Position de thèse - Université Paris

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UNIVERSIDAD COMPLUTENSE DE
UNIVERSITÉ PARIS IV
MADRID
PARIS-SORBONNE
FACULTAD DE FILOSOFÍA
ÉCOLE DOCTORALE V
DEPARTAMENTO DE FILOSOFIA
CONCEPTS ET LANGAGE
TEORETICA
THÈSE EN COTUTELLE
pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ COMPLUTENSE DE MADRID
Discipline : Philosophie
Présentée et soutenue par :
Andrés Francisco CONTRERAS SÁNCHEZ
le : 17 mai 2013
Herméneutique et sens de l’être :
Éléments pour une interprétation du rapport philosophique de Heidegger et Gadamer
Sous la direction de :
M. Jean-François COURTINE / M. Ramón RODRÍGUEZ GARCÍA
Jury :
M. Jean-François COURTINE, Professeur à l’Université Paris IV (Paris-Sorbonne)
M. Jean GRONDIN, Professeur à l’Université de Montréal
M. François JARAN-DUQUETTE, Professeur à l’Université de València
M. Ramón RODRÍGUEZ GARCÍA, Professeur à l’Université Complutense de Madrid
Position de thèse
Le rapport de Gadamer et de Heidegger constitue un des sujets les plus
problématiques de la pensée herméneutique. En effet, Gadamer reprend explicitement,
dans Vérité et Méthode, de multiples éléments de l’« herméneutique de la facticité »
qu’il réinterprète dans la perspective de la pensée tardive de son maitre, comme l’atteste
déjà un des titres qu’il avait considéré initialement pour son chef-d’œuvre :
Compréhension et Évènement (Verstehen und Geschehen). Bien que Gadamer ne
reprenne pas explicitement la question de l’être en général, sa philosophie
herméneutique critique le subjectivisme moderne, l’ontologie de la subsistance et la
conception instrumentale du langage, ce qui correspond à la position critique de
Heidegger. Il développe également le caractère historique de l’être humain, l’élément
langagier de toute compréhension en général et propose une thèse concrète sur l’être et
sur la portée universelle du problème herméneutique. Toutefois, la philosophie de
Gadamer ne peut pas être considérée comme une simple reprise ou comme une suite de
la conception de Heidegger, mais plutôt comme remise en question de son sujet
principal. Quand Gadamer manifeste « l’être qui peut être compris est langage », il ne
répète pas la thèse de Heidegger sur le langage comme « maison de l’être ». Au
contraire, il réinterprète le sens du langage à partir de la dialectique hégélienne et du
dialogue platonicien, opposant ainsi une réponse philosophique à son ancien maitre.
D’après les quelques sources dont on dispose actuellement, bien que Heidegger
trouve chez Gadamer la même orientation de sa pensée tardive, il semblerait qu’il n’a
pas reconnu chez lui une véritable reprise de la question fondamentale de sa pensée.
Dans sa correspondance avec Pöggeler, il met en question l’interprétation gadamérienne
de sa relation avec Husserl, la reprise qu’il réalise de la « métaphysique des
transcendantaux » et la caractérisation du langage comme une « condition
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transcendantale de l’être » dans la troisième section de son œuvre. Selon Heidegger,
Gadamer n’avait pas pu dépasser sa première formation néokantienne et le problème de
l’« immanence phénoménologique » que l’on trouve chez Husserl. Même si Heidegger
n’a jamais vraiment discuté sur l’œuvre de son ancien élève, il est possible de
caractériser le rapport philosophique entre les deux auteurs comme la réalisation d’un
dialogue sur la question fondamentale de l’être et du sens. L’élaboration de ce problème
mène chacun à élargir la conception de l’être et de l’idée de vérité qui lui correspond, ce
qui permet de dépasser le contexte réduit de l’ontologie traditionnelle, fortement
influencé par les idéaux cognitifs du modèle scientifique de la connaissance.
Un des sujets les plus importants de ce dialogue est la critique du schéma sujet-objet
et le besoin d’abandonner radicalement toute philosophie de la subjectivité. Si dans Être
et Temps, en opposition à l’idée cartésienne du sujet et à l’égo transcendantal husserlien,
Heidegger caractérisa déjà l’existence humaine comme un être-au-monde, l’ouverture
du là de l’être-le-là (Dasein) est réinterprétée après le tournant (Kehre) de sa
philosophie comme un éclairement (Lichtung) donné par la « vérité de l’être », ce qui
représente un dépassement encore plus radical du subjectivisme moderne et pas
seulement un simple changement de point de vue. Cette destruction de l’idée
cartésienne de sujet l’amena à rejeter tout humanisme, c’est-à-dire toute philosophie qui
s’interroge sur la formation de l’esprit et sur la place de l’être humain dans le monde, et
à remplacer la problématique éthique, qui concerne essentiellement la vie pratique et
l’être-là-avec (Mitdasein) les autres, par la question de l’être et de l’écoute de la voix de
l’être. Même si Gadamer reprend l’idée heideggérienne de la facticité, son concept
ontologique de compréhension et la question de l’historicité inspirée par Dilthey et
Yorck, quand il développe le moment éthique impliqué dans toute situation
herméneutique, il finit par critiquer son maitre. Selon Gadamer, la question de l’autre a
été posée par lui dans une perspective erronée qui la situe en position marginale. En
remettant en question l’appropriation heideggérienne de la φρόνησις aristotélicienne et
en récupérant les concepts humanistes de formation et de sens commun parmi d’autres,
Gadamer rapporte la question heideggérienne de la « vérité de l’être » à la vérité
concrète qui détermine l’expérience humaine du monde, notamment dans l’expérience
herméneutique de l’art et de la connaissance historique. Cet accent sur le « là » de
l’être-là humain détermine l’appropriation gadamérienne de la pensée de Heidegger sur
le langage et sur l’élément langagier de la « clairière de l’être » dans laquelle se déroule
l’existence humaine.
