1
Prise de position d’Addiction Info Suisse sur la révision totale de la
Loi sur l’alcool (LAlc)
Appréciation générale du projet de loi
La révision totale de la Loi sur l’alcool offre une opportunité unique de traiter la
consommation d’alcool en tant que préoccupation de santé publique. C’est aussi l’occasion
de créer une base légale d’avenir, qui intègre les acquis de la science et de la pratique tant
au niveau des effets et des conséquences de la consommation d’alcool que de l’efficacité
des mesures de la politique en matière d’alcool
Addiction Info Suisse estime que le présent projet de loi ne le fait malheureusement pas
suffisamment. Nous regrettons infiniment que ledit projet ne tienne pas compte des
enseignements scientifiques relatifs aux conséquences sanitaires et sociales de la
consommation d’alcool et à l’efficacité des mesures structurelles en la matière. Le projet de
loi fait également fi des recommandations de la "Stratégie alcool" de l’Organisation mondiale
de la santé (OMS). Il semble au contraire que les principes de la liberté du commerce
prédominent dans ce projet de loi face aux intérêts de la santé publique.
Addiction Info Suisse regrette que ce projet n’engage pas plus fortement la responsabilité
des acteurs sociaux de tous les domaines concernés, afin de contribuer à réduire l’impact de
la problématique alcool. La consommation problématique d’alcool touche en effet tous les
groupes et toutes les couches de la population; elle n’est pas un problème qui se règle
seulement au niveau individuel mais constitue un thème central de santé publique. Aussi est-
ce une tâche de l’Etat et donc du législateur de protéger la collectivité des effets nocifs de
cette consommation. En ce sens, les mesures structurelles y relatives doivent bénéficier d’un
ancrage légal.
Quelques exemples:
Certaines mesures tarifaires telles que l’adaptation du taux d’imposition des
spiritueux au renchérissement et l’imposition des boissons alcooliques en fonction de
leur teneur en alcool peuvent être très facilement mises en œuvre et sont des
mesures dont l’efficacité est largement éprouvée dans la littérature scientifique: pour
contribuer à éviter ou diminuer la consommation problématique d’alcool. Or de telles
mesures ne figurent dans aucun des deux projets de lois présentés.
De même regrettons-nous l’absence de restrictions plus étendues dans le domaine
de la publicité pour l’alcool et du sponsoring. L’influence de la publicité sur le
comportement des jeunes consommateurs est largement confirmée par nombre
d’études scientifiques. Quant au sponsoring de manifestations sportives et
culturelles, il a un effet très marqué sur le public cible des jeunes. La corrélation
positive entre alcool et sport créée par le sponsoring est donc des plus
problématiques du point de vue sanitaire.
2
Il est également très regrettable que la remise à bas prix de boissons alcooliques ne
se voit qu’à peine restreinte, restant encore possible hormis quelques brefs
créneaux horaires pour la bière et le vin. Et ce alors qu’il est scientifiquement
démontré qu’actions et promotions augmentent la consommation d’alcool – en
particulier de la part des jeunes consommateurs et favorisent l’ivresse ponctuelle.
Nous jugeons positivement l’harmonisation des mesures préventives existantes propres à
améliorer la protection de la jeunesse. Le projet de loi manque cependant de cohérence à
cet égard, certaines mesures très efficaces n’étant pas prises en considération alors que
seul un paquet global de mesures peut générer des conditions nouvelles à même
d’engendrer un changement durable.
Nous apprécions que les cantons continuent de disposer d’une marge de manœuvre pour
des activités dans le domaine de la politique de l’alcool.
Enfin, la distinction entre loi sur l’alcool et loi sur l’imposition des spiritueux rite d’être
saluée. Néanmoins, la perspective santé publique ne doit pas être négligée, y compris lors
de la fixation des taux d’imposition.
