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10e Université des CCI - vichy - septembre 2006
J
e tiens à remercier Jean-François Bernardin de son invitation à la 10e Université d’été
des CCI. Les Chambres de commerce et d’industrie ont su moderniser leur réseau
et le mener vers davantage d’efficacité et de visibilité en réconciliant la logique du profit
et la logique d’intérêt général qui fonde la démocratie. En abordant cette thématique
du développement durable, je ne peux m’empêcher d’évoquer les années 70 et de penser
aux enjeux des prochaines élections présidentielles.
Croissance zéro
ou infinie croissance ?
A l’époque, la théorie du Club de Rome connue sous l’appellation “croissance zéro” séduisait
un grand nombre d’intellectuels. Elle consistait à dire qu’en consommant la Terre comme
une matière première, nous finirions par la détruire. Comme il n’existe pas de planète
de rechange, nous devions ainsi impérativement opter pour un autre modèle de croissance.
Cette théorie a longtemps bénéficié d’un soutien assidu.
Face à elle, une autre théorie tenait le devant de la scène : celle de la croissance économique.
Nous pourrions la résumer par la phrase de Keynes : “A long terme, nous serons tous morts”.
Pendant longtemps, les politiques macro-économiques à courte vue ont été les seuls guides.
Il fallait maintenir le moteur économique en y injectant du pouvoir d’achat, de l’investissement,
de la demande intérieure et extérieure. Ces deux modèles se sont affrontés. Depuis, les choses
ont changé.
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Il est aujourd’hui possible d’inventer un modèle économique complètement nouveau,
avec une perspective de croissance infinie, grâce à l’intelligence. En effet, un certain nombre
de secteurs relèvent de la pure intelligence et de la croissance immatérielle et ne consomment
ni énergie, ni matériaux épuisables. Dans les domaines des télécommunications, de la création, des activités de loisirs par exemple, certaines grandes entreprises contribuent à une croissance que nous pouvons imaginer infinie. Le succès de la romancière J. K. Rowling, auteur
de “Harry Potter” , est une autre illustration de ce modèle. Son héros imaginaire a participé
à la croissance britannique de façon non négligeable. C’est une pure réussite économique
totalement immatérielle, dont la valeur ajoutée, née d’un cerveau, est parvenue à séduire
des millions de personnes dans le monde entier. Aujourd’hui, l’économie est mondialisée,
elle n’est plus limitée à l’Europe et aux Etats-Unis. Face à la concurrence, il ne nous est plus
permis de rester généraliste. Nous devons nous réorienter vers les activités économiques
les plus performantes, les plus innovantes et les plus propres à notre identité française.
Monde fini ou nouvelles frontières... Quel futur pour l’aventure humaine ?
L’aura du développement durable
Si nous devons nous pencher sur un autre modèle de croissance économique, il est intéressant
de souligner que le concept de développement durable a, en France, une aura toute particulière.
Le Président de la République a une réelle autorité dans le monde sur ce sujet, qu’il s’agisse
de la protection de l’environnement, des ressources rares, de la faune, de la flore ou de
la réduction des déséquilibres entre les pays riches et les pays pauvres. Cette autorité est
un atout pour un certain nombre d’entreprises. Véolia a en partie gagné des marchés dans
les pays émergents grâce à l’excellente réputation de la France sur des sujets comme le traitement de l’eau. Il est d’ailleurs impossible d’aborder la question de l’eau potable sans évoquer
celle du service public. La France a toujours cultivé ce sens de l’intérêt général et de l’avenir
dans un certain nombre de secteurs, et notamment celui de l’eau. De même, le débat sur
la privatisation de Gaz de France permettra peut-être de montrer que nous avons une vision
économe de l’énergie.
Le commerce,
facteur de développement durable
De manière plus prosaïque, je crois que nous pouvons aussi faire
du développement durable par les activités de commerce.
Le commerce équitable est un premier exemple. En achetant autrement, équitablement, les consommateurs se sentent en quelque sorte
dépositaires du devenir de la planète. Le produit ainsi acheté, même
s’il est parfois plus cher qu’un produit standard, ne remplit plus
seulement une fonction d’usage. Il prend une portée citoyenne
et civique. Dans ce domaine, les Français ont apporté leur pierre
même s’ils n’étaient pas vraiment en avance. Les Suisses ont été les premiers clients du commerce équitable. En revanche, la France est le seul
pays d’Europe à apporter une garantie d’Etat au commerce équitable
afin qu’il ne soit pas exploité à des fins mercantiles. Une commission
nationale veille à ce que les produits vendus en France soient
réellement équitables. Elle vérifie que les paysans et les producteurs
en bout de chaîne sont bien rémunérés selon les critères de cette
valeur nouvelle.
