Note au chapitre 2 : Évaluation de la durabilité

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EVALUATION DE LA DURABILITÉ – COMMENTAIRES
Note au chapitre 2 : Évaluation de la durabilité – commentaires
par Bertrand HAMAIDE1
I. Mesures agrégées des progrès éventuels en matière de développement durable
La plupart des pays se sont aujourd’hui dotés d’indicateurs de développement intégrant les spécificités du développement soutenable2. Qu’ils soient présents sous forme de tableaux de bord, qu’ils soient monétaires ou exprimés en unités physiques, qu’ils soient des indices classiques ou composites, ces indicateurs de développement durable sont très largement utilisés et consultés. Ils ont été affinés et précisés au cours du temps et on peut aujourd’hui calculer dans la quasi totalité des pays, outre le PIB, l’ISEW (Index for Sustainable Economic Welfare), le HDI (Human Development Index), le GPI (Genuine Progress Indicator) ou autre EF (Ecological Footprint), par exemple. Ces indicateurs permettent d’évaluer, en fonction de leurs hypothèses propres de construction, le bien être d’une communauté ou d’un pays et sa soutenabilité. En prenant la définition Bruntlandienne du développement durable, les indicateurs qui s’y rapportent visent à s’assurer d’une non 1. Facultés universitaires Saint-­Louis, Bruxelles, Belgique
2. Les termes ‘développement durable’ et ‘développement soutenable’ sont ici utilisés de manière tout à fait interchangeable.
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décroissance de la base productive de l’économie (stock de capital acceptant les substitutions entre capital physique et naturel) dans le temps. Même en restant dans le champ de la soutenabilité faible en phase avec l’économie néo-­classique, et même en prenant en compte les batteries d’indicateurs les plus connus et acceptés par le plus grand nombre dans la communauté scientifique des économistes, la mesure du développement durable d’une communauté ou d’un pays semble finalement plus complexe à déterminer que la recette de cuisine du simple calcul d’indicateurs.
A titre d’illustration, récemment, Dasgupta (2007), dans un article dénommé « Measuring sustainable development : theory and application », montre que les indices classiques ne déterminent pas nécessairement de manière correcte la compatibilité des politiques macroéconomiques d’un pays avec le développement soutenable compris au sens faible. En prenant une série de pays riches et pauvres comme étude de cas, il démontre qu’une économie nationale se développe de manière soutenable si et seulement si, en proportion de sa population, son « investissement inclusif » (inclusive investment) n’est pas négatif. Le but de ce commentaire n’est pas de rentrer dans le détail de l’article, mais plutôt de noter que le corps scientifique ne parle pas d’une voix unique. En effet, d’après Thiry et Cassiers (2012), l’approche productiviste du calcul de l’investissement inclusif rend la vision du développement soutenable trop étroite. Et, sur base des hypothèses de Dasgupta, le PIB par habitant et même l’HDI (qui peut augmenter alors même que la base productive de l’économie, prenant en compte des formes de capital naturel, se rétrécit) ne semblent pas être de bonnes mesures de bien-­être humain à long terme, et partant, de développement qualifié de soutenable.
Mesurer la soutenabilité d’un pays n’est donc pas immédiat et ce n’est pas une simple règle de calcul à appliquer, même s’il existe un corpus théorique abondant et si nombre d’indices peuvent être calculés. Cette mesure de soutenabilité et du progrès n’est pas ce que Jean-­Pierre Revéret (2012) aborde dans son article. En amont de ces calculs agrégés, il existe des activités économiques qui contribuent à développer un pays ou une communauté, qui fera ensuite l’objet d’un calcul et de mesures de développement durable. C’est sur ces activités économiques que Jean-­Pierre Revéret se penche en les examinant et en essayant de les évaluer pour aider à les formater de manière telle 36
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que les actions qui en découlent pourront être qualifiées de durables et contribueront donc de facto à une amélioration de la mesure de soutenabilité qui vient d’être évoquée.