3
Remarques sur la Loi sur l’alcool
Rapport explicatif: Chapitre 2.1.1 Evolution du marché et chapitre 2.1.2 De la
consommation au plaisir de consommer
Le Rapport explicatif énumère, en page 7, quelques unes des conséquences négatives de la
consommation d’alcool. L’accent y est avant tout mis sur les effets sanitaires que l’on peut
mesurer et diagnostiquer ainsi que sur les préoccupations politiques liées à la sécurité. Par
contre, il n’est pas fait mention, ou trop peu, des souffrances indirectes ou immatérielles
causées notamment par la consommation d’alcool au sein de la famille, ainsi que des
violences les à l’alcool. C’est ainsi qu’on estime à quelque 100'000 le nombre d’enfants et
adolescents grandissant dans des familles connaissant des problèmes d’alcool. Or il est
scientifiquement avéré que ces enfants et adolescents non seulement souffrent de cette
situation difficile mais présentent aussi un risque fortement accru de développer plus tard
eux-mêmes une dépendance à l’alcool ou d’autres troubles psychiques. De même est-il
avéré que nombre de violences sont liées à la consommation d’alcool et que, de surcroît, les
victimes de violences en font souvent subir à leur tour.
Compte tenu de ces faits amplement démontrés et des importants effets négatifs de la
consommation d’alcool sur la société, l’affirmation du chapitre 2.1.2 selon laquelle la grande
majorité de la population consomme uniquement pour le plaisir minimise la réalité et ne tient
pas suffisamment compte de la complexité de cette thématique. L’alcool n’est pas un bien de
consommation ordinaire mais une substance psychoactive; ce n’est pas simplement un
produit d’agrément mais clairement aussi un produit engendrant la dépendance doté d’un
fort potentiel de nocivité et indiscutablement dangereux tant pour la personne qui en
consomme que pour des tiers. Il est prouvé que la consommation abusive d’alcool est
largement répandue en Suisse et a des conséquences négatives pour celles et ceux qui en
consomment comme pour leur entourage et l’ensemble de la société. Aussi la consommation
d’alcool est-elle à tous égards un thème de santé publique et doit-elle aussi être envisagée
de ce point de vue là.
Il serait donc souhaitable et approprié de substituer à l’actuel chapitre 2.1.2 un chapitre à
part, exposant de manière détaillée les conséquences sociales de la consommation d’alcool.
Commentaires sur les différents articles
Art. 1. But
La "gestion responsable des boissons alcooliques" telle que formulée dans cet article ne
rend compte, comme souligné dans notre appréciation générale, que des aspects relevant
de la responsabilité individuelle. Pour protéger la société des conséquences de la
consommation problématique d’alcool, tous les acteurs sociaux sont invités à assumer leurs
responsabilités. C’est ce que permettent entre autres les mesures de régulation du marché
de l’alcool prévues par la présente loi (réduction de l’accessibilité, restrictions de vente,
fixation des prix, limitation de la publicité et du sponsoring). Le but de la loi étant la protection
de la santé publique.
4
Vouloir uniquement réduire les dommages dus à l’alcool est fondamentalement insuffisant.
La prévention représente un autre aspect très important, qui consiste à éviter la
consommation problématique ou ses dommages indirects.
Enfin, il convient de supprimer la lettre c. Une loi oblige par définition tous les acteurs
concernés à respecter les mesures et dispositions qu’elle contient. Une indication,
respectivement une invitation à agir de manière responsable ne saurait donc suffire. Les
expériences de divers pays européens montrent que l’industrie de l’alcool est volontiers
disposée à établir, sur une base volontaire, ses propres réglementations par exemple dans
le domaine de la publicité pour l’alcool – mais qu’elle ne se montre nullement conséquente
quant au respect de ces soi-disant "codes of conduct". Ce qui est d’autant plus
problématique qu’il n’existe aucun moyen légal de sanctionner les violations desdits "codes"
ou d’en exiger
1
le respect. Comme le Rapport explicatif l’établit fort à propos, la sauvegarde
de la santé publique est une tâche incombant à l’Etat. Il est par conséquent de la plus haute
importance d’inscrire dans la loi des mesures claires et de ne pas s’en remettre au bon
vouloir d’acteurs guidés par des intérêts mercantiles.
Modifications proposées:
Al. 1 La présente loi a pour but la régulation du marché de l’alcool, avec pour objectif la
protection de la santé publique
Abs. 2 Elle vise à:
a) éviter et réduire la consommation problématique d’alcool;
b) éviter et réduire les dommages que la consommation problématique d’alcool peut
causer à la santé des consommateurs ou à celle d’autres personnes.
