Comment lire philosophiquement un texte - Jean

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Université de Fribourg (Suisse)
Philosophie Moderne et Contemporaine
Comment lire
philosophiquement un texte ?
Quelques conseils
Version 3
Ajout d’un complément important
© Jean-Roch Lauper, Septembre 2007
Comment lire philosophiquement un texte ?
Remarque préliminaire
Les pages qui suivent contiennent certains conseils que je trouve utiles pour lire
philosophiquement un texte. Elles contiennent également certaines opinions concernant la
lecture et son importance au sein du travail philosophique. Ces conseils, et surtout ces
opinions, manifestent parfois certains partis pris et sont bien sûr discutables. Ces pages sont
donc avant tout à considérer comme des pistes de réflexions : des pistes de réflexions afin de
nourrir votre propre réflexion sur la place de la lecture au sein du travail philosophique.
Comment lire philosophiquement un texte ?
Sommaire
1. Réflexions préliminaires ...................................................................................................
1.1. Lecture et philosophie ...........................................................................................
1.2. Différents types de lecture .....................................................................................
1.3. Une compétence qui se développe .........................................................................
2
2
3
4
2. Lire philosophiquement un texte : « Marche à suivre » ...................................................... 5
2.1. Etape 1 : Comprendre et reconstruire ..................................................................... 5
2.2. Reconstruire la position d’un auteur : remarques ................................................... 8
2.3. Etape 2 : Evaluer ................................................................................................. 10
2.4. Etape 3 : « A votre tour ! » .................................................................................. 12
3. Lire philosophiquement un texte : Exemple d’application ............................................... 13
Compléments
A. Résumer et reconstruire. Quelle différence ? L’image de la maison ........................ 22
Comment lire philosophiquement un texte ?
1
1. Réflexions préliminaires
1.1. Lecture et philosophie
Dans ces quelques pages, je cherche à donner quelques conseils concernant la lecture
philosophique d’un texte. Mais finalement : Pourquoi la lecture constitue une part importante
du travail du philosophe ? A quoi bon dépenser du temps et de l’énergie pour lire lorsque ce
que l’on veut faire c’est faire de la philosophie ? Finalement, pourquoi s’intéresser à des
textes parfois fort anciens, parfois fort éloignés de nous (aussi bien temporellement que
culturellement) et très souvent fort ardus ?
Quelqu’un pourrait répondre : « le but de la lecture en philosophie c’est de connaître les
différentes idées et opinions des philosophes au cours des siècles ». Certes, connaître la
pensée de philosophes, connaître la pensée de Kant sur la morale ou celle d’Aristote sur l’être,
est quelque chose de très intéressant et de très louable. Cependant, cette réponse me paraît
trop limitative.
Tout d’abord, le départ de toute démarche philosophique me semble être le questionnement
(un questionnement d’un type particulier, mais un questionnement tout de même) : tout à
coup, quelque chose nous intrigue, nous interroge : qu’est-ce que le temps ? qu’est-ce que le
bien ? comment puis-je savoir que je ne suis pas en train de rêver ? suis-je véritablement
libre ? comment puis-je savoir que la personne avec qui je parle a des pensées, ressent des
émotions comme moi ? est-il juste de faire telle ou telle action ? pourquoi est-ce que j’existe ?
pourquoi ne doit-on pas faire ce qui est mal ?…
Faire de la philosophie consiste à chercher à répondre à de telles questions. Cependant, pas
répondre de n’importe quelle manière ! Chercher à répondre à de telles questions en étant
guidé par la raison (et non, par exemple, par les émotions), en cherchant une réponse qui est
soutenue par de fortes raisons, en cherchant une réponse qui pourrait être acceptée par
d’autres personnes que par moi (si celles-ci se laissent également guidées par la raison). Or,
après avoir cherché à répondre à une telle question par soi-même, après avoir examiné
différentes réponses et les raisons que l’on peut avancer en leur faveur, il est important
d’entrer en dialogue avec d’autres personnes au sujet de cette question : ces personnes ontelles d’autres idées de réponses auxquelles nous n’avons pas nous-mêmes pensé ? leurs
opinions et leurs réponses sont-elles soutenues par de fortes raisons ? leurs propos posent-ils
des difficultés aux différentes réponses (ou débuts de réponses) que nous avons trouvées et
aux raisons que nous avons invoquées ? leurs propos remettent-ils en question la vision que
nous avions du problème ? ...
Le but de ce dialogue est de progresser vers la vérité, c'est-à-dire vers une réponse de plus en
plus satisfaisante. C’est dans ce cadre-là que la lecture philosophique prend toute son
importance : lire un texte philosophiquement permet d’entrer en dialogue, en nous appuyant
sur la raison, avec l’auteur de ce texte, avoir l’opportunité de discuter rationnellement avec
quelqu’un de la question qui nous interpelle et nous fascine.
Les « grands » philosophes, aussi bien passés que présents, sont autant d’interlocuteurs
privilégiés qui se sont eux-mêmes confrontés aux difficultés de telles questions et avec qui
Comment lire philosophiquement un texte ?
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nous avons la chance de pouvoir nous entretenir et entrer en dialogue : entrer en dialogue au
sujet de questions qui nous intéressent, mais aussi au sujet de question qui les ont intéressés
ou qui les intéressent. C’est cela qui confère de la valeur à la lecture de leurs écrits : pouvoir
observer un être humain qui se confronte sérieusement à une question profonde, qui cherche à
y répondre sincèrement en s’appuyant sur la raison et qui offre au dialogue et à notre examen
critique les résultats de sa recherche. La lecture a ainsi cela d’exceptionnel qu’elle nous
permet d’entrer en dialogue avec des interlocuteurs privilégiés parfois bien éloignés dans le
temps et/ou dans l’espace. Ainsi, lorsque vous vous promener parmi les rayonnages d’une
bibliothèque de philosophie, ne considérez pas cet imposant amoncellement de volumes
souvent épais et parfois poussiéreux comme une matière morte, comme un agglomérat de
pages contenant des idées figées et fixées, mais ayez bien conscience que tous ces volumes
représentent autant d’interlocuteurs prêts à s’entretenir et à dialoguer avec vous, sont autant
de rencontres possibles.
Néanmoins, les philosophes, plus ou moins « grands », ne sont pas les seuls interlocuteurs
possibles. Nous pouvons également entrer en dialogue avec d’autres auteurs « nonphilosophes » qui s’interrogent sincèrement. C’est pourquoi, il faut faire la distinction entre
lire philosophiquement un texte ou un écrit et lire un texte ou un écrit philosophique. En effet,
il est tout à fait possible de lire philosophiquement un texte qui n’est pas à proprement parler
un texte philosophique. Ceci explique le titre du présent document qui voudrait vous fournir
quelques clefs pour lire philosophiquement un texte et non pas uniquement lire un texte
philosophique. (Il est à noter que, bien que cela puisse paraître surprenant, il est
malheureusement également tout à fait possible de lire non-philosophiquement un texte
philosophique…)
1.2. Différents types de lecture
Mais finalement, pourquoi diable est-ce que je vous donne un petit document contenant des
conseils pour lire un texte philosophiquement ? Après tout, vous savez lire ! D’ailleurs, sinon
comment pourriez-vous être en train de lire ces lignes !