II. Évaluation des activités qui contribuent au développement durable
Un pays ou une communauté dont les activités économiques ne sont pas guidées, dès leurs conceptions, par une perspective de soutenabilité pourra difficilement améliorer son statut agrégé, toutes autres choses étant égales par ailleurs, de durabilité. Si ce fait est assez simple à comprendre, la manière d’envisager l’évaluation ex-­ante des activités potentielles d’un pays ou d’une communauté pour les modifier (voire les encourager ou les proscrire) afin de favoriser la durabilité est bien plus complexe. Comme l’explique Revéret (2012), au corpus théorique bien défini des indices de soutenabilité agrégés, on est ici devant une construction, généralement bottom-­up, qui part d’une logique de projet et d’ingrédients davantage pratiques que théoriques, pour ensuite monter vers le stratégique, le tout encadré par des scientifiques. Ce corpus est donc mouvant, en développement, mais semble acquérir un intérêt de plus en plus large, une scientificité de plus en plus importante et, même si du chemin reste à parcourir, semble être un outil puissant pour orienter des politiques dans la lignée du développement durable, dès le début de, et même avant, leur conception. Jean-­Pierre Revéret évoque en détail l’évolution de l’EIE (Etude de l’Impact sur l’Environnement – EIA, Environmental Impact Assessment, en anglais), qui est une analyse au niveau d’un projet, vers l’EES (Evaluation Environnementale Stratégique – SEA, Strategic Environmental Assessment, en anglais) qui est une analyse au niveau stratégique. Si l’EIE est davantage typée micro (au niveau du projet), l’EES, développée plus tard dans le temps, concerne les PPP (Politiques, Plans et Programmes) et est davantage axée macro, ce qui la rend de facto plus pertinente pour évaluer la contribution au développement durable. Pour aller plus loin encore dans la perspective du développement soutenable, l’EES peut se muer en ESS (Evaluation Stratégique de la Soutenabilité) qui va au-­delà de la perspective environnementale pure pour intégrer les différentes dimensions du développement durable (d’ailleurs, le terme « environnement » de l’EES est remplacé par le terme « soutenabilité » dans l’ESS alors que 37
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le vocable « stratégique » est maintenu).
Ces différentes analyses n’ont pas pour but d’annuler et remplacer la précédente mais il me semble qu’elles ont toutes les trois une plus value à apporter pour « soutenabiliser » la vie économique. En effet, dans l’exemple des hydrocarbures du Golfe Saint-­Laurent, Jean-­Pierre Revéret relève que le projet EES est arrivé bien en amont de quelque PPP. C’est un peu comme si de manière très innovante, un gouvernement local (ou national) se posait la question suivante : « comment dois je réfléchir à une exploration éventuelle des hydrocarbures dans le futur pour être en lien avec les préceptes du développement durable ? » Autrement dit, l’idée sous-­jacente semble être la réalisation d’une ESS et, sur base des conclusions de l’analyse, il sera éventuellement décidé de développer des PPP sur lesquels se baseront de futures EES. Puis, plus tard encore, quand un choix éclairé et mû par la perspective du développement durable sera réalisé, une EIE précise, détaillée, abordera les aspects d’impacts environnementaux. Une étude n’annule donc pas l’autre, au contraire, elles sont complémentaires. Autant l’EES est pro-­active, autant l’EIE est réactive aux propositions de développement (Alshuwaikhat, 2005). Utilisées en séquence, elles ont donc toute raison d’être maintenues l’une après l’autre. D’ailleurs, comme le montre Jean-­Pierre Revéret, faire l’économie d’une EES (sachant ce qu’une ESS préliminaire peut également apporter) pour directement entamer une EIE nous cantonne dans un spectre trop précis, trop réducteur et qui n’assurera pas nécessairement la durabilité d’une politique. En outre, une analyse par projet (EIE) ne peut suffire à elle-­même car certains paramètres tels les effets cumulés des impacts tolérables d’une politique particulière ne peuvent être pris en compte par ce genre d’analyse (Fry et al., 2011).