Art. 2 Définitions
Addiction Info Suisse salue l’introduction et la définition claire, dans la version française, de
la notion de "boissons alcooliques" (lit. a).
A la lettre f, "achats fictifs", inadéquat, doit être abandonné et remplacé par un autre terme.
Modification proposée:
f) Achats tests: Achats effectués par des adolescents n'ayant pas encore l'âge
légal prévu par la loi, dans le but de vérifier le respect les mesures de protection de la
jeunesse.
1
Communiqué de presse de la Deutsche Hauptstelle für Suchtfragen du 12 août 2010: Muschi, Ficken und
Arschgeweih: Deutscher Werberat versagt!
http://www.dhs.de/makeit/cms/cms_upload/dhs/dhs_pressemitteilung_deutscher_werberat_versagt.pdf
5
Art. 3 et 4, Publicité pour les spiritueux et publicité pour les autres boissons
alcooliques
Compte tenu des résultats de la recherche scientifique, qui démontrent l’influence de la
publicité pour l’alcool sur le comportement des consommateurs, traiter différemment les
diverses boissons alcooliques, comme le prévoit le projet de loi, est incompréhensible et
encore moins défendable. Nombreuses sont les études qui prouvent en effet qu’un début
précoce de consommation accroît la probabilité de développer, à l’âge adulte, une
consommation problématique d’alcool
2
. Une prévention efficace, basée sur les acquis
scientifiques, implique de limiter de manière identique, quelles que soient les boissons
alcooliques, les possibilités den faire la publicité.
La réglementation actuelle, qui ne restreint guère la publicité pour la bière et le vin ainsi que
le sponsoring de manifestations sportives et culturelles, a pour effet de permettre que les
jeunes soient constamment confrontés à la publicité pour l’alcool (particulièrement la bière)
au travers de canaux divers (télévision, cinéma, affiches, manifestations sportives, festivals,
journaux gratuits). La publicité pour la bière, notamment, est truffée d’éléments de type
Lifestyle, associant des situations de consommation à des expériences sociales positives,
expériences auxquelles ne peuvent qu’aspirer tant les jeunes que les adultes. L’interdiction
de représenter des consommateurs de moins de 18 ans n’est nullement suffisante, les
jeunes prenant volontiers le monde des adultes pour modèle et adoptant donc aussi leurs
modes de consommation et leur style de vie.
Les prescriptions interdisant la publicité pour la bière et le vin lors de manifestations
auxquelles participent surtout des personnes de moins de 18 ans ne tiennent pas compte de
la situation actuelle. Festivals et manifestations sportives sont très appréciées des jeunes, y
compris des moins de 18 ans. Passe-t-on en revue les sponsors principaux des grands
festivals suisses de musique qu’on constatera que les producteurs de bière y figurent sans
exception au premier rang, recherchant de plus la faveur du public avec des concours divers.
Une protection plus efficace de la jeunesse ne peut dès lors être pratiquée qu’à condition de
passer d’une publicité de type Lifestyle à une publicité objective ayant directement trait au
produit et d’interdire le sponsoring de certaines manifestations par les producteurs d’alcool.
2
Anderson, P. (et al.) (2009). Impact of alcohol advertising and media exposure on adolescent alcohol use. A
systematic review of longitudinal studies. In : Alcohol and Alcoholism, 44, 229-43.
British Medical Association (2009). Under the influence. The damaging effect of alcohol marketing on young
people. http://www.bma.org.uk/images/undertheinfluence_tcm41-190062.pdf
Jernigan, D.H. (2006). The extent of global alcohol marketing and its impact on youth. A paper prepared for the
World Health Organization. Washington, DC : Center on Alcohol Marketing and Youth.
Rehm, Jürgen (2004). Werbung und Alkoholkonsum. Wissenschaftliche Grundlagen und Konsequenzen für
politische Massnahmen. Zürich : ISF.
Science Group of the European Alcohol and Health Forum (2009). Does marketing communication impact on
the volume and patterns of consumption of alcoholic beverages, especially by young people ? A review of
longitudinal studies.
Smith, L; Foxcroft, D. (2009). The effect of alcohol advertising and marketing on drinking behaviour in young
people. A systematic review. In: BMC Public Health 9:51.
1 / 13 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !