Apport du Style Linguistique à la Modélisation Cognitive d

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Apport du Style Linguistique à la Modélisation Cognitive
d'un Elève.
M.P. Daniel* , L. Nicaud **, V. Prince* *, M.P. Péry-Woodley* * *
*IUT, Orsay, France, * *LIMSI, Orsay, France,***UMIST, Manchester, UK
Abstract. In the context of an intelligent tutoring system dedicated to definition control (these definitions had been already learnt by students from lectures),
this paper addresses more particularly the building of a cognitive profile, on
which a dialogue strategy between the system and the student will be based.
Among the elements involved in the cognitive profile building, we focus on the
information emerging from the linguistic form spontaneously adopted by the student, while giving his/her definition in unconstrained natural language. From two
studies on real collected corpora, this contribution draws conclusions aboutthe relevant clues that will allow the system to choose a strategy adapted to the student.
“Le style est l’homme même”
Buffon
1 Introduction
TEDDI (tuteur d'enseignement de définitions individualisé) est un tuteur intelligent dont
l'objectif pédagogique est le suivant : contrôler la qualité et le niveau d'acquisition de
concepts abstraits grâce à un dialogue adapté au profil cognitif de l’apprenant. Il s'agit pour
l'élève d'apprendre à définir des concepts de façon satisfaisante, c'est-à-dire contenant des
informations exactes, mais présentant aussi un bon niveau d'abstraction et de
généralisation. `
Ce tuteur traite de connaissances magistrales, de type définitions de cours, préalablement
enseignées en classe par un professeur. Il ne propose pas de situation de résolution de
problèmes, ni de véritable situation d'enseignement. Dans TEDDI, le modèle de l'élève est
un élément central. L'utilisation du langage naturel écrit non contraint en est une
caractéristique principale, puisque l'hypothèse de base est que l'expression langagière de
l'apprenant est la trace des processus cognitifs sous-jacents.
Cette hypothèse principale repose sur l'idée suivante : il existe une analogie entre les
composants cognitifs et les composants langagiers, en conséquence, la forme linguistique
d'une réponse est un bon reflet de l'organisation des connaissances chez un élève [7]. Une
information sur cet “état cognitif” est importante car elle permet de guider le choix des
stratégies pédagogiques à employer par le système. C'est pourquoi, nous nous sommes
intéressées à cette organisation cognitive, faisant l'hypothèse que non seulement la façon de
définir un concept reflète la structure de ce concept dans l'esprit de l'élève, mais aussi
qu’elle met en évidence le “style cognitif” que celui-ci privilégie.
La question qui se pose alors est de savoir si l'expression langagière peut être un bon
indicateur de la façon dont un concept est structuré dans l'esprit d'un élève!: une
observation fréquente permet de constater que moins un élève domine un problème, plus il
a de difficultés à en exprimer les données mais l'expérience montre aussi que certains élèves
éprouvent des difficultés à exprimer une idée, par ailleurs correcte du point de vue de sa
représentation cognitive. Afin de renforcer nos intuitions, plusieurs études empiriques ont
été réalisées. Leur objectif était de déceler des régularités entre les formes des définitions
rédigées par les élèves et des traits décrivant leur profil cognitif.
Une première étude à caractère linguistique a permis de dégager une caractérisation de nature
analytique liée au début de la définition [9]. Afin d’approfondir les premières conclusions,
une deuxième étude, cette fois-ci psycho-linguistique, a été menée sur la première phrase de
chaque définition [1]. Une troisième étude est prévue sur l’ensemble de la définition, pour
affiner les résultats précédents. L’ensemble de ces études a pour objectif d’engendrer des
hypothèses de travail pour guider la réalisation du tuteur.
Dans cet article, nous présentons une synthèse des résultats des deux premières études.
Dans le chapitre 2, nous nous penchons sur le modèle de l’élève qui a inspiré en partie
l’étude psycho-linguistique : le modèle de Lamontagne; dans le chapitre 3, nous présentons
le modèle de l’élève particulier à notre tuteur, qui s’exprime davantage en terme de
contraintes computationnelles; enfin, dans le chapitre 4, nous décrivons les résultats des
études et la direction des recherches futures.
