Logique propositionnelle

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Logique propositionnelle
Tero Tulenheimo
Table des matières
1 Introduction
7
1.1
La logique en tant que partie de la philosophie . . . . . . . . .
7
1.2
Logique dans l’éducation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
8
1.3
Quelques mots sur l’histoire de la logique . . . . . . . . . . . .
9
1.4
La logique et la naissance de la philosophie dite ‘analytique’ . 11
1.5
Des thèmes à discuter
1.6
Exemples des raisonnements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
2 Arguments : des exemples
15
2.1
L’usage de la langue vs. idées philosophiques . . . . . . . . . . 15
2.2
Argument, conclusion, prémisse . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
2.3
Exemples . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
2.4
Raisonnements et la vérité factuelle . . . . . . . . . . . . . . . 27
3 Tables de vérité et vérifonctionnalité
3.1
29
En quoi consiste la validité d’un argument ? Obsérvations générales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
3.2
Concepts de la logique propositionnelle . . . . . . . . . . . . . 31
3.3
Vérifonctionnalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
3.4
Les connecteurs et ses tables de vérité . . . . . . . . . . . . . . 33
3.4.1
Conjonction | et . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
3.4.2
Négation | non . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
3.4.3
Disjonction | ou . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
3.4.4
Implication matérielle | si...alors . . . . . . . . . . . . . 36
3
4
4 Syntaxe : expressions bien formées
39
4.1
Syntaxe de la logique propositionnelle . . . . . . . . . . . . . . 40
4.2
Exemples des formules et des non-formules . . . . . . . . . . . 41
4.3
Arbre syntaxique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
4.4
La forme d’une formule, connecteur principal . . . . . . . . . . 44
4.5
Sous-formule . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
4.6
Une note sur la règle (iv) de la syntaxe . . . . . . . . . . . . . 45
4.7
Représentation logique des énoncés de la langue naturelle . . . 47
5 Sémantique
51
5.1
Situations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
5.2
Signification d’une formule . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
5.3
Vérité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
5.4
Conséquence logique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
5.5
Équivalence logique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
5.6
Tautologies, contradictions, formules contingentes . . . . . . . 63
6 Méthodes de décision
65
6.1
Le problème de tautologicité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
6.2
Le problème de contradiction . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
6.3
Le problème de contingence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
6.4
Le problème de conséquence logique . . . . . . . . . . . . . . . 70
6.5
Le problème de validité d’un argument . . . . . . . . . . . . . 71
7 Questions d’expressivité
77
7.1
Questions d’interdéfinissabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
7.2
Conditions de vérité : la définition . . . . . . . . . . . . . . . . 79
7.3
Significations des formules, conditions de vérité . . . . . . . . 81
7.4
La question de la complétude de l’expressivité . . . . . . . . . 82
8 Déduction naturelle
87
8.1
Les deux faces de la déduction naturelle . . . . . . . . . . . . 88
8.2
Règles d’introduction et règles d’élimination . . . . . . . . . . 89
5
8.3
Le concept de « dérivation » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
8.4
La notation pour des inférences . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
8.5
Les règles pour ∧ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
8.6
Les règles pour → . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
8.7
Les règles pour ∨ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
8.8
Négation dans la déduction naturelle . . . . . . . . . . . . . . 101
8.9
Les règles classiques pour ¬ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
6
Chapitre 1
Introduction
1.1
La logique en tant que partie de la philosophie
– La philosphie est une discipline non empirique.
– C-à-d, les questions philosophiques ne sont pas répondus en découvrant
des faits concernant le monde.
– Dans presque tous les autres disiplines universitaires, c’est précisement
le cas factuel — ou comment-sont-les-choses actuellement — que nous
intéresse et qui sert de point de départ et de critère cruciale de la
réussite de nos théories. (Les mathématiques en fournit une autre exception.)
– Par ex., psychologie, histoire, sociologie, physique, chimie etc. sont des
disciplines empiriques. Leur résultats sont sensitives aux conditions
contingentes.
– Dans ces cas, on peut faire des experiences, ou observer la réalité (directement ou indirectement), en ésperant d’apprendre, d’expliquer et
de clarifier des faits et des événements contingents.
– La philosophie peut discuter des questions très spécifiques, mais la critère de la réussite des recherches philosophiques est de caractère conceptuelle, non pas factuelle.
7
8
? Examples des questions empiriques : Qui est le président de la Finlande ? Quelles régularités déterminent le mouvement d’un corps en
chute libre ? Quels facteurs ont mené au déclin de l’Empire romain ?
? Non empiriques : En quoi consiste la connaissance ? Est-ce que les
affirmations métaphysiques sont dépourvues de sens ?
– En l’absence des données empiriques, qu’est-ce qui reste pour la philosophie ?
? Argumentation
? Raisonnements
? Inférences
? Analyse conceptuelle
? Formation des concepts et des définitions
– La logique étudie toutes ces activités de façon générale et systématique.
– On pose des questions sur ces moyens (argumentation etc.) — ce qui
mène à l’étude de la langue de façon générale.
– Une réflexion sur le langage que nous utilisons pour philosopher.
– Dans la philosophie du langage et dans la philosophie de la logique,
on discute des phénomènes telles que la signification et les rélations
sémantiques ainsi que les concepts tels que la vérité et la vérification.
1.2
Logique dans l’éducation
– Dans l’histoire de l’éducation, au Moyen Âge, le programme introductif
aux universités connu sous le nom de trivium (ou artes triviales) se
composait de la grammaire, la rhétorique et la logique (aussi nommée
la dialectique) :
– la grammaire : l’étude non seulement de l’emploi correct de la langue,
mais aussi l’étude de l’usage expressive de la langue (ex. par des
poètes, des historiens).
– la rhétorique : l’art de la persuasion ; concernée avec les techniques
à la disposition de celui qui parle pour convaincre l’interlocuteur en
9
ce qui concerne la vérité ou la justesse de ce qu’il dit.
– la logique : concernée avec l’argumentation et les preuves (les démonstrations). L’emploi de la langue pour produire de la certitude ;
la construction d’une conclusion vraie à partir des prémisses (hypothèses) vraies.
– À l’heure actuelle, la logique est une partie des études en philosophie
standard et bien établie, notamment grâce au développement liant la
logique et la philosophie au cours de la première moitié de XXe siècle.
1.3
Quelques mots sur l’histoire de la logique
– Aristote (384 — 322 av. J.-C.)
– Organon (‘outil’, ‘instrument’), ses traités sur la logique et les formes
de l’argumentation :
– Categoriae (Catégories),
– De interpretatione (De l’interprétation),
– Analytica priora (Premiers Analytiques),
– Analytica posteriora (Seconds Analytiques),
– Topica (Les Topiques),
– De sophisticis elenchis (Les Réfutations Sophistiques).
– Notamment une théorie des syllogismes, c-à-d l’étude des relations
entre énoncés de formes ‘Tout S est P ’, ‘Quelque S est P ’, ‘Aucun
S n’est P ’, ‘Quelque S n’est pas P ’, spécifiquement des inférences
logiques portant sur des énoncés de ces types.
– L’école mégarique (notamment pendant le IVe siècle av. J.-C.) et les
stoı̈ques (notamment pendant le IIIe siècle av. J.-C.).
– Chrysippe (c. 280 – c. 206 av. J.-C.), stoı̈que
– Énoncés des formes non pas considerés dans la théorie logique
d’Aristote : ex. ‘si p alors q’, ‘p ou q’.
– Le Moyen Âge :
– Pierre Abélard (1079 – 1142) :
– Notamment il fait la distinction entre la force / et le contenu des
10
énoncés (comme on peut l’exprimer en termes courants).
– Le même contenu proposionnel peut être exprimé avec une force
différente dans des contextes différents.
– Le contenu que Socrate est dans la maison est exprimé dans l’assertion ‘Socrate est dans la maison’ ; dans l’interrogation ‘Est-ce
que Socrate est dans la maison ?’ ; et dans le vœu ‘que Socrate soit
dans la maison !’.
– En termes de la distinction, il devient possible de clarifier par ex.
des énoncés conditionnels : quand on affirme (force assertive) un
énoncé conditionnel, ses composantes (l’antécedent, le conséquent)
ne sont pas, par cela, affirmées.
– Ex. les composantes ‘Socrate est dans la cuisine’ et ‘Socrate est
dans la maison’ de l’énoncé conditionnel ‘Si Socrate est dans la
cuisine, alors Socrate est dans la maison’ n’affirment ni que Socrate
est dans la cuisine, ni qu’il est dans la maison — même si ces
mêmes formes des expressions peuvent être employées, dans des
autres contextes, pour exprimer des affirmations.
– Le XIVe siècle : notamment Guillaume d’Ockham (c. 1287 – 1347),
Jean Buridan (avant 1300 – après 1358 mais avant 1361).
– Gottfried Wilhelm Leibniz (1646 – 1716) : l’idée d’un langage artificiel capable de sert d’une ‘idéographie’ générale pour représenter des
concepts (characteristica universalis) avec un calcul associé (calculus
ratiocinator). Cet dernier mécaniserait les inférences logiques ; les disputes scientifiques pourraient être résolues en termes des calculations.
– Fin du XIXe siècle, début de XX siècle :
– École algébrique de la logique : George Boole, Charles Sanders Peirce,
Ernst Schröder, John Venn.
– Logicisme : Gottlob Frege, Bertrand Russell, Ludwig Wittgenstein
(première période).
– École mathématique (ou axiomatique) de la logique : Richard Dedekind, Giuseppe Peano, David Hilbert, Arend Heyting, Ernst Zermelo.
– XX siècle :
11
– Approche métathéorique : en particulier Kurt Gödel (1906 – 1978),
Alfred Tarski (1901 – 1983).
– Questions de calculabilité : Gödel, Emil Post, Alonzo Church, Stephen Kleene, Alan Turing, Andreı̈ Markov.
1.4
La logique et la naissance de la philosophie dite ‘analytique’
– Réflexion sur la langue utilisée en philosophie.
– Example (Russell, 1872 – 1970, ‘On denoting’ 1905) :
‘Le roi actuel de la France est chauve.’
Énoncer cette phrase, est-ce que cela nous engage à admettre que l’expression ‘le roi de France’ désigne / a un référent ? (Cf. l’énoncé ‘Louis
est chauve’.)
Ou énoncer la phrase
‘La montagne d’or n’existe pas’,
est-ce que cela signifie nier l’existence d’un objet, à savoir l’objet désigné
par l’expression ‘la montaigne d’or’ ? Mais s’il y a un tel objet, cet
objet existe, non ? Ou est-ce qu’il faut admettre qu’il y a des objets
non existants ? Cette conclusion aurait des répercussions ontologiques
remarquables. (Alexius Meinong, 1853 – 1920, un philosophe autrichien,
est en effet connu d’avoir défendu une telle idée.)
– Comment éviter une telle conclusion ? Il faut regarder de près les significations de ces phrases — d’essayer à les ‘analyser’ logiquement.
– Ainsi Russell propose que les phrases n’ont pas en réalité la forme
sujet–prédicat comme par ex.
‘Louis est chauve’,
ou la forme d’une phrase niant l’existence d’un objet, comme
‘Louis n’existe pas’,
mais ils doivent être analysés de façon contextuelle suivante :
‘Il existe exactement une personne telle que cette personne
12
est un roi actuel de la France, et cette personne est chauve’,
et
‘Il existe exactement un objet tel que cet objet est une montagne d’or, et cet objet n’existe pas’,
respectivement.
– Ainsi Russell propose que les descriptions définies telles que ‘le roi
actuel de la France’ et ‘la montagne d’or’ ne désignent aucun objet
en soi ; en revanche, ces expressions sont significatifs (possèdent un
sens) seulement dans un contexte d’une phrase entière qui explicitement
affirme l’existence d’un unique objet qui satisfait la description.
– Les considerations qui semblaient, à première vue, nous forcer à accepter des objets non existants n’ont pas cette effet ; on peut argumenter
que l’analyse de notre langue revèle que les descriptions définies ne
comportent pas comme noms propres ou comme autres expressions désignant un objet.
– L’analyse logique nous a sauvé d’une conclusion ontologique peu croyable
(selon laquelle il y a des objets qui n’existent pas).
– La morale : la forme grammaticale des items de notre langue peut
créer des illusions qui peuvent être évitées quand on fait attention à la
structure logique de nos énoncés.
– Ludwig Wittgenstein, 1889 – 1951, Tractatus logico-philosophicus, 1921 :
– Toute philosophie est « critique du langage » (4.0031).
– Le but de la philosophie est la clarification logique des pensées. La
philosophie n’est pas une théorie mais une activité. Une œuvre philosophique se compose essentiellement d’éclaircissements. Le résultat
de la philosophie n’est pas de produire des « propositions philosophiques », mais de rendre claires les propositions (4.112).
– L’analyse logique des positions philosophiques peut démontrer que telle
et telle position n’est pas simplement fausse ou non défendable mais
dépourvu de sens.
– Cette idée est basée sur une théorie spécifique de signification baséee
sur le concept de vérification. On critique notamment la métaphysique
13
traditionnelle. Limites de la langue ; essayer de dépasser ces limites est
une source des énoncés dépourvus de sens. Une autre source sont les
énoncés qui ne peuvent pas être vérifiés même en principe (la première
source est un cas spécial de cette seconde source) ; et une troisième sont
les énoncés grammaticalement non bien formés.
1.5
Des thèmes à discuter
– Le cours traite de la logique dite ‘propositionnelle’
– Le concept de ‘proposition’ ou le contenu d’un énoncé ; ce dont on peut
dire qu’il est vrai ou faux (la vérité et la fausseté peuvent être attribués
aux propositions).
– Connecteur propositionnels employés pour produire des nouveaux énoncés à partir des énoncés déjà disponibles : (par ex.) et, ou, non,
si . . . alors.
– On discute des concepts tels que ‘raisonnement valide’, ‘raisonnement
non valide’, ‘verité’, ‘signification’.
1.6
Exemples des raisonnements
Exemple 1. Platon : Euthydème.
– Euthydème : Dis-moi, as-tu un chien ?
– Ctésippe : Oui, répondit Ctésippe, et fort méchant.
– Euthydème : A-t-il des petits ?
– Ctésippe : Oui, et qui sont aussi méchants que lui.
– Euthydème : N’est-ce pas le chien qui est leur père ?
– Ctésippe : Oui, je l’ai vu de mes propres yeux, lorsqu’il couvrit la
chienne.
– Euthydème : Ce chien n’est-il pas à toi ?
– Ctésippe : Oui.
– Euthydème : Le chien est père, et à toi, il est donc ton père : ainsi te
voilà frère de ses petits.
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Soit Médor le chien en question. Donc :
(1) ‘Médor est un chien’.
(2) ‘Médor est un père’.
(3) ‘Médor est à Ctésippe’
(autrement dit : ‘Ctésippe possède Médor’).
Pris ensemble (1) et (3) impliquent :
(4) ‘Médor est un chien de Ctésippe’
(autrement dit : ‘Médor est un chien possedé par Ctésippe’).
Ce qui Euthydème propose est que par analogie, (2) et (3) impliquent
(5) ‘Médor est un père de Ctésippe’
(ou, afin de respecter la grammaire, le père).
Tandis que (2) et (3), pris ensemble, en effet impliquent
(6) ‘Médor est un père possedé par Ctésippe’,
cet énoncé ne peut pas être paraphrasé par ‘Médor est un père de Ctésippe’
— bien que ‘Médor est un chien de Ctésippe’ est paraphrasé par ‘Médor est
un chien possedé par Ctésippe’.
L’argument fallacieux d’Euthydème est basé sur une ambiguı̈té du génitif :
ton chien = un chien possedé par toi ; ton père 6= un père possedé par toi.
Exemple 2. Paradoxe sorite (formulé par les philosophes grecs de l’école
mégarique).
– Est-ce qu’un grain isolé constitue un tas ?
– Non.
– Est-ce que deux grains, pris ensemble, constituent un tas.
– Non.
– Généralement, est-ce que l’ajout d’un grain à un non-tas peut constituer
un tas ?
– Non.
– Tôt ou tard il faut admettre qu’on a accumulé un tas. Comment établir
une ligne de démarcation ?
Chapitre 2
Arguments : des exemples
2.1
L’usage de la langue vs. idées philosophiques
• On avait discuté des conséquences ontologiques apparentes de l’usage
des descriptions définies. Prenons un autre exemple des idées philosophiques suggerées d’une certaine manière d’employer la langue.
• De l’autre côté du miroir, chapitre VII par Lewis Carroll.
— Il y en a exactement quatre mille deux sent sept, déclara le Roi en se
reportant à son carnet. Je n’ai pas pu envoyer tous les chevaux, parce
qu’il m’en faut deux pour la partie d’échecs. Et je n’ai pas non plus
envoyé les deux Messagers qui sont partis à la ville. Regarde donc sur
la route si l’un ou l’autre ne revient pas. Eh bien, que vois-tu ?
— Personne, répondit Alice.
— Moi, je voudrais bien avoir des yeux comme les tiens, dit le Roi
d’une voix chagrine. Être capable de voir Personne ! Et à une si grande
distance, par-dessus la marché ! Tout ce que je peux faire, moi, c’est de
voir les gens qui existent réellement.
15
16
• Qu’est-ce que la métaphysique [Was ist Metaphysik ?], Heidegger :
« C’est le néant lui-même qui néantit » /
« Das Nichts selbst nichtet »
– Au moins du point de vue superficiel, on a reifié ici l’absence de
l’existence.
– Qu’est-ce qu’il y a dans le frigo ? > Le repas que j’ai préparé hier.
– Qu’est-ce qu’il y a dans le frigo ? > Rien. > Le rien est dans le frigo.
– Il y a quelque chose > Il n’est pas le cas que rien n’existe. > Le rien
n’existe pas.
– Compris comme une partie d’un discours descriptif, l’usage de « le
rien » est certainement dépourvu du sens. D’autre part, on peut
argumenter qu’il y a des autres manières d’employer la langue, et
que notamment quand on essaye d’exprimer ce qui n’est pas exprimable dans un simple discours despriptive on est peut être justifié
à employer les mots de façon littéralement dépourvu du sens. Cf.
la distinction « dire » / « montrer » de Wittgenstein (Tractatus) ;
le dernier représente une manière d’essayer d’exprimer ce qui n’est
stricto sensu pas exprimable dû aux limitations fondamentales du
langage ; cela mène à l’usage des expressions de façon métaphorique
ou non littérale.
2.2
Argument, conclusion, prémisse
– C’est un des buts principaux de la logique d’étudier des raisonnements,
notamment de l’argumentation.
– Essayons de comprendre quels sont les facteurs qui rendent un argument
valide ou non valide. En quoi consiste la validité ou non validité d’un
argumentation ? On va approcher cette question en considérant des
exemples.
– Mais d’abord, voilà des concepts basiques liés aux arguments. On va
comprendre mieux leur contenu spécifique plus tard, mais il est utile de
17
les mentionner déjà.
– Argument : Une suite d’énoncés (ou de phrases).
– Prémisses : Les énoncés qui expriment toute information pertinente
disponible dès le début sont appelés « prémisses » de l’argument. Ils
sont des hypothèses qui peuvent être librement employés dans l’argument. Ces hypothèses peuvent être factuellement vraies ou fausses ;
il n’y a pas de telle restriction que les hypothèses d’un argument
doivent être vraies. Effectivement, même un argument valide peut
très bien avoir des prémisses fausses.
– Conclusion : L’énoncé qu’on a voulu atteindre par l’argument. Si
un argument est conçu comme une suite P, Q, . . . , C des énoncés, la
conclusion est le dernier énoncé C de cette suite.
En plus de sa conclusion et ses prémisses, il y a en général des autres
énoncés dans un argument. Typiquement ces énoncés sont introduits
sur la base des prémisses et les résultats des inférences antérieures.
Dans des arguments non valides on peut bien sûr avoir n’importe
quels énoncés — aussi des énoncés qui n’ont rien à voir avec les
prémisses. Par ex. : prémisse : Socrate est un philosophe ; donc : il
pleut.
– Valide : Un argument est valide si la vérité des prémisses guarantit
la vérité de la conclusion. C-à-d, si dans toutes les situations où
les prémisses sont vraies (factuelles ou non), la conclusion est vraie
aussi. Dans un argument valide, la conclusion « hérite » la vérité
des prémisses — le raisonnement préserve la vérité : si par hasard
les prémisses sont vraies, la validité de l’argument guarantit que la
conclusion est vraie aussi.