Certes, vous savez lire. Mais l’erreur est de croire qu’il n’y a qu’un seul type de lecture ! En
effet, notre manière de lire change en fonction des objectifs que nous avons au moment de lire
et du type de texte lu : lire un texte afin de voir si son contenu nous touche, lire un texte afin
de voir si l’auteur parle d’événements historiques importants ou lire un texte afin de vérifier
son orthographe sont des choses bien différentes ! De la même manière, lire une lettre
d’amour, lire un poème, lire le manuel d’une télévision, lire la faute de l’Abbé Mouret ou lire
le bottin téléphonique sont des choses bien différentes ! Dans ces situations différentes, notre
attention et notre concentration sont focalisées et dirigées en priorité vers des éléments
particuliers différents.
D’une manière semblable, il serait faux de croire qu’il n’y a finalement pas de différence
entre lire un texte et lire philosophiquement un texte : lire philosophiquement un texte
requiert, comme nous allons le voir, que vous soyez attentifs à des éléments bien particuliers
et que votre attention soit dirigée vers certaines choses plutôt que d’autres.
Comment lire philosophiquement un texte ?
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1.3. Une compétence qui se développe
Beaucoup sont les gens qui pensent que savoir lire est une compétence qui s’acquiert une fois
pour toute : « J’ai appris à lire à l’école et depuis je sais lire. » Or, cette vision statique des
choses, comme vous pourrez le constater au fil des mois et des années à venir, est
complètement erronée.
Savoir lire est une compétence dynamique. En effet, il arrive malheureusement que certaines
personnes qui savent lire ne le savent plus après un certain nombre d’années par manque de
pratique. De façon semblable mais inverse, à travers la pratique, savoir lire est une
compétence qui peut se développer tout au long de notre vie. Gardez bien cela à l’esprit,
surtout dans vos premières « confrontations » avec des textes philosophiques, et plus
généralement avec des textes de type universitaire : la lecture de ces textes paraît souvent très
ardue au début (vocabulaire inconnu, texte dense, argumentation serrée, …) ; mais, avec le
temps, vous verrez que ces textes ne deviendront pas forcément plus simples, mais que leur
lecture deviendra quand même bien plus aisée et que, si l’on peut dire, vous vous y sentirez
bien plus à l’aise. Il n’en reste pas moins que la lecture philosophique de textes, qui plus est
celle de textes philosophiques, demeure (et ce qu’importe notre « niveau » de lecture) une
entreprise qui nécessite passablement de temps, d’énergie, de patience et d’opiniâtreté si elle
veut être bien conduite et si elle veut nous être profitable : la lecture philosophique d’un texte
ne sera guère le lieu de la hâte...
Comment lire philosophiquement un texte ?
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2. Lire philosophiquement un texte :
« Marche à suivre »
Il ne semble pas y avoir de recette universelle afin de bien lire philosophiquement un texte.
Cependant, il existe une série d’étapes que l’on peut tout de même mettre en évidence et qu’il
vaut la peine de suivre dans l’approche philosophique d’un texte.
2.1. Etape 1 : Comprendre et reconstruire
Le premier objectif que vous devez avoir en tête lorsque vous lisez philosophiquement un
texte est double :
- comprendre le mieux possible ce qu’a voulu dire l’auteur ;
- reconstruire le mieux possible la position de l’auteur dans vos propres mots et en
évitant tout terme et jargon technique.
Afin de réaliser ce double objectif, vous devriez être capables de faire ressortir du texte et
reformuler dans vos propres mots (sans terme technique et autre jargon) les éléments
suivants :
Lecture philosophique d’un texte : les éléments à ressortir
(1) La question – le thème
A quelle question (implicite ou explicite) cherche à répondre l’auteur dans son texte ?
(Cette question devrait être suffisamment générale pour que l’on puisse imaginer que
d’autres auteurs puissent chercher à y répondre dans d’autres textes.)
La question à laquelle cherche à répondre l’auteur détermine le thème du texte.
(2) La réponse – la thèse
Quelle réponse donne l’auteur à la question (implicite ou explicite) qu’il se pose ?
Cette réponse correspond à la thèse défendue par l’auteur.
(3) Les raisons – les arguments
Comment l’auteur défend-il sa thèse ?
Quelles sont les raisons qu’il avance afin de défendre sa réponse ?
Répondre à ces questions revient à dire quels sont les arguments avancés par l’auteur
en faveur de sa thèse.
Ö Par rapport à ce que sont les arguments et une argumentation : veuillez consulter le
document « l’argumentation en très bref ».
Comment lire philosophiquement un texte ?
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G A noter : plusieurs thèses
Ici, pour simplifier, je fais comme si un texte ne possédait forcément qu’un seul thème
et qu’une seule thèse.
Cependant, très fréquemment, au sein d’un même texte, un auteur défend une thèse
principale et différentes thèses secondaires : les thèses secondaires sont alors en
général présentées et défendues (à l’aide d’arguments) afin d’étayer la thèse principale
de l’auteur. Ainsi, fréquemment, le troisième élément à faire ressortir, « (3) Les
raisons – les arguments », contiendra lui-même une suite de thèses secondaires
défendues par divers arguments.
Il arrive également qu’un texte contienne différentes thèses qui ne sont pas vraiment
hiérarchisées (c'est-à-dire, qui ne sont pas telles que l’on puisse distinguer parmi elles
des thèses principales et des thèses secondaires), mais qui sont liées entre elles d’une
autre manière (par exemple, elles se rapportent à un même sujet).
Certains éléments « linguistiques » du texte étudié vont vous fournir une aide précieuse afin
de faire ressortir les trois éléments précités :
Lecture philosophique d’un texte : l’aide de certains éléments linguistiques
a. Le titre
Il peut vous donner des informations concernant le thème du texte.
b. Les paragraphes
Le découpage du texte en paragraphes, si celui-ci est bien fait par l’auteur, doit vous
renseigner sur les « grandes étapes » du texte. L’observation de ce découpage informe
généralement sur la manière dont l’auteur « structure » son argumentation. Cette
observation permet également de construire un plan du texte, tâche très utile à réaliser
(pour le plan du texte et son utilité, voir un peu plus bas dans ce document).
c. Les mots-clefs
Certains mots peuvent revenir fréquemment dans le texte. Il peut également arriver
que, au sein d’un même texte, de nombreux mots semblent faire partie d’une même
« famille », être relatifs à un même sujet. Ce sont ces mots qui sont les mots-clefs.
Ceux-ci nous renseignent généralement sur le thème du texte travaillé.
d. Les mots-chevilles
Les mots-chevilles sont tous ces petits mots qui constituent l’articulation des phrases
et des parties de phrases du texte. Ils peuvent indiquer des choses aussi diverses que la
cause, la conséquence, l’opposition, la concession, la disjonction, …
Ex. :
donc, par conséquent, c’est pourquoi, car, en effet, bien que, soit… soit…,
c'est-à-dire, de plus, ceci s’oppose à, malgré, mais, si et seulement si, si…
alors, …
Lors de la lecture philosophique d’un texte, il est important de bien repérer ces
différents petits mots (par exemple, en les mettant en évidence) et d’identifier leur rôle
(conséquence, opposition, concession, …). En effet, ceux-ci sont en général une aide
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afin de bien comprendre et de pouvoir reconstruire les arguments avancés par l’auteur
en faveur de sa thèse.
e. Les images et les exemples
Lorsque vous désirez lire philosophiquement un texte, il est également bien que vous
observiez si le texte étudié contient des images et des exemples.
Si tel est le cas, il faudra à chaque fois vous demander quel est leur rôle.