2 Le Modèle de l'Elève
Le modèle présenté dans ce chapitre a servi de guide pour l’étude psycho-linguistique
réalisée. Le modèle computationnel de l’élève est décrit dans le chapitre suivant et s’appuie
sur une instanciation aussi poussée que possible des fonctions décrites par Self [12].
2.1 Elaboration d'un Profil d'Apprentissage
Lamontagne [5] a élaboré des tests permettant d'établir le profil d'apprentissage d'un élève,
aussi bien dans le cadre scolaire qu'en formation d'adultes. D'emblée, le travail de l'auteur se
situe dans une perspective différentielle et insiste sur l'importance des caractéristiques
individuelles de l'apprentissage.
Le modèle proposé s’appuie sur deux composants essentiels, les principes d'apprentissage
(la façon d'apprendre d'un individu reflète sa façon de communiquer avec les autres)et les
variables du profil d’apprentissage (les déterminants culturels, les orientations symboliques
-l'élève peut avoir une ou plusieurs façons privilégiées de décoder l'information pour
apprendre-, les modes d'inférence -l'apprenant traite mentalement l'information qu'il décode
selon une démarche inductive ou déductive-). Nous nous attarderons sur la troisième
variable qui a plus particulièrement inspiré l’étude psycho-linguistique. L'élève plutôt
inductif se sent à l'aise dans une démarche de découverte, il procède volontiers des données
particulières et concrètes dont il ne connaît pas la probabilité vers des données dont il
connaît le niveau de probabilité. Trois classes viennent nuancer la catégorie inductive (de
type extensif , relationnel, ou différentiel ).
L'élève plutôt déductif est un démonstrateur, il se sent à l'aise dans une démarche
d'application de ce qui est déjà découvert. A l'inverse de l'élève inductif, il préfère
fonctionner dans un climat de certitude.
2.2 Implications Pédagogiques
Si les travaux de la psychologie différentielle [3,4,2,6] montrent qu'il existe des différences
individuelles dans les capacités de traitement et de manipulation de l'information, la notion
de style cognitif reste à approfondir. C’est pourquoi, la différence que Lamontagne relève
entre démarche de découverte (inductive) et démarche d’application (déductive) contient des
implications pédagogiques importantes qui ont retenu notre intérêt notamment par les
indications qu'il fournit dans le choix à opérer, selon le style d'apprentissage de l'élève,
entre pédagogie de la question ou de la réponse. Lors de la mise en place d'un module
d'enseignement, la question des stratégies de dialogue se pose avec une acuité particulière.
2.3 Pédagogie de la Question ou Pédagogie de la Réponse ?
Le problème qui se pose est de savoir s'il est préférable de susciter la question ou de donner
la réponse. La pédagogie de la question s'accommode volontiers d'un climat d'incertitude et
de probabilité, préférences de l'élève inductif : en effet celui-ci ne s'inscrit pas facilement
dans une démarche où on lui dénie d'emblée le droit au tâtonnement, à l'approximation. Il
se sentira plutôt à l'aise pour présenter son opinion sur une question plutôt que de répéter
celle des experts ou de l'enseignant. A l'inverse, l'apprenant déductif qui exige un climat de
certitude et de prévisibilité se sentira à l'aise confronté à une pédagogie de la réponse. Il
aime avoir des principes pour le guider dans ses activités ou qu'on lui fournisse un
programme bien défini d'étapes à franchir pour réaliser ses apprentissages. L'enseignement
doit lui fournir les modèles dont il a besoin.
Si les indices langagiers peuvent fournir des renseignements sur le style cognitif d'un
élève, alors on pourra en déduire un certain nombre d'orientations à prendre pour conduire
efficacement les stratégies de dialogue à engager avec cet élève, en appliquant de façon
adaptée soit une pédagogie de la question soit une pédagogie de la réponse.