– Conséquence logique : Si C est la conclusion d’un argument valide
dont les prémisses sont P, Q, . . ., on dit que C est une conséquence
logique de l’ensemble des prémisses P, Q, . . ..
– Non valide : Un argument est non valide s’il n’est pas valide, c-à-d si
la vérité des prémisses ne guarantit pas la vérité de la conclusion. Cela
18
veut dire qu’il y a des situations où la conclusion est fausse malgré
le fait que les prémisses sont vraies. On peut dire que ce sont des
situations qui réfutent la validité de l’argument (ou démontrent
sa non-validité).
2.3
Exemples
Exemple 1
1. Jean travaille ou Marie travaille.
2. Marie ne travaille pas.
3. Donc : Jean travaille.
Comparez l’argument d’Exemple 1 avec :
Exemple 2
1. Jean est un philosophe ou Marie est un philosophe.
2. Marie n’est pas un philosophe.
3. Donc : Jean est un philosophe.
Comparez les arguments des Exemples 1 et 2 avec :
Exemple 3
1. Nietzsche est un philosophe ou Chirac est un philosophe.
2. Chirac n’est pas un philosophe.
3. Donc : Nietzsche est un philosophe.
On note que les arguments de tous les exemples 1, 2 et 3 sont valides. Notez bien qu’il est absolument non pertinent quelles personnes sont désignées
par les noms « Jean » et « Marie », et quelles propriétés ou activités sont
attribuées à ces personnes. En ce qui concerne l’argument d’Exemple 3 —
comme il est bien spécifié qui sont les référents des noms « Nietzsche » et
« Chirac » — on peut notez que ses prémisses sont vraies. Sa conclusion est
19
également vraie (comme il faut étant donné que l’argument est valide est les
prémisses sont vraies). Maintenant, comparez les arguments des Exemples 1,
2 et 3 avec l’argument suivant :
Exemple 4
1. Chirac est un philosophe ou Nietzsche est un philosophe.
2. Nietzsche n’est pas un philosophe.
3. Donc : Chirac est un philosophe.
On avait observé que les identités des personnes mentionnés dans les
arguments des Exemples 1,2,3 ne sont pas pertinentes pour la validité de
ces arguments. Donc on peut en particulier remplacer, dans l’argument de
l’Exemple 2, « Jean » par n’importe quel nom propre et « Marie » par n’importe quel nom propre tout en préservant la validité. Ainsi, il s’ensuit que
l’argument ci-dessus est valide (parce qu’on l’obtient en remplaçant dans cet
argument-ci « Jean » par « Chirac » et « Marie » par « Nietzsche »). En effet
cet argument est valide, tandis qu’une de ses prémisses est fausse (à savoir
la prémisse 2). Mais ce qui conte pour la validité d’un argument est que dans
toutes les circonstances où les prémisses sont vraies, aussi la conclusion
est vraie. Cela n’exige pas que les prémisses soient factuellement vraies ! Dans
cet exemple particulier non seulement une des prémisses est fausse, mais également la conclusion est fausse. D’autre part, on peut très bien avoir un
argument dont la conclusion est vraie mais pas tous les prémisses sont vraies.
Voilà en est un exemple :
Exemple 5
1. Schopenhauer est un philosophe ou Nietzsche est un philosophe.
2. Nietzsche n’est pas un philosophe.
3. Donc : Schopenhauer est un philosophe.
L’argument ici est valide est la conclusion est vraie. D’autre part, cela
n’est pas un ‘bon argument’ pour cette conclusion, précisement parce que la
20
prémisse 2 ne tient pas. Un argument nous engage à accepter la conclusion
seulement de façon relative : étant donné qu’on accepte les prémisses. Ici on
n’est pas obligé d’accepter la prémisse 2, notamment parce qu’il est fausse.
Les Exemples 4 et 5 illustrent que la verité des prémisses n’est pas une
condition nécessaire pour la validité d’un argument. L’Exemple 5 illustre
que d’ailleurs la verité de la conclusion ne l’est pas. (Ce qui est impossible,
d’autre part, est que les prémisses d’un argument valide seraient vraies et au
même temps sa conclusion serait fausse.)
Continuons avec les modifications des arguments. Jusqu’ici toutes les
changements qu’on a effectué ont resulté en un argument valide. Remplaçons maintenant « ou » dans l’argument valide
1. Jean travaille ou Marie travaille.
2. Jean ne travaille pas.
3. Donc : Marie travaille.
par « si » :
Exemple 6
1. Jean travaille si Marie travaille.
2. Jean ne travaille pas.
3. Donc : Marie travaille.
Cet argument n’est pas valide. Pourquoi ? Il suffit de démontrer qu’il existe
une situation où les deux prémisses sont vraies mais la conclusion est fausse.
Pensons à n’importe quelle situation dans laquelle les prémisses sont vraies. Si
dans cette situation Marie travaillait, par prémisse 1 aussi Jean travaillierait.
Mais cela est impossible par prémisse 2. Il s’ensuit que Marie ne travaille pas
dans cette situation, et on a établi que l’argument est non valide. (En effet
dans cet cas il n’est pas seulement qu’on a une situation où les prémisses
sont vraies et la conclusion fausse — ce qui est suffisant pour la non validité
de l’argument — mais c’est une conséquence logique des prémisses que Marie
ne travaille pas : dans toutes les situations dans lesquelles les prémisses sont
vraies, on a que Marie ne travaille pas.)
21
L’Exemple 6 illustre qu’il y a des expressions qui ne peuvent pas être
remplacées par des autres expressions tout en préservant la validité de l’argument (c-à-d, sans que le résultat de remplacement ne puisse pas être un
argument non valide même si le point de départ était un argument valide).
Les expressions logiques sont de telles expressions. Ce sont précisément
les expressions logiques — telles que « ou » et « si » dans notre exemples
jusqu’ici — qui sont résponsables du statut d’un argument comme valide ou
non.
Les exemples 4 et 5 ont illustré que la verité des prémisses n’est pas
nécessaire pour la validité d’un argument. On peut noter que également la
verité des prémisses n’est pas suffisante pour la validité d’un argument,
comme témoignent les deux arguments suivants :
Exemple 7
1. Nietzsche est un philosophe ou Chirac est un philosophe.
2. Donc : Chirac est un philosophe.
Exemple 8
1. Schopenhauer est un philosophe ou Nietzsche est un philosophe.
2. Schopenhauer est un philosophe.
3. Donc : Nietzsche n’est pas un philosophe.
On a donc vu que la seule chose quoi conte pour la validité d’un argument
est sa structure ou sa forme en termes d’expressions logiques. En revanche, les
expressions telles que noms propres, substantifs, verbes et adjectifs peuvent
être remplacées par des autres expressions de type appropriée sans que cela
change le statut de l’argument comme valide ou non valide. Les cinq premiers
exemples tous ont la même forme, c-à-d ils partagent la forme
1. A ou B
2. non B
3. Donc : A.
22
Tous les argument de cette forme sont valides. On peut dire que cette forme
exprime un schéma d’argumentation, c-à-d une représentation schématique
d’un argument. L’argument de l’Exemple 6 est representé par le schéma non
valide
1. A si B
2. non A
3. Donc : B.
Les schémas non valides exprimant les formes des arguments de l’Exemple 7
et de l’Exemple 8 sont, respectivement :
1. A ou B
2. Donc : B
et
1. A ou B
2. A
3. Donc : non B
Prenons encore des exemples supplémentaires des arguments valides et
non valides. On commence avec des arguments valides :
Exemple 9
1. Jean travaille ou Marie travaille.
2. Si Marie a gagné au loto, alors Marie ne travaille pas.
3. Marie a gagné au loto.
4. Donc : Jean travaille.
Ici on peut également remplacer « travaille » par « est un philosophe » et
« a gagné au loto » par « a 7 ans », par exemple. Schématiquement :
1. A ou B
2. si C, alors non B
3. C
23
4. Donc : A.
Exemple 10
1. Si Marie a gagné au loto, alors Marie ne travaille pas.
2. Marie travaille.
3. Donc : Marie n’a pas gagné au loto.
Aussi ici on peut également remplacer « travaille » par « est un philosophe »
et « a gagné au loto » par « a 7 ans ». Schématiquement :
1. si A, alors non B
2. B
3. Donc : non A.
Exemple 11
1. Tous les hommes sont mortels.
2. Socrate est un homme.
3. Donc : Socrate est mortel.
On peut remplacer « mortel » par « philosophe » [des philosophes/un philosophe] et « Socrate » par « Chirac », tout en gardant la validité de l’inférence
(même si la conclusion devient fausse dans le seconde argument, ayant été
vraie dans le premier argument). Exprimé de façon schématique :1
1. tout A est B
2. s est un A
3. Donc : s est un B.
1
On note les prédicates A, B, . . . et des noms des individus a, b, . . . ; les lettres choises
sont bien sûr complètement conventionnels (on aurait très bien pu chosir autrement).
La seule chose importante est de faire une distinction même notationnelle entre les deux
catégories — celle des prédictats (corrélats linguistiques des attributs des individus) et
celle des noms des individus (corrélats linguistiques des individus).
24
Exemple 12
1. Tous ceux qui pensent, existent.
2. Je pense.
3. Donc : J’existe.
Un autre exemple du raisonnement avec la même forme :
1. Tous ceux qui se brossent les dents, existent.
2. Je me brosse les dents.
3. Donc : J’existe.
Exemple 13
1. Jean est un scientifique.
2. Jean a écrit une thèse de doctorat de 20 pages.
3. Une thèse de doctorat de 20 pages n’est pas longue.
4. Donc : Pas tous les scientifiques ont écrit une thèse longue.
On peut remplacer « Jean » par « Marie », « scientifique » par « riche ». La
forme de cet argument est celle-ci :
1. j est un A
2. j a effectué une action dont le résultat est un B de type C
3. Aucun B de type C est un D
4. Donc : il n’est pas le case que tout A a effectué une action dont le
résultat est un B qui est un D
Revenons pour un moment au sophisme de Euthydème, discuté pendant
la première séance.
Exemple 14 Le raisonnement suivant est valide :
1. Médor est un chien.
2. Médor est possedé par Ctésippe.
3. Donc : Médor est un chien possedé par Ctésippe.
25
Schématiquement :
1. m est un A
2. m est relié à n selon la relation R
3. Donc : m est un A qui est relié à n selon la relation R
On peut alors en particulier remplacer « chien » par « père » et avoir un
raisonnement qui est toujours valide :
1. Médor est un père.
2. Médor est possedé par Ctésippe.
3. Donc : Médor est un père possedé par Ctésippe.
Dans l’Exemple 13, « Médor est un chien possedé par Ctésippe » exprime
la même chose que « Médor est un chien de Ctésippe » ; ici « être chien de »
peut être analysé en termes de possession. Par contre, comme on a vu en
discutant le sophisme, « être père de » ne peut pas être analysé en termes
de possession : si a est le père de b, cela ne veut pas dire que b possède
a en quelque sens. Tandis que dans l’exemple 13 on pourrait remplacer la
conclusion particulière « Médor est un chien possedé par Ctésippe » par
« Médor est un chien de Ctésippe », tout en ayant une raisonnement valide :
1. Médor est un chien.
2. Médor est possedé par Ctésippe.
3. Donc : Médor est un chien de Ctésippe,
il ne serait pas correct de dire, sans qualifications, que la forme de cet raisonnement est comme suit :
1. m est un A.
2. m est possedé par n
3. Donc : m est un A de n
Comme on a vu, la transition de ‘possession’ à l’emploi du génitif est justufié
seulement dans certains cas, pas généralement.
Exemple 15 Voilà alors un raisonnement qui n’est pas valide :
26
1. Médor est un père.
2. Médor est possedé par Ctésippe.
3. Donc : Médor est père de Ctésippe.
D’autre part, si on modifie les prémisses, on peut obtenir un raisonnement qui
en effet sera valide (bien sûr au moins une de ces prémisses doit être fausse,
étant donné qu’il est bien impossible que Médor soit le père de Ctésippe). Par
exemple :
1. Médor a des petits.
2. Tous les petits-enfants du père de Médor sont des loups-garous.
3. Ctésippe est l’unique loup-garou qui a jamais existé.
4. Donc : Médor est père de Ctésippe.
Le raisonnement est valide : Par 1 et 2 les petits de Médor sont des loupsgarous. Comme par 3 il y a un seul loup-garou, à savoir Ctésippe, il s’ensuit
que Médor a un seul petit, Ctésippe, et ainsi Médor est père de Ctésippe. (Si
Ctésippe n’était pas un petit de Médor, mais cependant tous les petits de cet
dernier sont des loups-garous — et Médor a des petits — il y aurait au moins
deux loups-garous, ce qui est impossible par 3.)
Exemple 16 Voilà une raisonnement non valide :
1. Pour tout événement E il existe une cause dont E est l’effet.
2. Donc : Il existe une cause dont tous les événements sont des effets.
Le raisonnement n’est pas valide. La prémisse est réalisée par exemple par la
situation suivante : si e1 et e2 sont des événements différents, alors la cause
de e1 et la cause de e2 sont également différentes. Ainsi il n’y a pas d’unique
cause pour tous les événements, et la conclusion n’est pas réalisée.
Exemple 17 Est-ce que la validité de l’argument de l’Exemple 11, c-à-d
1. Tous les hommes sont mortels
2. Socrate est un homme
27
3. Donc : Socrate est mortel,
implique que l’argument
1. Tous les hommes sont mortels.
2. Le roi actuel de la France est un homme.
3. Donc : Le roi actuel de la France est mortel.
est valide ? Non — ou au moins cela n’est pas automatique. La réponse est rélative à notre point de vue sur les descriptions définies. Généralement, quand
on dit qu’un argument valide permet à remplacer une expression non logique
par une autre expression non logique sans changer le statut de l’argument
comme valide, il y a une restriction importante : les expressions remplaçantes
doivent être de même type que les expressions remplacées. Ici « Socrate »
peut être remplacé par « Aristote » oy par « Nietzsche » par exemple, mais
si on n’accepte pas que les descriptions définies designent des individus (notamment si on accepte l’analyse contextuelle de Russell), on n’est pas justifié
à remplacer « Socrate » par « le roi actuel de la France » — ou généralement
par une description définie, par exemple « le président actuel de la France ».
(Il n’est pas pertinent que le président actuel de la France existe, tandis que
le roi actuelle de la France n’existe pas ; « le président actuel de la France » et
« le roi actuel de la France » sont tous les deux des descriptions définies, et
en tant que telles l’usage de ces deux expressions doit être analysée de façon
uniforme.)
2.4
Raisonnements et la vérité factuelle
On a vu ci-dessus que les questions factuelles telles que la verité ou la
fausseté des prémisses (ou de la conclusion) ne fournissent pas de critère de
la validité d’un argument. Tout ce qui conte est que si toutes les prémisses
sont vraies, alors la conclusion est vraie aussi.
Un argument valide préserve la verité éventuelle des prémisses — guarantit la vérité de la conclusion au cas où les prémisses sont vraies. La validité
28
d’un argument permet ainsi les cas suivants en ce qui concerne la vérité
factuelle :
– toutes les prémisses vraies, la conclusion vraie
– un ou plusieurs prémisses fausses, la conclusion vraie
– un ou plusieurs prémisses fausses, la conclusion fausse.
Notez bien que les deux dernières cas sont trivialement compatibles avec
la validité d’un argument. Pour les situations dans lesquelles les prémisses
d’un argument sont fausses, la vérité ou la fausseté de la conclusion ne fait
absolument pas de différence. C’est parce que par définition la validité impose une condition seulement sur les situations où toutes les prémisses sont
vraies ! Pour le reste (les situations où au moins une des prémisses est fausse)
absolument rien est exigé.
Qu’est-ce qui se passe avec les arguments dont les prémisses sont contradictoires (c-à-d il n’y a pas de situation qui pourrait rendre vraies toutes ces
prémisses) ? Ce qui se passe est qu’on peut choisir n’importe quel énoncé C,
et cet énoncé C sera une conséquence logique de ces prémisses. On peut —
correctement — tirer litéralement n’importe quelle consequence de ces prémisses. L’argument dont les prémisses sont contradictoires, peu importe avec
quelle conclusion, sera valide. La raison est que la validité d’un argument
impose une condition seulement sur les situations qui rendent toutes les prémisses vraie ; mais si les prémisses sont contradictoires, il n’y a pas de telles
situations ! Cet fait est la base logique des allégations qu’on adresse parfois
à certains textes (souvent des textes qui doivent être interpretés) en disant
qu’ils offrent une justification de quasiment n’importe quelle conclusion.
Chapitre 3
Tables de vérité et
vérifonctionnalité
3.1
En quoi consiste la validité d’un argument ? Obsérvations générales
– Par définition les expressions dont la significance est pertinante pour
la validité des arguments sont des expression logiques.
– Les expressions logiques n’ont pas de référence. Exemples : « ou », « et »,
« non », « tout », « quelque », « aucun ». Elles diffèrent alors des expressions comme « Socrate », « Pégase » (qui désignent ou prétendent
désigner des individus) et également des expressions comme « philosophe », « fatigué » et « travailler » (qui réfèrent aux propriétés, ou
plutôt aux ensembles des individus ayant ces propriétés).
– Un point de vue possible sur la signification d’une expression logique
est qu’elle est determinée par le rôle de cette expression dans des arguments (et non seulement manifestée dans les arguments) : selon cette
idée c’est l’interaction des différentes expressions logiques dans des arguments que fixe les significations des expressions logiques. Dans cet
cas on dit que ce sont des expressions syncatégorematiques : elles ne
possèdent pas de signification isolément.
29
30
– On peut suggérer que le seul rôle des expressions logiques consiste à
rendre certaines formes des arguments valides et d’autres non valides.
– En tout cas on peut dire qu’un aspect important des expressions logiques consiste en contribuer à spécifier quels arguments dont elles font
partie sont valides et quels non valides. Par ex., c’est grâce à la signification de « et » que connaı̂tre « A et B » permet à conclure disons
que « A ».
– Un autre point de vue : la signification d’une expression logique est
determinée par les conditions de verité associées. Nous rappelons que
la totalité des situations dans lesquelles un énoncé est vrai constitue
les conditions de vérité de l’énoncé. La signification d’une expression
logique E est determinée par la contribution de cette expression en
déterminant les conditions de vérité des énoncés de la forme E. (En
relation avec des sémantiques dites « compositionnelles », cette contribution peut être exprimée comme la dépendance de l’attribut sémantique d’un énoncé de la forme E envers les attributs sémantiques de ses
composantes.)
– Comment emergent les significations des expressions logiques alors ?
Deux points de vue :
– Au travers des relations inférentielles entre des objets (énoncés) linguistiques ; point de vue intrinsèque à la langue :
langue
··· ··· >
monde
– Au travers des relations générales mais descriptives (contributions aux
conditions de vérité) ; point de vue expliquant la façon générale dont les
expressions logiques servent à exprimer des affirmations sur le monde :
langue
monde
..
.
..
.
∨
– Le second point de vue permet à expliciter les relations inférentielles
31
en termes de concept de la vérité ; dans le premier point de vue le lien
entre la langue et le monde peut se constituer via les interpretations
des expressions non logiques.
3.2
Concepts de la logique propositionnelle
– Les connecteurs de la logique propositionnelle sont des expressions
logiques — des expressions dont la significations est cruciale pour la
question de la validité des arguments. Syntaxiquement ils sont des expressions qui peuvent être utilisées pour lier des énoncés (indicatifs)
déjà disponibles, ou plus généralement pour produire des nouveaux
énoncés (indicatifs) à partir des énoncés (indicatifs) donnés.
– On appelle le contenu d’un énoncé indicatif ‘une proposition’ ; ce qui
est exprimé / affirmé par un énoncé est une proposition.
– Quand on dit qu’un énoncé est vrai, cela signifie que son contenu correspond aux faits ou décrit une situation non seulement possible mais
actualisée (réalisée). Un énoncé faux ne correspond pas à un fait, la
situation qu’il décrit n’est pas actualisée (réalisée). Proprement parler
ce sont les propositions qui sont des porteurs des propriétés « vérité »
ou « fausseté ».
– Les propriétés « vérité » ou « fausseté » sont collectivement appelées
valeurs de vérité.