•
Rôle illustratif :
L’image ou l’exemple considéré n’apporte pas vraiment d’élément explicatif
nouveau, mais permet de mieux saisir, en l’illustrant, une affirmation ou un
propos. Si tel est le cas, il devrait être possible de retirer cette image ou cet
exemple sans perdre d’élément essentiel du texte
•
Rôle explicatif :
L’image ou l’exemple considéré apporte un véritable élément explicatif
nouveau (il peut par exemple s’agir d’une image utilisée au sein d’une
analogie). Si tel est le cas, il ne devrait pas être possible de retirer cette image
ou cet exemple du texte sans en retirer quelque chose d’essentiel.
Repérer les images et les exemples et saisir leur rôle au sein du texte peut être utile
lors de la reconstruction des arguments.
Ö Découper le texte et en faire un plan
En plus des différents éléments précités :
Lorsque vous lisez philosophiquement un texte, essayer toujours de :
1. découper ce texte en parties (un élément important par partie) et de
2. donner un nom à chacune de ces différentes parties.
(A noter : souvent (mais pas toujours !) les parties correspondent aux paragraphes du texte.)
Les noms donnés aux différentes parties du texte doivent être brefs (une expression, une
phrase, …), mais suffisamment clairs et informatifs : on devrait pouvoir connaître en gros le
contenu de la partie simplement en lisant le nom que vous lui avez donné ; le titre doit
suffisamment évoquer (en tout cas, pour vous !) le contenu de la partie concernée (un titre de
partie qui se limiterait à « introduction » n’est par exemple pas très utile…).
En découpant le texte en parties et en leur donnant un nom, vous obtenez un plan du texte. Or,
ce plan possède une double utilité.
a. Un tel plan est une aide très utile pour la reconstruction de l’argumentation
contenue dans le texte étudié.
b. Un tel plan, joint à une mise en évidence intelligente et adéquate, vous dispense le
plus souvent de faire un résumé « traditionnel » du texte. En effet, pour vous
remémorer un texte, il vous suffira le plus souvent de reparcourir la copie du texte
travaillé avec ses différentes grandes parties nommées.
(Si en plus, vous avez ressorti le thème, la thèse et reconstruit l’argumentation, un
tel résumé « traditionnel » est vraiment superflu et inutilement chronophage…)
Comment lire philosophiquement un texte ?
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G Vous trouverez un exemple d’application de cette première étape dans la partie 3. de ce
document.
[Le contenu du point 2.1. s’inspire du document « Analyse d’un texte philosophique. Quelques éléments.
Méthode A.1 » utilisé par G. Devanthéry et J.P. Fragnière (Collège St-Michel, Fribourg (Suisse)) durant l’année
scolaire 2003-2004, ainsi que de discussions que j’ai eues avec eux à son sujet.]
2.2. Reconstruire la position d’un auteur : remarques
Lorsque vous cherchez à reconstruire la position d’un auteur, je vous conseille de suivre les
quelques recommandations suivantes, que l’on m’a faites lorsque je débutais mes études
universitaires de philosophie et qui se sont toujours avérées très utiles depuis :
•
Clarté et simplicité
Lorsque vous reconstruisez la position d’un auteur, imaginez-vous que vous
deviez expliquer, rendre compte de cette position à un ami qui n’a pas lu le
texte et qui ne fait pas forcément de la philosophie. Vos priorités doivent être la
simplicité et la clarté.
•
Vos propres mots
Lorsque vous reconstruisez la position et surtout l’argumentation d’un auteur,
faites cela avec vos propres mots. Ne citez pas de passages, mais expliquez ce
que l’auteur dit et pourquoi il le dit. Evitez l’usage de mots techniques ou alors,
si vous en utilisez, définissez-les.
•
Le principe de charité
Lorsque vous reconstruisez la position d’un auteur, vous n’êtes pas encore en
train d’évaluer sa position ou d’examiner si celle-ci rencontre des difficultés.
Ainsi, lors de cette première étape, soyez charitables avec l’auteur (application
du principe de charité) : essayer de donner l’interprétation qui rend ses
arguments aussi forts que possibles. Autrement dit : avant de critiquer,
chercher à véritablement comprendre. Attention cependant à ne pas corriger un
auteur quand vous reconstruisez ses arguments : votre interprétation doit être
charitable, certes, mais tout de même justifiée !
[Ces recommandations reprennent une partie de celles faites par Markus HALLER lors du proséminaire « Entre
l’anarchie et le Léviathan : Hobbes, Hume, Buchanan » qui eut lieu au semestre d’hiver et au semestre d’été
1998-1999, à l’Université de Fribourg (Suisse).]
Reconstruire la position et l’argumentation d’un auteur revient dans un sens à faire le résumé
d’un texte. Mais attention ! ce n’est pas simplement un résumé ! En effet, afin de mener à bien
cette reconstruction, vous devez véritablement vous approprier le texte, vraiment saisir son
articulation, vraiment saisir comment les différents éléments constitutifs du texte sont liés les
uns aux autres. Ainsi, reconstruire la position d’un auteur nécessite et permet une
compréhension approfondie du texte et une entrée en son sein qui dépasse ce que pourrait être
une première lecture. Pour reprendre l’image du dialogue entre vous et l’auteur du texte
exprimée ci-dessus : lire un texte et le reconstruire revient à écouter attentivement les paroles
Comment lire philosophiquement un texte ?
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G Le terme « dialogue »
de votre interlocuteur et être capable ensuite de
reformuler ses propos avec simplicité, clarté et dans vos
propres mots.
Le terme « dialogue » vient du grec dialogos. Une des manières possibles
d’interpréter étymologiquement ce terme
est : « la parole raisonnée à travers ».
Selon cette interprétation, être véritablement
en dialogue reviendrait ainsi à laisser passer
la parole de l’autre à travers soi-même, avec
pour guide la raison.
Cependant, la reconstruction d’un texte peut être plus ou
moins approfondie. En effet, selon les occasions et les
situations (et étant donné les limites du temps à votre
disposition), vous ne reconstruirez pas toujours un texte avec la même profondeur : parfois,
une reconstruction assez grossière peut suffire (par exemple, lorsque vous voulez avoir saisi
les grandes lignes d’un texte) et, d’autre fois, une reconstruction minutieuse est nécessaire
(par exemple, lorsque vous voulez entrer véritablement en dialogue avec l’auteur du texte et
évaluer sa position). En tous les cas, il ne faut pas et vous ne pourrez pas, pour chaque texte,
faire une reconstruction dans le détail et rédigée par écrit !
Qu’importe le niveau de profondeur « choisi », vous pourrez assez vite vous rendre compte
que les quelques efforts nécessaires afin de reconstruire la position d’un auteur n’ont pas
comme unique fruit la production d’un résumé argumenté, mais qu’ils vous permettent de
« goûter » au texte considéré d’une autre manière, une manière qui vous apporte
véritablement quelque chose. Dans un sens, la différence qu’il y a entre lire rapidement un
texte et lire philosophiquement un texte est un peu semblable à la différence existant entre lire
la carte d’un bon restaurant et y faire un bon repas…
Comment lire philosophiquement un texte ?
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2.3. Etape 2 : Evaluer
Une fois que vous avez reconstruit la position d’un auteur en appliquant le principe de charité,
et seulement à ce moment-là, vous allez pouvoir évaluer la force de la position de l’auteur.
Mais que doit-on faire afin d’évaluer la position d’un auteur ?