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Dans sa première époque, Heidegger se proposa de réaliser une « phénoménologie
du langage » qui voulait montrer la façon dont l’expression linguistique s’enracine dans
le milieu préalable de compréhension de l’être-là. Le langage est une détermination
ontologique de cet étant qui appartient à l’ensemble de son existence, qui trouve son
origine dans son comportement pratique et qui s’articule en une structure préalable ou
anticipative (Vorstruktur) qui configure son ouverture et qui détermine toute
compréhension et interprétation possibles. Cette phénoménologie du langage aboutit au
problème de la temporalité de l’être-là (Zeitlichkeit) qui rend possible le « projet
primaire d’être » qui configure cette ouverture. Or, pour le Heidegger tardif, le langage
n’est plus celui du discours humain, mais celui de l’être même qui « parle » avant toute
parole humaine, libérant ainsi, dans un évènement historique de sens, l’ouverture du
monde dans laquelle habitent les êtres humains. L’histoire serait donc un « dialogue »
de l’être avec lui-même au cours des traditions. De ce point de vue, la tâche
fondamentale de l’homme et de la philosophie serait d’apprendre à habiter dans la
« maison de l’être » afin de lui correspondre et de « redire » ainsi le message adressé par
le dévoilement de l’être. Ce n’est pas dans nos concepts qu’il faut rester ; c’est plutôt
dans la parole du langage même et dans le « son du silence » primordial qu’il faut
apprendre à habiter. Penser consiste à se confier à l’écoute de l’être.
Il n’est pas difficile de reconnaitre dans Vérité et Méthode le sens général de
l’évènement extatique et temporel de l’être-là à l’époque d’Être et Temps, ainsi que le
sens historique de la philosophie tardive de Heidegger. La thèse principale de Gadamer
est que toute compréhension appartient et contribue à un évènement historique
(Geschehen) de sens qui dépasse toute subjectivité. Ce que Heidegger dit sur le mystère
de l’être s’applique aussi au concept de compréhension qui constitue pour Gadamer un
« moment de la tradition », un « moment de l’histoire de l’influence », un « moment de
la vérité même », enfin un « moment de l’être même ». Malgré sa grande ressemblance
par rapport avec la conception heideggérienne du langage comme « maison de l’être »,
la thèse gadamérienne sur l’être et le langage constitue en réalité une réponse à
Heidegger que l’on peut résumer en disant que le langage est pour lui une
« conversation ». En effet, quand Heidegger mentionne la « parole » de l’être même et
le « monologue » de l’être au cours des traditions, il nie implicitement la réalisation
vivante de la « conversation que nous sommes » qui caractérise, selon Gadamer,
l’essence du langage. Pour ce dernier, l’évènement de l’être ne se trouve pas séparé de
la parole concrète des hommes ni de la conversation dans laquelle ils habitent, faisant
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l’expérience d’eux-mêmes et de la parole des autres. Alors que Heidegger souligne
l’altérité absolue de l’être, Gadamer met en évidence la représentation concrète de sens
dans laquelle l’être même se montre d’une façon toujours différente. Le problème
herméneutique se trouve dans la manifestation concrète de l’être même dans le « là » de
l’être humain, et non pas dans un savoir pur et séparé de l’être. Gadamer ne croit pas à
l’« oubli de l’être » dans la pensée occidentale ni à la possibilité de dépasser le
« langage de la métaphysique », ses concepts et son discours sur l’être. Il essaye au
contraire de réaliser un dialogue vivant avec cette tradition et de montrer à Heidegger le
non-oubli de cette question fondamentale, la productivité de la métaphysique et
l’importance des sciences de l’esprit — véritables administrateurs de l’humanisme —
pour résister au scientisme de l’époque technique. La tendance inverse de leur
philosophie désigne deux « herméneutiques » différentes aux prétentions diverses qui
gardent malgré tout une relation étroite et qui restent, dans un certain sens,
complémentaires. En soulignant l’appartenance à l’« histoire de l’être » et la
participation au langage de la tradition, Heidegger et Gadamer reformulent
complètement le rapport traditionnel entre être humain, monde et langage.
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