apport de la biologie dans le traitement et le suivi des cancers

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Apport de la biologie dans le traitement et le suivi des cancers thyroïdiens différenciés (C.D.T.)
APPORT DE LA BIOLOGIE
DANS LE TRAITEMENT ET LE SUIVI DES CANCERS
THYROÏDIENS DIFFÉRENCIÉS (C.D.T)
F. BOURREL1 M.TAFANI1 M. HOFF 2 Ph. CARON3
1
Unité de Radiopharmacie Médecine Nucléaire, CHU Purpan
2
Laboratoire de Radioimmunoanalyse Médecine Nucléaire, CHU Rangueil
3
Service d’Endocrinologie et Maladies métaboliques, CHU Rangueil
- Toulouse -
1. Les paramètres biologiques
Les paramètres biologiques dosés au cours de la prise en
charge des patients traités pour un cancer thyroïdien différencié sont au nombre de trois :
1.1. La thyroglobuline
La Thyroglobuline (Tg) est une glycoprotéine de 660,000
kd qui joue le rôle de précurseur dans la synthèse des
hormones thyroïdiennes. La Tg est stockée dans les follicules thyroïdiens et une partie de la Tg est libérée dans la
circulation sanguine sous l’effet de la TSH en même temps
que la triiodothyronine (T3) et la thyroxine (T4). Les concentrations sériques de Tg chez les personnes normales
s’étendent de 1 à 50 ng/ml. La spécificité thyroïdienne de
la biosynthèse de la Tg permet d’expliquer sa large utilisation comme marqueur tumoral dans les cancers différenciés de la thyroïde. La concentration sérique de Tg reflète
trois facteurs : le premier est la masse présente de tissu
thyroïdien différencié, le second signe des processus de
dommages soit physique, soit inflammatoire de la glande
thyroïde, et le dernier caractérise le niveau de stimulation
des récepteurs thyroïdiens à la TSH.
Le dosage sérique de la thyroglobuline est largement utilisé comme marqueur tumoral pour la détection des récurrences et le suivi des cancers thyroïdiens différenciés parce
qu’il existe le plus souvent une bonne corrélation entre les
niveaux de Tg et la masse de tissu thyroïdien différencié
présent.
largement en faveur des femmes.
Le dosage post opératoire des AaTg peut fournir des renseignements cliniques complémentaires :
Un taux de AaTg élevé après l’acte chirurgical ou la radiothérapie métabolique n’a rien d’exceptionnel en raison des
dommages physiques causés au tissu thyroïdien. Par contre, il a été démontré que des taux indétectables ou en
décroissance de AaTg après l’acte chirurgical semble être
de bon pronostic. A l’inverse, des taux de AaTg restant
stables ou élevés chez des patients avec des reprises évolutives signeraient la persistance d’une stimulation antigénique en relation avec la présence de résidus thyroïdiens ectopiques (3 ).
Les observations portées sur la Figure 1 ci-dessous suggère que les CDT peuvent induire une stimulation antigénique chez certains patients.
PREVALENCE DES ANTICORPS ANTI-THYROIDIENS
%
20 Population générale (n=4444)
femme
homme
15
Revue de l'ACOMEN, 1998, vol.4, n°3
femme
homme
10
5
0
1.2. TSH (thyrotropine)
L’appréciation du statut thyroïdien par le dosage de la
TSH est indispensable pour l’interprétation du taux de Tg.
Un taux élevé de TSH stimulera le tissu thyroïdien et provoquera une augmentation du taux de Tg.
1.3. Anticorps anti-thyroglobuline (AaTg)
La prévalence des AaTg dans une population de patients
traités pour CDT est de 15 à 30 % (1,2 ), avec un sex-ratio
Population CDT (n=568)
Anti TPO
Anti TPO
+ AaTg
AaTg
Anti TPO
Anti TPO
+ AaTg
AaTg
d’après CA Spencer, Thyroglobulin measurement. Thyroid Cancer, 1995, 24:4.