A nouveau, il n’y a pas de recettes universelles. Cependant, certains principes généraux et
quelques étapes types peuvent tout de même être mis en évidence. Commençons par deux
principes généraux importants :
(1) Portée/objet de l’évaluation : l’importance des arguments
Afin d’évaluer la position d’un auteur, il ne faut surtout pas se focaliser sur la thèse
(ou les thèses) défendue(s) par l’auteur en oubliant les arguments avancés par l’auteur
en faveur de cette thèse !
Afin de juger la valeur de la position d’un auteur, il faut, au contraire, examiner avec
attention les arguments que l’auteur avance afin de soutenir sa thèse.
Ce qui compte en philosophie n’est pas que l’on soit simplement d’accord ou pas
d’accord avec une certaine thèse ! Ce qui compte c’est être capable de considérer les
arguments avancés en faveur d’une certaine thèse et voir si ces arguments semblent
solides ou non et ce, qu’importe que la thèse défendue par ces arguments vous
paraissent acceptables ou non.
Tant que quelqu’un considère différentes opinions ou différentes thèses, aussi
intéressantes soient-elles, ce quelqu’un ne fait pas encore de la philosophie !
Quelqu’un fait de la philosophie uniquement dès le moment où, au-delà (ou en-deçà)
des opinions et des thèses considérées, ce quelqu’un s’intéresse aux raisons avancées
afin de soutenir et défendre ces opinions et ces thèses.
(2) Le guide de l’évaluation : la raison
Afin d’évaluer la position d’un auteur, il ne faut surtout pas vous appuyer sur vos
émotions ou vos sentiments ou autre réaction spontanée.
Afin d’évaluer la position d’un auteur, il faut, au contraire, vous appuyer uniquement
sur votre raison.
Lorsque vous évaluer la position d’un certain auteur, il se peut que cette position vous
repousse, ou même vous dégoûte ou vous choque. Il se peut également que cette
position vous charme, vous attire. Ces réactions, vous ne pouvez bien sûr pas décider
de les ressentir ou non. Cependant, ces réactions ne doivent pas être votre guide lors
de l’évaluation de la position d’un auteur. Pour évaluer cette position, vous devez vous
appuyer uniquement sur la raison et évoquer des éléments aisément acceptables par
tout autre être humain.
Mais finalement, pourquoi s’appuyer sur la raison plutôt que sur nos émotions pour
évaluer la position d’un auteur ?
Les émotions peuvent grandement varier d’un individu à l’autre face à une même
situation, alors que la raison se veut quelque chose d’universel et d’aisément
partageable. Or, la philosophie cherche à comprendre la réalité et, dans cet effort, elle
tend à s’approcher le plus possible de la vérité. Or, la vérité et le type de
compréhension que l’effort philosophique recherche se place du côté de l’universel et
Comment lire philosophiquement un texte ?
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de l’aisément partageable et non pas du côté du particulier et de la connaissance
privée. D’où l’importance de s’appuyer sur la raison et non sur les émotions.
Une fois ces deux principes de base reconnus, évaluer la position d’un auteur consistera à
tester les arguments que celui-ci avance en faveur de la thèse qu’il défend. Mais comment
tester un argument ? En effet, on ne peut pas tester un argument en laboratoire comme l’on
pourrait tester par exemple la résistance d’un certain matériau ou la viscosité d’un certain
liquide ! Parmi les choses qui peuvent être faites afin de tester un argument, j’aimerais citer,
sans ordre précis, les suivantes :
Quelques « tests » à effectuer afin d’évaluer la position d’un auteur ou une
certaine thèse
1. Forme
Examiner la forme de l’argument afin de voir si celle-ci est acceptable (pour plus
de détails, voir le document « l’argumentation en très bref »).
2. Prémisses / présupposés
Examiner les différentes affirmations (implicites ou explicites) que l’auteur
considère comme vraies et qui jouent un rôle important dans ses arguments : ces
affirmations sont-elles facilement admissibles ? au contraire, semblent-elles
discutables ? pourquoi ?...
3. Pouvoir explicatif
Afin d’examiner le pouvoir explicatif de la position examinée, chercher à répondre
aux questions suivantes :
La position (et, plus particulièrement, la thèse) examinée permet-elle de rendre
compte de manière satisfaisante de nombreuses situations, de nombreux cas ?
Au contraire, n’y a-t-il que peu de cas dont la position examinée permet de
rendre compte de manière satisfaisante ?
A supposé qu’elle soit vraie, la position examinée augmente-t-elle
considérablement notre compréhension du monde ou peu ?
Afin de répondre à ces questions, il faut réfléchir à différents exemples, à
différentes situations et voir ce que la position examinée en dirait.
4. Contre-exemples
Réfléchir afin de voir si on peut imaginer des contre-exemples à la thèse défendue.
Si ces contre-exemples paraissent solides, la thèse peut être rejetée ou doit être
modifiée afin d’en tenir compte.
5. Situations problématiques
Réfléchir également à la question de savoir si, sans être des contre-exemples, il
existe des situations dont la thèse a de la peine à rendre compte. Si oui, il faudra
réfléchir aux conséquences de ce fait.
Comment lire philosophiquement un texte ?
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6. Conséquences
Examiner quelles sont les conséquences qui peuvent être tirées de la thèse
considérée : « A supposer que cette thèse soit vraie, quelles en seraient les
conséquences ? ». Une fois ces conséquences mises en évidence, on pourra se
demander : que penser de ces conséquences ? paraissent-elles acceptables, ou, au
contraire, inacceptables ? dans chacun de ces cas, qu’en penser ?
7. Liens et réseau de croyances
Examiner les liens existant entre la thèse défendue et d’autres thèses défendues
dans d’autres domaines de la philosophie :
Exemple : « Cette thèse X paraît vraie. Mais si X est vraie alors, dans un autre
domaine de la philosophie, la thèse Y doit être fausse. Cependant, la
thèse Y me paraît également vraie. Alors qu’en penser ?... »
Cet aspect de l’évaluation correspond à la mise en relation de la thèse défendue au
sein d’un groupe d’affirmations plus large. Dans un sens, on « prend du recul » par
rapport à la thèse particulière examinée.
2.4. Etape 3 : « A votre tour ! »
L’étape 3 n’est pas vraiment une étape qui se rajoute aux deux précédentes : ce n’est pas
véritablement une étape qui devrait encore être faite lorsque l’on désire lire
philosophiquement un texte et que l’on a déjà effectué les étapes 1 et 2. L’étape 3 désigne
plutôt le pas suivant que vous devriez être capables de réaliser une fois que vous aurez
pratiqué les étapes 1 et 2 par rapport à différents textes. Cette troisième étape consiste à être
capable d’appliquer les deux premières étapes (reconstruction et évaluation), non plus
seulement à d’autres auteurs et à des textes écrits, mais aussi à des opinions, des croyances,
des thèses soutenues et défendues par vous-mêmes !
Lorsque vous chercherez à appliquer l’étape 1 à votre propre position, vous ne rencontrerez
généralement que peu de difficultés à trouver la question à laquelle vous cherchez
(consciemment ou non) à répondre (le thème de votre position) et la réponse que vous
proposez à cette question (votre thèse). Par contre, afin de trouver et exprimer avec soin les
raisons que vous pouvez avancer afin de défendre cette position (vos arguments), pas mal
d’énergie risque de vous être nécessaire. La difficulté sera encore bien plus grande (en tout
cas, au début), lorsque vous chercherez à évaluer votre propre position avec impartialité (vous
vous trouverez alors dans une situation quelque peu semblable à un joueur d’échecs qui joue
face à lui-même) !
