Comment trouver du sens sans GPS ? Dans le petit train-train du quotidien il est possible d’en arriver à oublier de réfléchir, réfléchir au sens à donner – ou à ne pas donner – à nos actions. Pourquoi, pour qui, avoir du courage, de l’ambition, des projets ? Pourquoi se révolter ou bien, au contraire, accepter l’humiliation, la médiocrité, la séparation, la souffrance … ? Certains, certaines, en lisant ces lignes, s’interrogeront… TANT MIEUX ! Certains se demanderont pourquoi réfléchir. Il faut, donc… on fait. Tout le reste est perte de temps. On fait sans se poser de questions. On fait plus ou moins, plus ou moins bien, mais on fait. Les choses, les choses de la vie, l’existence, se déroulent avec des à coups mais sans véritable besoin de réfléchir à leur sens, à leur utilité, à leur finalité. Heureux ceux qui ne se posent pas de questions ? D’ailleurs pourquoi même se poser la question de l’absence de questionnement personnel ? Et cependant le propre de l’homme reste bien la conscience qu’il a de la finitude qui marque toute la différence entre l’homme et l’animal. Si la fin est certaine, comment s’empêcher d’y penser ? Comment l’oublier et donner un sens à nos actions… sinon se convaincre que nous ne sommes qu’un représentant parmi d’autres d’une espèce animale dominante qui vaque à ses activités quotidiennes par simple instinct de survie ? En réalité, personne ne peut véritablement échapper à l’interrogation sur le sens, ni échapper à la peur que provoque l’ignorance, à la suite d’un accident, d’une maladie, d’une perte d’emploi, du décès d’un proche ? Réfléchir au sens cela ne signifie pas à coup sûr en trouver un. Cela signifie se donner les moyens d’y puiser un peu de calme, d’apaisement, de sérénité. Mais attention, en utilisant d’emblée le verbe « réfléchir » je manifeste un attachement plus particulier en faveur d’un mode de quête du sens. Or, il existe de multiples voies… Il est possible de s’en remettre à un autre, à une entité supérieure, à une divinité. La démarche est bien entendue très personnelle mais elle ne fait pas pour autant appel à la raison. La religion implique essentiellement d’avoir la foi, de croire. On peut également recourir à la fuite. Alcool, psychotiques, psychotropes… Il s’agit là de trouver un réconfort dans ce que l’expression « paradis artificiel » illustre selon moi parfaitement. Sans parler de ses conséquences éventuelles – jusqu’à la perte de raison, voire la dépendance – cette voie a pour inconvénient majeur de faire retomber le sujet dans la réalité, qui paraît d’autant plus terne. Alors pour y échapper on augmente la dose. Autre voie, la plus empruntée compte tenu de l’immense suggestion orchestrée en sa faveur par le mode de vie occidental, qui consiste à se réfugier dans une réalité matérielle de consommation. Consommer, surconsommer, au-delà des besoins, au-delà des capacités de jouissance. Consommer des biens matériels, de l’information, des contacts, des connaissances, jusqu’à l’indigestion, jusqu’à la négation de soi-même comme individu. Individu en effet réduit à son utilité sociale de consommateur boulimique, travaillant plus pour gagner plus, et dépenser plus. Le sens de la vie c’est alors le sens du marché, celui de la frustration. Rappelez-vous en février 2009 Jacques Séguela s’exprimant sur France 2 « Comment peut-on reprocher à un président d'avoir une Rolex. Enfin... tout le monde a une Rolex. Si à cinquante ans, on n'a pas une Rolex, on a quand même raté sa vie !" Quel talent ! Quel talent d’avoir ce sens de la répartie et de l’analyse. Pas étonnant que Pierre Desproges ait pu, bien des années plus tôt, s’interroger à propos de ce talentueux communiquant … "Jacques Séguéla est-il un con ? De deux choses l'une : ou bien Jacques Séguéla est un con, et ça m'étonnerait quand même un peu ; ou bien Jacques Séguéla n'est pas un con, et ça m'étonnerait quand même beaucoup !" Il y a l’amour aussi. Mais on se heurte là à un manque de précision de la langue, qui affecte au verbe le pouvoir d’exprimer tout à la fois la passion, l’affection, l’amitié, la tendresse, et la sympathie, mais aussi d’avoir du goût pour quelque chose, de trouver agréable voire de préférer. S’en remettre ainsi au sentiment, livré autant qu’attendu en retour, expose l’individu à un risque permanent d’échec, de rupture, de séparation. Ainsi par exemple, l’hypothèse, courante, d’une mère ou d’un père plaçant l’amour de ses enfants comme donnant du sens à sa vie. C’est risqué. Les enfants ne doivent jamais être les créatures de leurs géniteurs et n’ont pas à porter le poids des ambitions et rancœurs des générations ainées. Une dernière voie serait celle du développement personnel, celle de la réflexion intime et de son partage avec l’autre, au sein d’un couple, de la famille, de l’entreprise, du groupe… Les bouddhistes reconnaissent en cette démarche un moyen de se préparer au pire, à la crise, qui, du coup, ne surprend pas. On accepte mieux les choses dont on a pris conscience en amont et qu’on est capable de s’expliquer. Chercher du sens à l’existence passe alors par la philosophie, en travaillant sur la conscience des choses, voire par la psychanalyse, en travaillant aussi sur l’inconscient. Encore une fois, cette démarche personnelle d’apprentissage, d’enrichissement, de réflexion doit permettre de trouver, sinon des réponses, en tout cas les éléments constitutifs d’une sagesse personnelle, source d’apaisement Le lecteur sceptique, rationaliste et matérialiste, laissant peu de place au sentiment, gardant la foi pour plus tard et réservant les approches introspectives aux intellectuels urbains dispendieux de leur temps et de leur argent, trouvera-t-il dans les lignes de cette chronique, atypique un motif de satisfaction ? Même si tel n’est pas le cas, votre lecture, menée jusqu’à ce point, prouve que vous pouvez probablement vous passer de GPS.