3 Le Modèle de l'Elève dans TEDDI (MIEL)
MIEL (Modélisation Inductive de l'Elève selon son Langage) est un module s'intégrant
dans le tuteur intelligent TEDDI qui, en se fondant sur les propriétés du style linguistique
de la réponse faite en langage naturel par l'élève, en fournit une modélisation cognitive afin
de choisir une stratégie pédagogique adaptée. Cette modélisation cognitive tente de rendre
compte des idées développées précédemment.
3.1 Modélisation de l’Apprenant
La modélisation de l'apprenant comporte deux axes essentiels :
1) L'axe d'évaluation de la réponse : il porte d'une part sur l'évaluation de la validité et de la
complétude de la définition donnée [10], d'autre part sur le niveau d'abstraction lexicale
atteint par l'élève [8]. Nous définissons l’abstraction lexicale comme une “distance” entre
les concepts présents dans la définition de l’élève et les concepts de référence.
2) L'axe cognitif, principalement fondé sur une interprétation des indices langagiers fournis
par les réponses de l'élève. Cet axe doit fournir deux types de renseignements : d'une part
une évaluation de l'abstraction langagière, d'autre part une interprétation permettant de créer
un profil cognitif. L’abstraction langagière est définie comme l’état de généralisation
dégagée par le texte produit par l’élève. Elle se distingue de l’abstraction lexicale en ce sens
qu’elle relève d’un processus textuel, alors que l’abstraction lexicale est en relation avec un
niveau conceptuel. Le profil cognitif est défini comme un ensemble de traits relatifs à la
relation entre l’apprenant et ses connaissances à un instant donné. Il sera exclusivement
utilisé dans des buts communicatifs et non évaluatifs. L'axe cognitif permet de nuancer et
enrichir les informations issues de l'axe d'évaluation.
3.2 Profil(s) Cognitif(s)
MIEL a pour tâche de déterminer la nature du profil cognitif chez l'élève, sur la base des
informations d'ordre syntaxique et sémantique issues de l'analyse des définitions fournies
par cet élève. Une première phase va permettre de constituer un profil de départ que nous
nommons profil cognitif spontané (celui établi à partir de l’attitude langagière privilégiée
par l’apprenant). Au fur et à mesure des interactions, il est possible (et probable) que ce
profil évolue. Nous pensons que cela est lié à l’adhésion de l’élève à la stratégie de
dialogue. Une interaction entre la mise à jour de l’état des connaissances et de modélisation
cognitive se déroule de la manière suivante :
- mise à jour du niveau de connaissance de l'élève
- MIEL détermine les caractéristiques cognitives de l'intervention en cours
- MIEL met à jour le profil cognitif (renforcer/atténuer les tendances décelées au cours
d’interactions précédentes)
- rétroaction sur le niveau de connaissance.
Le travail que nous présentons ici correspond à la première phase de l’élaboration du profil
cognitif. Nous nous plaçons dans les conditions où l’apprenant n’est pas encore connu du
système. L’objectif est de constituer le profil cognitif spontané, c’est-à-dire qu’aucune
intervention du système n’a pu influencer le comportement langagier de l’élève.
Le “dialogue” actuel ne comporte donc que deux interventions qui sont une interrogation du
sytème de la forme Qu’est ce que <concept à définir> ? et la réponse de l’apprenant sous
forme d’une définition en langue naturelle non contrainte.
4 Une Approche Linguistique
Il est clair que le langage naturel est trop riche pour que nous puissions envisager de
réaliser une analyse linguistique exhaustive de la définition. C'est pourquoi, dans un
premier temps, nous avons recherché les indices langagiers sur lesquels fonder une
typologie des définitions fournies par les élèves. Nous avons ainsi dégagé des structurestypes reflétant différents niveaux d'abstraction langagière.