– La totalité des situations dans lesquelles un énoncé est vrai constitue
les conditions de vérité de l’énoncé.
– Comme on peut construire des énoncés plus complexes à partir des
énoncés moins complexes, on peut poser les questions : Est-ce qu’il y
a de lien entre la valeur de vérité d’un énoncé complexe et les valeurs
de vérité de ses composants ? Plus généralement, est-ce qu’il y a de
lien entre la signification d’un énoncé complexe et les significations de
ses composants ? S’il y a un lien, quel type de lien ? Pour les langages
logiques discutés ici, il y a un tel lien (pour les valeurs de vérité et aussi
pour la signification), et le lien est particulièrement simple. Dans ces
32
cas, la valeur de vérité (et la signification) d’un énoncé ne dépend que
des valeurs de vérité (et des significations) des composants de l’énoncé.
Cette propriété est appelée compositionnalité (des valeurs de vérité
et de la signification, respectivement).
3.3
Vérifonctionnalité
– Quand la valeur de vérité d’un énoncé est determinée en fonction des
valeurs de vérité de ses composants, on parle de vérifonctionnalité.
Par exemple, la valeur de vérité de l’énoncé ‘A et B’ est determinée
de façon unique une fois qu’on connaı̂t la valeur de vérité de A et la
valeur de vérité de B. (Si ces derniers sont vrais tous les deux, ‘A et
B’ est vrai aussi ; autrement ‘A et B’ est faux — étant donné que le
connecteur ‘et’ ici est le conjonction de la logique propositionnelle.)
– Un exemple d’un connecteur qui n’est pas vérifonctionnel est « parce
que » (cet connecteur n’est pas un connecteur de la logique propositionnelle) :
– Pensons à l’énoncé
« Marie s’est endormie parce qu’elle a commencé à lire La
Phénoménologie de l’Esprit de Hegel »,
en assumant qu’effectivement les énoncés composants « Marie s’est
endormie » et « elle [c-à-d Marie] a commencé à lire La Phénoménologie de l’Esprit de Hegel » sont vrais. Maintenant, d’une part,
(1) il est bien possible que la lecture a eu un effet décisif à l’état de
veille de Marie ; mais d’autre part (2) il est également possible que
l’intérêt fort de Marie pour l’œuvre de Hegel n’a pu combattre les
conséquences physiologiques du fait qu’elle avait travaillé sans cesse
durant les 36 heures précédentes. En somme, la vérité des énoncés
composants laisse ouverte la possibilité de la vérité de l’énoncé complexe mais ne guarantit pas sa vérité : « parce que » n’est pas un
connecteur vériconditionnel.
33
– Généralement, un connecteur ◦ (binaire) n’est pas vérifonctionnel s’il
existe des énoncés A et B et les situations s1 et s2 telles que (A ◦ B)
est vrai dans s1 et (A ◦ B) est faux dans s2 — même si les valeurs
de vérité de A et B ne changent pas dans le transition de s1 à s2
(par ex., A est vrai dans toutes les deux situations et également B
est vrai dans toutes les deux situations, mais cependant (A ◦ B) est
vrai dans s1 mais faux dans s2 .)
– Dans notre exemple le connecteur « parce que » n’est pas vérifonctionnel, car il existe deux situations telles que dans toutes les deux
tous les deux énoncés « Marie s’est endormie » et « Marie a commencé à lire La Phénoménologie de l’Esprit de Hegel » sont vrais,
mais dans une de ces deux situations Marie s’est effectivement endormie parce qu’elle a commencé à lire La Phénoménologie de l’Esprit
de Hegel, tandis que dans l’autre Marie ne s’est pas endormie pour
cette raison.
– Le contenu de la condition de vérifonctionnalité est celui-ci : Une fois
que les valeurs de vérité des composantes d’un énoncé sont les mêmes,
aussi la valeur de vérité de l’énoncé complexe est la même.
– Tout énoncé de la logique propositionnelle peut être construit à partir
des énoncés élémentaires ou atomiques en utilisant des connecteurs.
Pour connaı̂tre la valeur de vérité d’un énoncé propositionnel, il suffit
de connaı̂tre les valeurs de vérité de ses composants atomiques.
3.4
Les connecteurs et ses tables de vérité
On va discuter des différents connecteurs de la logique propositionnelle et
expliquer comment la valeur de vérité d’un énoncé construit en utilisant telet-tel connecteur est déterminée en fonction des valeurs de vérité de ces composants (immédiats). On donnera les tables de vérité des certains connecteurs
logiques. Ce qui se passe est que de cette façon on explique la signification
de ces connecteurs.
34
Les connecteurs qu’on va considerer sont et (∧), non (¬), ou (∨), et
si...alors (→). Il y a des emplois des connecteurs correspondants de la langue
naturelle avec une signification qui diffère de la signification de ces expressions logiques. On mentionnera des exemples.
3.4.1
Conjonction | et
A
B
(A ∧ B)
vrai
vrai
vrai
vrai
faux
faux
faux
vrai
faux
faux faux
faux
Compare les énoncés (1) et (2) :
(1) Marie s’est mise au régime et elle a perdu 10 kilos.
(2) Marie a perdu 10 kilos et elle s’est mise au régime.
Ces énoncés ne sont pas équivalentes ; ici l’usage de « et » a une dimension
temporelle. D’autre part (A ∧ B) ne pas être vrai sans que (B ∧ A) le soit.
3.4.2
Négation | non
A
¬A
vrai
faux
faux
vrai
3.4.3
Disjonction | ou
Disjonction inclusive | ou au sens de et/ou
A
B
(A ∨ B)
vrai
vrai
vrai
vrai
faux
vrai
faux
vrai
vrai
faux faux
faux
35
Disjonction exclusive | ou au sens de soit...soit
A
B
˙
(A∨B)
vrai
vrai
faux
vrai
faux
vrai
faux
vrai
vrai
faux
faux
faux
Un exemple où les deux occurrences de « ou » sont des occurrences de la
disjonction exlusive :
(3) Formule Entrée + Dessert 9 euros :
Plat du jour ou fricassée de la mer sauce Chablis
Café gourmand ou gaufre cassonade
Un exemple où on utilise ‘soit...soit’ pour exprimer la disjonction exclusive :
(4) Mon prochain semestre se déroulera soit à Madrid, soit à Rome.
En ce qui concerne les arguments, il faut noter que la disjonction inclusive
rend l’inférence
– A
– Donc : (A ou B)
valide, tandis que cette inférence n’est pas valide si on prend « ou » pour
la disjonction exclusive. Sinon, on pourrait raisonner comme suit : Socrate
est un philosophe. Donc : Socrate est un philosophe ou Nietzsche est un
philosophe, où « ou » est exclusif. Mais tandis que la prémisse est vraie, la
conclusion n’est pas vraie. Elle est fausse parce que tous les deux termes
de la disjonction exclusive « Socrate est un philosophe ou Nietzsche est un
philosophe » — à savoir « Socrate est un philosophe » et « Nietzsche est un
philosophe » — sont vraies.
36
3.4.4
Implication matérielle | si...alors
A
B
(A → B)
vrai
vrai
vrai
vrai
faux
faux
faux
vrai
vrai
faux faux
vrai
L’implication de la langue naturelle n’est typiquement pas vérifonctionnel.
(5) Si Marie commence à lire La Phénoménologie de l’Esprit de Hegel,
alors elle s’endort.
Cet énoncé peut être consideré comme une généralisation : pour tout instant
t donné... Ou bien une déscription d’une relation causale. Pensons à l’énoncé
plus spécifique :
(6) Si Marie vient de commencer à lire La Phénoménologie de l’Esprit de
Hegel, alors elle dort actuellement.
Clairement on veut dire que (6) est faux si Marie vient de commencer à lire le
livre mais cependant elle ne dort pas. Si par contre Marie vient de commencer
à lire le livre et elle dort, nous somme prêrts à dire que (6) est vrai.
Mais si Marie n’a pas commencé à lire le livre ou si elle l’a commencé à
lire il y a longtemps ? Est-ce que (6) est vrai ou faux ? Est-ce que sa valeur
de vérité dépend dans ce cas de la valeur de vérité de l’énoncé « Elle dort
actuellement » ? Si la construction ‘si...alors’ est conçue comme implication
matérielle, la réponse est : dans cet cas (6) est vrai, indépendamment de la
valeur de vérité de « Elle dort actuellement ». L’idée est donc qu’une implication matérielle A → B est vraie en particulier si son antécendent A — son
composant qui exprime une condition — n’est pas vraie : si la condition n’est
pas satisfaite. Dans ce cas l’implicacation matérielle est prise pour vraie pour
des raisons triviales. Rien n’est exigé pour satisfaire un énoncé conditionnel
dont la condition ne tient pas. Étant donné la signification de l’implication
matérielle, en introduisant une condition fausse (A) à un énoncé (B) on produit un énoncé A → B trivialement vrai (‘trivialement’, vu qu’on sait que A
est faux). On utilise effectivement cette propriété de l’implication matérielle
37
dans la langue naturelle :
(7) Si Stockholm est la capitale de la Finlande, alors les poules ont des
dents / alors je mange mon chapeau.
38
Chapitre 4
Syntaxe : expressions bien
formées
Pour représenter et étudier des schémas d’argumentation, on utilisera la
logique propositionnelle. C’est un langage formel ; la signification de tous
les expressions non logiques est laissée complètement ouverte. On s’intéresse
seulement aux expressions logiques, c-à-d aux expressions dont la signification
est pertinente pour la validité ou non validité des arguments.
La syntaxe spécifie quelles suites des graphèmes sont des expressions de la
langue considerée. On spécifie un ensemble des atomes propositionnels (ou en
bref : atomes) ; ils sont utilisés pour représenter de façon abstrait des énoncés
dont la structure interne ne nous interesse pas. On va les noter p, q, r, p1 , p2 ,
etc.
Pour spécifier la syntaxe, on commence avec certains symboles qui peuvent
être utilisés pour formuler des énoncés. Ici les symboles sont d’une part les
atomes propositionnels, et d’autre part les connecteurs ¬, ∧, ∨, → et les parenthèses : ) et (. Ensuite il faut indiquer quelles suites de ces symboles sont
‘grammaticales’ et quelles ne le sont pas. (Pour la spécification de la syntaxe,
voir la section ‘Syntaxe’ ci-dessous.)
On note que les parentheses sont indispensables pour désambiguı̈sation :
par ex., l’éxpression
39
40
– p ∨ q ∧ r (« Obama a été élu ou McCain a été élu et rien n’a changé »)
aurait ces deux lectures (on ne pourrait pas savoir laquelle est visée sur la
base de cette expression formelle, ce qui est une raison pour ne pas accepter
une telle expression dans notre langage) :
(1) p ∨ (q ∧ r)
(« Obama a été élu, ou McCain a été élu et rien n’a
changé »)
(2) (p ∨ q) ∧ r
(« Obama a été élu ou McCain a été élu, et rien n’a
changé »)
La lecture (2) mais non pas la lecture (1) suggère que le choix entre Obama
ou McCain a été sans importance : en tout cas rien n’a changé.
4.1
Syntaxe de la logique propositionnelle
On a noté que la tâche de la syntaxe est d’indiquer comment construire des
énoncés de façon correcte, c-à-d de façon à résulter en des suites des symboles
considerées bien formées. Comme on pourra construire des énoncés de plus
en plus longues et compliqués, il est évident qu’on ne peut pas donner une
simple liste des expressions bien formées. On va procéder de façon suivante.
La totalité des expressions bien formées (ou : formules, énoncés) de la logique
propositionnelle est specifiée comme suit :
(i) Les atomes propositionnelles sont des formules
(ii) Si A est une formule, alors ¬A est une formule
(iii) Si A et B sont des formules, alors (A ∧ B), (A ∨ B) et (A → B) sont
des formules.
(iv) Rien n’est une formule de la logique propositionnelle qui n’est pas
obtenu par les règles (i)—(iii) dans un nombre fini d’étapes.
[On pourrait ne pas ajouter la condition (iv), mais dans ce cas il serait sousentendu que les règles spécifient toutes les expressions bien formées, et non
pas seulement quelques expressions bien formées.]
41
À proprement parler, pour différents choix des atomes propositionnels on
obtient avec les règles (i)—(iv) de différents langages de la logique propositionnelle. (Le langage construit à partir des atoms p, q, r, . . ., disons, est
différent du langage construit à partir des atoms p1 , p2 , p3 , . . ..) Normalement
ces distinctions ne sont pas pertinentes pour notre discussions pendant ce
cours, et on va parler tout simplement de la logique propositionnelle avec
l’idée sous-jacente qu’un ensemble des atomes a été spécifié.
Prenons des exemples des expressions bien formées ainsi que des expressions mal formées. Ensuite on discute la question comment contrôler si une
expression est en effet bien formée. Après on va retourner à une discussion
du caractère spécifique de la définition de la syntaxe presentée.
4.2
Exemples des formules et des non-formules
Voilà des expressions bien formées = des formules = des énoncés :
• ¬¬¬¬p
• ((¬p ∧ q) ∧ r)
• ((¬(p ∨ q) → ¬¬¬q) ∧ r).
Et les expressions suivantes sont mal formées = des non-formules = des nonénoncés :
• pq
• ¬(¬¬p)
• ∧p¬q
• ¬((p → q ∨ r)).
4.3
Arbre syntaxique
Grâce à la définition de la syntaxe, on peut dessiner pour toute formule
A de la logique propositionnelle un arbre de construction = un arbre
de formation = un arbre syntaxique. Les nœuds de cet arbre sont des
formules. La racine de l’arbre va correspondre à la formule A. Les feuilles
42
de l’abre correspondront aux atomes propositionnelles. Tout nœud (à l’exception des feuilles) a des successeurs ; plus spécifiquement tout nœud a
un successeur ou deux successeurs. Et tout nœud (à l’exception des feuilles)
résulte de l’application d’un des deux règles (ii) ou (iii) à ses successeurs ; si
le nœud a un seul successeur, il s’agit de la règle (ii) tandis que si le nœud a
deux successeurs, il s’agit de la règle (iii).
Voilà un exemple très simple, l’arbre syntaxique de la formule (¬p → q) ;
on l’a dessiné, selon une convention habituelle, à l’envers.
(¬p → q)
\
/
¬p
q
|
p
Prenons un autre exemple. L’arbre syntaxique de la formule
(((¬p ∨ q) ∧ ¬¬¬r) → (s → t))
est dessiné comme suit :
(((¬p ∨ q) ∧ ¬¬¬r) → (s → t))
\
/
((¬p ∨ q) ∧ ¬¬¬r)
/
(¬p ∨ q)
/
¬p
\
q
(s → t)
\
/
¬¬¬r
s
|
¬¬r
|
|
p
¬r
|
r
\
t
43
Tout essai de dessiner un arbre syntaxique pour une non-formule va échouer,
simplement parce que tôt ou tard il faudrait déterminer comment il est possible de construire une expression à partir de ses composants immédiats tandis que la forme de cette expression laisse ouverte quelle règle pourrait être
appliquée ; cela peut arriver parce que la forme de l’expression est ambiguë ou
parce qu’elle manque de forme du point de vue de la syntaxe [ex. (p ∧ q ∨ r),
(p ∧ q ∧ r), pq, p ∨ q],1 ou parce que l’expression n’a pas des composants
immédiats appropriés [ex. (p → ), ((p ∨ q) ∧ ( ∨ r))]. Une expression telle que
∧∨ manque de forme et elle manque des composantes.
Voilà un exemple d’un essai désespéré de dessiner un arbre syntaxique
pour la non-formule (q ∧ (p → )) :
((p → ) ∧ q)
\
/
(p → )
/
q
\
p
Ici on finit par avoir une feuille qui n’est associée avec aucun atome propositionnelle ; cela signifie que l’expression ((p →) ∧ q) est une non-formule.
Ou on pourrait décrire la même chose en disant que simplement l’expression (p → ) ne peut pas être analysée en termes de la syntaxe de la logique
propositionnelle ; pour cela il faudrait qu’il y ait deux composants auxquels
→ est appliqué, mais ici on a un seul, le composant p à gauche. Autrement
dit : dire que l’expression (p → ) peut être analysée (tout en respectant les
règles syntaxiques dans la mésure où possible) de façon non-grammaticale
representée par l’arbre ci-dessus ou dire qu’elle ne peut absolument pas être
analysée selon la syntaxe sont deux manières équivalentes de dire que l’expression considerée n’est pas grammaticale, c-à-d ne peut pas être produite
selon la syntaxe.
1
L’expression manque de forme : la syntaxe ne permet pas de disjonction sans des
parenthèses : (p ∨ q).
44
Il n’est pas difficile de se convaincre que pour toute formule — toute
expression bien formée — il existe un et en seul arbre syntaxique : la manière
de formation d’une formule est uniquement determinée par sa syntaxe.
4.4
La forme d’une formule, connecteur principal
La formule (¬p → q) est pour sa forme une implication matérielle,
comme aussi, par exemple, la formule ((¬r ∨ (s ∧ t)) → (q ∨ ¬¬u)). Une autre
manière d’exprimer la même chose est de dire que le connecteur principal
de cette formule est →. La forme de la formule (p ∧ (q ∨ r)) est conjonctive,
et celle de la formule (¬p ∨ q) disjonctive. Ses connecteurs principales sont ∧
et ∨, respectivement. La formule ¬(p → q) est pour sa forme une négation ;
son connecteur principale est ¬. Les formules p et q sont atomiques pour leur
forme ; ils n’ont pas de connecteur principal. On voit que la forme d’une formule est déterminée par le connecteur (s’il y a un tel connecteur, cf le cas des
formules atomiques) qui était le dernier à être appliqué quand on a construit
la formule en question selon les règles syntaxiques. C’est cet connecteur qui
est appelé le connecteur principal de la formule.
4.5
Sous-formule
Les sous-formules de la formule ¬(p → q) sont p, q, (p → q) et la formule
¬(p → q) elle-même, et celles de la formule (¬(p → q) ∧ ¬¬¬r) sont p, q,
r, ¬r, ¬¬r, ¬¬¬r, (p → q), ¬(p → q) et la formule (¬(p → q) ∧ ¬¬¬r)
elle-même.
Pour définir le concept de sous-formule de façon générale, on a plusieurs
possibilités. On peut dire qu’une sous-formule d’une formule A est une suite
des symboles qui apparaı̂t dans A et qui est elle-même une formule selon
les critères syntaxiques.2 Une autre caractérisation : les sous-formules d’une
2
Notez bien qu’on pourrait en principe finir par définir le concept de sous-formule de
45
formule A sont les formules qui apparaissent dans son arbre syntaxique. Et
une troisième caractérisation (cette fois-ci une caractérisation qui utilise une
définition récursive3 du concept auxiliaire de la « sous-formule immédiate ») :
Si (C ◦ D) est une formule, C et D sont ses sous-formules immédiates (ici ◦
peut être ∧, ∨ ou →) ; si ¬C est une formule, C est sa sous-formule immédiate ; les atomes comme p n’ont pas des sous-formules immédiates. Puis les
sous-formules simpliciter d’une formule A peuvent être définies comme suit :
A est sa propre sous-formule ; les sous-formules immédiates de A sont de ses
sous-formules ; et les sous-formules immédiates des sous-formules de A sont
toujours des sous-formules de A.
4.6
Une note sur la règle (iv) de la syntaxe
On retourne aux règles utilisées pour définir la syntaxe. Les définitions
de ce type sont appelées récursives ou inductives. À première vue il peut
sembler que cette définition est circulaire de quelque manière. Quelle est la
différence entre notre définition de la syntaxe et la définition suivante — en
effet circulaire — de « chien » :
(1) Les petits des chiens sont des chiens.
(2) Rien n’est un chien qui n’est pas reconnu comme chien par (1).
Ou autrement dit : Un chien est ce qui est un petit des chiens. Si on ne connaı̂t
pas encore la signification de « chien », cette définition ne nous aidera pas à
l’apprendre.
façon moins fortunée ; le résultat pourrait être qu’il y a des ‘sous-formules’ dans cet sens
qui ne sont pas de formules. Le fait simple qu’on utilise le mot ‘sous-formule’ ne guarantit
pas que tous les objets appelés ‘sous-formules’ sont aussi des formules ! Une analogie : Il y
a des diables de Tasmanie (latin Sarcophilus harrisii). Il ne s’ensuit pas qu’il y a aussi des
diables : les diables de Tasmanie ne sont pas des diables. Si par exemple on adopterait la
définition que toute suite des symboles consécutifs dans une formule constitue une sousformule, on aurait des sous-formules qui ne sont pas des formules : dans ce cas par exemple
p → serait une sous-formule de la formule ¬(p → q). Mais manifestement p → n’est pas
une formule de la logique propositionnelle.