Notons que, l’évaluation et l’examen de votre propre position ne déboucheront pas forcément
sur un rejet ou une acceptation pur et simple de votre position, mais que, le plus souvent, ils
déboucheront sur une modification, sur un amendement de celle-ci.
Comment lire philosophiquement un texte ?
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3. Lire philosophiquement un texte :
Exemple d’application
Afin d’illustrer les propos précédents, je vous propose maintenant de montrer ce que pourrait
être l’application de l’étape 1 (compréhension et reconstruction) à un texte particulier. A cette
fin, considérons un passage très célèbre du livre 11 des Confessions d’Augustin.
Si le futur et le passé existent, je veux savoir où ils sont. Si je
n'en suis pas encore capable, je sais du moins que, où qu'ils
soient, ils n y sont ni en tant que futur, ni en tant que passé,
mais en tant que présents. Car si le futur y est en tant que
futur, il n'y est pas encore; si le passé y est en tant que passé,
il n'y est plus. Où donc qu'ils soient, quels qu'ils soient, ils ne
sont qu'en tant que présents. Lorsque nous faisons du passé
des récits véritables, ce qui vient de notre mémoire, ce ne sont
pas les choses elles-mêmes, qui ont cessé d'être, mais des
termes conçus à partir des images des choses, lesquelles en
traversant nos sens ont gravé dans notre esprit des sortes
d'empreintes. Mon enfance, par exemple, qui n'est plus est
dans un passé disparu lui aussi; mais lorsque je l'évoque et la
raconte, c'est dans le présent que je vois son image, car cette
image est encore dans ma mémoire. La prédiction de l'avenir se
fait-elle selon le même mécanisme ? Les événements qui ne
sont pas encore, sont-ils représentés à l'avance dans notre
esprit par des images déjà existantes ? J'avoue, mon Dieu, que
je l'ignore. Mais ce que je sais, c'est que d'habitude nous
préméditons nos actions futures, que cette préméditation
appartient au présent, tandis que l'action préméditée n'est pas
encore, étant future. Lorsque nous l'aurons entreprise, et que
nous nous serons mis à réaliser ce que nous avions prémédité,
alors l'action existera, puisqu'elle sera à ce moment non plus
future mais présente. De quelque façon que se produise ce
mystérieux pressentiment de l'avenir, on ne peut voir que ce
qui est. Or ce qui est déjà n'est pas futur, mais présent.
Lorsqu'on déclare voir l'avenir, ce que l'on voit, ce ne sont pas
les événements eux-mêmes, qui ne sont pas encore, autrement
dit qui sont futurs, ce sont leurs causes ou peut-être les signes
qui les annoncent et qui les uns et les autres existent déjà.
[L’idée d’utiliser ce texte d’Augustin afin d’appliquer l’étape 1 (compréhension et reconstruction) de la lecture
philosophique d’un texte provient de G. Devanthéry et J.P. Fragnière (Collège St-Michel, Fribourg). Certains
éléments des lignes qui suivent proviennent également de discussions que j’ai eues avec eux au sujet de ce texte.]
Comment lire philosophiquement un texte ?
13
Appliquons maintenant les différents éléments vus au sein de l’étape 1 (compréhension et
reconstruction) à ce texte.
A. Les éléments linguistiques (les aides à la reconstruction)
a. Le titre
Le passage considéré n’en a pas. Ainsi, pas d’indication pour le thème au niveau du titre.
b. Les paragraphes
Ils ont été retirés du passage considéré. Ainsi, pas d’indication pour la structure de
l’argumentation au niveau des paragraphes.
c. Les mots-clefs
Afin de les repérer, relisons le texte et regardons si certains mots semblent se répéter ou
faire partie d’une même famille. A cette fin, mettons en évidence de tels mots.
Si le futur et le passé existent, je veux savoir où ils sont. Si je
n'en suis pas encore capable, je sais du moins que, où qu'ils
soient, ils n y sont ni en tant que futur, ni en tant que passé,
mais en tant que présents. Car si le futur y est en tant que
futur, il n'y est pas encore; si le passé y est en tant que passé,
il n'y est plus. Où donc qu'ils soient, quels qu'ils soient, ils ne
sont qu'en tant que présents. Lorsque nous faisons du passé
des récits véritables, ce qui vient de notre mémoire, ce ne sont
pas les choses elles-mêmes, qui ont cessé d'être, mais des
termes conçus à partir des images des choses, lesquelles en
traversant nos sens ont gravé dans notre esprit des sortes
d'empreintes. Mon enfance, par exemple, qui n'est plus est
dans un passé disparu lui aussi; mais lorsque je l'évoque et la
raconte, c'est dans le présent que je vois son image, car cette
image est encore dans ma mémoire. La prédiction de l'avenir se
fait-elle selon le même mécanisme ? Les événements qui ne
sont pas encore, sont-ils représentés à l'avance dans notre
esprit par des images déjà existantes ? J'avoue, mon Dieu, que
je l'ignore. Mais ce que je sais, c'est que d'habitude nous
préméditons nos actions futures, que cette préméditation
appartient au présent, tandis que l'action préméditée n'est pas
encore, étant future. Lorsque nous l'aurons entreprise, et que
nous nous serons mis à réaliser ce que nous avions prémédité,
alors l'action existera, puisqu'elle sera à ce moment non plus
future mais présente. De quelque façon que se produise ce
mystérieux pressentiment de l'avenir, on ne peut voir que ce
qui est. Or ce qui est déjà n'est pas futur, mais présent.
Lorsqu'on déclare voir l'avenir, ce que l'on voit, ce ne sont pas
les événements eux-mêmes, qui ne sont pas encore, autrement
dit qui sont futurs, ce sont leurs causes ou peut-être les signes
qui les annoncent et qui les uns et les autres existent déjà.
Comment lire philosophiquement un texte ?
14
Les différents mots clefs du texte sont :
-
passé ;
-
présent ;
-
futur ;
termes liés au temps
-
image ;
-
mémoire ;
-
prédiction, préméditation, pressentiment.
En observant ces mots-clefs, nous obtenons une information sur le thème du texte : vu la
fréquente occurrence de termes tels que « passé », « présent » et « futur », il paraît clair
que le texte parle du temps. Le mot-clef « mémoire » et le groupe de mots-clefs
« prédiction – préméditation - pressentiment » renforce encore cette idée.
Le mot-clef « image » (et sa fréquente occurrence), qui n’est pas lié directement à la
notion de temps, indique que l’idée d’image aura un rôle important à jouer au sein de
l’argumentation.
