Les premières patientes de Freud l’ont amené à réduire la psychanalyse à une expérience de parole : il aban-
donne la pression de la main sur le front, les suggestions insistantes, les considérations théoriques en séance, et l’hyp-
nose, pour privilégier l’écoute. Ainsi est née la talking cure qui laissait libre cours à la parole des patients.
Tandis que le sujet revendique cette parole comme authentique et porteuse en elle-même de guérison, Freud
situe la preuve scientifique de l’existence de l’inconscient dans les formations de l’inconscient (rêves, lapsus, actes
manqués, symptômes, etc.) qui mettent en valeur l’absence de maîtrise de cette parole par le sujet : celui-ci en dit beau-
coup plus qu’il le croit. Freud démontre dans ses trois ouvrages canoniques (L’interprétation des rêves, Le mot d’esprit et
ses rapports avec l’inconscient, Psychopathologie de la vie quotidienne) que les formations de l’inconscient obéissent
à une mécanique précise de la langue au service du refoulement aussi bien que du retour du refoulé.
Avec l’aide de la linguistique de son temps, Lacan a reconnu dans cette mécanique les figures de la métaphore
et de la métonymie qui sont à l’origine des combinatoires entre signifiants, jeux de mots, résonnances poétiques, qui,
une fois décryptés, peuvent alléger le sujet de l’emprise du signifiant sur son destin, comme par exemple en Chine
l’importance du choix du prénom imprimant sur le sujet la marque du désir de ses parents.
Au fil de ses années de cours à l’Université Paris VIII, Jacques-Alain Miller a toutefois souligné l’évolution de
l’enseignement de Lacan vers l’inconscient comme réel, et non plus comme pur symbolique. Un inconscient qui ne se
réduit pas à la formule « l’inconscient est structuré comme un langage ». L’inconscient réel est celui du « corps parlant »
qui cherche essentiellement à satisfaire une jouissance, laquelle n’est pas nécessairement favorable au sujet : ce qui
se répète dans la parole, dans les symptômes, dans la compulsion et les malheurs, peut tout aussi bien témoigner de
cette fonction de satisfaction au service de ce que Freud appelait la pulsion de mort. L’enjeu d’une analyse sera alors
d’opérer sur un tel nouage entre corps et parole (l’inconscient comme parlêtre) et de trouver d’autres solutions moins
invalidantes.
La psychanalyse demeure fondamentalement cette expérience unique de parole qui la caractérise depuis le
début. Le colloque permettra de témoigner de ses effets dans une psychanalyse du XXIe siècle, qu’elle se déroule en
Chine ou en France.
Nous avons choisi de mettre l’accent sur les deux pôles logiques de la parole : d’une part l’autisme, où le sujet
rejette la nécessité d’entrer dans le langage, et d’autre part l’éthique du bien dire promulguée par Lacan, concernant
toute analyse, mais plus particulièrement la fin de l’analyse et le réel. Cette question sur laquelle Freud avait buté avait
amené Lacan à inventer la procédure de la passe dans son École, qui offre à un analysant la possibilité de témoigner
de ce qui pour lui a fait terminaison de son analyse.
Le colloque s’ouvrira sur des exposés théoriques et cliniques concernant des moments décisifs de cure, puis
fera une large place, autour de l’autisme, à la question de l’entrée dans le langage (projection du film « à ciel ouvert »
et échange entre les représentants d’institutions en Chine et en France). Enfin la troisième journée sera consacrée à la
question de la fin de l’analyse.
Nathalie Charraud Huo Datong
Colloque franco-chinois
La parole et la psychanalyse