L’action dictée par la pensée ne peut jamais libérée. Elle ne peut jamais apporter une
solution à nos misères car si la pensée vient d’abord, l’action n’en est qu’une imitation. Elle
n’est que la répétition du passé. Il me vient une idée que je désire réaliser. Comment faire ?
Me voici en train de spéculer et m’énerver sur la façon dont j’aimerais réaliser l’idée.
Alors comment faire pour qu’il y ait une action pure qui ne soit pas une projection avec
le désir d’un résultat ? L’action en vue d’un résultat est la volonté. La vie est alors un devenir
quelque chose qui est un effort, une lutte constante, une douleur. « Le désir de » à son opposé
qui est « la peur de ». Nous ne pouvons vivre une chose sans connaître son contraire.
L’action est spontanée quand elle ne résulte pas d’une idée, lorsqu’une pensée ne la
contrôle pas. C’est une action indépendante. L’idée, la pensée ne s’arrête que lorsqu’il y a
l’Amour. L’Amour n’est pas expérience, n’a pas de mémoire. Il ne pense pas ; quand il entre
en action, alors il est action. Et il n’entre en existence que lorsque l’esprit est totalement
silencieux.
Alors, est-il possible de vivre en abandonnant toutes sortes de sécurité, toute forme de
justifications, nous demande Kishnamurti ? Quand nous essayons de travailler ensemble dans
un but commun, il ne peut y avoir de coopération que si nous ne désirons être rien du tout.
Intellectuellement on coopère mais émotionnellement, on est en conflit car chacun attend un
résultat qui lui donne satisfaction : dominer, être cité avant l’autre, gagner beaucoup d’argent,
etc. Mais si nous créons sans mettre de barrière qui nous abusent, même si elles nous donnent
une certaine vitalité, alors il s’établira une certaine coopération. Chacun a sa méthode pour
atteindre un but commun. Mais l’on se querelle pour faire triompher des théories et le
problème importe peu. Nos croyances et nos opinions nous séparent les uns des autres.
Mais comment pouvons-nous être conscient de nos fonctionnements ? Part-on à la
recherche d’une méthode ? Devons-nous nous soumettre à l’autorité d’une personne ou d’une
idéologie ? Si nous acceptons les conclusions passées, les théories, les expériences des autres,
de ceux qui ont vécu avant nous, nous allons les poursuivre d’une manière modifiée. C’est
une connaissance de seconde main. Protéger l’ancien, continuer l’ancien, n’est pas ce qu’il
faut faire.
Tout ceci détruit notre liberté intérieure, d’où découle notre état créateur. Cette
créativité est la seule réalité. En temps que manifestation, elle est le miroir exact de l’énergie
qui l’a conçue. Il n’y a aucune différence entre les deux. Elle ne peut être copiée par la
pensée. On ne peut l’attteindre par aucun système, aucune discipline, aucune philosophie. Cet
état naturel ne naît donc que par la connaissance de soi et cette compréhension n’est ni un
résultat ni un sommet. On n’a rien à attendre d’elle. Elle est la saveur, le parfum de la liberté,
sa floraison, juste la fin de la recherche.
Elle consiste à se voir d’instant en instant dans le miroir des rapports que l’on entretient
avec les autres personnes, idées ou objets, par nous-mêmes, avec notre seule compréhension
si petite soit-elle. C’est ce que Krishnamurti appelle la connaissance de soi : « Savoir avec
exactitude ce qui « est », le réel, l’actuel, sans l’interpréter, sans le condamner ou le justifier,
est le commencement de la sagesse »14.
Mais il est difficile de regarder son moi ; on a alors un tas de choses à faire, ou à
écouter, au moyen desquelles notre esprit s’épuise et devient insensible. Aors on veut se faire
aider car dans notre vie moderne, on a peu de temps à se consacrer. Des « guides » sont là
pour ça, thérapeutes, conférenciers, écrivains, conseillers. Mais de guide en guide, il faudra
bien un jour que j’enlève ma béquille et la dernière pour échapper à toute méthode et tout
thérapeute. Je n’en aurai plus besoin et j’aurai fait un grand nettoyage.
14 Krishnamurti, La première et dernière liberté, op. cit., p 24.