d. Les mots-chevilles
Les mots-chevilles sont souvent très nombreux au sein d’un texte (penser à des termes tels
que « et » ou « ou »). Ainsi, il est en général inutile, voire contre-productif, de tous les
mettre en évidence. C’est à vous, avec un peu de pratique, d’apprendre à déterminer quels
sont les mots-chevilles qu’il est utile de mettre en évidence. Pour le texte que nous
examinons, une telle mise en évidence pourrait être la suivante (mais d’autres sont bien
sûr possibles !) :
Si le futur et le passé existent, je veux savoir où ils sont. Si je
n'en suis pas encore capable, je sais du moins que, où qu'ils
soient, ils n y sont ni en tant que futur, ni en tant que passé,
mais en tant que présents. Car si le futur y est en tant que
futur, il n'y est pas encore; si le passé y est en tant que passé,
il n'y est plus. Où donc qu'ils soient, quels qu'ils soient, ils ne
sont qu'en tant que présents. Lorsque nous faisons du passé
des récits véritables, ce qui vient de notre mémoire, ce ne sont
pas les choses elles-mêmes, qui ont cessé d'être, mais des
termes conçus à partir des images des choses, lesquelles en
traversant nos sens ont gravé dans notre esprit des sortes
d'empreintes. Mon enfance, par exemple, qui n'est plus est
dans un passé disparu lui aussi; mais lorsque je l'évoque et la
raconte, c'est dans le présent que je vois son image, car cette
image est encore dans ma mémoire. La prédiction de l'avenir se
fait-elle selon le même mécanisme ? Les événements qui ne
sont pas encore, sont-ils représentés à l'avance dans notre
esprit par des images déjà existantes ? J'avoue, mon Dieu, que
je l'ignore. Mais ce que je sais, c'est que d'habitude nous
préméditons nos actions futures, que cette préméditation
appartient au présent, tandis que l'action préméditée n'est pas
encore, étant future. Lorsque nous l'aurons entreprise, et que
nous nous serons mis à réaliser ce que nous avions prémédité,
alors l'action existera, puisqu'elle sera à ce moment non plus
future mais présente. De quelque façon que se produise ce
mystérieux pressentiment de l'avenir, on ne peut voir que ce
qui est. Or ce qui est déjà n'est pas futur, mais présent.
Lorsqu'on déclare voir l'avenir, ce que l'on voit, ce ne sont pas
Comment lire philosophiquement un texte ?
15
les événements eux-mêmes, qui ne sont pas encore, autrement
dit qui sont futurs, ce sont leurs causes ou peut-être les signes
qui les annoncent et qui les uns et les autres existent déjà.
Remarque : Pour chacun des mots-chevilles soulignés, vous devriez être capables de dire
son rôle !
La mise en évidence de ces différents mots-chevilles permet, comme nous l’avons dit,
d’être vraiment attentifs à l’articulation du texte et nous aide à saisir la structure des
arguments de l’auteur.
e. Les images et les exemples
Ce texte contient très peu d’images et d’exemples. Le seul exemple présent est celui de
l’enfance et son rôle est clairement illustratif.
f. Découper le texte en parties et leur donner un nom : le plan
Comme je l’ai affirmé précédemment, je vous recommande d’essayer de découper le texte
étudié en parties et de donner un nom à chacune de ces parties. Pour chaque texte, il y a
bien sûr différentes possibilités de découpage. Je vous en propose une, parmi d’autres :
• Thème : le futur et le passé existent-ils ?
Si le futur et le passé existent, je veux savoir où ils sont. Si je
n'en suis pas encore capable, je sais du moins que, où qu'ils
soient, ils n y sont ni en tant que futur, ni en tant que passé,
mais en tant que présents. Car si le futur y est en tant que
futur, il n'y est pas encore; si le passé y est en tant que passé,
il n'y est plus. Où donc qu'ils soient, quels qu'ils soient, ils ne
sont qu'en tant que présents. Lorsque nous faisons du passé
des récits véritables, ce qui vient de notre mémoire, ce ne sont
pas les choses elles-mêmes, qui ont cessé d'être, mais des
termes conçus à partir des images des choses, lesquelles en
traversant nos sens ont gravé dans notre esprit des sortes
d'empreintes. Mon enfance, par exemple, qui n'est plus est
dans un passé disparu lui aussi; mais lorsque je l'évoque et la
raconte, c'est dans le présent que je vois son image, car cette
image est encore dans ma mémoire. La prédiction de l'avenir se
fait-elle selon le même mécanisme ? Les événements qui ne
sont pas encore, sont-ils représentés à l'avance dans notre
esprit par des images déjà existantes ? J'avoue, mon Dieu, que
je l'ignore. Mais ce que je sais, c'est que d'habitude nous
préméditons nos actions futures, que cette préméditation
appartient au présent, tandis que l'action préméditée n'est pas
encore, étant future. Lorsque nous l'aurons entreprise, et que
nous nous serons mis à réaliser ce que nous avions prémédité,
alors l'action existera, puisqu'elle sera à ce moment non plus
future mais présente. De quelque façon que se produise ce
mystérieux pressentiment de l'avenir, on ne peut voir que ce
qui est. Or ce qui est déjà n'est pas futur, mais présent.
Lorsqu'on déclare voir l'avenir, ce que l'on voit, ce ne sont pas
les événements eux-mêmes, qui ne sont pas encore, autrement
dit qui sont futurs, ce sont leurs causes ou peut-être les signes
qui les annoncent et qui les uns et les autres existent déjà.
Comment lire philosophiquement un texte ?
‚
ƒ
Thèse : le futur
et le passé
existent en tant
que présents.
Arg. en bref :
- Être passé → ne
plus exister ;
- Être futur → ne
pas encore exister ;
- Être présent →
exister.
„
…
Arg. pour le
passé
importance de la
mémoire :
contient des
images des
événements
passés.
Arg. pour le futur
prédiction,
préméditation,
pressentiment.
16
Une fois ces différents éléments linguistiques mis en évidence et le découpage du texte
réalisé, vous être prêts à ressortir les différents éléments propres à la lecture philosophique
d’un texte : le thème, la thèse et l’argumentation. Dans le texte présent, ces éléments
pourraient être présentés de la manière suivante :
G Remarque importante :
A nouveau, il s’agit d’une présentation possible parmi d’autres ! En effet, il peut y avoir passablement de
variations dans la présentation du thème, de la thèse et des arguments et ce, notamment au niveau de la
forme.
B. Lecture philosophique : les éléments à ressortir
[Cette partie B. est issue d’un essai de reconstruction que j’avais réalisé dans le cadre de mon enseignement au
Collège St-Michel (Fribourg (Suisse)) durant l’année scolaire 2003-2004]
1. La question – le thème (partie •)
Le thème du texte est exprimé dans la première phrase et peut être formulé comme suit :
(1) Le futur et le passé existent-ils ?
$ Vraiment faire attention à toujours formuler le thème sous forme interrogative !
(évite bien des difficultés dont celle de confondre thème et thèse !)
2. La réponse – la thèse (partie ‚)
Thèse générale
(2) Le futur et le passé existent en tant que présents.
Thèses particulières « contenues » dans (2) :
(3) Le futur n’existe pas en tant que futur ;
(4) Le passé n’existe pas en tant que passé ;
(5) Le futur existe en tant que présent ;
(6) Le passé existe en tant que présent.
3. Les raisons- les arguments : Essai de reconstruction
• Argument en bref en faveur de (2) (partie ƒ)
Argument pour (3)
- Ce qui est futur n’existe pas encore ;
- Donc, le futur ne peut pas exister en tant que futur (d’où (3)).
Argument pour (4)
- Ce qui est passé n’existe plus ;
- Donc, le passé ne peut pas exister en tant que passé (d’où (4)).
Argument partiel en faveur de (5) et (6)
- Seul ce qui est présent existe ;
- Donc, le futur ne peut exister qu’en tant que présent (d’où (5)) ;
- Donc, le passé ne peut exister qu’en tant que présent (d’où (6)).
Comment lire philosophiquement un texte ?
17
• Argument en faveur de (6) (partie „)
Comment le passé peut-il exister en tant que présent ?
-
Les événements passés n’existent pas dans le présent, puisqu’ils ne sont
plus.
Ce qui existe dans le présent, ce sont les images des événements passés qui
se trouvent dans notre mémoire.
Ainsi, le passé existe en tant que présent, grâce aux images des événements
passés qui se trouvent dans notre mémoire.
• Argument en faveur de (5) (partie …)
Comment le futur peut-il exister en tant que présent ?
