démocratie une perversion de la république. En second lieu, quand la table de la
loi finit par le céder à la table des négociations, quand le moindre événement de
la vie collective a pour seule réponse la production d’une loi spécifique, qui s’ins-
crit dans une série sans fin, situer la valeur comme source ou comme fin de tels
procédés participe d’une mystification.
Pour susciter acquiescement et engagement, suffit-il alors de tenir la norme du
« ce qui doit être » pour une valeur objective ayant son prix sous la forme d’une
durée et d’une intensité de travail, d’étude, d’effort, de persévérance, de sacrifice ?
Peut-on parler d’une hybridation norme-valeur comme produit d’une opération
de légitimation par les procédures ? Si la force des prescriptions résulte de la
conversion du concept de valeur en celui de norme dont il se distinguait aupara-
vant, cette conversion, précédée de nombreux déplacements entre les domaines
logiques, mathématiques, philosophiques ainsi qu’au sein des disciplines anthro-
posociales, atteste une plasticité que la tradition partage, de rapide façon, entre
subjectivité et objectivité.
Alors que la subjectivité associe les jugements moraux aux sentiments, aux repré-
sentations et au désir, l’objectivité vise la satisfaction d’une fin précise à l’exemple
de la « valeur documentaire », de la « valeur démonstrative », ou de la « valeur
dénotative », pouvant être affectées à toutes sortes de produits de l’art, de la
science, de la langue. Mais cette conception fonctionnaliste et objective de la
valeur n’est sans doute pas si loin du paradigme naturaliste qui confond questions
de fait et questions de morale. Une autre voie serait de considérer, avec Hare, la
sous-classe des constats fonctionnels. Ici encore, la question n’est pas que d’école :
on retrouve encore le vaste problème des normes, de leurs variations (règles de
l’immutabilité, crises et renouvellement) et aussi celui du rapport du sujet à celles-
ci (soumission et clairvoyance). Avec son système de buts, l’analyse fonctionnelle
indique comment l’objet ou la situation fonctionnent, normalement ou non, au
regard du résultat attendu. De fait, elle réinstalle la technique dans la probléma-
tique de la valeur, en particulier dans le champ du rapport de l’invention à l’inno-
vation. Il reste que les énoncés fonctionnels réinstallent le langage dans une
relation aux valeurs qui revêtira une grande portée dans un cadre anglais qui
inaugure, avec Hume, la réfutation du passage des faits aux normes.
Ce qui « doit-être » n’a rien à voir avec le monde naturel selon Moore. Pour lui
l’erreur naturaliste (naturalistic fallacy) s’incarne dans l’éthique évolutionniste de
Spencer (hédonisme plus évolution) qui connaît de nos jours une sorte de
renaissance (à travers l’animalisme par exemple). Mais une autre raison détache
l’éthique du « sophisme naturaliste » : elle concerne, à propos du bien, la séman-
tique, donc la cognition. Le prédicat « bien » reste pour Moore indéterminable