Rappelons que le niveau d'abstraction langagière est lié à la forme textuelle utilisée par
l'élève tandis que le niveau d'abstraction lexicale permet d'avoir des indices sur les
possibilités de généralisation ou de spécification en s'appuyant sur des indices de
vocabulaire. La linguistique du texte, qui cherche à expliquer les choix au niveau de la
phrase (syntaxe, ordre des mots) en terme de cohérence textuelle, fournit le cadre de travail
approprié et permet d’approcher l’analyse de textes avec les notions de thème et de relations
entre propositions. Trouver “ce dont on veut de parler” (le thème) et créer des liens entre
des propositions sont les processus fondamentaux dans la construction de textes, et ces
processus laissent des traces de “surface” dans les textes ainsi créés. Ces traces sont les
marqueurs qui servent aux lecteurs à construire un modèle de la structure du texte. Ce ne
sont pas seulement des formes lexicales spécifiques comme les connecteurs et les motsindice, mais aussi des configurations de formes syntaxiques et de ponctuation. Ces
configurations peuvent avoir un sens textuel précis, dans un type de texte particulier.
Il faut partir d’une approche inductive pour déterminer ce qui constituera les marqueurs pour
un type de texte particulier. L’adéquation de tels marqueurs intervenant dans la construction
de texte avec une modélisation cognitive a été étudiée dans [11] en particulier pour ce qui
concerne le niveau d’abstraction d’un apprenant. L’étude [9] a dégagé deux mécanismes
textuels importants dans la description de la définition : l'attaque et la structure. L’attaque
correspond à la façon dont est organisée le début de la définition, tandis que la structure est
en relation avec l’articulation des propositions entre elles. Ce dernier point fera partie de la
troisième phase de notre étude.
Le problème linguistique qui se pose est de trouver des marqueurs fiables et détectables
automatiquement qui soient significatifs de l’organisation cognitive et de la manipulation
des connaissances de l’apprenant.
4.1 L'Attaque des Définitions
Cette étude montre que l'attaque d'une définition donne une indication sur l'abstraction
générale de la définition. Les résultats qui sont présentés proviennent de l’analyse d’un
corpus de 300 définitions rédigées en français. Ces définitions concernent des concepts
abstraits dans les domaines de la psychologie, de l’informatique et de la gestion. Plusieurs
types de recueil ont été faits : sur clavier (traitement de texte) vs à la main ; réflexion
préalable en temps limité (5 minutes) vs en temps libre ; avec information sur le type de
traitement :analyse automatique vs analyse manuelle. Nous n’avons pas constaté de
différences fondamentales pour les différentes variables dans la mesure où la consigne
limitait le nombre de phrases. Pour les sous-corpus intra-individuels (plusieurs définitions
par le même sujet au cours de la même session)!nous n’avons pas constaté à première vue
de variations majeures. Cette étude sera approfondie ultérieurement.
Quatre types d'attaque ont ainsi été dégagés : l'histoire (le concept est raconté comme une
histoire), l'action (prédicat d'action verbal), le mot-action (prédicat d'action nominal) et le
mot-concept (nominalisation totale). Ces quatre types d’attaque décrivent quatre stades dans
le continuum concret/processus--->!abstrait/concept. Les résultats sont fournis Fig. 1.
L’histoire a en fait comme “sujet de départ” n’importe quel référent sauf le concept à
définir. Pour tous les autres types, c’est le concept à définir qui apparaît (implicitement ou
explicitement) comme “le sujet de départ”. On remarque également que les attaques vont
d’une prédominance verbale à une prédominance nominale.
Voici des exemples extraits du corpus qui illustrent chacun des quatre types d’attaque!:
Histoire : Après extinction et une période de repos, on présente de nouveau le stimulus
conditionnel à l’animal, on constate de nouveau la réaction conditionnelle.
Action!: ordonner un ensemble d’éléments donné selon un ordre précis.
Mot action!: Un tri est un mécanisme qui permet d’ordonner un ensemble d’éléments de
même type suivant un critère donné.
Mot-concept!: Réapparition d’une réponse conditionnelle, ayant subi une extinction, sans
renforcement.