Première partie de la partie … (jusqu’à « J’avoue, mon Dieu, que je l’ignore. »)
Même mécanisme que pour le passé ?
- Comme nous l’avons vu : le passé existe en tant que présent grâce aux
images des événements passés qui se trouvent dans notre mémoire.
- Le futur existerait-il en tant que présent selon le même mécanisme ?
c'est-à-dire, le futur existerait-il en tant que présent grâce à des images
des événements futurs qui se trouveraient à l’avance dans notre esprit ?
- Non, vraisemblablement pas. (Augustin dit qu’il l’ignore).
Seconde partie de la partie … :
Mais alors, comment le futur peut exister en tant que présent ?
- Les événements futurs n’existent pas dans le présent puisqu’ils ne sont
pas encore.
- Ce qui existe dans le présent, c’est notre prédiction (~ dire à l’avance)
des événements futurs.
- Cette prédiction prend deux formes :
- la préméditation (~ réfléchir à l’avance)
d’ordre intellectuel ;
nous pouvons voir certains événements présents comme
les causes d’événements futurs.
- le pressentiment (~ sentir à l’avance)
de l’ordre du sensible ;
nous pouvons voir certains événements présents comme
des signes annonciateurs d’événements futurs.
- Ainsi, le futur existe en tant que présent par notre prédiction des
événements futurs qui s’appuie sur notre connaissance d’événements déjà
présents.
Comment lire philosophiquement un texte ?
18
G Remarque importante : un minimum à faire
Vous n’êtes bien sûr pas obligés de faire tout le travail de l’étape 1 dans le détail et par écrit
chaque fois que vous désirez lire un texte philosophiquement : la reconstruction de
l’argumentation, typiquement, peut être plus ou moins approfondie et détaillée (elle peut
être moins approfondie que dans notre exemple d’application, mais également encore bien
plus approfondie et détaillée !). Cependant, vous devriez être capables de mener à bien un
tel travail. En tout cas, je vous recommande vivement, pour tous les textes, au minimum, :
- de faire ressortir le thème-la question du texte (en l’indiquant directement à côté du
texte) ;
- de faire ressortir la thèse-la réponse du texte (en l’inscrivant directement à côté du
texte) ;
- de mettre en évidence les mots-chevilles importants ;
- de séparer le texte en grandes parties et de leur donner un titre ; et
- de saisir les grandes lignes de l’argumentation (reconstruction brève des grandes
étapes de l’argumentation).
De plus, gardez toujours à l’esprit que, même si il est important d’avoir saisi le thème d’un
texte et la thèse défendue par l’auteur en son sein lorsque l’on lit philosophiquement un
texte, le plus important est de comprendre et de saisir les arguments que l’auteur avance en
faveur de cette thèse !
Certains trouveront que ce minimum est déjà bien exigeant. Certes, il l’est. Mais, je pense
sincèrement que si vous effectuez un tel minimum, la lecture de textes, et notamment de
textes philosophiques, vous sera bien plus profitable que si vous parcourez leurs lignes à la
hâte.
G Remarque : Rédaction et présentation sous forme de points
Dans mon essai de reconstruction de l’argumentation du petit passage d’Augustin, j’ai
présenté les choses sous la forme d’une suite de points et d’assertions. Lorsque vous rédigez
un travail de proséminaire ou de séminaire, vous pouvez, par moments, présenter les choses
de cette manière si cela favorise la clarté de vos propos. Cependant, il faudrait éviter que
tout votre travail se présente de cette manière ! En effet, dans le cadre d’un travail de
proséminaire ou de séminaire, il faudra que vous présentiez vos propos sous la forme d’un
texte ou, en tout cas, que vous alterniez passages écrits de manière « traditionnelle » et
passages utilisant une telle présentation sous forme de points et d’assertions.
Bonne Lecture !
Comment lire philosophiquement un texte ?
19
Complément A.
Résumer et Reconstruire.
Quelle différence ?
L’image de la maison
Septembre 2007
Dans le cadre des études de philosophie, il est essentiel de développer et d’acquérir la capacité
de reconstruire l’argumentation d’un texte. Cette capacité joue un rôle central dans tout
travail philosophique, car elle constitue une première étape nécessaire et indispensable :
- pour pouvoir entrer véritablement en dialogue avec un texte et
- pour pouvoir véritablement évaluer les forces ou les faiblesses de celui-ci.
Le but principal des travaux écrits de pro-séminaire est pour moi l’apprentissage et le
développement de cette faculté chez l’étudiant(e). A cette fin, je lui demande de choisir un
argument au sein d’un texte et de le reconstruire. Les pages précédentes de ce document sur la
lecture philosophique d’un texte visaient et visent toujours à indiquer quelques grandes lignes
à suivre afin de mener à bien cette tâche. Cependant, au fil des évaluations, j’ai constaté
qu’une même difficulté se présente à beaucoup d’étudiant(e)s : ils/elles ont de la peine à
vraiment saisir la différence entre
- le résumé « traditionnel » d’un texte (ou de l’un de ses passages) et
- la reconstruction de son argumentation.
La conséquence la plus directe de cette difficulté est que beaucoup d’étudiant(e)s ont tendance
(surtout dans les premiers travaux) à réaliser davantage un résumé qu’une reconstruction.
Les étudiant(e)s ont généralement pris connaissance des pages précédentes et les ont
apparemment comprises. De plus, dans ces mêmes pages, je parle à de nombreuses reprises de
« la reconstruction d’une argumentation » et tente d’expliquer ce que j’entends par cela. Et
pourtant, en dépit de cela, la difficulté mentionnée et le problème qu’elle engendre
apparaissent. Un complément d’explication m’est donc paru nécessaire.
Expliquer davantage la différence entre
- un résumé « traditionnel », linéaire et
- la reconstruction d’un texte
n’est pas si évident, notamment car les deux entreprises, bien que différentes, ont de multiples
points communs : les deux, par exemple, parlent d’un texte et évoquent ses éléments
importants. De plus, l’étudiant(e) commençant(e) est généralement déjà bien familier de ce
qu’est un résumé, mais encore très peu de ce qu’est une reconstruction.
Une des manières d’expliquer cette différence est de recourir à une analogie. Cette analogie a
des limites. Mais, par le passé, il semble qu’elle ait pu éclairer certains étudiant(e)s.
Comment lire philosophiquement un texte ?
20
L’argument et la maison
•
Comparez le texte que vous étudiez et l’argument qu’il contient à une maison.
•
Comme un argument, une maison est un tout structuré.
-
-
Les différents éléments qui constituent une maison (les briques, les murs, les
planchers, les poutres, ...) sont agencés d’une façon et dans un ordre bien précis :
par exemple, le toit ne peut pas se trouver sous le 1er étage ! de la même manière,
chaque plafond est par exemple soutenu par des murs et ceux-ci ne peuvent pas
être horizontaux.
Il ne suffit pas d’avoir les éléments de construction de la maison pour avoir la
maison. Ceux-ci doivent être agencés d’une certaine manière pour constituer une
maison. Imaginez que dans un pré se trouvent mis côte à côte tous les matériaux
et éléments nécessaires à la construction d’une maison : les briques, le béton, les
structures métalliques, les tuiles, le ciment, les poutres, le plâtre, … Vous avez
les éléments de construction, mais vous n’avez pas encore une maison ! Pour
qu’une maison apparaisse, il faut que ces éléments soient assemblés et agencés
d’une manière bien précise.
Pour un argument, c’est la même chose, il ne suffit pas de juxtaposer des
énoncés pour en obtenir un. Il faut que ces énoncés soient liés et connectés entre
eux d’une manière bien précise.