- FIGURE 1 L’incidence des AaTg est significativement plus importante
chez les patients atteints de CDT que celle présente
dans la population générale.
2. Place de la thyroglobuline
dans la prise en charge des CDT
La meilleure signification clinique du dosage de la thyro-
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F. BOURREL, M. TAFANI, M. HOFF, Ph. CARON
Toute augmentation du taux de Tg :
· à proximité de la dose ablative signera l’efficacité du traitement en raison des dommages physiques sur les reliquats thyroïdiens. Les résultats de la demi-vie de la thyroglobuline sont variables selon les auteurs, elle varie de 6 à
96 h. Les derniers travaux publiés par Hocevar et al., décrivent la demi-vie de la thyroglobuline, calculée selon un
modèle mono-compartimental et après thyroidectomie, à
65.2 h (4 ),
· à distance de l’acte chirurgical ou de la dose ablative
signera la reprise évolutive du cancer.
Ainsi, la variation du taux de thyroglobuline constitue un
élément décisionnel pour une ré-intervention chirurgicale
ou l’administration d’une dose ablative supplémentaire.
3. Surveillance biologique :
dosage de la thyroglobuline
Le suivi des patients traités pour un cancer thyroïdien
différencié a deux buts principaux :
· contrôle de la sécrétion de TSH pendant le traitement par
la thyroxine (T4),
· détection des récidives par le dosage de Tg.
En fait, cette surveillance basée sur le dosage de Tg peut
être réalisée sous deux états hypophysaire :
3.1. Etat de freination hypophysaire
(TSH < 0.05 µU/ml)
Le traitement par la T4 est donné à tous les patients opérés
d’un cancer thyroïdien pour compenser le déficit hormonal et contrôler la sécrétion de TSH. L’efficacité du traitement freinateur est jugé par sa capacité à bloquer la sécrétion de TSH en la rendant ainsi indétectable. Une dose de
2-3 µg/Kg/jour de Thyroxine permet le plus souvent de
décroître le taux de TSH en dessous de 0.05 µI/ml. L’ajustement posologique de T4 doit être réalisé en regard de la
surveillance de l’état clinique du patient, et du dosage de
l’hormonémie libre pour éviter tous signes de
thyrotoxicose.
· En état de freination hypophysaire, l’élévation du taux de
Tg est un signe d’une reprise du processus tumoral (Figure 2).
Méta -
gangl +
on off
on off
T 4 traitement
Méta +
Tg ng/ml
globuline n’est atteinte qu’après une thyroïdectomie vraie
(chirurgie totale ± dose ablative d’iode 131).
Dans ces conditions, la thyroglobuline peut être assimilée
à un marqueur tumoral de part sa spécificité thyroïdienne.
1
on off
- FIGURE 2 Variation du taux de Tg en fonction du traitement par LT4 chez
des patients sans ou avec métastases ganglionnaires et viscérales.
3.2. Etat de défreination hypophysaire
(TSH > 80 µU/ml)
Cet état de défreination hypophysaire est réalisé par sevrage du traitement LT4 substitutif.
Après l’arrêt de la L-T4, un relais par la T3 est prescrit
pendant 15 jours, puis le patient est sevré de tout traitement pendant 15 jours. Au terme de ces 15 jours, le patient
est en hypothyroïdie franche.
Dans cet état, l’information obtenue par le dosage de la
thyroglobuline est la suivante :
· les reliquats thyroïdiens présents seront placés sous la
dépendance hormonale du taux élevée de TSH. Les résidus thyroïdiens ainsi stimulés sécréteront de la thyroglobuline, dont les valeurs élevées permettent de sortir de la
limite fonctionnelle du dosage. Par conséquent, en état de
défreination, la sensibilité clinique du dosage de Tg est
accrue.
L’utilisation de la TSH recombinante prévue à la fin de
l’année 1998, permettra de s’affranchir de l’inconfortable
état d’hypothyroïdie.
