Douleur et souffrance

publicité
Centre de formation continue agréé spécialisé dans l’éthique médicale et les pratiques hospitalières
Douleur & Souffrance
1 La douleur
1.1 Connaître la définition de la douleur et ses implications
L’Association Internationale pour l’Etude de la Douleur (IASP) définit ainsi la douleur :
la douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable liée à des lésions tissulaires réelles ou potentielles ou décrites en termes de telles lésions.
Ainsi, la composante émotionnelle participe à la genèse de la douleur. La douleur ne
se limite donc pas à la perception d’une simple sensation. Cela souligne le caractère
subjectif de toute perception douloureuse, qui est modulée par le contexte dans lequel
elle intervient, sa signification, les expériences antérieures, la culture et l’état psychologique du sujet (anxiété, dépression ...).
1.2 Connaître les différences entre douleurs aiguës et douleurs chroniques
La durée d’évolution permet de distinguer la douleur aiguë, « signal d’alarme », de la
douleur chronique, « douleur maladie ». La douleur aiguë est un symptôme qui aide
au diagnostic et qui généralement décroît et disparaît lorsqu’un traitement étiologique
est institué. Elle doit être traitée dès lors que le signal d’alarme a été perçu : son maintien est inutile, voire néfaste, pour le patient. Elle est parfois prévisible (douleur provoquée par des gestes invasifs ou douleur postopératoire) et doit être prévenue. Elle peut
s’accompagner d’anxiété.
Une douleur chronique est une douleur qui évolue et dure depuis 3 à 6 mois : elle envahit le langage, la vie quotidienne du patient et devient invalidante. Au stade de douleur chronique, elle représente pour le patient l’essentiel de sa maladie et peut s’accompagner de dépression.
1.3 Connaître la classification des douleurs
La physiologie permet de dégager trois grands cadres physiopathologiques qui s’opposent par leur sémiologie, les mécanismes mis en jeu, et par conséquent, les traitements
à prescrire : les douleurs nociceptives, les douleurs neuropathiques et les douleurs sine
materia et psychogènes.
2, rue du Capitaine Henry de Mauduit - 22500 Paimpol - 06 64 72 34 06 / 02 96 22 09 39 - SIRET 500 313 86000 30
Déclaration d’activité enregistrée sous le n° 53 22 08205 auprès du préfet de région de Bretagne
Page 2
1.3.1 Les douleurs dites par excès de nociception
Connaître leur substrat physiologique :
surstimulation des fibres véhiculant les messages nociceptifs de la périphérie vers la
moelle épinière et les centres supraspinaux.
Connaître les causes susceptibles de les induire :
douleur aiguë : postopératoire, traumatique, infectieuse, dégénérative....
douleur chronique : pathologies lésionnelles persistantes plus ou moins évolutives
(cancer, rhumatologie...).
Savoir les implications thérapeutiques :
ces douleurs sont sensibles aux traitements qui diminuent (ou interrompent) la transmission des messages nociceptifs à un niveau périphérique et/ou central : ce sont principalement les antalgiques.
1.3.2 Les douleurs neuropathiques
Connaître leur substrat physiologique :
modification des processus de transmission et/ou de contrôle du message « douloureux » à la suite d’une lésion nerveuse périphérique ou centrale.
Connaître les causes susceptibles de les induire :
traumatique (y compris la chirurgie...), toxique (alcool, certaines chimiothérapies, radiothérapie...), virale (zona...), tumorale (par compression, infiltration), métabolique
(diabète...).
Connaître leur sémiologie :
délai d’apparition variable mais toujours retardé par rapport à la lésion initiale (un jour
à quelques mois ou années dans certains cas) / topographie neurologique (rattachable
au site lésionnel) / qualitativement, deux composantes (mais une seule peut être présente), l’une permanente (brûlure, broiement...), l’autre intermittente (décharge électrique) / associée cliniquement à une hypoesthésie d’importance et de modalité variables, et, lorsqu’une partie de la sensibilité est préservée, à une hyperpathie, une allodynie, des dysesthésies.
Savoir les implications thérapeutiques :
Les douleurs neurogènes ne sont classiquement pas sensibles aux antalgiques usuels.
Elles répondent à des médicaments d’action centrale qui pourraient améliorer les dysfonctionnements de la transmission et des contrôles des messages nociceptifs : ce sont
certains antidépresseurs et antiépileptiques, et/ou à des techniques de neurostimulation (transcutanée ou médullaire).
Il existe des douleurs mixtes, c’est-à-dire associant les deux mécanismes physiologiques.