PROCESSUS <-------------------------------------------------------------> CONCEPT
1.Histoire
par défaut
(i.e. absence
de marqueurs)
2.Action
(V+Prep+)Inf
N+V≠cop
3.Mot Action
4. Mot Concept
N + Rel N + PrepP
N + Prep + Inf
N + AdjP
N + V-ant
________________________________________________________________________
Légende :
Rel : Clause relative
- a n t: participe présent
c o p :copule
prepP syntagme prépositionnel
V: verbe N: nom
I n f :Infinitif
P r e p : préposition
AdjP syntagme adjectival
Fig. 1. Les différentes attaques
Il faut noter que ces marqueurs sont spécifiques du type de texte étudié (à savoir des
définitions de concepts), mais qu’en revanche ils semblent être indépendants du domaine des
concepts définis. Les configurations sont simples à mettre en œuvre et donc
l’implémentation, qui a été réalisée, n’a pas posé de problème majeur.
4.2 Les Classes de Définitions
L’attaque donne une première indication sur le niveau d’abstraction. Cet indice pourra être
affiné par une investigation complémentaire, qui portera s u r l a première phrase de
définition. Après avoir étudié le corpus, quatre classes principales ont été retenues
présentées ici en ordre décroissant par rapport au niveau d'abstraction langagière atteint:
- NOMINAL : aucun verbe dans la définition, qui ne comporte qu’une proposition, mais
présence de groupes adverbiaux ou prépositionnels. En fait, cette structure est la plus sobre
qui soit : un groupe nominal suivi d'un groupe prépositionnel ou adverbial. Exemples
(extraits du corpus) classement selon un certain critère ou ordonnancement suivant une
règle, d'objets ou d'individus initialement en désordre.
- AMORCE : la définition commence par un substantif que nous avons appelé amorce
suivi d'une préposition et d'un verbe à l'infinitif. Ce type d'expression nous paraît
témoigner d'un certain effort d'abstraction, de généralisation de la part de l'élève sans
toutefois atteindre le niveau de la structure précédente. Les sujets évitent ici de définir un
concept par un verbe et contournent la difficulté en "substantivant ce verbe par le mot
"amorce". Exemples : action de classer des élements d'un ensemble déterminé dans un ordre
prédéfini ou capacité à donner…
- RELATIF : la définition contient une ou plusieurs propositions relatives.Sont parfois
ajoutées des propositions secondaires, repérables par leurs marqueurs d'intentionnalité tels
que les locutions prépositives "afin de " ou "pour". Exemples : moyen qui permet de
classer des éléments. ou un tri est une opération qui consiste à comparer les différents
éléments d'un ensemble afin de pouvoir les classer par ordre suivant un critère donné.
- INFINITIF : cette dernière structure est vraisemblablement la moins conceptuelle puisque
les définitions utilisent le verbe pour définir le concept mettant ainsi en avant les effets du
concept et non sa description. Ces définitions contiennent toujours au moins un verbe à
l'infinitif. Là également, on remarque la présence de marqueurs de longueur : il y a
éventuellement plusieurs infinitifs dans la phrase avec des précisions ajoutées et
identifiables par des marqueurs comme les conjonctions de coordination, l'utilisation de
termes entre parenthèses ou du "etc". Exemples : trier, c'est séparer un ensemble de choses
de façon organisée.ou ranger selon un ordre, mettre en ordre selon un principe.
4.3 Détermination de l’Abstraction Langagière
En combinant le type d’attaque d’une définition avec son appartenance à une classe, on peut
déterminer un niveau spontané d’abstraction langagière. Nous proposons en Fig. 2 un
récapitulatif des différents cas de figure qui se présentent.
classe
attaque
NOMINAL
AMORCE RELATIF INFINITIF
HISTOIRE
NON
NON
OUI
OUI
ACTION
NON
NON
NON
OUI
N+rel
N+V-ant
NON
NON
OUI
NON
N+prep+Inf
NON
OUI
NON
NON
OUI
NON
OUI
NON
ACTION-MOT
CONCEPT
Fig. 2. Concordance entre les résultats des deux études.
Plusieurs remarques viennent à l’esprit lorsque l’on compare les résultats des deux études.