3
Pour les définitions récursives, voir la Section 4.6 ci-dessous.
46
Pourquoi la définition de la syntaxe de la logique propositionnelle n’est
pas circulaire de même façon ? Parce que cette définition procède des formules
plus simples — au début, des atomes propositionnelles — vers des formules
plus complexes. Par exemple, pour appliquer la règle (ii),
(ii) Si A est une formule, alors ¬A est une formule,
la formule A à laquelle on applique la règle est plus simple que la formule
¬A qui résulte de l’application de la règle — la première est obtenue à partir
des atomes propositionnelles dans un nombre d’étapes strictement plus petit
que la dernière. Par exemple, si A = (p → q), alors ¬A = ¬(p → q) et
A est obtenu des atomes dans une seule étape tandis que ¬A est obtenu
des atomes dans deux étapes. La définition serait circulaire s’il n’y aurait
pas de différence quelconque de type entre les formules auxquelles les règles
s’appliquent et les formules qui sont obtenues par ces applications.
Avec les chiens on avait cette situation ; les règles ne spécifient pas de
différence entre les chiens auxquels les règles s’appliquent et les chiens qui
résultent de ces applications. On pourrait faire disparaı̂tre la circularité de la
définition de « chien » en la modifiant comme suit :
(1) Aaron, Bonnie, César et Dina sont des chiens.
(2) Les petits des chiens sont des chiens.
(3) Rien n’est un chien qui n’est pas un chien selon les règles (1) et (2).
Dans ce cas les chiens auxquelles la règle (2) est appliquée sont plus proches
des chiens ‘ancestrals’ — c-à-d Aaron, Bonnie, César et Dina dont le statut
canin est simplement stipulé par la règle (1) — que l’animal qui est reconnu
comme chien par l’application de la règle (2). Par exemple, si on applique
(2) à Médor et Mona qui sont des petits de César et Bonnie et de Aaron et
Dina, respectivement, le statut canin de ces deux animaux Médor et Mona
est guaranti dans une seule étape. Si Médor et Mona ont un petit, Napoléon
disons, alors il faut deux étapes à guarantir son statut. ‘L’arbre de construction’ d’un chien — selon la définition ci-dessus — consiste à spécifier son
pedigree ou son arbre généalogique.
47
Les définitions récursives ou inductives — comme celle de la syntaxe de
la logique propositonnelle ou celle de « chien » ci-dessus — consistent à attribuer une propriété4 à un objet si cet objet peut être construit à partir des
objets plus simples avec la même propriété, en fin de compte à partir des
objets dont on a simplement stipulé qu’ils possèdent cette propriété.
4.7
Représentation logique des énoncés de la
langue naturelle
Pour pouvoir discuter des arguments exprimés, disons, en français, il faut
pouvoir discerner les aspects des énoncés utilisés qui sont pertinentes pour
la question si l’argument est valide : faire la distinction entre les composants
logiques et les composants non logiques. Quand on utilise la logique propositionnelle pour discuter des arguments, il s’agit de discerner la « structure
logique » de l’énoncé en termes de connecteurs ∧, ¬, ∨ et → (ou en termes
de connecteurs qui peuvent être définis en utilisant ces quatre connecteurs).5
Pour représenter un énoncé de la langue naturelle en logique propositionnelle — pour le traduire dans la logique propositionnelle — il faut commencer par discerner quels composantes de l’énoncé peuvent être traités comme
atomiques ; il s’agit des composantes dont la structure n’est pas pertinente
pour la question de la validité. On va établir un lien entre ces composantes
4
Des exemples des telles propriétés sont être une formule, ou bien être un chien dans
notre exemple introduit pour illustrer et non pas pour réellement capturer la classe des
chiens qui existent ou ont existé ou vont exister.
5
Par exemple la disjonction exclusive ∨˙ peut être définie en utilisant la disjonction
inclusive (∨), la conjonction (∧) et la négation (¬) comme suit : pour tous les énoncés
˙
A et B, on peut stipuler que (A∨B)
est une abbreviation de ((A ∨ B) ∧ (¬A ∧ ¬B)).
˙
Cela est possible parce qu’en effet (A∨B)
avec sa sémantique spécifiée est équivalent à
((A ∨ B) ∧ (¬A ∧ ¬B)), pour tout énoncé A et B. Puisqu’une telle définition est possible,
on peut éviter d’avoir la disjonction exclusive parmi les connecteurs primitifs de notre
langage. (Effectivement on n’avait pas inclus ∨˙ parmi les connecteurs explicitement donnés
par la syntaxe de la logique propositionnelle.) La question de l’interdéfinissabilité des
connecteurs sera discutée systématiquement plus tard pendant ce cours.
48
et ses représentations dans la logique propositionnelle. Parce que les composantes sont considerés non-analysés, on peut utiliser des atomes propositionnels pour les représenter. (Rappelons que les atomes propositionnels sont
les expressions du langage de la logique propositionnelle qui manquent de
structure.) Pour exprimer un tel lien on utilise une clé de traduction. Par
exemple, pour traduire l’énoncé
« Si Jean a fait un exposé et assisté à une réunion, il est fatigué »,
on note que les composantes qui peuvent être vus comme non-analysés sont
« Jean a fait un exposé », « Jean a assisté à une réunion » et « Jean est
fatigué ». On commence alors par introduire une clé de traduction :
p : Jean a fait un exposé
q : Jean a assisté à une réunion
r : Jean est fatigué
(On pourrait bien sûr, sans aucun problème, utiliser des autres atomes propositionnels au lieu de p, q et r — par ex. p1 , p5 et p127 — et on pourrait aussi
utiliser des autres types de lettres, disons A, B et C. Si on utilise les atomes
propositionnelles [écrits en bas de casse], il devient complètement clair qu’on
traite les énoncés français en question comme non-analysés). Une fois que la
clé de traduction est établie, on peut exprimer la forme logique de l’énoncé
« Si Jean a fait un exposé et assisté à une réunion, il est fatigué » en termes
de cette clé de traduction comme suit :
((p ∧ q) → r).
En cherchant une représentation appropriée on s’intéresse aux conditions
de vérité de ces phrases, ce qu’elles expriment ; on n’exige pas que la
syntaxe de la représentation reflète la syntaxe de la phrase représentée. Par
exemple ici, à proprement parler la formule ((p ∧ q) → r) est la traduction
de l’énoncé français
« Si Jean a fait un exposé et (si) Jean a assisté à une réunion, alors
Jean est fatigué ».
49
Cet dernier diffère de l’énoncé original : ici on a répeté « Jean » trois fois
tandis que l’énoncé original utilise une convention qui permet à raccourcir le texte — « Jean a fait un exposé et Jean a assisté » devient « Jean
a fait un exposé et assisté » ; l’original utilise également le pronom « il »
dans le conséquent ; et évite le mot inutile « alors ». Cependant la formule
((p ∧ q) → r) est conçue comme une traduction de tous les deux énoncés
« Si Jean a fait un exposé et assisté à une réunion, il est fatigué » et « Si
Jean a fait un exposé et (si) Jean a assisté à une réunion, alors Jean est
fatigué » — puisque les deux disent la même chose, ils expriment le même
contenu, ils sont vrais dans les mêmes circonstances et faux dans les mêmes
circonstances.
50
Chapitre 5
Sémantique
La sémantique d’une logique associe une signification à ses formules et
explique les conditions qui rendent les formules vraies ou fausses. Il faut
ajouter la sémantique aux expressions linguistiques données par la syntaxe
pour pouvoir utiliser la logique pour exprimer quelque chose.
La plupart de la sémantique de la logique propositionnelle a déjà été spécifiée : en effet les tables de vérité précisent les significations des connecteurs, en
expliquant comment la valeur de verité d’une formule avec telle-et-telle forme
dépend des valeurs de verité de ses composants immédiats. Si on rappelle
que les connecteurs de la logique propositionnelle sont vérifonctionnels —
c-à-d la valeur de vérité d’une formule complexe est déterminée en fonction
des valeurs de vérité de ses composants immédiats (dont les valeurs de vérité,
à leur tour, sont déterminées en fonction de ses composants immédiats, etc.)
— il s’ensuit que pour déterminer la valeur de vérité d’une formule il suffit
de connaı̂tre les valeurs de vérité de ses composants les plus simples : les
valeurs de vérité de ses composants atomiques. Par exemple, si A est une
formule de la logique propositionnelle et les seuls atomes propositionnels qui
apparaissent dans A sont p et q, alors il est suffisant de connaı̂tre les valeurs
de vérité de p et q pour connaı̂tre aussi la valeur de vérité de A. (Il n’est
pas difficile de se convaincre, par exemple, qu’il est totalement non pertinent
de connaı̂tre la valeur de vérité de l’atome r pour savoir si ou non l’énoncé
(p ∧ q) est vrai ou faux — tout ce qui compte est de connaı̂tre la valeurs de
51
52
vérité de p et celle de q.)
Ce qu’il faut encore faire pour pouvoir spécifier la sémantique de la logique
propositionnelle est d’expliquer le cadre conceptuel utilisé pour discuter les
valeurs de vérité des formules. L’idée cruciale est que les formules — comme
les énoncés de la langue naturelle — sont évalués ou considérés dans un
contexte ou dans une situation. C’est le contexte qui détermine les valeurs
de vérité des énoncés atomiques — et de ce fait, par vérifonctionnalité, aussi
les valeurs de vérité de tous les énoncés construits à partir de ces atomes
conformément aux règles syntaxiques.
5.1
Situations
Introduisons le concept de situation comme suit ; j’utilise l’expression
« situation » rélativement explicative pour désigner ce qu’on appelle souvent
une valuation des atomes propositionnels, et ce qu’on pourrait également
appeler un scénario ou un monde possible ou un contexte ou un modèle
ou une réalisation. Pour identifier une situation, tout ce qu’il faut faire est
d’indiquer, pour tout atome propositionnel (parmi les atomes propositionnels
pertinents), une valeur de vérité (vrai, faux). Si par exemple on n’a que deux
atomes p et q, alors il y a quatre situations possibles en termes de ces atomes :
– p vrai, q vrai
– p vrai, q faux
– p faux, q vrai
– p faux, q faux.
Si un seul atome p nous intéresse, il n’y a que deux situations possibles en
termes de cet atome :
– p vrai
– p faux.
Si on a trois atomes p, q et r, alors il y a huit situations pertinentes :
– p vrai, q vrai, r vrai
53
– p vrai, q vrai, r faux
– p vrai, q faux, r vrai
– p faux, q vrai, r vrai
– p vrai, q faux, r faux
– p faux, q vrai, r faux
– p faux, q faux, r vrai
– p faux, q faux, r faux.
Généralement, n atoms propositionnels donnent lieu à 2n situations différents : 4 atomes, 16 situations ; 5 atomes, 32 situations ; . . . ; 10 atomes,
1024 situations ; . . . ; 15 atomes, 32768 situations ; etc. (Les exemples qu’on
discute pendant ce cours utiliseront au plus trois atomes propositionnels.)
Dans la logique propositionnelle, nous nous intéressons à la question
« Quelle est la valeur de vérité d’une formule donnée dans une situation
donnée ? », c-à-d les formules sont évaluées rélativement aux situations. Autrement dit, la sémantique de la logique propositionnelle sert à spécifier les
concepts de « vérité dans une situation » et « fausseté dans une situation ».
Les énoncés — comme les énoncés de la langue naturelle — sont toujours
évalués dans des contextes particuliers. Pour la logique propositionnelle ce
sont les situations qui sont des contextes pertinents. Ou, toute information
contextuelle pertinente pour l’évaluation d’une formule de la logique propositionnelle est celle donnée par une spécification d’une situation. On pourrait
imaginer qu’on était donné contextuellement tout type d’information — par
exemple non seulement l’information sur la vérité ou la fausseté des atomes
propositionnels mais aussi d’information sur les personnes qui utilisent la
langue, d’information sur les lois physiques qui conditionnent le contexte de
l’évaluation etc. Une petite partie de toute cette information serait suffisante
pour discuter les énoncés de la logique propositionnelle, à savoir la spécification des valeurs de verité des atomes propositionnels mentionnés.
Le fait que les connecteurs de la logique propositionnelle sont vériconditionnels implique qu’une fois une situation est spécifiée, aussi les valueurs de
vérité de tous les formules complexes sont determinées relativement à cette
situation. Il suffit de donner une situation — fixer les valeurs de vérité des
54
atomes propositionnels — pour déterminer quelles formules sont vraies dans
cette situation et quelles sont fausses.
Pour trouver la valeur de vérité d’une formule complexe, on peut tout
simplement appliquer les tables de vérité des connecteurs appropriés dans la
situation particulière dans laquelle on veut évaluer la formule. Disons qu’on
veut savoir quelle est la valeur de vérité de la formule ¬(¬p ∨ q) dans la
situation où
• p est vrai et q est faux.
Parce que p est vrai, selon la table de vérité de la négation
• ¬p est faux.
On note que jusqu’ici on a vu que ¬p et q sont faux tous les deux, ce qui
implique, par la table de vérité de la disjonction (inclusive), que
• (¬p ∨ q) est faux.
Il s’ensuit, par la table de vérité de la négation, que
• ¬(¬p ∨ q) est vrai
dans la situation en question (c-à-d dans la situation où p est vrai et q est
faux). De cette façon les valeurs de verité spécifiques de p et de q ont donné
lieu à la valeur de vérité spécifique de la formule ¬(¬p ∨ q). On peut exposer
ces considérations de façon succincte comme suit :
5.2
p
q
¬p
vrai
faux
faux
(¬p ∨ q) ¬(¬p ∨ q)
faux
vrai
Signification d’une formule
Les tables de verité des connecteurs permettent donc à déterminer les
valeurs de verité des formules complexes dans des situations données. Qui
plus est, elles peuvent aussi être utilisées pour spécifier la signification d’une
formule complexe, c-à-d pour exprimer comment la valeur de vérité d’une
formule complexe dépend de son contexte d’évaluation — comment sa valeur
55
de vérité dépend de la situation dans laquelle on évalue la formule. Cela
est tout simplement achevé en dessinant une table de vérité de cette
formule,1 de façon indiquée par l’exemple suivante. Voilà la table de vérité
de la formule ¬(¬p ∨ q) dont on vient de déterminer (voir les notes pour la
séance 5) la valeur de vérité dans une situation particulière.
p
q
¬p
(¬p ∨ q) ¬(¬p ∨ q)
vrai
vrai
faux
vrai
faux
vrai
faux
faux
faux
vrai
faux
vrai
vrai
vrai
faux
faux faux
vrai
vrai
faux
Cette table indique comment la valeur de vérité de la formule ¬(¬p ∨ q)
est determinée en fonction de la situation dans la quelle on l’évalue. On
observe qu’une ligne de la table représente les valeurs de vérité des formules
considerées dans une seule et même situation ; la situation en question est
spécifiée par les valeurs de vérité y associées aux atomes propositionnels. On
note que la deuxième ligne représente la situation particulière qu’on vient de
considérer. Les trois autres lignes représentent les autres situations qui sont
possibles en termes des atomes propositionnels p et q. La dépendence de la
valeur de vérité de la formule ¬(¬p ∨ q) des valeurs de vérité de p et de q
peut être résumée par la table ci-dessous :
p
q
¬(¬p ∨ q)
vrai
vrai
faux
vrai
faux
vrai
faux
vrai
faux
faux
faux
faux
La table de vérité d’une formule complexe spécifie sa signification : les lignes
de la table correspondent aux situations pertinentes (toute situation pertinente est représentée par exactement une ligne) et la valeur, vrai ou faux,
1
Jusqu’ici on a parlé des tables de vérité des connecteurs ; maintenant on généralise
cet concept et on explique ce qui est une table de vérité d’une formule.
56
associée à la formule complexe à cette ligne exprime sa valeur de vérité dans
la situation en question.
5.3
Vérité
On a déjà beaucoup parlé de « vérité » et de « fausseté ». Vérité et fausseté sont des attributs des énoncés (ou des propositions, il s’agit des caractéristiques de ce qui est exprimé par un énoncé). Dire qu’un énoncé est vrai
est d’exprimer qu’une certaine relation obtient entre l’énoncé et le monde,
et dire qu’il est faux est d’exprimer que cette relation n’obtient pas. Quelle
relation ? Un certain type de relation de correspondence : que le monde
est tel que l’énoncé affirme qu’il est. La signification d’un énoncé est liée à
ses conditions de vérité. Connaı̂tre la signification d’un énoncé consiste de
savoir quelles sont les circonstances dans lesquelles il est vrai. Comme l’exprime Wittgenstein (Tractatus 4.024), « Comprendre une proposition, c’est
savoir ce qu’il advient si elle est vraie ». Les conditions de vérité d’un énoncé
sont simplement les circonstances ou les situations dans lesquelles cet énoncé
est vrai. À l’exception des énoncés très particuliers, tout énoncé divise la
totalité de toutes les circonstances imaginables en deux parties : celles dans
laquelle l’énoncé est vrai et celles dans laquelle il est faux. (Les énoncés qui
sont toujours faux, comme « Il pleut et il ne pleut pas ici à ce moment-là »,
et les énoncés qui sont toujours vrais, comme « Il pleut ou il ne pleut pas ici
à ce moment-là », sont les exceptions.) La première partie d’une telle division
consiste en conditions de vérité de l’énoncé.
5.4
Conséquence logique
Commençons par définir le concept de la conséquence logique :
– Conséquence logique : B est une conséquence de A (symboliquement : A ⇒ B) si B est vrai dans toute situation dans laquelle A est
vrai.
57
Remarque 1 : Il est immédiat par cette définition que B est une conséquence
logique de A si et seulement si l’argument suivant est valide :
1. A
2. Donc : B.
Remarque 2 : Il est également clair que l’argument
1. A1
2. A2
..
.
n. An
n + 1. Donc : B.
est valide si est seulement si la formule B est une conséquence logique
de la formule conjonctive (A1 ∧ . . . ∧ An ), c-à-d si est seulement si
(A1 ∧ . . . ∧ An ) ⇒ B.
Remarque 3 : Le concept de la conséquence logique (A ⇒ B) n’est pas à
confondre avec celui de l’implication matérielle (A → B) :
• → est un connecteur de la logique propositionnelle ; ⇒ ne l’est pas.
• L’expression (A → B) est évaluée relativement à une situation, et elle
sert à effectuer une affirmation sur cette situation, comme toute formule de la logique propositionnelle effectue une affirmation sur la situation par rapport à laquelle on l’évalue. (Si la formule est vraie dans
la situation, on peut dire qu’elle offre une ‘description partielle’ de la
situation.)
• L’expression (A ⇒ B) n’est pas évaluée relativement à une situation.
En revanche, elle est une expression « métalogique » qui sert à effectuer
une affirmation sur la totalité de toutes les situations. Cette expression
affirme que l’ensemble des situations qui rendent vrai A est contenu
dans l’ensemble des situations qui rendent vrai B, c-à-d que tout situation qui rend vrai A est une situation qui rend vrai B.
58
Il existe le lien suivant entre l’expression ‘local’ (A → B) et l’expression
‘global’ (A ⇒ B) :
Fait : (A ⇒ B) si et seulement si (A → B) est vrai dans toute situation.2
Pourquoi on a cet lien entre ⇒ et → ? Voilà un argument. Il faut qu’on
se convainque de deux choses : [1] (A ⇒ B) si (A → B) est vrai dans toute
situation ; et [2] (A ⇒ B) seulement si (A → B) est vrai dans toute situation.