•
Comme un argument, une maison peut être plus ou moins solide.
- Certaines maisons sont très solides : elles supportent de très forts vents et autres
« déluges » ; leur toit ne cède pas sous la neige lourde et mouillée… A l’inverse,
d’autres maisons vont être endommagées facilement et peuvent même être
détruites partiellement ou complètement dans des conditions similaires.
- De la même manière, certains arguments sont très solides et ne cèdent pas aux
premiers examens et aux premières objections, alors qu’à l’autre extrême
certains cèdent facilement.
- Ce qui intéresse le philosophe c’est la solidité des arguments (ce qui est normal
puisqu’il recherche la vérité). Quand il rencontre un argument, il va ainsi tout
naturellement tester sa solidité. Quand il en construit un lui-même, il va essayer
de le faire aussi solide que possible. En cela, il est semblable à un « architecteinspecteur de construction » dont la préoccupation principale et première est la
solidité des maisons (c’est presque une obsession pour lui !) : quand il rencontre
une maison, il va tout de suite examiner sa solidité ; quand il construit lui-même
une maison, il va essayer d’en construire une aussi solide que possible.
•
Comme un argument et le texte qui le contient, une maison peut être plus ou moins
belle.
- Dans les deux cas, la beauté n’est pas sans valeur (en effet, quel plaisir de voir
une belle maison ! et quel plaisir de lire un beau texte !). Mais, ce que recherche
avant tout le philosophe comme notre architecte-inspecteur, c’est la solidité ! Si
on a en plus la beauté, tant mieux ! Mais la beauté seule n’est pas suffisante et en
tout cas pas prioritaire !
Comment lire philosophiquement un texte ?
21
Résumer et esquisser
Lors d’une promenade en solitaire, vous vous retrouvez face à une maison à vendre que vous
ne connaissez pas. Vous la trouvez étonnante et très intéressante et aimeriez partager votre
découverte et en parler avec l’ami qui vous accompagne d’habitude et qui est justement à la
recherche d’une maison.
Comme vous aimez dessiner, vous avez toujours avec vous un petit carnet et des crayons.
Vous commencez alors à faire des croquis et des esquisses de cette maison, essayant de la
représenter dans ses grandes lignes, essayant de représenter ses éléments importants. Le
propriétaire vous permettant d’y pénétrer, vous faites également quelques esquisses de
l’intérieur. Ayant un petit appareil photo avec vous, vous prenez également à chaque fois
quelques photos.
Quand, le soir, vous rencontrez votre ami, vous lui racontez votre balade et lui parlez de la
maison étonnante que vous avez rencontrée. Vous lui montrez les esquisses, les croquis et les
photos. Cela lui permet d’avoir vraiment une bonne idée de la maison que vous avez
rencontrée.
•
Faire un résumé « traditionnel », linéaire, c’est comme faire des esquisses et prendre des
photos d’une maison : il nous permet déjà d’avoir une bonne idée du texte.
Les esquisses et les photos répondent de manière satisfaisante à : comment est cette
maison ? De la même manière, le résumé répond de manière satisfaisante à : de quoi
parle le texte ? quel est son contenu ?
Reconstruire et examiner la solidité
Votre ami est vraiment content d’avoir vu les photos et les esquisses : la maison lui plaît
apparemment beaucoup et il serait très intéressé à l’acheter ou à en construire une semblable.
Cependant, les photos et esquisses ne le satisfont que partiellement. En effet, il est très
préoccupé par la solidité de la maison qu’il va acheter ou construire. Or, les photos et les
esquisses ne lui disent que très peu si la maison est solide ou non. Autrement dit :
des esquisses ou des photos d’une maison ne permettent de juger que très partiellement
de la solidité d’une maison ;
de la même manière, le résumé traditionnel, linéaire d’un texte ne permet de juger que
très partiellement de la solidité des arguments qui y sont développés.
Votre ami aimerait pouvoir examiner la solidité de la maison et éventuellement, au cas où il
ne peut pas l’acheter, être capable d’en construire une semblable. Comme il est très occupé
ces derniers temps, il ne peut pas vraiment se rendre à la maison en question. Il vous charge
de vous y rendre pour lui et de lui ramener les informations nécessaires afin de répondre à ses
attentes.
Vous retournez sur place et parlez avec la personne qui a construite la maison. Vous lui
demandez alors : quels matériaux ont été utilisés dans la construction ? comment les différents
éléments ont été mis ensemble ? … En fait, vous lui demandez de vous expliquer dans les
grandes lignes comment la maison a été construite. A partir de ses dires et de vos
Comment lire philosophiquement un texte ?
22
observations, vous effectuez un plan de la maison indiquant comment elle est construite et les
matériaux utilisés. A partir de ce plan, votre ami est véritablement à même
- d’évaluer la solidité de la maison et
- éventuellement, d’en reconstruire une semblable.
•
Reconstruire un argument c’est comme faire un tel plan. La reconstruction d’un
argument ne se « contente » pas d’évoquer les éléments essentiels d’un texte. Elle dit en
plus comment ces éléments tiennent ensemble, comment ils sont liés les uns aux autres.
Ce qui préoccupe le philosophe c’est la solidité des arguments. C’est pourquoi, ce qui
l’intéresse n’est pas un résumé, mais une véritable reconstruction de l’argumentation. Un
résumé n’est pas inutile, mais il ne lui sert pas à grand-chose étant donné le but qu’il vise.
L’analogie en bref
La maison examinée
L’argument étudié
L’architecte de la maison
L’auteur de l’argument
Des esquisses, des photos de la maison
Un résumé traditionnel de l’argument
Un plan expliquant comment
la maison est construite
Une reconstruction de l’argument
D’autres analogies possibles
La maison n’est pas le seul objet pouvant être utilisé pour expliquer la différence entre un
résumé traditionnel et une reconstruction d’argument. Parfois, d’autres objets parlent
davantage à certain(e)s étudiant(e)s. C’est pourquoi, j’en cite brièvement encore deux :
L’armoire IKEA
- Comparez l’argument (ou le texte) étudié à une armoire IKEA devant laquelle vous
vous trouvez.
- Vous pouvez faire des photos et des dessins de cette armoire pour expliquer à un ami
comment elle est
→ cela correspond à un résumé.
- Cependant, cela n’est suffisant ni pour examiner sa solidité, ni pour en construire une
semblable.
- Pour cela, il faut que vous réalisiez un « plan » de l’armoire, que vous expliquiez
comment elle est construite. En fait, il faudrait dans un sens que vous refassiez vousmême le manuel de montage de l’armoire.
→ le manuel de montage correspond à la reconstruction d’un argument
Comment lire philosophiquement un texte ?
23
Le plat cuisiné très élaboré
- Le texte correspond à un plat très élaboré que vous goûtez.
- Vous pouvez en faire des photos, mais surtout le décrire, décrire son goût, sa texture,
sa chaleur, …
→ ces description correspondent au résumé du texte
- Cependant, ces descriptions ne suffiront pas à savoir comment le plat a été réalisé,
comment certains aliments ont été assemblés. Elles ne suffiront pas non plus à savoir
si le plat a été « bien » réalisé. Qui plus est, ces descriptions ne seront pas suffisantes
pour pouvoir cuisiner un plat semblable.
- Pour cela, il faudrait la recette du plat !
→ reconstruire un argument c’est comme réécrire la recette d’un plat.
Comment lire philosophiquement un texte ?
24
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