1.3.3 Les douleurs sine materia et psychogènes
Savoir que les douleurs sine materia correspondent à des entités cliniques bien définies sur un plan sémiologique et diagnostic (céphalées de tension, fibromyalgie, glossodynie...).
Savoir que les douleurs psychogènes correspondent à une sémiologie psychopa-
Page 3
thologique avérée (conversion hystérique, dépression, hypochondrie). Il ne s’agit pas
d’un diagnostic de non organicité.
2 La souffrance
2.1 Connaître la définition de la souffrance et ses implications
Fait de souffrir, d'éprouver une douleur physique ou morale; état d'une personne qui
souffre.
Souvent au plur. Fait d'éprouver une douleur physique. Synon. douleur(s).La souffrance
du corps est souvent utile à l'âme (Mérimée, A. Guillot, 1847, p. 138):
«... s'il y a refoulement prolongé des émotions, la tension psychique s'élève peu à peu,
l'anxiété apparaît et le conflit trouve son issue dans des souffrances somatiques.
Quand les signes corporels apparaissent, le sujet fixe son attention sur eux et obtient
ainsi un certain soulagement de la tension mentale.» Ravault, Vignon, Rhumatol.,
1956, p. 588.
MÉD. Maladie de telle partie du corps; le siège de la douleur ainsi localisée. Chaque
étage des voies sensitives depuis les racines postérieures jusqu'au cortex cérébral, traduit sa souffrance par un ensemble de signes propres qui se groupent en syndromes
caractéristiques de la lésion des voies sensitives à tel niveau (Ce que la Fr. a apporté à
la méd., 1946 [1943], p. 244).Ces troubles attirent d'emblée l'attention du médecin
vers une souffrance des voies biliaires (Quillet Méd.1965, p. 146).
On le voit, dans la terminologie médicale, la souffrance est souvent assimilé à la douleur. Toutefois, la littérature emploie aussi le terme de souffrance dans le cadre d’une
affection morale. Ex :
«Je connais bien les deux cœurs qui saignaient, ce jour-là, auprès de mon lit de souffrance (Coppée, Bonne souffr., 1898, p. 115).Méhoul lui posa les mains sur les épaules
et, les lèvres tremblantes, prononça d'une voix de souffrance: − Il faut t'en aller tout de
suite, aujourd'hui... Va-t-en, il faut t'en aller» (Aymé, Rue sans nom, 1930, p. 225).
Analysons quelques emplois courants du terme :
Souffrance affreuse, atroce, continue, extrême, insupportable, légère, longue, morale,
physique; d'horribles, de mortelles souffrances; des souffrances collectives, imaginaires, incalculables, individuelles; être dur à la souffrance; vivre dans la souffrance; on
ne peut mourir sans souffrance; faire face à la souffrance; physionomie décomposée
par la souffrance; être flétri par la souffrance; avoir le visage altéré, les traits creusés
par la souffrance; souffrance par la maladie (physique); alléger, apaiser, atténuer la
souffrance de qqn; compatir aux souffrances d'autrui; endurer des souffrances; être en
proie aux souffrances les plus aiguës; coûter bien des souffrances; problème, sens,
Page 4
conception, mystère de la souffrance; souffrance du Christ; souffrance du chrétien;
souffrance des Justes.
Si l’on se réfère à la première définition de la souffrance citée plus haut, la souffrance décrit le ressenti, la dimension psychique de la douleur, du mal éprouvé.
2.1 Remarques
Le terme de souffrance possède aussi un autre sens, est employé dans des circonstances qui peuvent paraître à première vue bien éloignées des emplois décrits plus haut :
[En parlant d'un envoi, d'une expédition] En attente de parvenir à son destinataire ou
d'être retiré(e) par lui. Colis, lettre en souffrance. «Dans une longue énumération de
marchandises hétéroclites, avariées ou en souffrance, l'affiche mentionnait dix caisses
de livres» (Cendrars, Bourlinguer, 1948, p. 74).
POSTES ET TÉLÉCOMM. Effet, créance en souffrance. Impayé, en retard de paiement.
«Des emprunts effectués et dont courent les charges d'intérêt restent en souffrance
d'utilisation avant que les projets puissent entrer en chantier et alourdissent les fonds
de roulement» (Belorgey, Gouvern. et admin. Fr., 1967, p. 281).
Objet en souffrance. Objet qui n'a pu être acheminé à son destinataire.
3 Différencier la douleur de la souffrance
3.1 Quelques pistes
Selon le sens commun, la douleur est du coté du physique, quand la souffrance est du
côté du psychique.