Commençons avec [2]. Dire « (A ⇒ B) seulement si (A → B) est vrai
dans toute situation » est une autre manière de dire « si (A ⇒ B), alors
(A → B) est vrai dans toute situation ». Assumons donc que (A ⇒ B), et
on verra si cela suffit pour conclure que la formule (A → B) est vrai dans
toute situation. Soit s une situation quelconque. Il y a deux possibilités : soit
A est vrai dans s ou non. Si A est vrai dans s, alors aussi B est vrai dans s
— parce qu’on avait assumé que B est une conséquence logique de A. Donc,
par la signification de l’implication matérielle la formule (A → B) est vrai
dans s. Si, en revanche, A n’est pas vrai dans s (c-à-d, si A est faux dans s),
alors par la signification de l’implication matérielle la formule (A → B) est
vrai dans s. Il s’ensuit que la formule (A → B) est vrai dans toute situation
(on n’avait rien assumé de s sauf qu’elle est une situation). On peut conclure
que la condition [2] tient.
Et [1] ? Assumons que la formule (A → B) est vrai dans toute situation,
et on verra si cela suffit pour conclure que B est une conséquence logique de
A. Pour que B soit une conséquence logique de A, il faut que B soit vrai dans
toute situation dans laquelle A est vrai. Soit s une situation quelconque dans
laquelle A est vrai ; on verra en particulier si B est vrai dans s. On a assumé
que (A → B) est vrai dans toute situation. Donc (A → B) est vrai dans s.
Mais aussi A est vrai dans s. Il s’ensuit par la table de vérité de → que B est
vrai dans s. (Une implication matérielle vraie dont l’antécedent est vrai ne
peut pas avoir un conséquent faux.) Parce qu’on n’avait rien d’autre assumé
2
Si on exprime cet fait en utilisant une terminologie qui sera définie plus tard (pendant
la séance prochaine) cela devient : (A ⇒ B) si et seulement si (A → B) est une tautologie.
59
de s qu’il rend A vrai, on peut conclure que B est vrai dans toute situation
dans laquelle A est vrai, c-à-d, qu’on a (A ⇒ B). La condition [1] tient.
5.5
Équivalence logique
Le concept de l’équivalence logique est défini comme suit, en utilisant le
concept de conséquence logique :
– Équivalence logique : A et B sont logiquement équivalents
(symboliquement : A ⇔ B) si à la fois A ⇒ B et B ⇒ A.
Directement par la définition, A et B sont logiquement équivalents si et
seulement si A et B sont vrais dans exactement les mêmes situations (et par
conséquent aussi faux dans exactement les mêmes situations).
Du point de vue du concept de la signification d’une formule (comme
défini ci-dessus), l’équivalence logique de A et B veut donc dire que ses
significations sont idéntiques.
Exemple 18 Pour se convaincre que les formules (A → B) et (¬A ∨ B)
sont logiquement équivalentes, regardons à ses significations :
A
B
(A → B)
A
B
¬A
(¬A ∨ B)
vrai
vrai
vrai
vrai
vrai
faux
vrai
vrai
faux
faux
vrai
faux
faux
faux
faux
vrai
vrai
faux
vrai
vrai
vrai
faux faux
vrai
faux
faux
vrai
vrai
Pour toute situation, les deux formules ont donc la même valeur de vérité.
C-à-d dire, elles sont logiquement équivalentes.
Exemple 19 (Contreposition) Aussi les formules (A → B) et (¬B →
¬A) sont logiquement équivalentes. Pour se convaincre, il suffit de comparer
la signification de (¬B → ¬A) à celle de (A → B) qu’on vient de spécifier :
60
A
B
¬B
¬A
(¬B → ¬A)
vrai
vrai
faux
faux
vrai
vrai
faux
vrai
faux
faux
faux
vrai
faux
vrai
vrai
faux
faux
vrai
vrai
vrai
Le fait qu’on peut toujours remplacer salva veritate (A → B) par
(¬B → ¬A), et (¬B → ¬A) par (A → B), est appelé le principe de
contreposition. (C-à-d qu’une telle remplacement mène à une formule vraie
à partir d’une formule vraie et elle mène à une formule fausse à partir d’une
formule fausse.)
Exemple 20 (Définissabilité de ∨ en termes de ∧ et ¬) Pour un troisième exemple, les formules (A ∨ B) et ¬(¬A ∧ ¬B) sont logiquement équivalentes. Les significations de ces deux formules apparaissent dans le diagramme
suivant :
A
B
(A ∨ B)
¬A
¬B
(¬A ∧ ¬B) ¬(¬A ∧ ¬B)
vrai
vrai
vrai
faux faux
faux
vrai
vrai
faux
vrai
faux
vrai
faux
vrai
faux
vrai
vrai
vrai
faux
faux
vrai
faux faux
faux
vrai
vrai
vrai
faux
Cet exemple montre qu’il est possible de définir la disjonction (∨) en utilisant
la conjonction (∧) et la négation (¬). Il ne serait donc pas nécessaire d’avoir
∨ parmi les connecteurs de la logique propositionnelle si tout ce qui nous
intéresse était l’expressivité ; on pourrait exprimer tout ce qui est exprimé
avec ∨ en utilisant ∧ et ¬. En pratique il est cependant convenient d’avoir
la disjonction syntaxiquement disponible.
Après les exemples positifs de l’équivalence logique discutés pendant la
séance 6, on peut noter que les significations des formules sont également utilisables pour établir que deux formules ne sont pas logiquement équivalentes.
61
Exemple 21 Les formules (A → B) et (¬A → ¬B) ne sont pas logiquement
équivalentes. Ses significations diffèrent :
¬A
¬B
(A → B) (¬A → ¬B)
A
B
vrai
vrai
faux faux
vrai
vrai
vrai
faux
faux
vrai
faux
vrai
faux
vrai
vrai
faux
vrai
faux
faux
faux
vrai
vrai
vrai
vrai
Il y a donc deux situations où les deux formules ne possèdent pas la même
valeur de vérité : la situation dans laquelle A est vrai et B est faux ; et la
situation dans laquelle B est vrai et A est faux.
Exemple 22 Aussi les formules ¬(A ∨˙ B) et (¬A ∧ ¬B) ne sont pas logiquement équivalentes, ce qui est clair si on considère ses significations :
¬A
¬B
(A ∨˙ B) ¬(A ∨˙ B) (¬A ∧ ¬B)
A
B
vrai
vrai
faux faux
faux
vrai
faux
vrai
faux
faux
vrai
vrai
faux
faux
faux
vrai
vrai
faux
vrai
faux
faux
faux faux
vrai
vrai
faux
vrai
vrai
Il y a une seule situations dans laquelle les deux formules diffèrent par rapport
à sa valeur de vérité : quand A et B sont tout les deux vrais ; mais cela
suffit très bien pour établir que les deux formules ne possèdent pas la même
signification.
Conséquence logique. On vient de voir des exemples qui montrent comment les tables de verité des formules peuvent être utilisées pour déterminer
si deux formules sont logiquement équivalentes. En fait, on pourrait utiliser
une idée similaire pour déterminer si une formule est une conséquence logique d’une autre. L’équivalence logique de A et B exige que A et B sont
vrais dans les même situations. D’autre part, B est une conséquence logique
de A si toute situation qui rend A vrai est une situation qui rend B vrai —
62
mais pas forcément vice versa. Comment est-ce qu’on peut utiliser les tables
de vérité pour raisonner sur la conséquence logique ? Voilà un exemple.
Exemple 23 Supposons qu’on veut se convaincre que la formule (A → B)
est une conséquence logique de la formule ¬(A ∨˙ B). Voilà les tables de verité
des formules (A → B) et ¬(A ∨˙ B) :
(A ∨˙ B) ¬(A ∨˙ B) (A → B)
A
B
vrai
vrai
faux
vrai
vrai
vrai
faux
vrai
faux
faux
faux
vrai
vrai
faux
vrai
faux faux
faux
vrai
vrai
Manifestement les significations des formules (A → B) et ¬(A ∨˙ B) ne sont
pas les mêmes, c-à-d elles ne sont pas logiquement équivalents : (A → B)
est vrai mais ¬(A ∨˙ B) est faux dans la situation où A est faux et B est
vrai. Mais en effet (A → B) est une conséquence logique de ¬(A ∨˙ B) : si
on restreint l’attention aux lignes (situations) selon lesquelles ¬(A ∨˙ B) est
vrai — les lignes 1 et 4 — on peut constater qu’à ces lignes (situations)
(A → B) est également vrai. Autrement dit, (A → B) est vrai dans toutes
les situations dans lesquelles ¬(A ∨˙ B) est vrai, ce qui veut dire que (A → B)
est une conséquence logique de ¬(A ∨˙ B).
Même s’il est donc possible d’utiliser les tables de verité de cette façon
pour discuter des questions de la conséquence logique (et non seulement des
question de l’équivalence logique), on verra qu’il existe une méthode encore
plus facile à appliquer quant on veut savoir si une formule est une conséquence
logique d’une autre ; cette méthode se base sur le Fait discuté ci-dessus. Le
Fait en question crée un lien entre la condition (A ⇒ B) et la condition selon
laquelle la formule (A → B) est vraie dans toute situation.
63
5.6
Tautologies, contradictions, formules contingentes
Pour discuter les concepts de la tautologie, de la contradiction et de la
formule contingente, on commence avec les définitions. Il s’agit des attributs
sémantiques particuliers des formules — attributs que certaines formules possèdent grâce à leur comportement sémantique spécifique.
– Tautologie : Une formule dont la valeur de vérité est vraie dans toute
situation.
– Contradiction : Une formule dont la valeur de vérité est fausse dans
toute situation.
– Formule contingente : Une formule qui n’est ni une tautologie ni
une contradiction, c-à-d qui permet une situation qui la rend vraie,
mais également une situation qui la rend fausse.
64
Chapitre 6
Méthodes de décision
On a introduit les tables de vérité pour spécifier les significations des
connecteurs de la logique propositionnelle. On a expliqué comment ces tables
de vérité peuvent être employées pour déterminer les valeurs de vérité des
formules complexes dans une situation donnée. On les a utilisé également
pour répondre aux questions telles que « Est-ce que les formules A et B sont
logiquement équivalentes ? » et « Est-ce que la formule B est une conséquence
logique de la formule A ? ».
6.1
Le problème de tautologicité
Nous pouvons nous intéresser aussi à la question si une formule de la logique propositionnelle est une tautologie. Rappellons que par définition une
formule A est une tautologie si elle est vraie dans toute situation. Autrement
dit A est une tautologie si dans sa table de vérité la valeur de vérité vrai
apparaı̂t sur toute ligne dans la colonne associée avec A. Si A est une tautologie et les atomes propositionnels de A sont p1 , . . . , pn , la table de vérité de
A peut être schématiquement représentée comme suit :
65
66
p1
...
pn
A
vrai
vrai
..
.
vrai
Pour savoir si une formule A est une tautologie, il est par conséquent suffisant
de former sa table de vérité et regarder la colonne associée à cette formule
A : si sur toute ligne on trouve mentionné la valeur de vérité vrai, il s’agit
d’une tautologie, sinon la formule en question n’est pas une tautologie.
On a donc la méthode de décision suivante — très simple — pour trouver la réponse à la question « Est-ce que la formule A est une tautologie ? »,
pour n’importe quelle formule A de la logique propositionnelle : pour savoir
si A est une tautologie, procédez comme suit :
• Dessinez la table de vérité de A.
• Si toutes les lignes donnent la valeur de vérité vrai pour A, alors A est
une tautologie ; autrement A n’est pas une tautologie.
Exemple 24 Est-ce que la formule ((A → B) ∨ (B → A)) est une tautologie ? On va former la table de vérité de cette formule :
(A → B) (B → A) ((A → B) ∨ (B → A))
A
B
vrai
vrai
vrai
vrai
vrai
vrai
faux
faux
vrai
vrai
faux
vrai
vrai
faux
vrai
faux faux
vrai
vrai
vrai
Parce que la colonne qui correspond à la formule ((A → B) ∨ (B → A)) ne
contient que des occurrences de « vrai », on peut conclure que la formule est
une tautologie.
Exemple 25 Est-ce que la formule ((A → ¬A) → A) est une tautologie ?
On dessine sa table de vérité :
67
A
¬A
(A → ¬A) ((A → ¬A) → A))
vrai
faux
faux
vrai
faux
vrai
vrai
faux
La colonne qui correspond à la formule ((A → ¬A) → A)) ne contient pas
seulement des occurrences de « vrai » ; donc la formule n’est pas une tautologie. La table de vérité de cette formule nous fournit aussi un contre-exemple :
la formule ((A → ¬A) → A)) n’est pas vraie dans la situation où la formule
A est fausse.
6.2
Le problème de contradiction
Si on s’intéresse à la question si une formule est une contradiction (plutôt
qu’à la question si elle est une tautologie), une option est de formuler cette
question en termes de tautologicité et appliquer la méthode de décision du
problème de tautologicité décrite ci-dessus. Cela est possible parce qu’on a
le lien suivant entre les contradictions et les tautologies :
L’énoncé A est une contradiction si et seulement si sa négation
¬A est une tautologie.
Donc la question « Est-ce que A est une contradiction ? » se réduit à la
question « Est-ce que ¬A est une tautologie ? » : si la dernière question reçoit une réponse affirmative, aussi la première question est répondu dans
l’affirmative ; et si la dernière question reçoit une réponse négative, aussi la
première question est répondu par la négative.
Une autre possibilité et de formuler directement une méthode de décision
pour le problème de contradiction. Pour savoir si la formule A de la logique
propositionnelle est une contradiction, procédez comme suit :
• Dessinez la table de vérité de A.
• Si toutes les lignes donnent la valeur de vérité faux pour A, alors A
est une contradiction ; autrement A n’est pas une contradiction.
68
Exemple 26 Est-ce que la formule ((A → ¬A)∧(¬A → A)) est une contradiction ? On forme la table de vérité de cette formule :
A
¬A
(A → ¬A) (¬A → A) ((A → ¬A) ∧ (¬A → A))
vrai
faux
faux
vrai
faux
faux
vrai
vrai
faux
faux
Parce que la colonne qui correspond à la formule ((A → ¬A) ∧ (¬A → A))
ne contient que des occurrences de « faux », il s’ensuit que la formule est
une contradiction.
Exemple 27 Retournerons à l’Exemple 25 ; cette fois-ci on va poser la question si la formule ((A → ¬A) → A) est une contradiction. On rappelle la
table de vérité de cette formule :
A
¬A
(A → ¬A) ((A → ¬A) → A))
vrai
faux
faux
vrai
faux
vrai
vrai
faux
Comme la colonne qui correspond à la formule ((A → ¬A) → A)) ne contient
pas seulement des occurrences de « faux », elle n’est pas une contradiction. La
table de vérité de cette formule nous fournit un contre-exemple : la formule
((A → ¬A) → A)) n’est pas fausse dans la situation où la formule A est
vraie.
6.3
Le problème de contingence
On procède à discuter la question qui peut se poser sur une formule A
donnée quelconque : « Est-ce que la formule A est contingente ? » ; rappelons
qu’une formule est contingente si elle n’est ni une tautologie ni une contradiction. Ici — comme dans le cas du problème de contradiction — une option
est de formuler cette question en termes de tautologicité et appliquer la méthode de décision du problème de tautologicité. Cela est rendu possible par
le lien suivant entre les formules contingentes et les tautologies :
69
L’énoncé A est contingente si et seulement si (ni la formule A ni
sa négation ¬A n’est une tautologie).
Donc la question « Est-ce que A est contingente ? » se réduit au couple des
questions : « Est-ce que A est une tautologie ? », « Est-ce que ¬A est une
tautologie ? ». Si la réponse à toutes les deux questions est négative, alors la
formule A est contingente, sinon elle n’est pas contingente.
Une autre possibilité et de formuler directement une méthode de décision
pour le problème de contingence. Pour savoir si la formule A de la logique
propositionnelle est contingente, procédez comme suit :
• Dessinez la table de vérité de A.
• S’il existe au moins une ligne qui donne la valeur de vérité vrai pour
A, et une autre ligne qui donne la valeur de vérité faux pour A, alors
A est contingente ; autrement A n’est pas contingente.
Notez bien qu’en effet une formule est contingente (c-à-d ni une tautologie ni
une contradiction) si et seulement si il existe une situation qui rend la formule
fausse et une autre qui la rend vraie : l’existence d’une situation qui rend la
formule A fausse est équivalente au fait que A n’est pas une tautologie ; et
l’existence d’une situation qui rend A vrai est équivalente au fait que A n’est
pas une contradiction.
Exemple 28 Est-ce que la formule ((A → B) → (B → A)) est contingente ?
On dessine la table de vérité de la formule :
(A → B) (B → A) ((A → B) → (B → A))
A
B
vrai
vrai
vrai
vrai
vrai
vrai
faux
faux
vrai
vrai
faux
vrai
vrai
faux
faux
faux faux
vrai
vrai
vrai
Parce que la colonne qui correspond à la formule ((A → B) → (B → A))
contient des occurrences de « vrai » ainsi que des occurrences de « faux »,
on peut conclure que la formule est contingente. En particulier la formule
70
est fausse dans la situation où A est faux et B est vrai ; et elle est vraie par
exemple dans la situation où A et B sont tous les deux vrais.
Exemple 29 Si on retourne aux Exemples 24 et 26, on note que l’application
de la méthode de décision du problème de contingence décrite ci-dessus nous
donne le résultat que ni la formule ((A → B) ∨ (B → A)) ni la formule
((A → ¬A) ∧ (¬A → A)) n’est contingente.
6.4
Le problème de conséquence logique
Comment est-ce qu’on peut approcher la question « Est-ce que la formule
B est une conséquence logique de la formule A ? », étant donné des formules
A et B de la logique propositionnelle ? Pour formuler une méthode de décision, on peut profiter du Fait qu’on avait discuté avant (voir les notes de la
séance 6) :
(A ⇒ B) si et seulement si la formule (A → B) est vrai dans
toute situation.
Autrement dit :
B est une conséquence logique de A si et seulement si la formule
(A → B) est une tautologie.
Donc on peut réduire la question « Est-ce que (A ⇒ B) ? » ou « Est-ce que
la formule B est une conséquence logique de la formule A ? » à la question
« Est-ce que la formule (A → B) est une tautologie ? ». Par le Fait mentionné,
si (A → B) est une tautologie, alors B est une conséquence logique de A ;
autrement B n’est pas une conséquence logique de A.
Exemple 30 Retournons à l’Exemple 3 des notes de cours de la séance 7 ;
on pose la question si la formule (A → B) est une conséquence logique de la
formule ¬(A ∨˙ B). Cette fois-ci on va résoudre le problème en appliquant la
méthode de décision décrit ci-dessus. Donc on pose la question si la formule
(¬(A ∨˙ B) → (A → B)) est une tautologie ; voilà la table de verité de cette
formule :
71
(A ∨˙ B) ¬(A ∨˙ B) (A → B) (¬(A ∨˙ B) → (A → B))
A
B
vrai
vrai
faux
vrai
vrai
vrai
vrai
faux
vrai
faux
faux
vrai
faux
vrai
vrai
faux
vrai
vrai
faux faux
faux
vrai
vrai
vrai
Parce que la colonne qui correspond à la formule (¬(A ∨˙ B) → (A → B)) ne
contient que des occurrences de « vrai », on peut conclure que la formule est
une tautologie. Donc la formule (A → B) est une conséquence logique de la
formule ¬(A ∨˙ B).
Exemple 31 Inversement on peut aussi poser la question si la formule
¬(A ∨˙ B) et une conséquence logique de la formule (A → B). On va passer par la question si la formule ((A → B) → ¬(A ∨˙ B)) est une tautologie.
Voilà la table de verité de cette formule :
(A ∨˙ B) ¬(A ∨˙ B) (A → B) ((A → B) → ¬(A ∨˙ B))
A
B
vrai
vrai
faux
vrai
vrai
vrai
vrai
faux
vrai
faux
faux
vrai
faux
vrai
vrai
faux
vrai
faux
faux faux
faux
vrai
vrai
vrai
Parce que la colonne qui correspond à la formule ((A → B) → ¬(A ∨˙ B))
contient une occurrence de « faux », on peut conclure que la formule n’est
pas une tautologie. Donc la formule ¬(A ∨˙ B) n’est pas une une conséquence
logique de la formule (A → B). La table de vérité de ((A → B) → ¬(A ∨˙ B))
nous montre en particulier que dans la situation où A est faux et B est vrai
la formule (A → B) est vraie mais la formule ¬(A ∨˙ B) est cependant fausse.
