Comment lire philosophiquement un texte ? 2
1. Réflexions préliminaires
1.1. Lecture et philosophie
Dans ces quelques pages, je cherche à donner quelques conseils concernant la lecture
philosophique d’un texte. Mais finalement : Pourquoi la lecture constitue une part importante
du travail du philosophe ? A quoi bon dépenser du temps et de l’énergie pour lire lorsque ce
que l’on veut faire c’est faire de la philosophie ? Finalement, pourquoi s’intéresser à des
textes parfois fort anciens, parfois fort éloignés de nous (aussi bien temporellement que
culturellement) et très souvent fort ardus ?
Quelqu’un pourrait répondre : « le but de la lecture en philosophie c’est de connaître les
différentes idées et opinions des philosophes au cours des siècles ». Certes, connaître la
pensée de philosophes, connaître la pensée de Kant sur la morale ou celle d’Aristote sur l’être,
est quelque chose de très intéressant et de très louable. Cependant, cette réponse me paraît
trop limitative.
Tout d’abord, le départ de toute démarche philosophique me semble être le questionnement
(un questionnement d’un type particulier, mais un questionnement tout de même) : tout à
coup, quelque chose nous intrigue, nous interroge : qu’est-ce que le temps ? qu’est-ce que le
bien ? comment puis-je savoir que je ne suis pas en train de rêver ? suis-je véritablement
libre ? comment puis-je savoir que la personne avec qui je parle a des pensées, ressent des
émotions comme moi ? est-il juste de faire telle ou telle action ? pourquoi est-ce que j’existe ?
pourquoi ne doit-on pas faire ce qui est mal ?…
Faire de la philosophie consiste à chercher à répondre à de telles questions. Cependant, pas
répondre de n’importe quelle manière ! Chercher à répondre à de telles questions en étant
guidé par la raison (et non, par exemple, par les émotions), en cherchant une réponse qui est
soutenue par de fortes raisons, en cherchant une réponse qui pourrait être acceptée par
d’autres personnes que par moi (si celles-ci se laissent également guidées par la raison). Or,
après avoir cherché à répondre à une telle question par soi-même, après avoir examiné
différentes réponses et les raisons que l’on peut avancer en leur faveur, il est important
d’entrer en dialogue avec d’autres personnes au sujet de cette question : ces personnes ont-
elles d’autres idées de réponses auxquelles nous n’avons pas nous-mêmes pensé ? leurs
opinions et leurs réponses sont-elles soutenues par de fortes raisons ? leurs propos posent-ils
des difficultés aux différentes réponses (ou débuts de réponses) que nous avons trouvées et
aux raisons que nous avons invoquées ? leurs propos remettent-ils en question la vision que
nous avions du problème ? ...
Le but de ce dialogue est de progresser vers la vérité, c'est-à-dire vers une réponse de plus en
plus satisfaisante. C’est dans ce cadre-là que la lecture philosophique prend toute son
importance : lire un texte philosophiquement permet d’entrer en dialogue, en nous appuyant
sur la raison, avec l’auteur de ce texte, avoir l’opportunité de discuter rationnellement avec
quelqu’un de la question qui nous interpelle et nous fascine.
Les « grands » philosophes, aussi bien passés que présents, sont autant d’interlocuteurs
privilégiés qui se sont eux-mêmes confrontés aux difficultés de telles questions et avec qui