l’acte de la parole, un engagement auquel se tient le sujet. Ne dit-on pas, à l’occasion, de quelqu’un
qu’il “ tient parole ”. À quoi se réfère cet engagement sinon à la vérité du sujet ; soit, la “ façon ”
(subjectivité) dont un sujet s’est introduit dans la champ de la parole, ou encore, la façon dont la
parole l’a rendu sujet.
Qu’est-ce qui fait “ tenir ” la parole d’un sujet ? Ou, a contrario , qu’est-ce qui fait que certaines
personnes ne tiennent pas parole ?
Faisons un pas en arrière. Pour que la parole tienne et pour qu’une subjectivité s’élabore, il faut
un lieu sur lequel elle puisse s’appuyer. Ce lieu prend historiquement la forme de ce que l’on appelle
dans nos sociétés le complexe d’Œdipe, c’est-à-dire, comme le rappelle Lacan, la modalité par
laquelle est introduite la fonction paternelle. Cette dernière pouvant se résumer par ce qui instaure
la Loi du désir chez le sujet. Sans entrer plus en détail sur cette question (qui concerne ce qui
structure le désir, la réalité et la sexuation d’un sujet), disons de ce lieu qu’il représente pour le sujet
le passage d’une aliénation nécessaire au désir de l’Autre (généralement incarné en premier lieu par
la mère) vers une séparation où il pourra inscrire subjectivement sa place vis-à-vis de l’Autre .
Mais le mouvement entre ces deux pôles n’est pas qu’historique, il est aussi logique ; on le
retrouve dans la structure interne de la parole : l’aliénation (se faire réponse à l’appel de l’Autre)
renvoie à la séparation (parler en son nom, par exemple, selon le désir du sujet), puis retour à
l’aliénation, car il ne peut y avoir de désir du sujet sans l’Autre, les signifiants auxquelles il se réfère
se retrouvant au lieu de l’Autre. Et ainsi de suite.
Entre ces deux pôles, il y a l’espace où se constitue la subjectivité, où il y a mobilisation du sujet.
Toutefois, certains éléments peuvent arrêter ce mouvement. Il y a alors fixation de la position du
sujet. Le destin de cette fixation est des plus varié, elle peut prendre la forme de crise (tel qu’on
l’emploie au Centre d’intervention de crise), de passage à l’acte, d’angoisse intense, s’enkyster dans
un symptôme, etc. Autant de raisons qui peut amener un sujet à faire une demande d’analyse.
Ces diverses considérations sur la structure de la parole et ses fonctions ne permettent pas
seulement un meilleur repérage des différentes structures cliniques, ni une élaboration d’une théorie
de la subjectivité plus juste, elles ont également des conséquences éthiques. Le sujet, avons-nous vu,
est un effet de discours, il est déterminé par le désir de l’Autre. Ce détour, quoique aliénant est
néanmoins nécessaire pour que le sujet assume une position désirante. Ainsi, malgré le fait que
notre position de sujet nous dépasse toujours, au sens où il provient d’un discours Autre, nous en
sommes responsables. Cautionner, par exemple, les déboires d’un sujet sur l’autre (l’extérieur, la
situation économique, la famille, etc.), même si cela fait partie de la réalité, va à l’encontre d’une
éthique du sujet de l’inconscient. Ainsi, comme sujet, nous sommes toujours responsables des effets
de notre parole, même si celle-ci, comme on dit souvent, dépasse notre pensée. À ne pas suivre cette
éthique, c’est vers une déshumanisation et un renforcement de son aliénation que l’on oriente le
sujet.
Martin Pigeon (psychanalyste) sur le site de L’Institut Européen de Psychanalyse et Travail Social