En résumé, comme l’expliquent Bruhn-­Tysk et Eklund (2002), l’EIE est surtout un outil pour une perspective locale et à court terme sur un projet particulier, alors que, comme mentionné par Revéret, les problématiques de développement durable s’analysent selon un aspect macro avec une vision à long terme ;; deux des sept principes du développement durable tirés de Gibson sont d’ailleurs l’équité intergénérationnelle et l’intégration de long terme.
Malgré ces précisions, bien du chemin reste à parcourir : beaucoup d’EIE n’ont pas encore d’EES en amont et, à titre d’illustration sur leur 38
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importance quantitative respective actuelle, une recherche sur les termes « Environmental Impact Assessment » et « Strategic Environmental Assessment » sur google et google scholar donne respectivement 28 millions et 2,99 millions de résultats pour le premier terme et 6,8 millions et 1,77 millions pour le second.
Outre l’EES, une autre technique d’évaluation de la durabilité présentée par Jean-­Pierre Revéret est l’Analyse du Cycle de Vie (ACV) et plus précisément, l’ACV environnemental. Je ne vais pas rentrer dans le cœur du sujet puisqu’il est expliqué en détail dans une autre intervention (Revéret et Parent, 2012). Je dirai simplement que, tout comme l’évolution de l’EIE vers l’EES (voire l’ESS), l’analyse du cycle de vie environnemental a également évolué pour englober, via des analyses séparées, le coût du cycle de vie et les aspects sociaux afin d’intégrer les trois aspects (environnement, économie et social) du développement durable et donc de pouvoir évaluer les biens et services en termes de soutenabilité.
III. Et donc
Ces deux techniques, originellement centrées sur l’environnement, ont ensuite accaparé les sphères économique et sociale pour devenir des outils d’aide à la décision et à la formulation de politiques et propositions respectueuses du concept de développement durable. Beaucoup reste à faire et de nombreuses imperfections existent, mais si la logique de projet et l’EIE ont un spectre trop étroit que pour pouvoir prétendre évaluer la durabilité, l’évolution vers une logique stratégique (EES ou ACV) permet d’aborder les effets de changements sociétaux et de promouvoir les politiques de développement durable. Dès lors, ce changement de vision pourra permettre aux décideurs publics de prendre la soutenabilité en compte, ce qui se répercutera dans les calculs des indices de mesures agrégés du bien-­être humain et du développement durable en contribuant, toutes choses restant égales par ailleurs, à améliorer l’investissement inclusif mentionné plus haut, tout comme d’autres indices composites tels que l’ISEW.
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Bibliographie
ALSHUWAIKHAT, H., « Strategic Environmental Assessment can help solve environmental impact assessment failures in developing countries », Environmental Impact Assessment Review, 25, 2005, pp. 307-­317
BRUHN-­TYSK, S ;; M. EKLUND, « Environmental Impact Assessment : a tool for sustainable development ? A case study of biofulled energy plants in Sweden ». Environmental Impact Assessment Review, 22, 2002, pp. 129-­144
DASGUPTA, P., « Measuring sustainable development : theory and application », Asian Development Review, 24(1), 2007, pp. 1-­10.
FRY, J. , T. HOCHSTRASSER, A. GONZALEZ, J. WHELAN, P. SCOTT, P. CARVILL, M. JONES, General biodiversity impact assessment in Strategic environmental Assessment : Addressing a neglected area. Mimeo, 2011
REVÉRET, J.P., « Développement durable et évaluation de la durabilité. 3è conférence méthodologique de l’IWEPS », In S., BRUNET et B., HAMAIDE (Ed). Développement durable et économie environnementale régionale, Chapitre 2, Publication des FUSL, Bruxelles, 2012.
REVÉRET, J-­P., et J., PARENT, « L’analyse sociale et socio-­économique du cycle de vie des produits : Etats des lieux et défis ». In S., BRUNET et B., HAMAIDE (Ed). Développement durable et économie environnementale régionale, Chapitre 4, Publication des FUSL, Bruxelles, 2012.
THIRY, G. ;; I. CASSIERS, « Alternative indicators to GDP : Values behind numbers – Adjusted Net Savings in question », Forthcoming in Applied Research in Quality of Life, 2012
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