URI : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article19573 Europe Solidaire Sans Frontières > Français > Mouvements > Sur : Biens communs & Environnement > Climat > Cancun : le marketing gouvernemental cache mal l’urgence climatique Edito Cancun : le marketing gouvernemental cache mal l’urgence climatique samedi 25 décembre 2010, par BUCLIN Hadrien (Date de rédaction antérieure : 16 décembre 2010). Certes, par comparaison avec le fiasco de Copenhague, le sommet de Cancun qui s’est achevé le week-end dernier permet aux principaux dirigeants de la planète de sauver la face sur la scène médiatique. Mais à y regarder de plus près, le texte issu des négociations est loin d’être à la hauteur de l’urgence climatique. En particulier, parce qu’il ne fixe aucun objectif contraignant en matière de réduction des gaz à effet de serre. Pire encore, les pays développés n’ont pas annoncé d’objectifs plus ambitieux que ceux, extrêmement timides, qui s’étaient dégagés de Copenhague. Or, les experts de l’ONU ont estimé que les engagements annoncés à Copenhague se solderaient par une hausse de la température moyenne du globe de 4°C au moins d’ici 2100. Rappelons qu’au-delà de 2°C de hausse d’ici la fin du siècle, les scientifiques s’accordent à dire que la planète s’achemine vers une catastrophe écologique et sociale d’une ampleur inouïe (inondations, sécheresses, famines de masse, destruction de la biosphère), frappant des centaines de millions d’individus, en particulier dans les pays pauvres. Pour ne pas trop dépasser le seuil des 2°C, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) précise que les pays développés doivent réduire leurs émissions de 80 à 95 % d’ici 2050, par rapport au niveau de 1990. Comme ces projections sont basées sur des modèles climatiques qui n’intègrent pas les phénomènes non linéaires (par exemple, la désintégration des calottes glaciaires), le principe de précaution recommande de choisir les objectifs les plus drastiques. Les Etats-Unis, responsables de 14,3 % des émissions, avaient annoncé à Copenhague un objectif de 17 % de réduction par rapport à 2005 d’ici 2020, alors que leurs émissions ont augmenté de 30 % depuis 1990 ! Cette promesse ultra- minimaliste ne sera pourtant pas tenue, le Sénat n’ayant pas adopté la loi sur le climat proposée par Barack Obama. Cet échec du président américain, intervenu après le sommet de Copenhague, amènera sans doute les experts à revoir leurs prévisions de hausse à plus de 4°C d’ici 2100 : de quoi mettre en cause les plans de com’ gouvernementaux savamment orchestrés à l’issue de Cancun. La Suisse ne fait pas mieux. Elle s’est engagée dans le cadre du protocole de Kyoto (qu’elle a d’ailleurs signé très tardivement) à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 8 % entre 2008 et 2012 par rapport à 1990. Or, non seulement elle ne respecte pas cet engagement, mais pire, ses émissions ont augmenté par rapport à 1990 ! Les pays riches se gargarisent de la mise sur pied d’un « Fonds vert » destiné à aider les pays dits « en développement » à réduire leurs émissions. Outre que son financement n’est pour l’instant aucunement garanti – en fait, il s’agira sans doute de recycler des fonds déjà destinés à l’aide au développement – celui-ci est placé sous le contrôle de la Banque mondiale. On sait de quelles conditionnalités drastiques ce bras armé du néolibéralisme assortit ses prétendues aides aux pays pauvres : privatisation des services publics, cure budgétaire radicale, bref, destruction de tout ce qui permettrait de mettre en œuvre de véritables politiques écologiques et sociales. Surtout, il y a bien de l’hypocrisie de la part des pays riches à vouloir « aider » les pays « émergents », alors même que ces derniers sont les seuls à respecter à peu près les recommandations du GIEC en matière de réduction des émissions (la Chine prévoit ainsi de réduire ses émissions de 40 à 45 % par l’amélioration de l’efficience énergétique d’ici 2020 ; le Brésil de 36 à 39 % ; l’Inde de 20 à 25 % ; l’Indonésie de 26 %, etc.), contrairement aux grandes puissances du Nord dont la responsabilité historique dans le processus de réchauffement est pourtant écrasante. L’urgence climatique et les catastrophes qu’elle laisse présager offrent pourtant deux chances précieuses à saisir pour les militant·e·s anticapitalistes. D’abord, la lutte contre la menace climatique est un formidable argument en faveur de l’internationalisme : lorsque le mode de production et de consommation des Américains ou des Brésiliens implique un impact direct sur la fonte des glaciers et du permafrost en Suisse, la seule réponse rationnelle ne passe-t-elle pas par une coopération accrue entre les peuples afin de trouver des solutions globales au réchauffement ? Un raisonnement d’autant plus décisif en Suisse, petit pays aveuglé par la croyance purement idéologique en son destin de « cas particulier », bien à l’abri derrière ses montagnes et sa prétendue neutralité… Plus généralement, l’urgence climatique est un argument de poids en faveur d’un changement radical de système économique, dans la mesure où le capitalisme, même repeint en vert, offre la preuve quotidienne de son incapacité à résoudre cette crise. L’alternative dont parlait Rosa Luxemburg il y a près d’un siècle apparaît plus actuelle que jamais : « Socialisme ou barbarie ». Hadrien Buclin Pourquoi la Bolivie n’a pas signé l’accord de Cancun Au moment où la publication de courriers diplomatiques par Wikileaks révèle les moyens de pressions drastiques mis en œuvre par les États-Unis pour faire accepter les accords de Copenhague aux pays du Sud, le refus de la Bolivie, seul pays qui n’a pas signé l’accord de Cancun, prend une dimension particulièrement significative ; même si le gouvernement d’Evo Morales peut être critiqué par ailleurs d’un point de vue écologique, notamment pour sa politique d’extraction de minerais problématique pour l’environnement et les populations. Nous publions ici un extrait de la déclaration de la délégation bolivienne à l’issue de Cancun (réd.) L’Etat plurinational de Bolivie estime que le texte de Cancun est vain et qu’il s’agit d’une fausse victoire, imposée sans consensus ; son coût se mesurera en vies humaines. Il n’y a qu’un moyen de mesurer le succès d’un accord sur le climat, c’est de déterminer si oui ou non il conduit à une réduction effective des émissions de gaz à effet de serre. Ce texte échoue de ce point de vue, il permettra une augmentation de 4 degré des températures, soit un niveau désastreux pour l’humanité. Des rapports scientifiques récents rapportent que, chaque année, 300’000 personnes meurent en raison de désastres liés au changement climatique. Ces rapports soulignent que ce nombre pourrait bientôt s’élever à un million par an. Cela, nous ne pouvons pas l’accepter. La prétendue victoire du multilatéralisme est en réalité la victoire des nations riches. Ces dernières ne nous offrent rien de nouveau en termes de réduction des émissions ou de financement et ne font que s’en tenir aux engagements existants, qui incluent tous les vides juridiques possibles pour que les nations riches n’aient pas à tenir leurs engagements. La Bolivie arrivait à Cancun avec des propositions concrètes, saluées par 35 000 personnes lors de la Conférence historique de Cochabamba en avril 2010. Celles-ci apportaient des solutions justes à la crise climatique et s’attaquaient à ses causes. Elles ont été systématiquement écartées à Cancun. P.-S. * Paru en Suisse dans « solidaritéS » n°180 (16/12/2010), p. 3..