Mais d’où vient la T4 ? J.M. Kuhn* M adame L.C., âgée de 56 ans, a eu une thyroïdectomie totale à l’âge de 50 ans pour goitre polynodulaire. L’examen anatomopathologique extemporané n’a retrouvé aucun signe de malignité et, l’étude définitive, une hyperplasie nodulaire. Un traitement substitutif par LT4 a été instauré dans les suites opératoires immédiates (Lévothyrox® 50 µg/j), associé à une supplémentation en calcium et vitamine D en raison d’une hypoparathyroïdie séquellaire de la thyroïdectomie totale (Un-Alpha® 1 µg/j). Cinq ans après l’intervention thyroïdienne, madame L.C., qui se plaint d’un certain surpoids, modifie ses règles diététiques. Elle perd ainsi 25 kg sur une période de 18 mois. Cette perte de poids importante s’associe à un certain degré d’asthénie et à quelques accès de palpitations. La mesure du taux de TSH plasmatique, qui s’inscrit à la fois dans le cadre de la surveillance de cette hypothyroïdie postchirurgicale substituée et dans le bilan étiologique d’un amaigrissement important, est inférieure à 0,01 mU/l. Consécutivement, le traitement substitutif par LT4 est interrompu. Trois mois après l’arrêt du traitement par LT4, la patiente reste asthénique, se plaint de troubles du sommeil et toujours d’accès de palpitations. Elle pèse 68 kg pour 1,65 m. Son rythme cardiaque est régulier à 92 pulsations par minute et sa pression artérielle à 130/60 mmHg. Il existe un tremblement fin des extrémités. L’examen cervical retrouve la cicatrice de thyroïdectomie sans aucune autre anomalie locale. En particulier, il n’y a aucune adénopathie dans les aires cervicales. L’examen ophtalmologique est normal. À cette date, alors que la patiente ne prend comme traitement que un µg de Un-Alpha®/j, la TSH est à 0,008 mU/l, non stimulable par l’administration de TRH. La T4 libre est à 17,1 pmol/l pour une norme comprise entre 10 et 23 et la T3 libre à 6,47 pmol/l pour une norme comprise entre 3,5 et 6. La recherche de la présence d’anticorps anti-thyroïdien est négative. L’échographie de la région cervicale ne retrouve aucun tissu thyroïdien en lieu et place de la thyroïde. Cet examen confirme l’absence d’adénopathie cervicale. La scintigraphie thyroïdienne ne retrouve pas de fixation significative en regard de la loge thyroïdienne. La situation, associant une hyperthyroïdie manifeste à une absence de tissu thyroïdien cervical est très particulière. Les causes classiques d’hyperthyroïdie à scintigraphie blanche (thyroïdite subaiguë, hyperthyroïdie associée à une surcharge iodée, etc.) ne peuvent être retenues, à la fois compte tenu des antécédents de madame L.C. et des * Service d’endocrinologie et des maladies métaboliques, CHU de Rouen. données cliniques et paracliniques. L’hypothèse qui vient en tête de liste des explications est celle d’une poursuite, inavouée, du traitement par LT4, pour des raisons esthétiques. Dans un tel contexte, la mesure du taux de thyroglobuline plasmatique apporte une information essentielle. Ce chiffre doit en effet être indétectable si l’hypothèse précédente est la bonne. Ce n’est pas le cas pour Madame L.C. dont le taux de thyroglobuline plasmatique atteint 1 160 pg/l pour une norme inférieure à 40. Ce résultat a amené, d’une part, à réaliser une nouvelle scintigraphie à l’iode 131 avec balayage totocorporel et, d’autre part, à demander une relecture des lames de la pièce de thyroïdectomie réalisée cinq ans auparavant. La scintigraphie à l’iode 131 retrouve une importante fixation abdominale localisée en fosse iliaque gauche (figure 1). Goitre ovarien ou métastase pelvienne d’un carcinome thyroïdien passé inaperçu ? Deux résultats viendront confirmer qu’il s’agit en fait de la deuxième hypothèse. Le scanner pelvien n’objective aucune anomalie, notamment osseuse ou ovarienne. Un examen cœlioscopique pelvien, guidé par la détection peropératoire des sites de captation d’une dose traceuse d’iode 131 administrée au préalable, inno- Face antérieure Cas clinique Cas clinique Face postérieure Figure 1. Captation pelvienne après administration d’une dose traceuse d’iode 131. Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), no 3, mai/juin 2003 145 Cas clinique Cas clinique 146 centera définitivement l’ovaire et localisera le foyer de fixation isotopique pelvien au niveau du psoas gauche. La relecture de l’examen anatomopathologique de la pièce d’exérèse thyroïdienne permettra de retrouver au sein d’un des nodules des caractéristiques moins typiques que celles des adénomes vésiculaires habituels. Certaines plages sont en effet plus cellulaires, avec un agencement des microvésicules moins régulier. Les noyaux sont arrondis et monomorphes. Dans quelques champs ont été observées une ou plusieurs mitoses normales. Pour l’anatomopathologiste, ces aspects incitaient à quelques réserves sans qu’il y ait, en périphérie de la lésion, de signe d’agressivité. Le nodule en question était bien délimité du parenchyme voisin et il n’y avait ni franchissement de la capsule ni invasion vasculaire. L’évolution ultérieure témoigne cependant que ces réserves anatomopathologiques étaient pertinentes et qu’il est très vraisemblable que ce soit à partir de cette lésion que ce soit faite une dissémination vers le pelvis. Compte tenu du diagnostic final : métastase musculaire pelvienne d’un carcinome thyroïdien différencié, un traitement par iode radioactif a été initié. La figure 2 illustre les variations des taux de TSH et de thyroglobuline au cours de ce suivi. L’association hyperthyroïdie-carcinome différencié de la thyroïde est connue. Les cancers différenciés de la thyroïde paraissent d’ailleurs trois à quatre fois plus fréquents chez les patients hyperthyroïdiens que chez ceux qui ont un équilibre hormonal thyroïdien normal (1). La fréquence des carcinomes thyroïdiens responsables d’hyperthyroïdie est beaucoup plus faible et, dans ce cas, les métastases ont, en règle générale, un potentiel sécrétoire réduit. Sur 125 patients, Gross et al. (2) ont retrouvé des métastases sécrétrices d’hormones thyroïdiennes chez 6 patients. Dans de rares cas, la production d’hormones thyroïdiennes par les métastases est liée à la présence d’anticorps stimulant le récepteur de la TSH (3). Il s’agit alors d’une association maladie de Basedow-carcinome thyroïdien. La recherche de la présence de TSI étant Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), n° 3, mai/juin 2003 Figure 2. Évolution des taux plasmatiques de thyroglobuline et de TSH, avant (B) et après administration, lors de sevrage en T4, de doses thérapeutiques d’iode 131. négative chez madame L.C., ce mécanisme ne peut être retenu. L’explication la plus plausible est celle d’une inflation de la sécrétion d’hormones thyroïdiennes par un carcinome très différencié et expliqué soit par la masse métastatique, soit éventuellement par la présence, au sein de ces cellules, d’une mutation activatrice du récepteur de la TSH (4). Références 1. Chigot JP, Menegaux F, Keopadabsy K et al. Thyroid cancer in patients with hyperthyroidism. Presse Med 2000 ; 29 : 1969-72. 2. Gross JL, Vasques Moraes I. Thyroid hormone-producing metastases in differentiated thyroid cancer. J Endocrinol Invest 1996 ; 19 : 21-4. 3. Ishihara T, Ikekubo K, Shimodahira M et al. A case of TSH receptor antibody-positive hyperthyroidism with functioning metastases of thyroid carcinoma. Endocr J 2002 ; 49 : 241-5. 4. Camacho P, Gordon D, Chiefari E et al. A Phe 486 thyrotropin receptor mutation in an autonomously functionning follicular carcinoma that was causing hyperthyroidism. Thyroid 2000 ; 10 : 1009-12.