4. Les limites de la biologie
La collaboration clinicien - biologiste rend compte des discordances entre la clinique et les résultats analytiques. Il
existe deux types de discordances qui peuvent apparaître
lors de la surveillance d’un cancer thyroïdien différencié.
- Scintigraphie I131 négative - Tg détectable
C’est la discordance la plus fréquemment rencontrée.
Cela peut représenter :
· Une scintigraphie faussement négative d’une tumeur
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Revue de l'ACOMEN, 1998, vol.4, n°3
Apport de la biologie dans le traitement et le suivi des cancers thyroïdiens différenciés (C.D.T.)
moins bien différenciée qui a perdu sa capacité à capter
l’iode avant de perdre sa capacité à sécréter la Tg,
· une contamination par l’iode secondaire à l ‘administration
de produits de contraste.
· Une interférence des AaTg qui cause une sur-estimation
du taux de Tg (système RIA à séparation non spécifique)
(5 ).
- Scintigraphie I131 positive - Tg indétectable
C’est la discordance la moins fréquemment rencontrée, elle
est liée aux causes analytiques suivantes :
· Une Tg faussement négative peut être due à une tumeur
qui secrète une Tg de conformation anormale qui n’est
pas reconnue par les anticorps utilisés dans la trousse en
raison des différences de standardisation entre les fabricants (6 ). Par conséquent, le suivi du patient devra être
réalisé avec la même trousse.
· Une sensibilité sous optimale du dosage. La levée de la
freination permet de rehausser la sensibilité clinique du
dosage de Tg.
· Un manque de précision inter-essai. Afin de diminuer la
variabilité inter-essai, il est conseillé de reprendre le dernier tube du patient.
· Une interférence des AaTg qui causent une sous-estimation du taux de Tg (système RIA à séparation spécifique
ou système IRMA) (5). Pour trouver une solution à cette
dernière cause analytique, l’étude du dosage des AATg
versus test de recouvrement doit être envisagée.
5. Relation Anticorps anti thyroglobuline vs test de recouvrement
L’interférence des autoanticorps anti-Tg est le plus sérieux problème rencontré lors du dosage de la Tg. Les interférences des AaTg dans le dosage immunoradiométrique
de la Tg chez des patients AaTg positif suggèrent que les
AaTg devraient être dosés chez tous les patients traités
pour CDT de façon à valider le dosage de Tg.
Deux approches indirectes pour rendre compte ou pallier à
ces interférences ont été proposées :
· Utilisation d’anticorps monoclonaux qui ne croisent pas
avec les AaTg. Ce concept réduit mais n’élimine pas les
interférences des AaTg lors des dosages de Tg par des
techniques IRMA (7 ).
· Réalisation d’un test de recouvrement basé sur l’ajout
d’une quantité connue de Tg exogène (8,9 ).
Une étude réalisée en collaboration avec le Service de
Radioimmunologie et le Service d’Endocrinologie du CHU
Toulouse Rangueil a été entreprise sur 45 sérums pour
lesquels les tests de récupération réalisés en routine ont
été inférieurs à 70 %.
Revue de l'ACOMEN, 1998, vol.4, n°3
Sur les tubes sélectionnés, le dosage de la Tg associée au
test de récupération a été effectué par trois autres trousses IRMA.
Les résultats sont portés dans le Tableau I.
IRMA
IRMA
IRMA
IRMA
- TABLEAU I Dynotest Tg, Lab Brahms, Berlin, Allemagne
Thyroglobulin ERIA, Lab Pasteur, Marnes la Coquette
HTGK, Lab Sorin, Sallugia, Italie
ELSA HTG, Lab Cis Bio International, Gif s/Yvette
1 :
2 :
3 :
4 :
trousse utilisée
en routine
% of
IRMA 1
<70 >70
IRMA 2
<70 >70
IRMA 3
<70 >70
IRMA 4
<70 >70
recovery
TgAbs + n
19
-
6
13
15
4
14
5
mean ± sem 52±3
-
62±3
82±3
37±4
95±9
53±3
82±4
TgAbs - n
-
2
24
11
15
15
11
-
64±6
93±3
54±3
90±3
41±6
84±3
26
mean ± sem 53±3
Etude réalisée en collaboration avec le Laboratoire de Radioanalyse et le Service d’Endocrinologie. CHU Toulouse Rangueil.
