parce qu’il y a volontairement une certaine ambiguïté dans le but de créer une ambiance plutôt
que de focaliser le discours sur un sujet. Nous appelons ce procédé « discours participatif » en ce
qu’il place les interlocuteurs dans un contexte commun partagé ensemble. En japonais, c'est le
lacis de correspondances qui rend compte de la participation du mot - ou du sujet diffus en
l'occurrence - qui prime sur l'attribution claire et nette exigée dans les langues indo-européennes.
Le souci principal de Nishida, souci qui se manifeste dans d'autres textes aussi, est de détruire le
subjectivisme au sens de théorie basée sur un « sujet - noyau dur » dotés de qualités, propre à la
philosophie occidentale, au profit d'un « subjectivisme » différent, animé par un « soi en action »
ou « sujet agissant » [2, chap.8], qui évolue vers le « monde agissant » (Le monde de l'action,
1933).
En effet, à l’époque de la rédaction d’Art et morale qui est publié en 1923, et notamment suite à
son livre Le problème de la conscience (1920), on pouvait considérer Nishida comme un
philosophe qui met l’accent sur la conscience, et qui, de ce fait, n’échappait pas à la critique qui le
jugeait comme un penseur qui accentue le subjectivisme. Nishida utilise encore les termes « le
sujet » et « la personne » et « le soi » (ou « notre soi ») pour désigner les centres d’action.
Néanmoins, il combat la notion de sujet pris dans un sens de sujet-substance, et on comprend
mieux le soin qu’il met afin de désubstantialiser le sujet, d’en faire un non-sujet ou un sujet sans
substance. Le « je » selon Nishida vibre au diapason avec les sujets alentour, il s'en inspire et y
réagit, il ne les écarte point. De cette manière, Nishida oppose à l'égocentrisme, où le sujet se
trouve au départ et au centre, une théorie d'un « soi périphérique », où le sujet est le champ de
gravitation autour d'un centre, où l'être est activité et se constitue secondairement à la constitution
du champ relationnel.
Le « je » ou la personne se détermine par sa relation aux autres. Quelle est la différence entre la
personne et le sujet? Pour Nishida, le sujet n'est pas la personne, le sujet est l'ego impur tandis
que la personne est l'être humain évolué. Le sujet n'est pas non plus le moi ; le sujet est une
entité, une substance qui existe préalable à tout rapport tandis que le moi, la personne, est un acte
unificateur des actes et relations, un carrefour de relations qui présuppose des rapports
interhumains. C’est l’autre qui est notre chance de nous constituer en personne.
Nishida parle également de « contenu personnel », notion qui permet de prendre encore
davantage de distance vis-à-vis du « sujet » et qu'il ne faut pourtant jamais confondre avec une
entité figée mais plutôt considérer comme un processus continu. Le moi en tant que concept est
toujours soit en arrière de notre vécu immédiat, soit en avant, mais pas au moment présent. Seul
le moi en action est au présent, mais nous ne pouvons pas le connaître de manière objectivée.
En Europe, Hermann Schmitz (*1928), père de la Nouvelle Phénoménologie en Allemagne et d’un
Système de la philosophie (en 5 vol.), jette une lumière intéressante sur la problématique du sujet.
Se situant à la fois dans la lignée Heidegger, Bollnow et Sartre (selon lesquels l'angoisse et la
rupture font que le soi prend conscience de son être et peut rebondir), et proche de la pensée de
Nishida (pour qui la personne est construite par l'environnement, et le sujet défini comme centre
d'une situation ou d'un contexte, non pas opposé au monde, mais faisant partie du monde),
Schmitz définit le sujet comme développement par rétrécissement à partir d'un archi-subjectivisme
très large et englobant, qui fonctionne comme le centre d’une atmosphère ou d’une ambiance.
Nous sommes par conséquent loin du sujet-substance; le sujet selon Schmitz est une entité qui
est en retrait par rapport à la fusion originelle, et qui peut varier en fonction de la sensation que
peut avoir le corps (Leib) dans les mondes au sein desquels il vit. C'est « l'intérêt », fait « d'être
parmi » (du latin inter-esse), c'est le centre d'action, qui éclaire une partie de tout ce qui est
objectif, comme mon domaine subjectif. Ainsi ce qui est subjectif est subjectif par la lumière
personnelle que le moi jette sur l'objectif, et inversement, car il y a toujours retour et détermination
mutuelle. Et c'est dans des moments d'angoisse ou d'émotion forte qu'il y a régression vers l'archi-
subjectivisme.
Schmitz fait des sentiments non seulement un vecteur de la connaissance, mais il propose une
nouvelle définition de la subjectivité au moyen des sentiments; la subjectivité est le propre d'une
Atelier XXXV : Individu, subjectivité et société au Japon : le point de vue philosophique
« Réflexions sur l’individu créatif »
Britta BOUTRY-STADELMANN - 2