La première est qu’il existe deux cas de concordance forte. En effet, la classe “Nominal” est
en concordance avec l’attaque “mot-concept”, et la classe “Amorce” en concordance avec
une des caractérisations de l’attaque “action-mot”. On peut dire alors que les classes
“Nominal” et “Amorce” viennent renforcer la première caractérisation par l’attaque.
La seconde remarque concerne les classes “relatif” et “infinitif” et leur relation avec les
types d’attaque. Pour la classe “infinitif” remarquons que les deux types d’attaque qu’elle
concerne sont adjacentes sur l’axe concret-abstrait ou processus-concept défini par Woodley.
En d’autres termes, nous pouvons dire que la classe “infinitif” se caractérise par les attaques
les moins abstraites. Pour la classe “relatif”, les résultats sont plus nuancés. Ici, l’attaque
ne vient pas renforcer les caractéristiques de la classe, qui semble finalement plus
hétérogène que les autres, mais elle vient les nuancer. Enfin, les compléments que nous
voyons apparaître dans la seconde étude nous permettent de juger de la spécificité de la
caractérisation proposée dans l’étude purement linguistique. Ainsi cette attaque “actionmot”, à variantes diverses, semble ne pas constituer un phénomène discriminant.
Cela nous conforte dans notre souci d’analyser l’ensemble de la définition.
5 Elaboration du Profil Cognitif
Le style spontané d'un élève correspond à celui qu'il privilégie, étant entendu qu'il peut
aussi en adopter d'autres. A un instant donné, le style langagier peut être révélateur d'un
style cognitif donné. C'est pourquoi afin d’approfondir l'investigation psycho-linguistique,
quatre groupes de sujets correspondant aux quatre classes de définitions ont été constitués.
En outre, il nous a paru intéressant de recueillir simultanément aux définitions, des
informations en termes de traits de personnalité pertinents, éléments constitutifs, parmi
d'autres, du profil cognitif d'un élève.
Dans ce contexte général, une étude exploratoire [1] a permis d'observer un certain nombre
de régularités dans la relation entre style langagier privilégié et saillance de cinq traits
pertinents au regard de l'élaboration du profil cognitif de l'élève (besoin de certitude,
manque de flexibilité, esprit abstrait, attachement à l'ordre et capacités d'attention). Des
différences ont été observées, en particulier entre les structures de type infinitif et
conceptuel : sur les cinq traits concernés, on enregistre une différence constante entre les
sujets des groupes conceptuel et infinitif, tandis que ceux des groupes relatif et amorce se
situent en général dans la zone intermédiaire. Ainsi, les sujets de type conceptuel se
caractérisent dans l'ensemble par un faible besoin de certitude et de conformisme, une
bonne flexibilité, des capacités d'attention plutôt fortes et un goût pour l'abstrait prononcé.
Sur ces mêmes critères, les sujets de type infinitif montrent plutôt des tendances inverses.
Les conclusions de cette étude indiquent que le style langagier semble bien un indice
concernant la structure cognitive. Nous rappelons que notre objectif n'est pas de figer
l'élève dans un profil cognitif définitif, mais seulement d'intégrer au moment du dialogue
engagé, certains traits constitutifs de son profil cognitif instantané. Cela, de manière à
poursuivre avec lui un dialogue adapté, tenant compte des caractéristiques de son profil
cognitif au moment de l'interaction, sachant que la situation peut et souvent, doit évoluer.
6 Conclusion
Il est actuellement possible de dégager quelques préférences en ce qui concerne la stratégie
pédagogique à adopter en fonction du profil cognitif de l'élève. La prudence s'impose,
puisque l'investigation psycho-linguistique a été réalisée à titre exploratoire et nécessite des
renforcements ultérieurs. Néanmoins, on peut envisager de moduler les stratégies de
dialogue en fonction des tendances probables manifestées par tel ou tel élève. Ainsi,
considérant qu'un élève qui privilégie les classes de définition de concepts de type "infinitif"
a probablement un fort besoin de certitude, une rigidité mentale assez marquée, un goût
pour l'ordre et le conformisme, on pourra suggérer de lui appliquer une stratégie de la
réponse plutôt qu'une stratégie de la question.