Cette étude confirme que les pourcentages du test de récupération ne sont pas corrélés avec la présence ou l’absence d’anticorps anti-thyroglobuline. De faibles tests de
recouvrement sont observés chez plusieurs patients ne
présentant pas de AaTg. Ceci suggère que des concentrations de AaTg, inférieures à la limite de détection puissent
interférer. Cette hypothèse induit que l’aspect qualitatif
des AaTg serait aussi important que l’aspect quantitatif
pour produire des interférences.
D’autre part, cette étude démontre une très grande variabilité des pourcentages de récupération entre les quatre
méthodes IRMA. Les anticorps utilisés pour le dosage,
les origines de Tg exogène (circulante, tissulaire), les quantités variables de Tg exogène ajoutées au sérum en fonction du fabricant peuvent expliquer cette variabilité.
Le problème majeur dans l’interprétation des taux de Tg
lors de la surveillance biologique se pose chez des patients AaTg négatif qui ont des résidus thyroïdiens et pour
lesquels la Tg n’est pas toujours détectée.
Comme il n’y a pas d’autres signes biologiques de reprise
tumorale, des tests de validation in vitro réalisés chez des
patients AaTg négatifs doivent être réalisés de façon à
prévenir le risque de sous-estimation du taux de Tg.
Dans le cas de patients AaTg positifs, ce risque de sous
estimation existe et est fort heureusement connu.
La pertinence clinique d’un dosage de Tg ne doit pas être
seulement basée sur une valeur de Tg mais également sur
207
F. BOURREL, M. TAFANI, M. HOFF, Ph. CARON
Bibliographie
la valeur du test de recouvrement dans le suivi de patients
AaTg négatif.
Des taux de Tg non validés chez des patients AaTg négatif, c’est à dire une Tg indétectable associée à un pourcentage de récupération inférieur à 70 %, doivent être jugés
cliniquement plus pertinents qu’un taux de Tg indétectable,
lequel peut conduire à une inefficacité médicale dans la
prise en charge du CDT.
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6. Conclusion
L’interprétation du taux de Tg utilisée lors de la surveillance
des cancers thyroïdiens différenciés doit être particulièrement prudente en raison des nombreux facteurs qui entourent le dosage de la Tg. Il s’agit principalement de s’assurer de l’état hypophysaire du patient (dosage de la TSH),
et de la mise en évidence d’anticorps anti-Tg (dosage des
AaTg) qui peuvent perturber le dosage de la Tg par les
techniques IRMA.
Une étude publiée (10 ) démontre l’absence de corrélation
entre la présence ou non d’AaTg et les valeurs des pourcentages de récupération. Néanmoins, le test de récupération apparaît être un critère supplémentaire pour l’interprétation correcte d’un dosage de Tg déterminé avec des
méthodes IRMA dans le suivi de patients AaTg négatif
traités pour CDT.
Le test de recouvrement réalisé en routine offre également
l’avantage de mettre en évidence l’effet Crochet sans devoir diluer le sérum. Un pourcentage de récupération très
bas (ex : 3 %) associé à une Tg indétectable (< 1ng/ml) doit
faire évoquer un "Hook Effect".
La Figure 3 peut être proposée dans la prise en charge de
la surveillance biologique des CDT.
Diagnostic CTD
TSH > 80 µU/ml Surveillance biologique
traitement
Surveillance basée
sur 2 critères
Tg < 1ng/ml
AaTg +
Tg < 1ng/ml
AaTg -
risque de
sous-estimation < 70%
imagerie
facteurs pronostics
non validé
> 70%
validé
- FIGURE 3 -
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