6.5
Le problème de validité d’un argument
La méthode de décision du problème de conséquence logique s’applique
de façon immédiate aussi quand on s’intéresse à la question « Étant donné
72
un argument dont les prémisses sont A1 , . . . , An et la conclusion est B ; est-il
valide ? ». Car, comme on avait observé dans les notes de cours de la séance
6, le concept de « conséquence logique » et le concept d’« argument valide »
sont liés comme suit :1
L’argument
1. A1
2. A2
..
.
n. An
n + 1. Donc : B.
est valide si et seulement si la formule B est une conséquence
logique de la formule (A1 ∧ . . . ∧ An ).
Parce que d’autre part on sait — par le Fait mentionné ci-dessus — qu’une
formule D est une conséquence logique d’une formule C si et seulement si la
formule (C → D) est une tautologie, on obtient la caractérisation suivante
de la validité d’un argument :
L’argument dont les prémisses sont A1 , . . . , An et la conclusion est
B est valide si et seulement si la formule ((A1 ∧ . . . ∧ An ) → B)
est une tautologie.
1
Plus bas on écrit par exemple (A ∧ B ∧ C) pour la conjonction de trois formules, et
on procède de façon analogue quand on a plusieurs formules à lier avec la conjonction.
À proprement parler (A ∧ B ∧ C) n’est pas une formule selon la syntaxe de la logique
propositionnelle, car selon la syntaxe la conjonction ne peut s’appliquer qu’à deux formules
à la fois. Donc il faudrait écrire ((A ∧ B) ∧ C) ou (A ∧ (B ∧ C)). Cependant il n’y a pas
de risque de l’ambiguı̈té si on écrit (A ∧ B ∧ C). La raison est qu’il n’y a pas de différence
sémantique entre les formules syntaxiquement correctes ((A ∧ B) ∧ C) et (A ∧ (B ∧ C)) ;
elles sont logiquement équivalentes. De même façon on pourrait écrire (A ∨ B ∨ C) pour la
disjonction de trois formules sans risque de l’ambiguı̈té. Dans des autres cas les parenthèses
ont un rôle essentiel sémantique : par exemple les expressions (A∧B ∨C) et (A → B → C)
seraient vraiement ambiguës. Les formules ((A ∧ B) ∨ C) et (A ∧ (B ∨ C)) ne sont pas
logiquement équivalentes, comme aussi les formules ((A → B) → C) et (A → (B → C))
ne sont pas logiquement équivalentes.
73
On peut donc réduire la question « Étant donné un argument dont les
prémisses sont A1 , . . . , An et la conclusion est B ; est-il valide ? » à la question
« Est-ce que la formule ((A1 ∧ . . . ∧ An ) → B) est une tautologie ? ». Si la
formule ((A1 ∧ . . . ∧ An ) → B) est une tautologie, alors l’argument est valide ;
autrement l’argument n’est pas valide.
Exemple 32 Pensons au schéma d’argument suivant :
1. ((A ∨ B) → C)
2. ¬C
3. Donc : ¬A.
Pour savoir si cet schéma d’argument est valide, on pose la question si la
formule
((((A ∨ B) → C) ∧ ¬C) → ¬A)
est une tautologie. Voilà la table de vérité de cette formule :
A
B
C
¬A
¬C
(A ∨ B) ((A ∨ B) → C)
vrai
vrai
vrai
faux
faux
vrai
vrai
vrai
vrai
faux
faux
vrai
vrai
faux
vrai
faux
vrai
faux
faux
vrai
vrai
faux
vrai
vrai
vrai
faux
vrai
vrai
faux faux
vrai
vrai
faux
faux
vrai
faux
vrai
faux
vrai
vrai
vrai
faux
vrai
faux faux
faux
vrai
vrai
faux
faux faux faux
vrai
vrai
faux
vrai
74
(((A ∨ B) → C) ∧ ¬C) ((((A ∨ B) → C) ∧ ¬C) → ¬A)
faux
vrai
faux
vrai
faux
vrai
faux
vrai
faux
vrai
faux
vrai
faux
vrai
vrai
vrai
Parce que la colonne qui correspond à la formule ((((A ∨ B) → C) ∧ ¬C) →
¬A) ne contient que des occurrences de « vrai », on peut conclure que la formule est une tautologie. Donc l’argument dont les prémisses sont
((A ∨ B) → C) et ¬C et la conclusion est ¬A est valide.
Exemple 33 Pensons à cet schéma d’argument :
1. (A ∨ B)
2. A
3. Donc : B.
On pose la question : est-ce que le schéma d’argument est valide ? Pour répondre il suffit de trouver une réponse à la question « Est-ce que la formule
(((A ∨ B) ∧ A) → B) est une tautologie » ? Voilà la table de vérité de cette
formule :
(A ∨ B) ((A ∨ B) ∧ A) (((A ∨ B) ∧ A) → B)
A
B
vrai
vrai
vrai
vrai
vrai
vrai
faux
vrai
vrai
faux
faux
vrai
vrai
faux
vrai
faux
faux
faux
faux
vrai
Parce que la colonne qui correspond à la formule (((A ∨ B) ∧ A) → B)
contient une occurrence de « faux », on peut conclure que la formule n’est
75
pas une tautologie. Il s’ensuit que l’argument dont les prémisses sont (A∨B)
et A et la conclusion est B n’est pas valide. La table de vérité montre qu’en
particulier les prémisses sont vraies et la conclusion est fausse si A est vrai
mais B est faux.
76
Chapitre 7
Questions d’expressivité
Comment approcher la question de l’expressivité de la logique propositionnelle ? Comment « détecter » ou « mesurer » ce qui est exprimé par
une formule de cette logique ? D’une part on peut poser des questions de
l’interdéfinissabilité : Est-ce qu’un connecteur peut être défini en termes
d’autres connecteurs ? Est-ce qu’une formule qui contient tels et tels connecteurs peut être exprimée en termes de formules qui contiennent tels et tels
autres connecteurs ? Ici il s’agit simplement d’une question intrinsèque à
la langue : comments les différents énoncés sont liés l’un à l’autre grâce à
leur signification. Mais il y a une dimension plus profonde de l’expressivité,
un aspect plus directement sémantique, liés aux conditions de vérité
(dans un sens à rappeler et à specifier). Toute formule sert à exprimer des
« conditions » sur le monde, sur son contexte d’évaluation selon sa signification, qui à son tour est determinée par la table de vérité de la formule. Ces
conditions sont des « conditions de vérité ». On peut donc poser la question :
est-il possible, en utilisant la logique propositionnelle, d’exprimer toutes les
conditions de vérité appropriées, ou est-ce qu’une partie de ces conditions de
vérité reste au-delà de ce qui est exprimable en utilisant cet langage ?
77
78
7.1
Questions d’interdéfinissabilité
On a rencontré quelques connecteurs vérifonctionnels : le connecteur unaire
˙ ↔.1 On a aussi noté qu’au moins
¬ et les connecteurs binaires ∨, ∧, →, ∨,
dans certains cas un connecteur peut être exprimable en termes d’autres
connecteurs. Le connecteur ↔ était en effet défini en stipulant que (A ↔ B)
est une abbreviation de la formule ((A → B) ∧ (B → A)). On a observé que
(A → B) est logiquement équivalent à (¬A ∨ B) ; donc → est exprimable
en termes de ∨ et ¬. Et ∨˙ peut être défini en utilisant ∨, ∧ et ¬ : la formule (A ∨˙ B) est logiquement équivalent à la formule ((A ∨ B) ∧ ¬(A ∧ B)).
Ce sont des exemples de l’interdéfinissabilité des connecteurs en utilisant des
autres connecteurs. Une fois qu’on a établi de tels liens entre des connecteurs,
on peut les employer pour exprimer des formules complexes en termes des
autres formules : on peut toujours remplacer une formule par une formule
logiquement équivalente, tout en préservant la signification. Par exemple, de
cette façon on voit que la formule ((A → B) ∨ (B → A)) est logiquement
équivalente à la formule ((¬A ∨ B) ∨ (¬B ∨ A)) — qui à son tour est logiquement équivalente à la formule ((A ∨ ¬A) ∨ (B ∨ ¬B)). Ainsi la formule
((A → B) ∨ (B → A)) peut être exprimée en termes de ∨ et ¬, en effet de
façon à permettre à facilement reconnaı̂tre qu’elle est une tautologie. (C-à-d,
parfois il est utile d’exprimer une formule dans une forme équivalente pour
mieux comprendre sa signification.)
Après ces exemples préliminaires d’interdéfinissabilité, on peut procéder
à la question proprement sémantique : la question dans quelle mésure les différentes « conditions de vérité » peuvent être exprimées en termes de logique
propositionnelle.
1
Le connecteur ◦ est dit binaire s’il respecte le règle syntaxique suivant : si A et B sont
des formules, alors (A ◦ B) est une formule. Et le connecteur ∗ est dit unaire s’il respecte
cet règle syntaxique : si A est une formule, alors ∗A est une formule.
79
7.2
Conditions de vérité : la définition
Quand on parle de l’expressivité, on veut comparer en quelque manière
le langage d’une part et le monde en dehors du langage d’autre part. Donc
pour commencer il faut bien comprendre quelles types de choses en dehors
du langage sont considerées. On va les appeler des conditions de vérité.
(On pourrait les appeler aussi des « fonctions de vérité ». En effet cette
terminologie est très commune. On utilise ici le terme « condition de vérité »
parce qu’il est plus explicatif.)
Le concept de « condition de vérité » est relative à un choix d’un ensemble
des atomes propositionnels. On peut par exemple considérer des atomes p
et q. Pour spécifier une condition de vérité, il faut considérer toutes les
combinaisons possibles des valeurs de vérité aux atomes p et q, et pour
toute combinaison il faut assigner une valeur de vérité — soit vrai soit faux.
C-à-d, il faut remplir la colonne de la table suivante en utilisant des valeurs
de vérité, soit vrai soit faux, de quelque façon :
p
q
vrai
vrai
vrai
faux
faux
vrai
condition de vérité
faux faux
Une telle condition de vérité est une fonction de vérité : étant donné les
valeurs de vérité de p et de q, la condition de vérité détermine une et une
seule valeur de vérité, à savoir la valeur de vérité qui se trouve indiquée sur
la ligne correspondante dans la colonne pertinente.
Voilà deux exemples des conditions de vérité en termes de deux atomes
propositionnels :
80
p
q
C1
p
q
C2
vrai
vrai
faux
vrai
vrai
vrai
vrai
faux
vrai
vrai
faux
faux
faux
vrai
vrai
faux
vrai
vrai
faux faux
vrai
faux
faux
vrai
(Avez-vous vu la table à droite avant ? On retournera bientôt aux questions
de ce type.)
De façon analogue, si on a disponible les trois atomes propositionnels p, q
et r, une condition de vérité consiste dans une spécification d’une valeur de
vérité pour toute combinaison des valeurs de vérité à chacun des trois atomes
propositionnels. C-à-d une condition de vérité à trois atomes propositionnels
peut être representée par une table de la forme suivante :
p
q
r
vrai
vrai
vrai
vrai
vrai
faux
vrai
faux
vrai
faux
vrai
vrai
faux
faux
vrai
faux
vrai
faux
vrai
faux faux
faux
faux faux
condition de vérité
Tout résultat de remplir la colonne vide en utilisant des valeurs de vérité vrai
et faux est une condition de vérité au sens pertinent. Voilà un exemple d’une
condition de vérité en termes de trois atomes propositionnels :
81
7.3
p
q
r
C
vrai
vrai
vrai
vrai
vrai
vrai
faux
faux
vrai
faux
vrai
vrai
faux
vrai
vrai
faux
faux faux
vrai
faux
faux
vrai
faux
faux
vrai
faux
faux
vrai
faux faux
faux
faux
Significations des formules, conditions de
vérité
Comment est-ce que les formules de la logique propositionnelle sont liées
aux conditions de vérité ? De façon très directe : les formules expriment
des conditions de vérité au sens où les significations de ces formules sont
des conditions de vérité ! Manifestement par exemple les significations des
formules ¬p, (p ∨˙ q) et ((p ∨ q) ∧ r) sont des conditions de vérité au sens
spécifié ci-dessus :
p
q
(p ∨˙ q)
p
¬p
vrai
vrai
faux
vrai
faux
vrai
faux
vrai
faux
vrai
faux
vrai
vrai
faux faux
faux
82
7.4
p
q
r
((p ∨ q) ∧ r)
vrai
vrai
vrai
vrai
vrai
vrai
faux
faux
vrai
faux
vrai
vrai
faux
vrai
vrai
vrai
faux faux
vrai
faux
faux
vrai
faux
faux
vrai
faux
faux
faux
faux faux
faux
faux
La question de la complétude de l’expressivité
La signification de toute formule de la logique propositionnelle est donc
une condition de vérité (ou autrement exprimé : une fonction de vérité). Mais
qu’est-ce qu’on peut dire de la question inverse : Est-ce que toute condition
de vérité peut être exprimée par quelque formule — au sens où cette condition de vérité coı̈ncide avec la signification de quelque formule ? Si la réponse
à cette question est affirmative, on dira que la logique propositionnelle est
complète pour son expressivité. Il se montre que la réponse est affirmative.
Commençons avec un cas particulier, celui des conditions de vérité à deux
atomes propositionnels (disons p et q). Est-ce qu’elles sont toutes exprimables
en termes de la logique propositionnelle ? On approchera cette question petit
à petit.
Premièrement : combien des conditions de vérité (combien des fonctions
de vérité) à deux atomes propositionnels est-ce qu’il y a ? Par définition toute
condition de vérité de ce type assigne, pour toute combinaison des valeurs de
vérité de p et de q, une valeur de vérité. Il y a 4 combinaisons différentes des
valeurs de vérité de p et de q, et il y a 2 valeurs de vérité à assigner, donc il y
a 2 · 2 · 2 · 2 = 24 = 16 conditions de vérité basées sur 2 atomes propositionnels
p et q. Voilà une représentation schématique de ces 16 conditions de vérité :
83
p
q
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
vrai
vrai
vrai
vrai
vrai
vrai
faux
vrai
faux
faux
vrai
vrai
faux
vrai
faux
vrai
vrai
vrai
faux
vrai
vrai
vrai
faux
faux
faux
vrai
faux
vrai
vrai
vrai
faux
vrai
vrai
faux
vrai
vrai
faux
vrai
faux
faux
faux
vrai
faux
vrai
vrai
vrai
faux
faux
vrai
vrai
faux
vrai
p
q
12
13
14
15
16
vrai
vrai
faux
faux
faux
vrai
faux
vrai
faux
faux
faux
vrai
faux
faux
faux
vrai
faux
vrai
faux
faux
faux
faux
faux
vrai
faux
faux
faux
faux
Et qu’est-ce qu’on peut dire de la possibilité d’exprimer ces conditions de
vérité en utilisant des formules de la logique propositionnelle — de la possibilité de capturer ces conditions de vérité au sens où il existe pour chacune
de ces conditions une formule dont la signification coı̈ncide avec la condition
de vérité en question ?
Regardons premièrement quelques cas où il est facile — sur la base de la
connaissance des significations des connecteurs logiques — à voir comment
exprimer la condition pertinente. Voilà une liste des correspondences bien
évidentes :
condition n◦
une formule qui l’exprime
1
(p ∨ ¬p)
2
(p ∨ q)
4
(p → q)
7
(p ∨˙ q)
8
¬p
9
(p ↔ q)
11
¬q
15
(p ∧ q)
16
(p ∧ ¬p)
84
p
q
3
5
6
10
12
13
14
vrai
vrai
vrai
faux
vrai
vrai
faux
faux
faux
vrai
faux
vrai
vrai
vrai
faux
faux
faux
vrai
faux
vrai
faux
vrai
faux
vrai
faux
vrai
faux
faux
faux
vrai
vrai
faux
faux
vrai
faux
faux
Voilà des formules qui expriment les conditions de vérité qui restent ; aussi
dans ces cas il n’est pas difficile à trouver une bonne formule. (Ci-dessus on
a reproduit les conditions pertinentes pour faciliter la comparaison.)
condition n◦
une formule qui l’exprime
3
(q → p)
5
(¬p ∨ ¬q)
6
p
10
q
12
(¬p ∧ ¬q)
13
¬(q → p)
14
¬(p → q)
Après ces considérations on peut constater que la logique propositionnelle
est en effet capable d’exprimer toute condition de vérité qui n’utilise que
deux atomes propositionnels. Pour toute condition on a trouvé une formule
qui l’exprime. Il faut bien noter qu’au lieu de telle et telle formule, on aurait
bien sûr pu utiliser n’importe quelle formule logiquement équivalente.
Jusqu’ici ça va, donc, mais qu’est-ce qu’on peut dire du problème générale ? Est-ce que toute condition de vérité — peu importe quel est le nombre
(fini) de ses atomes propositionnels — peut être exprimée par une formule de
la logique propositionnelle ? Comme on avait dit, la réponse est affirmative,
mais pourquoi — comment peut-on s’en convaincre ?
L’argument suivant est formulé pour le cas de 3 atomes propositionnels
mais il peut être généralisé de façon évident au cas de n’importe quel nombre
n des atomes.
85
Thèse : Pour toute condition de vérité à 3 atomes propositionnels (disons p,
q et r) il existe une formule de la logique propositionnelle dont la signification
est idéntique à cette condition de vérité.
Preuve : Pensons aux situations qui peuvent être formées en termes de
3 atomes p, q, r : il s’agit des différentes combinaisons possibles des valeurs
de vérité assignées à ces 3 atomes. (Le nombre total de ces situations est
23 = 8.) Toute situation peut être simplement décrite en utilisant les atomes
p, q, r : par exemple, une situation qui rend p faux, q vrai et r faux est décrite
par la formule (¬p ∧ q ∧ ¬r). De façon analogue, toute situation permet une
description par une conjonction dont chaque terme est un atome ou une
négation d’un atome.
Si s1 , . . . , s8 sont les situations pertinentes, soient k1 , . . . , k8 les conjonctions correspondantes qui respectivement décrivent ces situations. Commençons à considérer les conditions de vérité qui utilisent les 3 atomes propositionnels p, q, r. (Il y’en a 28 = 256.) Si C est une telle condition, C assigne
une valeur de vérité à toute situation s1 , . . . , s8 . Soit AC une disjonction
dont les termes sont les conjonctions ki telles que la condition C assigne à
la situation si la valeur de vérité vrai. Par exemple, si C est une condition
de vérité qui assigne vrai aux situations (p vrai, q faux, r faux) et (p faux, q
vrai, r faux) et (p vrai, q vrai, r vrai) et à aucune autre situation, alors AC
sera la formule suivante :
(p ∧ ¬q ∧ ¬r) ∨ (¬p ∧ q ∧ ¬r) ∨ (p ∧ q ∧ r).
Il s’agit tout simplement d’une liste systématique et exhaustive de tous
les cas différents (en termes de déscriptions qui mentionnent quels atomes
sont vrais et quels sont faux) dans lesquels la condition de vérité assigne la
valeur de vérité vrai à une situation. En effet la formule AC définie de cette
façon exprime la condition C. Pourquoi ? Pensons à la table de vérité de la
formule AC de l’exemple. Il y a 8 lignes dans cette table, et la formule AC est
associée avec la valeur de vérité vrai exactement sur les trois lignes auxquelles
respectivement (p vrai, q faux, r faux) et (p faux, q vrai, r faux) et (p vrai,
q vrai, r vrai). Donc cette table de vérité coı̈ncide avec la condition de vérité
86
C. De façon similaire on trouve pour toute condition de vérité à 3 atomes
une formule de la logique propositionnelle qui l’exprime. En particulier la
formule trouvée a cette forme spécifique : elle est une disjonction dont tous
les termes sont des conjonctions, et chaque terme de toute conjonction est un
atome ou une négation d’un atome. (Les formules de cette forme sont dites
être en forme normale disjonctive.)
Remarque 1 : Par (une généralisation de) l’argument ci-dessus, toute condition de vérité (à n’importe quel nombre fini des atomes) est exprimée par une
formule de la logique propositionnelle, en particulier par une formule en forme
normale disjonctive. Il s’ensuit en particulier que toute formule de la logique
propositionnelle est équivalente à une formule en forme normale disjonctive.
Remarque 2 : A fortiori toute formule de la logique propositionnelle est
donc équivalente à une formule qui n’utilise que des connecteurs ¬, ∨ et ∧.