En effet, si l'on se réfère aux travaux de Lamontagne, les élèves qui ont un fort besoin de
certitude se sentent beaucoup plus à l'aise confrontés à une pédagogie de la réponse. Il
faudrait donc les guider dans leur apprentissage en leur fournissant un programme défini
d'étapes à franchir, en les sécurisant par des propositions, des suggestions plutôt qu'en les
insécurisant par des questions auxquelles ils devraient répondre. A l'inverse, le sujet
conceptuel se verrait poser des questions pour améliorer la qualité de sa définition : en effet,
le modèle de Lamontagne nous indique que l'élève qui se sent plus à l'aise dans une
démarche de découverte, a une préférence pour la démarche inductive et se plaît dans un
climat de vraisemblance et de probabilité. Il sera donc préférable de lui appliquer une
pédagogie de la question, grâce à laquelle il pourra préciser ses propres interrogations.
L'investigation psycho-linguistique réalisée est une première étape qui donne des arguments
à l'hypothèse proposée : l'expression langagière peut être considérée comme un indicateur
sérieux du profil cognitif d'un élève. En particulier, on a pu observer que des facteurs tels
que le besoin de certitude et un certain manque de flexibilité se révélaient particulièrement
accentués chez les sujets qui se classaient comme les moins conceptuels sur l'échelle de
l'abstraction langagière. Certes, des études ultérieures s'imposent pour vérifier les tendances
relevées au cours de cette première approche qui a permis de mettre en évidence quelques
traits particulièrement "sensibles" en lien avec les structures cognitives. Il faut maintenant
approfondir ces investigations : notre projet est de construire un outil d'investigation
psycho-linguistique beaucoup plus ciblé et complet, en particulier, examiner de plus près
les critères proposés par Lamontagne que nous n'avons pas explorés (notamment en ce qui
concerne les déterminants culturels, le premier type d'encadrement ayant un fort impact sur
la manière d'apprendre d'un individu, d'où la référence aux figures d'autorité par exemple).
Une première maquette de la construction du profil cognitif, à partir de définitions données
en langage naturel, a été réalisée sur SUN.
Références
1. M.P Daniel : Modélisation cognitive de l’apprenant selon son expression langagière
Rapport de DEA Sciences Cognitives, Université Paris 11, Septembre 91
2. D. Gaonac’h : La mémoire : variabilité inter et intra-individuelles, in Reuchlin!90.
3. E. Hunt : Intelligence as an information-processing concept, British Journal of
Psychology, 1980, N° 71.
4. M. Huteau : Style cognitif et personnalité. La dépendance-indépendance à l'égard du
champ, Lille, Presses universitaires de Lille, 1987.
5. C. Lamontagne : Vers une pratique du profil d'apprentissage, IRPA, Québec, 1984.
6. J. Lautrey : Structures et fonctionnements cognitifs, thèse d'Université, Paris 5, 1987.
7. L. Nicaud., V. Prince : TEDDI : An ITS for Definitions Learning, PRICAI'90, pp.877882, Nagoya, Japon, Novembre 1990.
8. L. Nicaud., V. Prince : Modélisation du niveau d'abstraction d'un apprenant dans un
tuteur contrôlant l'acquisition des définitions de concepts abstraits, RFIA, Lyon, 1991.
9. M.P Péry-Woodley : Textual clues for user modeling in an ITS. Thesis for the degree of
Master in Cognitive Science, University of Manchester, Sept 1990.
10. V. Prince : Notes sur l'évaluation de la réponse dans TEDDI, LIMSI, Nov 1991.
11. B. Schneuwly, M-C.Rosat, J. Dolz : Les organisateurs textuels dans quatre types de
textes écrits (élèves de 10, 12 et 14 ans). Langue Française N° 81, pp!40-58, 1989.
12. J. Self : Student models : what use are they ? IFIP/TC3 Frascati , Mai 1987
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