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dans l’autre, le sujet « n’y est pas » (dans tous les sens
du terme), il n’y est pas encore ou il n’y est plus…. Entre
les deux, on repère une série d’événements venant artifi -
ciellement scander ce que l’on appelle une vie.
MESURES ET ÉCHELLES DES ÉVÉNEMENTS DE VIE
On rappelle toujours que Adolph Meyer, suisse de
Zurich établi en 1908 à l’Université Johns Hopkins aux
États-Unis, ultérieurement président de l’APA avait fait
des « réactions » la base de sa psychopathologie. C’était
une conception dynamique de la psychobiologie, rapi-
dement remplacée par la psychanalyse. Il incitait à l’utili-
sation de diagrammes d’événements de vie (Life Chart).
Son infl uence sera plus grande en Angleterre, où les lis-
tes d’événements de vie seront développées par Wolff,
Hinken, Holmes et Rahe (1967), Pakel etc.
ÉVÉNEMENTS DE VIE ET DÉPRESSION
Parmi les nombreuses études consacrées à la dépres-
sion on retiendra celle de Hudgens et al (Arch Gen Psy-
chiatry 1967) qui ne trouvait pas de relation. Au contraire,
Paykel et al (Arch Gen Psychiatry 1969) établissaient
une corrélation positive entre événement de vie et dé-
pression. Ce sont essentiellement les travaux de Brown
et Harris (1973-2000), qui ont permis de montrer la fré-
quence d’un événement sévère dans les six mois qui
précèdent un état dépressif. Amiel-Lebigre et al, ne trou-
vaient pas plus d’événements de vie précédant les dé-
pressions « mélancoliques-psychotiques » que dans les
formes « névrotiques ». Par contre, il apparaît clairement
que le ou les premiers épisodes thymiques seraient plus
clairement déclenchés par ces événements que pour les
épisodes ultérieurs. Ce débat a longtemps opposé les
auteurs, en particulier pour la psychose maniaco-dépres-
sive kraepelinienne : on accordait un rôle déclencheur
possible pour le premier épisode, mais ultérieurement on
estimait le processus cyclothymique auto entretenu avec
des rechutes sans impact d’événement extérieur. Cela a
conduit Robert Post (1983) à avancer le modèle de kin-
dling (embrasement) par analogie avec les crises épilep-
tiques et surtout la senzitisation à la cocaïne. En réalité la
plupart des épisodes bipolaires seraient déclenchés par
un événement stressant extérieur, mais dans plus de la
moitié des cas, cet événement est induit par le compor-
tement du patient lui-même, l’événement devenant ainsi
le premier symptôme de l’épisode…
LES TRAVAUX DE BROWN ET HARRIS (1969-2000) : LE
« LIFE EVENTS AND DIFFICULTIES SCHEDULE (LEDS) »
Pour la recherche le meilleur instrument permettant
des travaux empiriques en tenant compte des aspects
objectifs et subjectifs des événements, est représenté
par le LEDS (traduit en français par Gorwood et Rouillon
(1994)). La fi délité inter-juges est bonne : Kappa supérieure
à 0,74 ; il est adaptable à toutes les situations, événements
à venir, rencontres, réactivations du passé etc. Il distin-
gue clairement événements et diffi cultés de vie. On insiste
sur l’importance subjective des événements « réellement
perturbateurs ». Il y a une faible corrélation entre le LEDS
et l’échelle de Holmes et Rahe.
Cet instrument précis n’est pas utilisable en clinique :
le temps de passation demande plus d’une heure et demie,
et le temps de codifi cation plusieurs heures... Il y a 800
catégories d’événements et 5 000 exemples.
L’essentiel des travaux effectué avec le LEDS a concer-
né la dépression. Ils ont confi rmé l’appréciation d’événe-
ments inducteurs de changement dans la vie du sujet, la
non désirabilité de ce changement, avec un sentiment de
menace à terme : 1 ° pertes graves, 2 ° expérience d’humi-
liation et 3 ° d’enfermement (entrapment). Dans les échan-
tillons de malades déprimés hospitalisés, 25 % n’ont pas
d’événements de vie.
Ces auteurs ont réalisé la fameuse étude de Cambe-
rwell (South London). Les facteurs de vulnérabilité pour cet
échantillon d’un « statut social inférieur » (classe ouvrière)
sont essentiellement : femme sans emploi, mère de trois
enfants âgés de moins de 15 ans ; la perte de la mère avant
15 ans (11-17 ans) ; et des antécédents dans l’enfance de
négligence ou d’abus sévères, ou bien encore de perte
parentale. Il en ressort une triade d’expériences subjectives :
humiliation – confi nement (entrapment) – perte d’espoir.
Cette étude anglaise a été reproduite dans différents
pays. On met ainsi en évidence l’universalité transcultu-
relle de l’impact des événements de vie à l’origine de la
dépression. On retrouve les mêmes données dans les îles
Hébrides, à Camberwell (South London), Irlande, dans le
Zimbabwe (South Rhodésia), en Hollande…
Il existe aussi des facteurs de protection et d’améliora-
tion : l’existence d’un lien de confi ance et de confi dence
avec un intime, le regain d’espoir apporté par des amélio-
rations matérielles telles qu’un relogement, un nouvel em-
ploi, et l’expérience d’un « nouveau départ », comme par
exemple une relation avec un nouveau partenaire.
ÉVÉNEMENTS DE VIE ET ANXIÉTÉ
Il existe moins d’études dans ce domaine. On doit
tenir compte de l’intrication fréquente avec un syndrome
dépressif. Dans le Trouble Anxiété Généralisée (TAG), il y
a augmentation de la vigilance avec omniprésence des
soucis (worries). Cette hypervigilance semble bien en rap-
port avec des antécédents de violences, la fréquence du
divorce parental pendant l’enfance et la séparation du père.
L’agoraphobie serait précédée de nombreux deuils (Sim et
al, 1966 ; Anxiété sans dépression, Prudo et al 1981).
Évènements de vie et psychopathologieL’Encéphale, 2007 ; 33 : 686-689, cahier 3