Remarque 3 : Parce que ∧ est définissable en termes de ∨ et ¬,
(A ∧ B) ⇔ ¬(¬A ∨ ¬B),
toute formule de la logique propositionnelle est, en effet, équivalente à une
formule qui n’utilise que des connecteurs ¬, ∨.
Remarque 4 : Aussi, parce que ∨ est définissable en termes de ∧ et ¬,
(A ∨ B) ⇔ ¬(¬A ∧ ¬B),
toute formule de la logique propositionnelle est également équivalente à une
formule qui n’utilise que des connecteurs ¬, ∧.
Le contenu de Remarque 3 peut être autrement exprimé en disant que
les connecteurs ¬ et ∨ sont, pris ensemble, fonctionnellement complets
pour la logique propositionnelle, c-à-d qu’ils suffisent pour exprimer tout
ce qui peut être exprimé par la logique propositionnelle. Donc tout autre
connecteur, et plus généralement toute condition de vérité, est exprimable
en n’utilisant que ces connecteurs. De façon analogue, par Remarque 4, aussi
les connecteurs ¬ et ∧ sont ensemble fonctionnellement complets pour la
logique propositionnelle.
Chapitre 8
Déduction naturelle
On a déjà approché la question de la validité d’un argument à partir des plusieurs points de vue. En particulier on a relié cet concept aux
concepts de la conséquence logique et de la tautologicité : L’argument dont
les prémisses sont A1 , . . . , An et la conclusion est B est valide ssi la formule
B est une conséquence logique de la formule (A1 ∧ . . . ∧ An ) ssi la formule
((A1 ∧. . .∧An ) → B) est une tautologie. On a noté qu’on peut résoudre le problème de validité d’un argument (par exemple) en appliquant une méthode
de décision du problème de tautologicité (qui peut être facilement formulée
en termes de tables de vérité).
La définition de la validité d’un argument est sémantique — elle est formulée en utilisant le concept de « vérité », et le concept de « situation » ou de
« scénario » qui explicite l’idée que toute évaluation sémantique est relative
à un contexte. Ainsi un argument est par définition valide si sa conclusion est
vraie dans toute situation dans laquelle ses prémisses sont vraies. Aussi les
concepts de « conséquence logique » et de « tautologie » sont des concepts
sémantiques directement par ses définitions ; ils sont eux aussi formulés en
utilisant les concepts de « vérité » et de « situation ».
87
88
8.1
Les deux faces de la déduction naturelle
On procède à introduire une approche alternative de la validité : une approche syntaxique. Ici on commencera avec une description des inférences
de base (il n’y en a qu’un nombre très limité) ; ensuite on explique comment des inférences de base peuvent être reliées pour produire des chaı̂nes
de raisonnement plus compliquées qui vont être appelées des dérivations. Si
une formule B est obtenue par une dérivation dont les prémisses sont parmi
A1 , . . . , An , on dit qu’on a inféré B à partir de ces prémisses et que cette
inférence est syntaxiquement valide. (Le concept de « prémisse » d’une
inférence syntaxique va être specifé plus bas.) L’approche syntaxique particulière qu’on va discuter s’appelle la « déduction naturelle ». Ici le point de
vue est syntaxique parce qu’on ne mentionne pas explicitement des concepts
tels que « verité » ou « contexte d’évaluation » en spécifiant des règles appropriées : les inférences de base et les règles spécifiant comment former
des chaı̂nes de raisonnement sont uniquement en termes de syntaxe des expressions concernées — en termes de signes utilisés et leur constellations,
non pas en termes de leur signification ou leur attributs sémantiques. L’idée
sous-jacente peut être conçue comme suit (même s’il y a des autres interprétations aussi) : les inférences syntaxiques doivent préserver la vérité :
si les prémisses sont vraies, aussi la conclusion l’est. Ou plus précisement il
faut formuler cette idée en termes de vérité conditionnelle. On verra que
dans certaines inférences on est donné des formules qui sont « disponibles »
sous telle et telle condition, et la règle d’inférence exprime qu’à partir de la
vérité conditionnelle d’une formule disponible (ou d’un nombre des formules
disponibles) on est autorisé à conclure la verité d’une certaine formule. (Il serait parfaitement possible de formuler des règles syntaxiques pour lesquelles
la condition de préservation de la vérité conditionnelle échoue. Un exemple
simple serait : à partir de A inférez A ∧ B.)
Ou au moins ce qu’on vient de dire fournit un point de vue cohérent sur
l’approche syntaxique de raisonnement. D’autre part, il y a des philosophes
qui voient ce types des approches, et en particulier la déduction naturelle,
89
autrement.1 Paradoxalement, il est en effet possible de concevoir la déduction naturelle comme une approche alternative de la sémantique. Selon cette
idée alternative, les concepts fondamentaux sémantiques ne sont pas ceux de
« valeur de vérité » et « situation » (ou « scénario » ou « contexte d’évaluation »), mais plutôt la signification des expressions est fournie par les
règles qui déterminent comment ces expressions peuvent être utilisées dans
des raisonnements. Cet double rôle de la déduction naturelle lui rend un intérêt particulier : en fonction du point de vue adopté, on peut la considérer
comme un essai syntaxique de capturer le concept sémantique de la validité,
ou bien comme une approche sui generis de la sémantique.
8.2
Règles d’introduction et règles d’élimination
Les « inférences de base » caractéristiques de la déduction naturelle peuvent
être conçues comme réponses aux questions suivantes qui se posent à tout
connecteur ◦ de la logique propositionnelle :
(i) Quand est-ce qu’une formule dont ◦ est le connecteur principal, peut
être inférée (déduite) ? Sur quelle base peut-elle être inférée ? Plus spécifiquement, quelles conditions permettent à directement ou immédiatement inférer une formule de ce forme ?
(ii) Quelles conclusions peuvent être inférées — en présence de quelles
autre formules — à partir d’une formule dont ◦ est le connecteur principal ?
1
Il s’agit de l’approche dite « anti-réalisme » de la signification. Le philosophe le plus
connu ici est Michael Dummett ; des autres sont par exemple Dag Prawitz et Neil Tennant.
Tous ces philosophes sont contemporains ; Dummett à commencé développer ces idées à
partir des annés 1960. L’idée fondamentale est la thèse qu’on ne peut attribuer « vérité »
à un énoncé qu’en présence des moyens qui permettent à reconnaı̂tre que l’attribution est
correcte. Les concepts de « vérité » et de « justification » sont donc fondamentalement
entrelacés.
90
Les réponses à la question (i) fournissent les règles d’introduction du
connecteur ◦ ; et les réponses à la question (ii) constituent les règles d’élimination de cet connecteur. Les « inférences de base » de la déduction
naturelle sont tout simplement données par les règles d’introduction et les
règles d’élimination des différents connecteurs. Génériquement on peut comprendre le caractère de ces deux type de règles de façon suivante : les règles
d’introduction spécifient une manière paradigmatique de faire une formule
de telle et telle forme disponible, tandis que les règles d’élimination spécifient une manière paradigmatique d’utiliser une formule déjà disponible de
telle et telle forme (que la formule soit obtenue par des inférences ou qu’elle
soit le résultat d’une hypothèse) dans des inférences. L’état d’« être disponible » peut être conçu concrètement soit via le concept de « vérité » soit
via le concept de « tautologicité ».
Par exemple, pour le connecteur ∧ (conjonction) les réponses génériques
aux questions (i) et (ii) sont comme suit :
Question (i) : La formule (A ∧ B) peut être inférée si toutes ses deux
composantes A et B sont disponibles, soit comme des hypothèses
déjà faites soit comme des formules déjà inférées.
Question (ii) : Les formules A et B peuvent toutes les deux être inférées
à partir de (A ∧ B).
Les philosophes qui considèrent que la déduction naturelle joue un rôle
sémantique, ils voient les règles d’introduction du connecteur ◦ comme des
spécifications des conditions (directes) qui justifient l’affirmation (ou l’assertion) d’un énoncé de la forme ◦. Ces règles servent donc à définir les « conditions (directes) d’assertibilité » des énoncés. Pour ces philosophes, le
concept de vérité n’a pas de statut indépendant du concept de justification.
Au lieu d’essayer de donner directement des conditions de vérité, ils pensent
qu’il faut se contenter avec des conditions qui spécifient sous quelle condition
une affirmation est justifiée. D’autre part, du point de vue sur la logique
développé jusqu’ici pendant ce cours, les règles de la déduction naturelle ont
un autre rôle : ils sont simplement des règles qui aident des raisonnements
91
— qui sont toujours liés au concept de vérité. Ces règles peuvent faciliter
de tels raisonnements parce qu’ils sont complètement syntaxiques ; pour les
appliquer il est suffisant de regarder des signes et leur constellations au lieu
d’appliquer explicitement des considerations sémantiques.2
8.3
Le concept de « dérivation »
D’une part le concept de dérivation, déjà mentionné en passant ci-dessus,
est un équivalent syntaxique du concept sémantique d’argument. Mais d’autre
part il s’agit de quelque chose de plus explicite : une dérivation expose clairement comment les prémisses mènent à la conclusion pertinente.3
On peut commencer par clarifier le concept de dérivation de façon générale ; les détails deviennent claire plus tard quand on aura disponibles des
règles d’inférence spécifiques et on pourra considérer des exemples. Il s’agit
d’une sorte de chaı̂ne de raisonnement. Typiquement une telle chaı̂ne de
raisonnement commence avec quelques prémisses, et procède en faisant des
inférences. Il est possible qu’au cours de la raisonnement on fait des nouvelles hypothèses. (Les prémisses sont certainement des hypothèses, mais il
est bien possible de faire aussi des autres hypothèses.) Si on a fait au moins
une inférence et on décide à arrêter, le résultat de l’inférence la plus récente
2
Éventuellement il faut évidemment être convaincu du lien approprié entre les consi-
dérations syntaxiques et des considérations sémantiques ; c’est une partie intégrante de
l’approche de la logique qui utilise le concept de « condition de vérité » — plutôt que celui
de « condition d’assertibilité » — qu’il faut explicitement établir une équivalence entre
le point de vue de la déduction naturelle et le point de vue proprement sémantique, en
ce qui concerne le concept de raisonnement valide. Pour établir cette équivalence, il faut
se convaincre de ces deux directions : si un argument est syntaxiquement valide, alors il
est (sémantiquement) valide [cette direction s’appelle correction] ; et inversement, si un
argument est (sémantiquement) valide, alors il est syntaxiquement valide [on appelle cette
direction complétude].
3
On pourrait bien sûr être explicite de cette façon aussi dans une approche complètement sémantique, mais l’approche syntaxique de la déduction naturelle est dans un sens
plus facile à maı̂triser parce qu’on ne considère qu’un ensemble bien limité des inférences
de base en termes desquelles on produira des dérivations.
92
est appelée la conclusion. On peut concevoir des dérivations comme des
suites
B1
..
.
Bn
où toute formule Bi est soit une hypothèse, soit obtenue à partir des formules qui apparaissent au-dessus de Bi par une application d’une des règles
données. (En pratique on préfère de penser aux dérivations comme étant
plus structurées ; on retourne à cette question plus tard.) Il n’y a que ces
deux cas qui permettent une formule apparaı̂tre dans une dérivation. Pour
la clarté on assume qu’on a écrit « hypothèse » à côté de toute hypothèse.
La formule Bn est la conclusion, la dernière formule qui a été inférée. Les
hypothèses de la dérivation sont les formules Bi à côté desquelles on a
écrit « hypothèse ». Si ces hypothèses sont par exemple B1 , . . . , Bk , alors on
écrit
B1 , . . . , Bk ` Bn
pour exprimer qu’il existe une dérivation de la formule Bn à partir des
hypothèses B1 , . . . , Bk . Si on réussira à formuler l’approche de la déduction
naturelle de manière souhaitée, on aura l’équivalence suivante : l’argument
1. A1
..
.
n. An
n + 1. B
est (sémantiquement) valide si et seulement si il existe une dérivation de B
à partir des hypothèses A1 , . . . , An , autrement dit si et seulement si l’inférence de B à partir des hypothèses A1 , . . . , An est syntaxiquement valide.
Si les règles qui définissent la déduction naturelle permettent à établir cette
équivalence, on dit que l’approche syntaxique de la validité d’un argument
(fournie par la dééduction naturelle) est correcte et complète par rapport
93
au concept sémantique de l’argument valide.4 Il se montre en effet que la
déduction naturelle est bien correcte et complète dans cet sens. (Pendant ce
cours il n’y a pas d’occasion d’expliquer pourquoi la déduction naturelle possède cette propriété ; on peut mentionner que la complétude est moins facile
à démontrer que la correction.)
8.4
La notation pour des inférences
On procède à formuler les règles d’introduction et d’élimination pour tout
connecteur de la logique propositionnelle. Mais premièrement on adopte la
notation suivante : par exemple
A R
B
indique que B peut être inféré à partir de l’hypothèse A grâce à la règle R.
De même façon
A
C
B R0
indique que C peut être inféré à partir des hypothèses A et B en appliquant
la règle R0 ; et la notation est similaire si on a plusieurs hypothèses. Plus
généralement, on écrit
A
..
.
B
C
R
pour indiquer que C peut être inféré si on a déjà inféré B à partir de A ; cette
règle s’intéresse alors de la manière d’avoir inféré B, non seulement au fait
qu’on a disponible la formule B. Et on écrit
A
..
.
C
..
.
B
D
E
4
Cf la note en bas de page 2.
R0
94
pour exprimer que E peut être inféré si on a déjà inféré B à partir de A et
D à partir de C. Une notation encore plus générale s’applique si on veut par
exemple indiquer que C peut être inféré étant donné qu’on a déjà inféré B à
partir de l’ensemble des hypothèses A1 , . . . , An .
8.5
Les règles pour ∧
On a en effet déjà indiqué dans Séction 8.2 les règles d’introduction et
d’élimination pour le connecteur ∧. On peut exprimer la règle d’introduction de ∧ schématiquement comme suit :
A
B ∧-intro
A∧B
La lecture en termes du concept de vérité est bien claire : A ∧ B est vrai
si A et B sont tous les deux des vrais. La lecture utilisant le concept de
tautologicité est aussi immédiate : A ∧ B est une tautologie si A et B sont
tous les deux des tautologies. Le contenu générale de la règle est : si on a
disponible A et B, on est justifié d’inférer A ∧ B.
Exemple 34 (a) On note que
p, q ` p ∧ q,
c-à-d il existe une dérivation de la formule p ∧ q à partir des prémisses p
et q. Pourquoi ? Cela est complètement immédiat — la dérivation est tout
simplement la suivante :
p
q
p∧q
(hypothèse)
(hypothèse)
∧-intro
(b) De même façon, on observe qu’on a
p, ¬q, r ` (¬q ∧ r) ∧ p.
Voilà une dérivation de (¬q ∧ r) ∧ p à partir des prémisses p, ¬q, r :
95
¬q
r (hypothèse)
∧-intro
(¬q ∧ r)
(¬q ∧ r) ∧ p
(hypothèse)
p (hypothèse)
∧-intro
Voilà les règles d’élimination de ∧ ; il y en a deux :
A ∧ B ∧-élim-gauche
A
A ∧ B ∧-élim-droite
B
La lecture de ces règles en termes du concept de vérité est toujours claire :
si A ∧ B est vrai, A (respectivement B) l’est également. Une autre lecture :
si A ∧ B est une tautologie, aussi A (respectivement B) l’est. Le contenu
générale des deux règles est : si on a disponible A ∧ B, on est justifié d’inférer
A, et on est justifié d’inférer B.
Exemple 35 (a) Il est évident que p ∧ q ` q ; voilà la dérivation :
p∧q
(hypothèse)
q
∧-élim-droite
(b) L’inférence p ∧ q ` q ∧ p — sémantiquement évidente — peut être
syntaxiquement justifiée par la dérivation suivante :
p∧q
(hypothèse)
q
p∧q
∧-élim-droite
(hypothèse)
p
q∧p
∧-élim-gauche
∧-intro
Dans cette dérivation, on a employé deux fois l’hypothèse p ∧ q ; cela est
parfaitement autorisé dans la formulation de la déduction naturelle de la
logique propositionnelle.
8.6
Les règles pour →
Pour implication, la règle d’élimination est facile à expliquer. Du point
de vue sémantique il s’agit du principe logique connu sous le nom de modus
ponens : Si (A → B) est vrai et aussi A est vrai, on peut conclure que B
est vrai. Voilà la règle en question :
A→B
B
A →-élim
96
La lecture de cette règle en termes du concept de tautologicité : si A → B
et A sont des tautologies, B l’est. Une lecture mixte qui utilise tous les deux
concepts — celui du tautologicité et celui de vérité : si A → B est vrai
et A est une tautologie, alors B est vrai. (Ce type de lecture mixte s’offre
uniquement dans le cas des règles qui permettent l’inférence d’une formule à
partir de plusieurs autres formules : plus bas on va voir qu’il s’agit des règles
d’élimination de → et de ∨.) Le contenu générale de la règle est : si on a
disponible A → B et aussi A, on est justifié d’inférer B.
Exemple 36 (a) Il est évident qu’on a
(p ∧ r), (p ∧ r) → q ` q.
Voilà la dérivation :
(p ∧ r) → q
(hypothèse)
(p ∧ r)
(hypothèse)
q
→-élim
(b) Un exemple un peu plus intéressant est fourni par une dérivation qui
justifie l’affirmation
p ∧ r, r → q ` p ∧ q.
Voilà une telle dérivation qui utilise toutes les règles discutées jusqu’ici (c-à-d
la règle d’introduction de la conjonction, toutes les deux règles d’élimination
de la conjonction et la règle d’élimination de l’implication) :
p∧r
p∧r
(hyp.)
p
∧-élim-gauche
p∧q
r→q
q
(hyp.)
r
(hyp.)
∧-élim-droite
→-élim
∧-intro
Pour comprendre la règle d’introduction de →, commençons par la
question : sous quelle condition est-ce qu’on peut inférer que la formule
A → B est une tautologie ? La réponse : si sous l’hypothèse que A, on
peut inférer que B. (Cela est une autre manière de dire que B est vrai dans
toutes les situations dans lesquelles A est vrai.) Une fois que B est inféré sous
l’hypothèse A, on peut conclure catégoriquement A → B ; ici on mentionne
97
l’hypothèse A explicitement comme l’antécedant de l’implication. Évidemment la formule conditionnelle n’est plus relative à l’hypothèse A. Autrement
dit, si on a inféré B sous l’hypothèse de A, on peut conclure A → B et —
à la différence de B — cette conclusion A → B ne dépend plus de l’hypothèse A. On peut décharger (abandonner, retirer) l’hypothèse. Après ces
explications, on peut comprendre la règle d’introduction de → :
[A] (hypothèse)
..
.
B
→-intro
A→B
La règle exprime que A → B peut être inféré si on a dérivé B à partir de
l’hypothèse A. Les crochets [ ] autour de « A » indiquent que cette hypothèse
est dechargée. L’idée est que l’hypothèse est devenue dechargée quand la règle
d’introduction de → a été appliquée.
La lecture de cette règle en termes de tautologicité a été donnée déjà :
A → B est une tautologie si B peut être inféré à partir de l’hypothèse A.
En utilisant le concept de « vérité conditionnelle », on peut expliquer la règle
d’introduction de → comme suit : si B est vrai sous la condition que A est
vrai, alors A → B est vrai. Le contenu générale de la règle est : si on a
disponible une dérivation de B à partir de A, on est justifié d’inférer A → B
en déchargant l’hypothèse A.
Comme on vient d’introduire une spécification importante du concept
d’hypothèse — la possibilité de décharger une hypothèse — il est nécessaire
de redéfinir la notation
B1 , . . . , Bk ` Bn .
Ce qui est entendu est qu’il existe une dérivation de la formule Bn
à partir des hypothèses non déchargées B1 , . . . , Bk . Il faut bien noter
qu’il existe aussi des dérivations sans aucune hypothèse. Si B est le résultat
d’une telle dérivation, on écrit ` B.
Exemple 37 (a) La formule (p ∧ q) → q peut être dérivée sans des hypothèses : ` (p ∧ q) → q. En effet, on a déjà vu ci-dessus (les notes de la séance
98
10) que p ∧ q ` q. C-à-d, q peut être dérivé à partir de l’hypothèse p ∧ q.
