitement par FAC (5fu, doxorubicine, cyclophosphamide), améliore la survie sans échec des patientes HER2 +. Celles-ci retrouvent même un pronostic comparable aux femmes HER2- [15]. Si des études à faible puissance statistique ont montré des résultats contraires, aucune n’a pu montrer de relation entre résistance aux antracyclines et positivité pour HER2. Des anticorps monoclonaux spécifiques de HER2 murins ou humains, des oligonucléotides antisens, des peptides inhibiteurs de la dimérisation et des composés inhibiteurs de l’activité tyrosine kinase, située au niveau intramembranaire de la protéine, ont été testés avec des réponses antitumorales variables. La méthode actuellement la plus avancée est basée sur le concept de l’inhibition d’HER2 par un anticorps monoclonal spécifique des régions hypervariables du site de liaison.. Le trastuzumab (ou rhumabHER2 dont la spécialité est commercialisée par les laboratoires Roche sous le nom d’Herceptin) est un anticorps monoclonal recombinant humain obtenu à partir d’un anticorps murin humanisé à 95 %. La caractéristique humaine de l’immunoglobuline permet d’augmenter la réponse immunitaire et d’éviter la synthèse d’auto-anticorps antisouris. Cet anticorps se lie spécifiquement au domaine extracellulaire de la protéine inhibant la prolifération de cellules exprimant HER2 [16]. Des modèles animaux ont montré le fort potentiel antitumoral de trastuzumab sur des tumeurs transfectées par HER2 [17]. L’anticorps permet aussi de potentialiser les chimiothérapies comme cela a été démontré avec le cisplatine, le méthotrexate, la doxorubicine ou le cyclophosphamide dans des modèles de cancer du sein. Les mécanismes d’action sont : - l’antagonisme de la transduction du signal de croissance cellulaire, - la stimulation de la dégradation du récepteur, Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2002 - vol.26 - n°1 P.J. Lamy - le recrutement et la stimulation de cellules cytotoxiques dépendantes des anticorps, - la diminution des facteurs angiogéniques. Les premières études sur des patientes métastatiques multitraitées ont montré un taux de réponse objective à l’Herceptin de 11.6 % et 26.7 % en association avec le cisplatine et ce, avec une relativement bonne tolérance en comparaison avec les effets indésirables des chimiothérapies habituelles. L’ensemble des essais de phase II et III a conduit à l’usage de Herceptin - en monothérapies chez les patientes métastatiques HER2+ en échec de 2 protocoles de chimiothérapie classique ayant inclus au moins une anthracycline et un taxane, - ou en association avec le paclitaxel pour les patientes non prétraitées et chez lesquelles les antracyclines sont inenvisageables. L’autorisation de mise sur le marché reste actuellement restreinte à ces indications mais des essais sont en cours pour déterminer les bénéfices d’une administration adjuvante d’Herceptin chez les patientes HER2+ non métastatiques avec atteinte ganglionnaire isolée. Les effets indésirables les plus fréquents sont la fièvre, les frissons, les douleurs musculaires, des syndromes grippaux et ceux liés à la chimiothérapie associée. Le traitement est donc bien toléré. En revanche, le produit présente une toxicité cardiaque qui se manifeste dans 5 % des cas (myocardiopathie, insuffisance cardiaque congestive, baisse de la fraction d’éjection supérieure à 10 %) et dont la gestion doit tenir compte des chimiothérapies aux antracyclines préalablement administrées. CONCLUSION ðLa découverte d’un proto-oncogène a rarement abouti à l’utilisation d’un test prédictif à la réponse d’un traitement ciblé sur le gène. C’est le cas avec HER2, facteur de mauvais pronostic du cancer du sein qui pourrait s’avérer devenir un élément de pronostic bénéfique si l’on considère qu’il ouvre la voie à une thérapeutique efficace. HER2 est un modèle pour l’étude des altérations d’autres oncogènes permettant de développer des outils tant diagnostics que thérapeutiques. Le développement d’anticorps anti-HER2 vecteurs de molécules cytotoxiques ou radioactives ou la mise au point d’anticorps bi-spécifiques anti-HER2/anti-cellules effectrices de l’immunité antitumorale est la prochaine étape dans l’obtention de thérapeutiques plus sélectives et plus efficaces. HER-2 and trastuzumab : new one biologic and therapeutic paradigm for breast cancer The HER2/neu oncogene codes for a membrane protein HER2 with a tyrosine kinase activity. It is involved in the development of breast cancer by amplification and/or overexpression of its product, the HER2 protein. The quantitative PCR represents a simple and reliable method for the evaluation of the activation of HER2. In practice, an immunoenzymatic assay allows the quantitative dosage of the protein level in tumor tissus or in plasma. The amplification and/or the overexpression of the gene is a bad prognostic factor for breast cancer and would be, furthermore, useful in the prediction of response to treatments. HER2 takes a considerable importance as a potential therapeutic target with a specific antitumoral therapy called trastuzumab. Breast cancer / HER2 / Tumors markers / Trastuzumab, Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2002 - vol.26 - n°1 49 HER- et trastuzumab : un nouveau paradigme biologique et thérapeutique dans le cancer du sein RÉFÉRENCES 1. Gullick WJ, Berger MS, Bennett PL, Rothbard JB, Waterfield MD. Expression of the c-erbb-2 protein in normal and transformed cells.Int J Cancer. 1987 ; 40(2):246-54. 8. 2. Carraway 3rd KL, Weber JL, Unger MJ et al. Neuregulin-2, a new ligand of erbb3/erbb4-réceptor tyrosine kinases. Nature 1997 ; 387 :512-6. 3. Schroeder W, Lee DC. Dynamic expression and activation of erbb receptors in the developing mouse mammary gland. Cell growth differ. 1998 ;9 :451-64. 4. Karunagaran D, Tzahar E, Beerli RR et al. Erbb-2 is a common auxiliary subunit of NDF and EGF receptors : implication for breast cancer. 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