« négation » (否定 hitei), « soi » (自己), « réflexion » (反省 hansei), « distinction » (区別 kubetsu),
« bien » (善zen), se comprennent plus clairement à partir de cette idée d’une réitération infinie et
première de l’unité. En outre, Nishida incarne de façon vivante toute la « conceptualité » déployée
ici pour exprimer cette activité unificatrice au niveau d’exemples et d’analyses de la vie
quotidienne : l’écrivain qui regarde son crayon, le nourisson qui tète le lait de sa mère, l’action de
s’habiller[9], le regard{ XE "Regard" } qui se noie dans un tableau ([1], p. 82&102/100&120).
On pourrait objecter que cette notion d’unification apparaît principalement dans les
premiers textes, et tend à disparaître des méditations de notre philosophe, quand on aborde les
oeuvres de la maturité, et les productions plus tardive. En réalité, il n’en est rien, et l’on trouve par
exemple une confirmation de cette « hypothèse » que la philosophie nishidienne pourrait être
comprise comme une pensée{ XE "Pensée" } inédite de l’unification, dans la lecture motivée
d’un ouvrage situé chronologiquement « à l’autre bout » dans la suite des oeuvres de l’auteur : le
Problème{ XE "Problème" } de la culture japonaise de 1942[10].
Si l’hypothèse peut ainsi être confirmée, elle demande pourtant à être approfondie du
point de vue théorique, ce que rend possible l’étude exhaustive d’un ensemble d’essais à l’aspect
embrouillé, mais qui se révèle en réalité une suite de recherches prospectives d’un nouveau
genre : Intuition et réflexion dans l’éveil à soi de 1917[[11]. Cet approfondissement se développe
principalement dans une exploration des problématiques de la « purification » (純化する junkasuru,
[11], §20-22 pp. 62-71/122-144) : se purifier, est-ce rejeter à l’extérieur de soi, se purger, ou bien
s’unifier à une source purificatrice et neutralisante ? Celle du fondement : se fonder, est-ce devoir
à tout prix trouver un « fondement » (根柢、基礎 kontei, kiso) indépassable, ou bien chercher
« sans fin » (dokomademo) le perfectionnement{ XE "Perfectionnement" } de ce fondement dans
un « retour » ( 基に還る moto ni kaeru) perpétuel, renouvelant, et affinant à la source
génératrice ([11], §29 p. 93-94/185-187) ? Ou encore celle de la « corrélation » ( 連結
renketsu, ([11], troisième partie), qui s’expose en particulier ainsi : en vertu de quelle « unité » la
lumière{ XE "Lumière" } rouge{ XE "Rouge" } correspond-t-elle justement à telle longueur
d’onde déterminée, et la lumière verte à telle autre ? ([11], §36-37 pp. 117-122/229-240).
L’approfondissement permet ensuite de mettre en évidence des « logiques » à l’œuvre
dans les méditations de notre philosophe, phénomènes structurants et récurents qui permettent de
mieux le comprendre dans sa démarche ; nous avons pu ainsi parler d’une logique de l’« aspect »
ou de la « face », de la « direction » (方面、面、方向 hômen, men, hôkô) : tout phénomène se
présente selon un aspect unificateur et un aspect différenciateur ([11] §15, 33, 42 pp. 50, 106,
149/98, 209, 302) ; d’une logique de la « hiérarchisation » (優位 yûi/Primat) : l’aspect unificateur
est hiérarchiquement plus élevé que l’aspect différenciateur ([11] préface, §15-19, 33, 42-43 pp.
xxiii, 51-63, 106, 152-159/10, 99-124, 208, 310-325) ; d’une logique de l’« englobement{ XE
"Englobement" } » (包む tsutsumu koto) : l’unité s’englobe elle-même dans son développement
unificateur ; d’une logique de la « conservation » (維持 iji) : l’unité, en s’unifiant et s’englobant, se
conserve, conserve ses formes passées. Ces « logiques » s’articulent au sein d’une structure
complexe et disymétrique, que nous dénommons le « doublage { XE "Doublage" } et le
renversement », et qui correspond à l’emploi par Nishida de l’expression 本末転倒 honmatsutentô
Atelier XXXV : Individu, subjectivité et société au Japon : le point de vue philosophique
« La pensée de l’unification de Nishida Kitarô »
Michel DALISSIER - 3