Donc la formule conditionnelle (p ∧ q) → q peut être dérivée sans aucune
hypothèse. Voilà la dérivation :
[p ∧ q]
(hypothèse)
∧-élim-droite
q
→-intro
(p ∧ q) → q
Grâce à l’application de la règle « →-intro », l’hypothèse p ∧ q devient déchargée.
(b) De même façon on peut voir, généralement, que les deux conditions
A1 , . . . , An ` B et ` (A1 ∧ . . . ∧ An ) → B sont équivalentes.
(c) Pour se convaincre que (p ∧ q) → r ` (q ∧ p) → r, on peut produire la
dérivation suivante dont la seule hypothèse non déchargée est (p ∧ q) → r :
[q ∧ p]
(hyp.)
p
(p ∧ q) → r
[q ∧ p]
∧-élim-d
p∧q
(hyp.)
r
→-intro
(q ∧ p) → r
(hyp.)
q
∧-élim-g
∧-intro
→-élim
On observe que la dérivation utilise, deux fois, l’hypothèse q ∧ p, mais cette
hypothèse devient déchargée par l’application de la règle d’introduction de →,
ou plus précisement toutes les deux occurrences de cette hypothèse deviennent
déchargées.
(d) Il est utile de noter qu’il est toujours possible d’affaiblir une formule
B disponible par une condition A quelconque : B ` A → B. La dérivation
est tout simplement comme suit :
B
→-intro
A→B
L’hypothèse A n’est pas utilisée dans la dérivation, mais cela ne fait rien !
La raisonnement est comme suit : on est donné l’information que B est
disponible sans aucune conditon. Donc B sera toujours disponible si on fait
A disponible comme une hypothèse potentielle. Donc B est disponible sous
l’hypothèse A, et on peut dériver A → B, en déchargant l’hypothèse non
utilisée A. (On a noté pendant les séances précédentes, par un raisonnement
99
sémantique, que si B est une tautologie, l’argument dont la prémisse est une
formule A quelconque, et dont la conclusion est B, est valide. C-à-d, si B est
une tautologie, B est une conséquence logique de n’importe quelle formule A,
ce qui est équivalent avec la condition suivante : (A → B) est une tautologie.
Donc : si B est une tautologie, aussi (A → B) est une tautologie.)
(e) On a ` A → A ; pourquoi ? Voilà une dérivation de A → A sans des
prémisses :
[A] (hyp.)
→-intro
A→A
Qu’est-ce qui se passe ici ? Ce qui se passe est qu’on commence avec l’hypothèse que A. Or, évidemment, à partir de l’hypothèse A on a disponible A
— cela est triviale. Mais cela veut dire que par ‘conditionnalisation’, on peut
décharger l’hypothèse A et conclure A → A.
8.7
Les règles pour ∨
Il y a deux règles d’introduction de ∨ :
A
∨-intro-gauche
A∨B
B
∨-intro-droite
A∨B
La lecture en termes du concept de vérité est bien évidente : A ∨ B est vrai
si A est vrai, et également A ∨ B est vrai si B est vrai. La lecture utilisant
le concept de tautologicité est claire aussi : une condition suffisante pour
que A ∨ B soit une tautologie est qu’un des deux formules A et B est une
tautologie. Le contenu générale de la règle est : si on a disponible A, on est
justifié d’inférer A ∨ B, et de même façon si on a disponible B, on est justifié
d’inférer A ∨ B.
Pour formuler la règle d’élimination de ∨, on utilisera le concept
d’« hypothèse ». L’idée est comme suit. Si on est justifié d’inférer une formule
C sous l’hypothèse A, et si on est aussi justifié d’inférer cette même formule
C sous l’hypothèse B, alors on est justifié d’inférer la formule C à partir de
la formule disjonctive A ∨ B. Voilà la règle d’élimination de ∨ :
100
A∨B
[A] (hypothèse)
..
.
[B] (hypothèse)
..
.
C
C
∨-élim
C
La règle exprime une manière paradigmatique d’utiliser une disjonction dans
des inférences : étant donné A ∨ B, n’importe quelle formule C peut être
inférée qui satisfait la condition suivante : on peut dériver C à partir de
l’hypothèse A et également on peut dériver C à partir de l’hypothèse B. Les
crochets [ ] autour de « A » et autour de « B » indiquent que les hypothèses
deviennent dechargées quand on applique la règle d’élimination de ∨.
On peut donner une lecture à cette règle en termes du concept de « conséquence logique » (ce qui est un concept qui généralise le concept de « tautologicité ») : toute formule qui est une conséquence logique de tous les deux
termes A et B d’une disjonction A ∨ B, est une conséquence logique de la
disjonction A∨B elle-même. Une lecture en termes de tautologicité : si A∨B
est une tautologie et C peut être inféré à partir de A et à partir de B, alors C
est une tautologie aussi. Voilà une lecture qui utilise le concept de « vérité » :
si A∨B est vrai, et C est vrai sous la condition que A est vrai — et aussi sous
la condition que B est vrai — alors C est vrai. Encore une lecture mixte :
si A ∨ B est vrai et C est une conséquence logique de A et une conséquence
logique de B, alors C est vrai.
Exemple 38 (a) La formule q ∨ p peut être dérivée à partir de l’hypothèse
p ∨ q, c-à-d p ∨ q ` q ∨ p. Voilà une dérivation qui utilise toutes les deux
règles d’introduction de ∨ ainsi que la règle d’élimination de ∨.
[p]
p∨q
(hypothèse)
q∨p
[q]
(hypothèse)
∨-intro-droite
q∨p
q∨p
∨-intro-gauche
∨-élim
(b) On a : p ∨ (p ∧ q) ` p, comme temoigné par la dérivation suivante :
[p ∧ q]
p ∨ (p ∧ q)
[p]
(hypothèse)
p
(hypothèse)
p
∨-élim
∧-élim-gauche
101
Notez bien que si on prend comme hypothèse le terme gauche de la disjonction
p ∨ (p ∧ q), à savoir p, la formule p devient immédiatement disponible : p
fonctionne à la fois comme l’hypothèse et la formule inférée à partir de cette
hypothèse. Par contre, pour rendre p disponible à partir du terme droit de
la disjonction, à savoir la formule p ∧ q, il faut appliquer la règle (gauche)
d’élimination de ∧.
8.8
Négation dans la déduction naturelle
Les règles d’inférence propres à la négation servent à différencier l’approche de la logique dite « classique » discutée pendant cet cours (dont le
concept sémantique fondamental est celui de « vérité dans une situation »)
de l’approche « anti-réaliste » selon laquelle la signification des expressions
logiques est déterminée en termes de règles qui spécifient quand on est justifié d’affirmer un tel-et-tel énoncé. Ici on va présenter les règles de négation
qui mènent à la déduction naturelle de la logique classique — c-à-d les règles
qui fournissent, ensemble avec les règles d’introduction et d’élimination des
connecteurs ∧, →, ∨ déjà discutées, une approche syntaxique de la formulation spécifique de la logique propositionnelle qui a été l’objet de cet cours.
Le point de vue anti-réaliste donne lieu aux différentes règles de négation ; la
formulation résultante de la logique propositionnelle est appelée la « logique
intuitionniste ».
Il n’est pas possible de discuter la logique intuitionniste dans les limites
de cet cours. En ce qui concerne la différence entre la logique classique et
la logique intuitionniste, il est cependant utile de noter ceci : tandis que le
concept de vérité mène — pour des raisons inhérentes — à la logique classique, l’idée de spécifier les significations des expressions logiques en termes
de règles d’inférence (l’approche anti-réaliste) mène à son tour — pour des
raisons inhérentes — à la logique intuitionniste. Autrement dit, si on accepte
que la déduction naturelle n’est pas simplement un outil utilisé pour discuter des raisonnements, mais en effet un moyen de spécifier une sémantique
(anti-réaliste), alors la logique résultante n’est pas la logique classique mais la
102
logique intuitionniste. Si on compare systématiquement les deux formulations
de la logique propositionnelle, il se montre que la logique intuitionniste est
plus stricte que la logique classique au sens suivant : il existe des formules qui
peuvent être démontrées5 en termes de déduction naturelle classique mais qui
ne peuvent pas être démontrées en utilisant la déduction naturelle intuitionniste ; des exemples sont les formules des formes (A ∨ ¬A) et (¬¬A → A).6
D’autre part, toute formule qui peut être démontrée en termes de déduction
naturelle intuitionniste peut aussi être démontrée en utilisant la déduction
naturelle classique.
8.9
Les règles classiques pour ¬
Voilà la règle d’ı́ntroduction de ¬ :
[A] (hypothèse)
..
.
B ∧ ¬B
¬A
¬-intro
La règle exprime que la négation de A peut être inférée si on a dérivé une
contradiction explicite de la forme B ∧ ¬B à partir de l’hypothèse A ; ici B
peut être n’importe quelle formule. Comme d’habitude, les crochets [ ] autour de « A » indiquent que l’hypothèse devient déchargée quand on applique
la règle d’introduction de ¬.
5
Une formule A est démontrée en utilisant la déduction naturelle s’il existe une dériva-
tion de A qui n’a pas des hypothèses non déchargées.
6
Du point de vue anti-réaliste on n’est pas automatiquement justifié d’affirmer la formule (A ∨ ¬A) : pour cela il faudrait qu’on ait justifié d’affirmer A ou qu’on ait justifié
d’affirmer ¬A, mais il peut bien arriver qu’on n’est ni l’un ni l’autre. Aussi il est bien
possible qu’on ne se trouve pas dans une position d’affirmer (¬¬A → A) ; pour être dans
une telle position il faudrait que toute manière de justifier ¬¬A nous fournit une justification de A. Mais cela n’est pas automatique. Il se peut que ¬¬A soit justifié parce qu’on
a vu que ¬A mènerait à des consequences absurdes, ce qui ne fournit pas forcément de
justification directe et positive de A.
103
Remarque : Il n’est pas possible, conformément à cette règle, d’introduire
une formule négative (¬A) — d’être justifié d’affirmer la négation d’une formule — si on n’a pas déjà disponible une formule négative (¬B). Il s’ensuit
que toute dérivation d’une formule négative qui utilise la règle d’introduction
de ¬ contient déjà parmi ses hypothèses non déchargées quelque formule négative : on n’est jamais directement justifié d’affirmer une négation si on n’a
pas disponible déjà dans les prémisses une formule négative ! Cependant la
règle n’est pas circulaire — même si le symbole « ¬ » apparaı̂t à la fois dans
les prémisses et comme la conclusion. Car on n’a pas, bien sûr, appliqué la
règle d’introduction de ¬ pour avoir inclus une formule négative parmi les
prémisses. (La règle serait certainement contradictoire si on aurait dû appliquer cette règle elle-même pour avoir disponible une prémisse négative.7 )
La lecture de la règle d’introduction de ¬ en termes du concept de tautologicité est claire : ¬A est une tautologie si une contradiction peut être inférée à
partir de l’hypothèse A (en particulier une contradiction de la forme B ∧¬B).
En utilisant le concept de « vérité conditionnelle », on peut expliquer la règle
d’introduction de ¬ comme suit : si une contradiction B ∧ ¬B est vraie sous
la condition que A est vrai, alors ¬A est vrai. (Après tout, une contradiction
7
D’autre part, la règle d’introduction de ¬ n’est pas complètement satisfaisante du
point de vue anti-réaliste. Si cette règle devrait être constitutive de la signification de la
négation, il ne semble pas approprié que la condition paradigmatique sous laquelle on peut
introduire un énoncé négatif est elle-même formulée en utilisant le concept de négation.
En effet les anti-réalistes traitent la négation différemment, en évitant cet problème. Ils ne
prennent pas la négation comme un connecteur primitif, mais la définissent comme suit :
pour eux, « ¬A » est une abréviation de la formule « A → ⊥ », où « ⊥ » est un connecteur
très spécifique (appelé falsum) défini de façon suivante. Il s’agit d’un connecteur 0-aire :
⊥ n’est pas seulement un connecteur mais aussi directement une formule (on l’applique
aux 0 formules pour obtenir une formule). On peut penser à la formule ⊥ comme une
formule contradictoire paradigmatique. La signification anti-réaliste de ⊥ est fournie par
ses règles d’introduction et d’élimination : il n’y a pas de règle d’introduction de ⊥, c-à-d
on n’est jamais justifié d’affirmer ⊥. Et sa règle d’élimination est ceci : à partir de ⊥ on
est justifié d’inférer n’importe quoi. On peut donc éviter donner les règles d’inférence à ¬,
en spécifiant les règles d’inférences pour falsum et en définissant la négation en termes de
falsum et d’implication.
104
n’est vraie sous aucune condition ! Mais si B ∧ ¬B est vraie sous la condition
que A est vrai — et si A était vrai — effectivement une contradiction serait
vraie. Donc A ne peut pas être vrai.) Le contenu générale de la règle est ceci :
si on a disponible une dérivation d’une contradiction B ∧ ¬B à partir de A,
on est justifié d’inférer ¬A en déchargant l’hypothèse A.
Exemple 39 (a) On peut dériver ¬p à partir des hypothèses q et p → ¬q,
symboliquement : q, p → ¬q ` ¬p. Cela est établi par la dérivation suivante :
p → ¬q
q
(hypothèse)
¬q
(hypothèse)
q ∧ ¬q
¬p ¬-intro
[p]
(hypothèse)
→-élim
∧-intro
On note que les hypothèses non déchargées de cette dérivation sont les prémisses q et p → ¬q ; par contre l’hypothèse p a été déchargée par l’application
de la règle d’introduction de ¬ (ce qui est indiqué par l’avoir mise entre des
crochets).
(b) À partir de l’hypothèse p → q on peut dériver ¬q → ¬p ; voilà une
dérivation qui utilise les règles d’introduction de →, de ¬, et de ∧, ainsi que
la règle d’élimination de → :
p→q
[p]
q
(hyp.)
→-élim
[¬q] (hyp.)
∧-intro
q ∧ ¬q
¬-intro
¬p
¬q → ¬p →-intro
Les hypothèses de la dérivation sont p → q, p, et ¬q — les deux dernières
étant déchargées. On note en particulier que l’hypothèse p est déchargée par
l’application de la règle ¬-intro, tandis que l’hypothèse ¬q est devenue déchargée quand on a appliqué la règle d’introducton de →.
On peut formuler une règle d’élimination pour ¬ dans la logique classique comme suit (cette règle ne serait certainement pas disponible dans la
logique intuitionniste) :
¬¬A ¬-élim
A
105
La lecture de cette règle en termes du concept de tautologicité est bien claire :
si ¬¬A est une tautologie, aussi A l’est. De la même façon, du point de vue
du concept de vérité, la règle permet tout simplement la lecture suivante : si
¬¬A est vrai, aussi A est vrai.
Exemple 40 (a) On peut dériver la formule ¬¬p → p sans aucune hypothèse non déchargée : ` ¬¬p → p. Voilà une dérivation :
[¬¬p]
(hypothèse)
¬-élim
p
→-intro
¬¬p → p
On note qu’on a déchargée l’hypothèse ¬¬p en appliquant la règle d’introduction de →.
(b) Prenons un exemple plus intéressant ; on démontre que la formule
p ∨ ¬p peut être dérivée sans aucune hypothèse non déchargée : ` p ∨ ¬p.
Voilà une dérivation qui utilise la règle d’élimination de ¬. L’idée ici est de
dériver premièrement la formule ¬¬(p∨¬p) et ensuite appliquer la règle d’élimination de ¬. Et pour dériver ¬¬(p∨¬p), on note qu’à partir de l’hypothèse
¬(p ∨ ¬p) on peut dériver tous les deux, p et ¬p, ce qui permettra d’introduire
la négation ¬¬(p ∨ ¬p) de cette hypothèse.
[¬p]1
[p]2
p ∨ ¬p ∨-intro-d
[¬(p ∨ ¬p)]3
∨-intro-g
∧-intro
p ∨ ¬p
[¬(p ∨ ¬p)]3
(p ∨ ¬p) ∧ ¬(p ∨ ¬p)
∧-intro
¬-intro, 1
(p ∨ ¬p) ∧ ¬(p ∨ ¬p)
¬¬p
¬-intro, 2
p ¬-élim
¬p
∧-intro
p ∧ ¬p
¬-intro, 3
¬¬(p ∨ ¬p)
¬-élim
p ∨ ¬p
Les chiffres 1, 2 et 3 servent à indiquer quelles hypothèses ont été déchargées
quand on appliqué la règle d’introduction de ¬ dans une position spécifique.
Par exemple quand on a appliqué la règle dans la position identifiée par
le chiffre 3 (« ¬-intro, 3 »), on a déchargée toutes les deux occurrences de
l’hypothèse ¬(p ∨ ¬p) marquées avec le chiffre 3.
(c) On a vu dans l’Exemple 39(b) que p → q ` ¬q → ¬p. En utilisant la règle d’élimination de ¬ il est possible de démontrer l’inverse :
¬q → ¬p ` p → q. Voilà une dérivation :
106
[p]
2
¬q → ¬p (hypothèse)
[¬q]1 (hypothèse)
→-élim
(hypothèse)
¬p
∧-intro
p ∧ ¬p
¬-intro, 1
¬¬q
q ¬-élim
→-intro, 2
p→q
Aussi ici on a indiqué, en utilisant des chiffres, quelle application spécifique
d’une règle a déchargée telle-et-telle hypothèse (cf les chiffres 1 et 2). Parce
que la seule hypothèse non déchargée de la dérivation est l’hypothèse ¬q →
¬p, on peut conclure qu’on peut dériver p → q à partir de ¬q → ¬p. Si
on combine cette résultat avec le résultat de l’Exemple 39(b), on note que
p → q et ¬q → ¬p sont dérivable l’un de l’autre. Cela est une analogie dans
la déduction naturelle du principe sémantique de « contreposition », à savoir
le fait que les formules p → q et ¬q → ¬p sont logiquement équivalentes
(autrement dit : l’un est une conséquence logique de l’autre).
(d) Dans la déduction naturelle, on a l’analogie suivante du principe
d’« ex falso quodlibet » : à partir de B ∧ ¬B, on peut dériver n’importe
quelle formule A, c-à-d
B ∧ ¬B ` A. On peut discuter séparément les
deux types de cas : (i) on commence par noter que l’hypothèse B ∧ ¬B permet à dériver toutes les formule négatives, c-à-d toutes les formules de la
forme ¬C. Pourquoi ? Parce que si on a catégoriquement disponible B ∧ ¬B
comme l’hypothèse, on a — de ce fait — disponible B ∧ ¬B sous n’importe
quelle condition, par exemple sous la condition C. (Être disponible catégoriquement signifie être disponible indépendamment des conditions, c-à-d sous
toute condition. Donc ce qui est disponible catégoriquement ne cesse d’être
disponible si on impose une condition — n’importe quelle condition.) Mais
si on a disponible B ∧ ¬B sous la condition C, selon la règle d’introduction
de ¬ on peut dériver ¬C, tout en déchargant la condition C. On vient de
démontrer que B ∧ ¬B ` ¬C. (ii) Il reste à démontrer qu’on peut dériver,
à partir de B ∧ ¬B, aussi n’importe quelle formule qui n’est pas négative.
C-à-d qu’on a B ∧ ¬B ` A si A est une formule atomique ou une formule
de la forme (C ∧ D) ou (C ∨ D) ou (C → D). Pourquoi on a B ∧ ¬B ` A ?
Il ne suffit pas d’utiliser la règle d’introduction de ¬, parce que cette règle
seule ne nous justifie que l’introduction des formules négatives. Mais on peut
107
raisonner comme suit : Si on a catégoriquement disponible B ∧ ¬B comme
l’hypothèse, on a — de ce fait — disponible B ∧ ¬B sous n’importe quelle
condition, par exemple sous la condition ¬A. Mais si on a disponible B ∧ ¬B
sous la condition ¬A, selon la règle d’introduction de ¬ on peut dériver ¬¬A,
en déchargant la condition ¬A. Après il suffit d’appliquer la règle d’élimination de ¬ pour dériver A. Il s’ensuit qu’en effet toute formule est dérivable
à partir de l’hypothèse B ∧ ¬B. (On pourrait appliquer le raisonnement du
cas (ii) généralement, aussi pour couvrir le cas (i) ; on avait fait la division
pour la clarté de la présentation.)
108
Bibliographie
[1] L.T.F. Gamut : Logic, Language, and Meaning. Volume 1 : Introduction
to Logic, les chapitres 1, 2 et 4.
109
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