Dans le cadre de la maladie, la douleur désigne le «signal» corporel transmis par voie
nerveuse au système neuronal, quand la souffrance décrit le ressenti de cette douleur
par le sujet, son interprétation subjective, la manière qu’à le patient de «vivre intérieurement» l’expérience de la douleur.
3.2 Deux remarques
Le terme de souffrance peut être employé plus largement sans qu’il soit associé à une
douleur physique : on parle alors de souffrance psychique, maladie mentale, dépression... (voir plus haut)
Le terme de douleur peut aussi dans certaines circonstances désigner le mal psychique
: la «mater dolorosa» (douleur de Marie à la mort de son fils le Christ). Notons que le
mot douleur est employé couramment lors des décès pour désigner la peine des proches, lors des deuils : voir le mot «condoléance».
3.3 Conclusion
Page 5
Remarque préliminaire : si on revient maintenant à la dernière définition de la souffrance que nous avons rappelée, un objet en souffrance est un objet qui «attend», qui
n’a pas trouvé son destinataire.
Plus généralement on dira qu’une personne souffre d’une émotion, d’un vécu, qui n’a
pas réussi à être verbalisé, qui n’a pas trouvé son sens dans l’histoire subjective du sujet. On souffre de ce qu’un vécu reste en attente d’être dit, articulé dans le langage.
Analysé.
La douleur, elle, est ce reste, ce «mal» éprouvé qui ne peut être «sublimé», analysé,
compris, qui ne peut disparaître, être dissous par la parole dans le langage. Ainsi de la
perte d’un être cher.
La douleur appelle la solitude, la souffrance appelle la présence de l’autre.
3.4 Encore
La douleur n’est pas plus «physique» que la souffrance. Elle sont toutes deux des expériences subjectives, psychiques.
Mais, l’une est d’autant plus forte que sa cause est consciente, alors que l’autre est
d’autant plus forte que sa cause est inconsciente.
On dit d’un malade hospitalisé qu’il «souffre». On dit «souffrir» du genou. Où est le
rapport au langage ? Revenons sur la notion de souffrance comme attente : le patient
(qui «patiente») attend d’être soigné, d’être guéri. Il attend patiemment de recouvrer
autant que faire se peut la santé. Son corps est donc bien (comme la lettre des PTT) en
«souffrance». Un genou amoché «attend» de retrouver ce à quoi il est destiné. Il «souffre» de ne pas plier.
Douleur et souffrance sont confondus dans leur premier symptôme : «J’ai mal».
Elles se différencient dans leur étiologie.
4 Conséquences éthiques pour la médecine et les
pratiques hospitalières
4.1 Distinctions étiologiques
On distinguera :
A- la douleur dite «physique», i.e celle informée nerveusement par un dysfonctionnement du corps propre.
B- La douleur dite «psychique», celle informée «clairement et distinctement» par une
perte dans les conditions existentielles (perte d’un proche, d’un organe, d’une liberté
de mouvement, de temps à vivre etc.)
Page 6
C- La souffrance dite «physique», épreuve du temps (objectif) du recouvrement de la
santé.
D- La souffrance dite «psychique», épreuve du temps (subjectif) de la formulation d’un
traumatisme (en fait d’un vécu).
4.2 Taxinomie des fins (visées, objectifs) thérapeutiques
A- Suppression de la douleur «signal» (car plus de rôle dès lors que la maladie est
prise en charge), abaissement de la douleur chronique (dont la fin est contemporaine
de la fin de la maladie elle-même). Abandon de l’esprit à l’imaginaire, identification
au corps propre.
B- le deuil, i.e l’acceptation de nouvelles contraintes existentielles, et, plus essentiellement, acceptation de la finitude. Abandon de la personne au mystère, aux voies impénétrables, à l’incompréhensible, au non-savoir.
C- La sérénité, i.e visualisation de futurs jours meilleurs. Confiance, abandon de l’individu au thérapeute. Création d’un «patient».
D- L’entente. Avoir trouvé une «oreille». Abandon du sujet à son propre discours.
4.3 taxinomie des moyens thérapeutiques
A- Anti-douleur
B- le silence. L’acceptation de l’imcommunicabilité radicale de la douleur et le respect
de la solitude essentielle du travail de deuil.
C- Transparence du diagnostic, exposé clair des traitements possibles et de leurs conséquences, abandon du choix du traitement au malade (pour qu’il accepte de s’abandonner lui-même ensuite).
D- Le don. Donner les conditions favorables à l’émergence du discours de l’Autre, cf
Freud (écoute, interprétation, transfert), Lacan (économie structurale des 4 discours
fondamentaux, Parler depuis le non-savoir...), Kierkegaard (la grâce), Lévinas (accueillir
la vérité de la parole de l’Autre)...
Téléchargement