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société démocratique, c’est le propre des programmes des partis politiques que 
de mettre en avant un système de valeurs. On peut donc dire, pour résumer, que 
la sémantique des valeurs est le produit d’une évolution historique par laquelle 
on part d’un monde unifié autour d’un ordre axiologique commun et largement 
implicite,  qui  forme  ce  qu’on  peut  appeler  l’éthique  ou  la  morale.  Dans  ce 
contexte, il est inutile de parler d’axiologie, l’idée d’éthique est suffisante. On 
aboutit  à  un  monde  éclaté  entre  des  systèmes  de  valeurs,  qui  peuvent  être 
propres à un individu, à une société, etc. Sans doute un auteur particulièrement 
significatif en la matière est-il Nietzsche, qui parle de « l’inversion de toutes les 
valeurs »  (« Umwertung  aller  Werte »)  et  qui  développe  une  théorie  qui 
substitue à la vérité une « interprétation du monde » (« Welt-Auslegung, Welt-
Ausdeutung »2). Le concept de « Weltanschauung », qui vient du romantisme, en 
deviendra  une  version  popularisée3.  Relativisme,  perspectivisme,  scepticisme, 
voilà des concepts qui résument les nouvelles théories qui se développent dans 
le contexte de la philosophie des valeurs. 
En  droit,  la  notion  de  valeur  se  développe,  sous  l’influence  de  la 
philosophie des valeurs, au vingtième siècle. C’est d’abord une notion qui relève 
de  la  théorie4,  puis  qu’on  retrouve  dans  la  pratique  juridique.  Le  droit 
constitutionnel  allemand  utilise  la  notion  de  « valeur »  essentiellement  dans 
deux hypothèses. Premièrement, en posant que l’ordre constitutionnel implique 
une axiologie. Selon la Cour constitutionnelle fédérale, la notion de « dignité de 
l’homme »  est  « la  valeur  suprême »  de  la  Loi  fondamentale5.  La  Loi 
fondamentale  contient  des  « décisions  en  termes  de  valeurs »6.  La  notion  de 
valeur renvoie ici à une axiologie, qui doit orienter l’interprétation. On peut dire 
qu’on a affaire à un principe herméneutique. En même temps, le juge utilise la 
notion  de  valeur  pour  reconnaître  le  pluralisme  des  valeurs.  Par  exemple,  la 
                                                
2  Le  succès  de  la  philosophie  de  Nietzsche  illustre  cette  transformation.  Voir  surtout  Friedrich  Nietzsche, 
Jenseits von Gut und Böse [Par-delà le bien et le mal, 1886] et Zur Genealogie der Moral [Généalogie de la 
morale, 1887], Kröner, Stuttgart, 1976. L’ouvrage posthume, fortement contesté par les exégètes de Nietzsche, 
Der Wille zur Macht [La volonté de puissance, 1906], Kröner, Stuttgart, 1980, comporte cet intérêt qu’il se 
présente à travers son sous-titre comme une « tentative de renversement de toutes les valeurs ». Voir notamment, 
p.420 et s.   
3 La notion de « Weltanschauung » est utilisée par la jurisprudence sous le national-socialisme, de la même façon 
que le droit contemporain se réfère aux « valeurs ». On peut parler d’une irruption de l’idéologie dans le droit, 
d’une « idéologisation du droit ». Voir Hugues Rabault, L’interprétation des normes : l’objectivité de la méthode 
herméneutique, L’Harmattan, Paris, 1997, p.229 et s. 
4 Le problème du relativisme axiologique en droit est référée à deux figures de la théorie juridique, Hans Kelsen 
(voir infra I B) et Gustav Radbruch. Les écrits de ce dernier sont les plus significatifs d’une intrusion soudaine 
de l’axiologie dans le droit. Radbruch met  en  avant le fait  que les conflits de valeurs au sein  de la société 
produisent des antinomies, des contradictions, dans le fonctionnement juridique. C’est ce qu’on peut appeler le 
« paradoxe des valeurs ». Voir Erik  Wolf,  Grosse Rechtsdenker [Grands penseurs  du  droit],  J. C.  B.  Mohr, 
Tübingen, 1963, p.754 et s. Voir encore Gustav Radbruch, Einführung in die Rechtswissenschaft [Introduction à 
la science du droit, dont la première édition remonte à 1910], Koehler, Stuttgart, 1964, p.41 : « Les [systèmes de 
valeurs] se nécessitent les uns les autres, mais se contredisent en même temps, ce qui entraîne une contradiction 
entre justice et sécurité juridique ».  
5 Voir par exemple, Hans D. Jarass, Bodo Pieroth, Grundgesetz für die Bundesrepublik Deutschland. Kommentar 
[Loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne. Commentaire], München, C. H. Beck, 2004, p.43.  
6 Ibid., p.19.