13OTX World | N° 36 | Janvier 2012
M A R C H É E T C A R A C T È R E S
«Parfois meilleur que l’original»
Les produits d’imitation permettent d’économiser beaucoup d’argent sans nuire à la qualité
du traitement. Pourtant, la prescription et la délivrance des génériques patinent. Mais qui freine,
et pourquoi? Pourquoi ne pas faire des économies là où ce serait si facile? OTX World a posé la
question au Dr Peter A. Huber, directeur d’Intergenerika. Hans Wirz
Quelle somme les génériques nous
permettent-ils d’économiser sur les frais
de médicaments?
Environ un milliard par an. Ce chire résulte de
diérentes mesures de réduction des prix et
concerne aussi bien les originaux que les géné-
riques.
Cela pourrait être beaucoup plus...
... Oui, bien sûr. En Suisse, la part de marché des
génériques reste relativement réduite.
Pourquoi?
On incrimine souvent les prix disproportionnés,
mais ce n’est pas vrai (voir encadré). Toutefois,
le système a des eets pervers. Par exemple, les
pharmaciens et les médecins dispensateurs se
font moins de marge sur les produits meilleur
marché. Et peu de patients, et même de méde-
cins prescripteurs, se soucient des coûts: c’est
l’assurance-maladie qui paie. Même Swissmedic
et l’OFSP freinent. La meilleure chance des gé-
nériques est de modier les incitations au prot
de leurs utilisateurs et de lever les obstacles
administratifs.
L’évolution ralentie des ventes de
génériques n’est pas liée à la qualité?
Au contraire: il s’écoule environ quinze ans
entre l’arrivée de l’original et celle d’un géné-
rique sur le marché. Pendant ce temps, on ap-
prend souvent de nouvelles choses, par exemple
par rapport à la galénique ou au conditionne-
ment. Parfois, le générique est donc meilleur
que l’original.
Et les hôpitaux dans tout cela?
Ils jouent un rôle clé à plusieurs niveaux: les
professeurs citent les marques originales dans
leurs exposés, incitant les jeunes médecins à
prescrire l’original, par «imprégnation». Et les
patients sont rendus «accros» à l’original et, sou-
vent, ne changeront jamais de produit auprès de
leur médecin.
Pourrait-on prendre exemple sur
l’Allemagne ou les Pays-Bas?
Non. Dans ces pays, les médicaments impor-
tants sont attribués par les assurances-maladie
à un seul fournisseur: celui qui propose les plus
gros rabais. Mais le moins cher n’est pas toujours
ce qu’il y a de mieux pour le malade. La Suisse
doit continuer d’accorder la priorité au patient
et laisser le médecin ou le pharmacien décider
quel est le meilleur médicament.
Et si le modèle venait des Etats-Unis?
Non plus. La forte pression sur les prix y a gé-
néré de gros problèmes d’approvisionnement,
notamment dans le cas des génériques intravei-
neux contre le cancer. Le NZZ en a parlé récem-
ment. Cela s’explique par la suppression des me-
sures d’incitation économiques.
Photo: mise à disposition
Le Dr Peter A. Huber est directeur
d’Intergenerika, l’association des
fabricants et distributeurs suisses de
génériques et de produits biosimilaires.
Pour certains génériques, on observe de
grandes diérences de prix entre l’«Europe»
et la Suisse. Petite explication:
Primo, en Suisse, le marché potentiel est
environ dix fois plus petit que dans les pays
de référence. Les parts de marché y sont
aussi beaucoup plus restreintes, avec de
grosses diérences en termes de coûts: ce
n’est pas la même chose de produire
200 000 unités ou seulement 10 000. Pour
de petites quantités, les emballages sont
beaucoup plus chers.
Secundo, la Suisse est une île sur le plan
réglementaire. Même les génériques déjà
enregistrés dans le reste de l’Europe doivent
être autorisés par Swissmedic, puis passer
par l’OFSP pour pouvoir être remboursés par
les caisses. Cela se paie en termes de travail
supplémentaire, de taxes et de temps.
Tertio, les systèmes d’approvisionnement
sont diérents: en Suisse, le choix de la pré-
paration revient aux médecins, aux pharma-
ciens et aux patients. Il en va tout autrement
dans des pays comme l’Allemagne, les Pays-
Bas ou la Grande-Bretagne, où c’est l’ad-
Pourquoi des prix si élevés?
ministration ou les assureurs-maladie qui
décident, sur la seule base du prix, des
médi caments à rembourser. Si l’on compare
le prix des génériques avec la France ou
l’Autriche où, comme chez nous, le choix du
médicament revient au médecin en accord
avec son patient, les diérences s’estom-
pent, surtout si l’on tient compte du pouvoir
d’achat.
Quarto, en Suisse, les génériques doivent
aussi leur bonne réputation au fait que les
fabricants investissent beaucoup dans la
formation des spécialistes et dans l’informa-
tion des patients.
Quinto, l’administration oblige les fabricants
de génériques à proposer toutes les posolo-
gies, formes et présentations déjà propo-
sées par le fournisseur du médicament ori-
ginal. D’où un manque de rentabilité pour
les formes peu utilisées.
Conclusion: si l’on veut permettre à l’assu-
rance-maladie de faire des économies, rien
ne sert de discuter du prix des génériques;
il faut prendre des mesures pour augmenter
leur part dans les prescriptions!