L’urbanisme commercial pourrait également être une autre manière de soutenir un mode
de développement durable. J’ai toujours été frappé par le contraste entre le coeur des villes
françaises et leurs zones commerciales. Les centres-villes sont soignés, les façades ravalées,
les monuments historiques mis en valeur. A quelques centaines de mètres, c’est le cauchemar
des zones commerciales hideuses, construites à la va-vite, sans aucun souci du vieillissement
de l’architecture ni de la préservation du paysage. Dans ce domaine, les pouvoirs publics peuvent et doivent intervenir. Or la législation actuelle n’a pas porté ses fruits. Alors que la loi Royer
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était censée réguler les implantations commerciales, la surface des grands magasins va tripler
dans les dix ans à venir. Il est impératif que nous instaurions un nouveau système. J’ai ainsi
proposé au réseau des Chambres de commerce et d’industrie de travailler à une nouvelle législation sur l’urbanisme commercial qui intègrerait trois critères de développement durable.
Tout d’abord, nous devons contribuer à la lutte contre l’effet de serre. Le bâti et le transport
sont les deux sources principales de pollution par les gaz carboniques. Nous pourrions construire
des bâtiments commerciaux respectant les critères de haute qualité environnementale et
de haute qualité énergétique afin de moins polluer. D’autre part, il est nécessaire d’améliorer
le traitement visuel des bâtiments. Nous pouvons nous inspirer des exemples scandinaves
ou anglo-saxons en nous souciant des matériaux utilisés, de l’architecture, de son insertion
dans le paysage, des espaces verts, de l’accueil, etc. Nous pouvons, pour y parvenir, rapprocher
deux démarches jusqu’à présent séparées dans la loi : le permis
de construire qui porte sur le bâtiment et l’autorisation
d’urbanisme commercial qui porte sur la surface. Marier ces deux
démarches permettrait d’avoir un traitement du bâtiment et
de son environnement beaucoup plus positif qu’aujourd’hui.
Enfin, nous devrons réconcilier les coeurs de ville et leur périphérie en faisant en sorte que les centres-villes ne deviennent plus
des déserts commerciaux occupés principalement par des banques,
des assurances et quelques opticiens. Peu à peu, ce qui fait
la richesse et la couleur des coeurs de ville disparaît. Ce phénomène est principalement lié au manque de moyens financiers
et au stationnement devenu extrêmement cher. Pour y remédier, nous devons créer un système qui agisse sur le foncier, sur
le stationnement, sur l’accueil, mais aussi sur le développement
des commerces en périphérie pour rendre le centre-ville de nouveau attractif.
Ces quelques exemples montrent bien que le commerce peut
devenir un facteur clé du développement durable.
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Les entrepreneurs,
porteurs de l’intérêt général
Les deux exemples précédents, celui du commerce équitable et de l’urbanisme commercial,
ont montré que le développement durable est une idée généreuse pouvant être conciliée avec
l’esprit d’entreprise. Certes, les hommes politiques, les intellectuels, les sociologues tentent
de savoir ce qui se passera demain. Mais ce sont souvent les entrepreneurs qui concrètement
fabriquent l’économie et la société futures. Je suis persuadé qu’ils seront les plus en pointe
sur la construction d’un monde plus propre, plus juste et plus protecteur de l’environnement.
Nous en avons la preuve tous les jours. Ils sont à l’origine d’un très grand nombre d’innovations, que ce soit dans le domaine de la santé, des services, de la formation ou des technologies.
Ces derniers temps, l’image des entrepreneurs
a été sérieusement écornée. Un certain nombre
de dirigeants de groupes du CAC 40 s’étant
dotés de parachutes de dizaines de millions
d’euros ont suscité l’indignation de nos concitoyens. Il est, à ce propos, impératif de faire
la différence entre les entrepreneurs et les managers. Les entrepreneurs créent ou reprennent
une entreprise et la développent. Quand ils
cèdent leur entreprise, il est juste qu’ils engrangent une plus value à la hauteur du risque
entrepreneurial qu’ils ont su prendre. Ils méritent un soutien absolu de la part des pouvoirs
publics. En revanche, les managers, qui arrivent
dans une grande entreprise en tant que salarié,
restent quatre ou cinq ans puis, ayant échoué, repartent avec une récompense de plusieurs
dizaines de millions d’euros, ne peuvent bénéficier de la même considération. Ces phénomènes choquent les Français et je partage leur sentiment à cet égard. Néanmoins, si nous devons
porter un regard juste sur les excès du capitalisme, il est aussi juste de reconnaître au capitalisme ses vertus en termes de création de richesse, d’innovation et de liberté. Les entrepreneurs
ne sont pas les ennemis de l’intérêt général.
Le pays a souffert durant trop longtemps d’un énorme poids qui a écrasé l’esprit d’entreprise.
Ensemble, nous sommes parvenus à le réveiller.
Actuellement, 230 000 entreprises sont créées chaque année, contre 175 000 il y a 6 ans.
Plus que jamais nous devons mettre les entrepreneurs au coeur d’un projet de société. Il s’agira
de rechercher l’efficacité économique pour notre pays tout en intégrant des critères d’intérêt
général de plus en plus nombreux comme l’éducation, l’équité sociale ou la protection
de l’environnement.
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